En fin de compte, les rongeurs ne se révélaient pas particulièrement vindicatifs. Au-delà de la soif, ils avaient probablement envie de s'amuser un peu. Les distractions devaient être bien rares dans un pareil désert, et le Tiregan se doutait que les adorables créatures s'ennuyaient ferme. Passer toute la journée à gambader à travers une étendue ensablée sans autre horizon que des dunes dévorées par le soleil ne devait pas être passionnant. Utilisant le petit bouchon qui servait à fermer l'outre qu'il emportait toujours avec lui, il avait réussi à y verser un peu d'eau et à l'enterrer légèrement dans le sable pour permettre à ses camarades inattendus de se désaltérer. Les trois se disputaient la source, n'hésitant pas à donner de légers coups de pattes si nécessaire. S'assurant que chacun pouvait en profiter, il ne tarda pas à récupérer ses vêtements et s'empressant de remettre son haut, ne tenant pas à ce que quiconque le voit torse nu, encore moins Callidora. Cette seule pensée lui fit piquer un fard. Depuis quand se sentait-il gêné à l'idée qu'elle puisse le voir sans vêtements ? Pourtant, Syveth se rappelait sans difficulté les nombreuses situations autrement plus troublantes dans lesquelles ils s'étaient retrouvés un jour. Nouant sa veste autour de sa tête pour se protéger des rayons du soleil qu'il commençait sérieusement à ne plus apprécier, il finit par distinguer la silhouette de la jeune femme qui se dégageait de la porte de pierre. Manifestement, tout s'était bien passé.

La Rehla ne tarda pas non plus à repérer son compagnon. S'approchant rapidement, elle fut surprise de le voir en compagnie de boules de poil à l'air adorable. « Tu t'improvises gardien d'animaux ? » Lui lançant un clin d'oeil malicieux, elle offrit quelques caresses aux intéressés avant de récupérer le bouchon et de le lui rendre. Sitôt qu'elles n'eurent plus d'intérêt à rester dans les parages, les petites créatures disparurent sans prévenir. Callidora éclata de rire en voyant l'air renfrogné de Syveth. Depuis qu'elle le connaissait, elle savait qu'il détestait être plaisanté sur les moments où il se laissait aller à la tendresse, et cela l'amusait terriblement. C'était comme embêter le frère qu'elle n'avait pas. En ronchonnant, le brun referma l'outre qui retrouva sa place d'origine. Tout cela l'ennuyait furieusement, et ils devaient se dépêcher de rentrer s'ils ne voulaient pas finir cuits dans cette plaine immense et désespérante. L'observant lui emboîter le pas, la brune ne put s'empêcher de se demander ce qu'il pensait d'elle. Malgré leur relation somme toute fraternelle, elle se demandait de temps à autre s'il ne la prenait pas pour une folle. Ses visions et son comportement étrange avait de quoi déconcerter quiconque s'approchait trop, et pourtant, lui ne s'était jamais plaint de quoi que ce soit la concernant. Préférant garder le silence sur de telles considérations, elle s'engagea à sa suite.

Le trajet jusqu'à l'entrée du parc fut éreintant. Sortir de la Plaine Sablonneuse se révéla relativement rapide, contrairement à leurs prévisions, mais la fatigue les menaçait à chaque instant. En chemin, ils ne rencontrèrent pas grand-monde. À cette heure tardive, les gens rentraient sans doute chez eux pour passer de bons moments en famille, et elle ne put s'empêcher de sourire à cette pensée. La perspective d'un bon repas tranquillement pris dans une salle à manger lui donna des ailes, et elle cessa de lambiner pour observer le paysage qui s'offrait à elle. Malheureusement, ils ne croisèrent pas Zärfell et ne purent par conséquent le remercier de son étonnante intervention. Callidora ne s'en soucia pas outre mesure et préféra continuer, impatiente de rentrer. Ce n'était pas tant l'envie de découvrir de nouveaux endroits qui la tenaillait, mais un inhabituel besoin de tranquillité. Rester enfermée dans la chambre de l'auberge pendant plusieurs jours ne lui semblait pas d'une grande extravagance. Alors qu'ils quittaient enfin le Jardin Animalier, épuisés par leurs escapades de la journée, la Rehla se retourna pour observer le bâtiment d'une élégance simple. Un frottement contre son mollet l'informa d'une présence. Baissant les yeux, elle eut la surprise de reconnaître un félin bien connu. « Asmodée ! Qu'est-ce que tu fais-là ? »L'animal la regarda de ses grands yeux verts avant de leur emboîter le pas, suivant le chemin qui menait au centre-ville. Levant les yeux vers le couchant, la brune eut un sourire plein de confiance. Les réponses, elle finirait par les trouver.