Sourcils froncés et lèvres pincées, la Magicienne scrutait le plateau avec sévérité et incompréhension, à la recherche d’un coup à jouer. Ses doigts frémissaient au-dessus de ses pions, hésitants. Aussi silencieux et sérieux que possible, je la contemplai tout en suivant tranquillement le cours chaotique de ses pensées désordonnées. J’étouffai un rire et un sourire. Résignée, elle finit par déplacer sa tour. « Es-tu sûre que tu ne veux pas que je te rappelle les règles ? » demandais-je avec innocence. « Non. » marmonna-t-elle, boudeuse. Je haussai les épaules. « Je suis désolé mais tu es vraiment nulle aux échecs. » Je n’eus qu’à faire bouger mon fou. La partie était terminée. Myosotis soupira. « Les chats ne sont pas faits pour ce genre de jeu. Pourtant, j’aime bien jouer avec toi. » J’aimais passer du temps avec elle. Malgré son esprit différent, elle était une jeune femme douce et gentille. Alice trouvait que j’avais agis précipitamment en faisant d’elle ma petite sœur aux yeux de tous. Je n’étais pas d’accord. « Dis Caleb … Est-ce que Démétri va rester ici, avec nous ? » me demanda-t-elle d’une petite voix. Je baissai les yeux, tracassé par la question. « Je l’ignore. » - « Il me fait peur. » - « Tu as raison. C’est quelqu’un d’inquiétant. » - « Alice l’aime bien. » - « Elle ne voit que les ressemblances qu’il partage avec moi. Elle le côtoie pour de mauvaises raisons. » - « Il est très différent de toi. » - « Merci. » Le Génie était étrange. S’il possédait mon aisance dans l’éloquence, il l’utilisait à mauvaise escient. Plus d’une fois, je l’avais surpris en train de décrire à Jade ou à Blanche-Lune les grands desseins de son esprit. Il aspirait à un monde froid où le soleil serait éteint et la lune détruite. « J’aimerai qu’il parte. » - « Je ne le chasserai pas. » - « Pourquoi ? » Je passai une main agacée dans mes cheveux en bataille, réfléchissant à ma réponse. « Je me sens un peu responsable de lui. » Sans compter que je n'étais pas du genre à claquer la porte au nez des gens, même s'ils étaient aussi arrogants. Elle hocha doucement la tête. « Je comprends. Il est méchant avec moi. » - « Je lui ai dit d’arrêter de t’importuner. » Adepte des grandes vérités, il avait voulu faire comprendre à Myosotis qu’elle n’était pas le félin qu’elle croyait être. La discussion avait été houleuse et j’avais été contraint d’y mettre un terme. Je préférai qu’on laisse la rêveuse dans ses douces utopies qui ne blessaient personne.

« Est-ce que tout va bien ? » La voix me paraissait lointaine. Chancelant, je tenais ma tête entre mes doigts froids, pris de vertiges soudains. Des mots se glissaient dans mes pensées, des idées qui ne m’appartenaient pas. « Caleb ! » Le chant était puissant, ténébreux. « Je reviens. » lui murmurais-je, juste avant de m’éclipser pour retomber dans les champs de coquelicots du Temple des Esprits. Dans un soupir, je me relevai, appréciant à sa juste valeur le silence et la tranquillité de ma tête. Je devais être ici. Je n’allais pas contrarier les projets dont je n’étais qu’une marionnette. D’un pas las, je me mis à gravir la colline, jusqu’à emprunter le passage que me présentait les majestueuses protectrices de pierre du Temple. Le chemin souterrain m’était familier, illuminé par des constellations lumineuses, étoiles guides et bienfaitrices. Je me permis une halte après le portail, scrutant les cieux flamboyants jonchés d’une dizaine de soleils. Le spectacle était magnifique. Je finis par sauter à travers l’étrange fontaine, pour atterrir dans une grande salle où je passai une arche au hasard. « Enfin. Je vous attendais, Caleb Suellan. » Je courbai très légèrement la tête en guise de salutation. « Asîlah. » L’Illusionniste avait une apparence qui pouvait être effrayante. Elle aimait en jouer. « Vous avez bien reçu mon message. » - « Une lettre conventionnelle fera parfaitement l’affaire, la prochaine fois. » Elle rit. « Savez-vous pourquoi vous êtes là, le Clairvoyant ? » - « Je fais en sorte de ne pas chercher à comprendre les choses qui me touchent de trop près. » - « Vous faites bien. Votre existence serait bien morne. » Elle se mit à me tourner autour, les mains croisées dans le dos. « Vous n’êtes jamais venu au Temple. Pourquoi ? » - « Je ne sais pas. » Je n’avais pas vraiment de réponse devant l’évidente contradiction. « Je pense que vous ne deviez venir qu’aujourd’hui et pas avant. » - « C’est certain. » Ce n’était pas le fervent adepte du destin que j’étais qui allait dire le contraire. « Vous méritez un petit cadeau de ma part. » Elle se mit à jouer avec un morceau de métal qui s’étendit jusqu’à devenir une immense faux qu’elle me jeta presque dans les bras. « Cette arme est faite pour vous. » roucoula-t-elle, moqueuse. « Marchez sur les traces de la Tortue et souvenez-vous de moi. » - « Vous êtes quelqu’un de difficile à oublier. »

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