Alors que Lully avait évoqué leur aventure en tant qu'esprits, elle lui décrit la sensation de voler, qui semblait en fait bien différente. En écoutant cette description, la sirène plissa le nez : ce n'avait pas l'air d'être si bien, au final... pas de quoi en faire tout un plat.

« Oh... je préfère flotter dans les airs, alors. Voler, ça a l'air d'être assez contraignant. »

De toute façon, Lully n'avait jamais partagé ce rêve fou qu'avaient de si nombreuses personnes : savoir voler. Elle, elle était très bien ancrée sur terre, et encore mieux sous l'eau, d'ailleurs. Pour la sirène, c'était encore la meilleure façon au monde de défier la gravité, et elle doutait un jour de retrouver une sensation aussi grisante. C'était dans son sang, après tout. Ah, ce bain dans la rivière lui avait fait tellement de bien, tout à l'heure...

Ses pensées encore un peu embrumées par l'alcool se mélangèrent encore plus quand Mircella se mit à parler de leur rencontre, de leurs différences. Parler de sujets aussi profonds, à cette heure... cela ne lui réussissait pas. Néanmoins, elle eut un sourire en coin en pensant aux différences qui pourraient avoir entre elles. *Oh, tu ne crois pas si bien dire...* pensa-t-elle avec amusement. Si l'elfe connaissait les credos qui alimentaient sa vie depuis plusieurs années, elle s'enfuirait très certainement bien loin, si du moins, elle n'aurait pas plutôt l'envie d'éliminer une gangrène telle qu'elle.

Puis, quand cette dernière parla d'attaquer un elfe en pleine forêt, ses pensées s'assombrirent encore, un certain souvenir lui revenant en mémoire. Ce jour-là, où Lully avait poursuivi l'elfe en forêt... eh bien, elle avait rarement été semée dans sa vie, et cette fois en avait fait partie. C'était certainement aussi idiot que d'attaquer une sirène dans son Océan. Soudain, Lully se sentait stupide de cette tentative qui s'était terminé en un échec cuisant. *Mais Mircella n'a rien à voir avec cette bête perverse que j'avais poursuivi*, continua-t-elle sans répondre. Mais alors qu'elle se perdait dans des souvenirs qui faisaient monter des pulsions qui lui était trop familières, Lully se rendit compte que Mircella avait soudain changé de ton. Désormais, elle parlait d'Earudien, la cité des elfes, en disant qu'elle n'avait pas réussi à la protéger. De quoi parlait-elle précisément ? Lully devait-elle la réconforter ? Après avoir réfléchi un moment, elle répondit :

« Ah, tu sais, si seulement on pouvait avoir le contrôle de tout ce qu'il se passait autour de nous... » se reperdant dans ses pensées, en s'imaginant une vie pareille, la sirène laissa la fin de sa phrase en suspens. Puis, elle continua : « C'est comme ça. »

Et, étrangement, elle n'arriva pas à faire sortir les paroles qu'elle voulait. Une boule se formait dans sa gorge, nouant jusqu'à son estomac. Ces dernières paroles de Mircella avaient éveillé des souvenirs qu'elle tentait depuis toujours de fermer à double tour. Ces souvenirs qui dataient d'avant que sa vie ait basculé... là où sa vie lui avait semblé paradisiaque, aux côtés de celui qu'elle avait tué. De celui qui l'avait trahie. Pourquoi n'arrivait-elle pas à contrôler tout cela ?! Alors que ces images s'imposaient à elle, une haine s'intensifiait. Elle avait besoin de violence, de sang pour chasser ces mauvaises pensées. C'était devenu, après une envie coupable, un réflexe. Et, soudain, Mircella devenait une cible potentielle.

« Je vais sortir un moment. »

Sans attendre la réaction de l'elfe, Lully se leva de son lit. Mais la tête lui tourna tellement qu'elle n'eût pas la force d'aller plus loin, et elle finit par retomber sur ses draps. Soudain, la fatigue pesait plus lourd que jamais sur elle. La sirène ne pensait plus qu'à une chose : dormir, comme si le sommeil allait pouvoir soigner tous les maux dont elle commençait à souffrir à cause de l'alcool. Finalement, ses souvenirs s'en allaient petit à petit, au rythme de toutes ses pensées sensées, d'ailleurs. Lully s'endormait petit à petit.

« La cuite, ça fatigue, en fait », chuchota-t-elle en s'emmitouflant dans ses draps, qui lui semblaient plus doux que jamais. Puis, dans le noir de la pièce, elle regarda les contours à peine visibles du visage de l'elfe. Elle aurait presque pu se sentir coupable de ce à quoi elle avait pensé, une minute plus tôt.