L'alcool, l'alcool.. Si vous en parliez à Mircella, vous vous retrouveriez dans un beau pétrin. Bien que majeure, la jeune femme ne s'est promptement jamais intéressée à ce genre de choses et n'éprouve aucun plaisir à se saouler. Ses lèvres n'ont jamais touché que du vin offert par son cher vampire ainsi que de l'alcool à faible degrés qu'elle s'offre lors de grandes occasions. Elle n'a pas la beuverie en horreur, elle ne peut pas juger ce qu'elle ne connaît pas mais ça ne l'attire pas plus que ça tout comme les rapports charnels. Cependant, dans son entourage, il y a bien une personne qui ne peut pas s'en passer et même si elle s'en cache, elle ressent toujours les envies mais surtout les effets de l'alcool. Une personne ne l'ayant jamais entraînée dans ce tourbillon alors qu'elle en meure d'envie. Il s'agit de Julia.

Dans son ancienne vie, il lui arrivait souvent de passer des soirées entières à la taverne, et elle se rappelle que les nombreuses rencontres à cette dernière lui ont valu beaucoup de bons souvenirs mais également le plus funeste qu'elle ait pu connaître. Mais comment aurait-elle pu savoir que sous ces beaux yeux, ces cornes majestueuses et ce sourire d'ange se cachaient un véritable coeur de pierre ? Qu'elle avait été naïve. Et dieu sait comme elle haïssait l'innocence et la pureté de l'elfe qu'elle accompagnait. Sans doute par jalousie, peut-être par regret. Ce qui est sûr en tout cas, c'est qu'elle ne comptait pas la laisser réitérer ses erreurs. La laisser tomber dans les filets d'un vampire était bien assez de souffrance pour elle et face aux horreurs du monde, la Dullahan n'avait qu'une seule réponse. Combattre le mal par le mal.

C'est ainsi qu'elle prit la décision d'entraîner la jeune femme aux dures lois de la vie en la malmenant à maintes reprises. En la malmenant si bien qu'elle crut réellement que la morte-vivante voulait sa mort, à tel point qu'elle la craignait presque. Mais ce jour-là, il faut croire que Julia n'était pas responsable de ce qui allait se passer. Mircella venait de sortir de chez elle. Une fête se préparait chez les réprouvés et même si elle n'était pas friande de tout ce qui se rapportait aux festivités, elle était consciente qu'elle devait apprendre à faire un pas vers les autres car ils n'en feraient pas d'eux-mêmes vers elle. La jeune elfe enfila une tunique bleutée, prit son envol après avoir soigneusement soulevé la petite fille sur son dos et se dirigea vers Stenfek. N'y ayant jamais mis les pieds, elle doutait franchement de trouver du premier coup la cité, d'autant plus qu'elle se séparait en trois cercles bien distincts.

Il lui suffisait de suivre les courants pour retrouver l'endroit où se tenait la fête et peut-être qu'en longeant la rivière, elle entendrait de la musique qui la dirigerait. Elle se posa alors doucement sur l'herbe fraîche et se mit à avancer. L'endroit était désert, comme totalement vierge du passage de l'homme et l'espace d'un instant, elle sentit son coeur balancer. Cette nature libre lui rappelait sa tendre enfance mais la Dullahan ne manqua pas de la rappeler à l'ordre. « Si tu continues à flâner, on y sera jamais à ta fête à la noix. Pis d'ailleurs y'a que toi qui veut y aller, je me demande bien pourquoi tu m'y as emmenée. ». Elle tourna les talons.

« Pis pourquoi l'ange n'est pas là ? T'avais pas envie qu'elle vienne voir des réprouvés c'est ça ? Avec la pureté dégueulasse qu'elle dégage y'a de quoi, ils l'auraient pendu vite fait. » Elle éclata de rire mais l'elfe ne réagit pas à ses petites piques. Il s'agissait d'une toute autre histoire qu'elle ne souhaitait pas raconter à la gamine et quelque chose de bien plus important venait d'attirer son attention. Quelqu'un se trouvait là, au loin. Elle ne parvenait pas à discerner clairement sa silhouette mais elle lui semblait être sa seule option. « Excusez-moi, vous savez ou se déroule la fête ? ». Elle s'en approchait progressivement, dans l'espoir qu'il ne s'agisse pas d'un ennemi et petit à petit, un sourire se formait sur son visage. Si l'elfe n'allait pas s'amuser, son double le ferait pour elle..

Mircella souriait, un peu nerveuse. Elle n'appréciait pas trop le fait de devoir demander son chemin, mais elle préférait avoir l'air bête quelques instants plutôt que de se perdre par fierté. Ses yeux s'illuminèrent en réalisant que la jeune femme en face d'elle pourrait la guider, et elle la détailla du regard un instant. Elle lui évoquait une reine, ou en tout cas quelqu'un d'assez important. L'elfe daigna s'observer à son tour et réalisa que sa tenue ne convenait pas réellement à une soirée. Mais peu importe. Il ne s'agissait pas de paraître la plus belle ce soir, car elle doutait que son aimé s'y trouve, mais de faire acte de présence et d'en apprendre un peu plus sur les réprouvés. Sa tunique bleue suffirait bien à la faire remarquer mais de toute façon elle n'avait jamais été friande de soirées mondaines. Ca ne l'intéressait pas, mais vu qu'elle avançait petit à petit dans les terres du yin et du yang, elle aurait à s'y faire.

« Vous avez un sacré sens de l'orientation ! Je me souviens parfaitement du chemin pour venir jusqu'ici.. ». Elle s'arrêta un instant, à nouveau gênée. « Mais après, je suis complètement perdue. Je ne suis jamais venue à Stenfek et pour tout vous dire je n'ai jamais rencontré de réprouv.. ». Elle s'aperçut que son interlocutrice venait de lui faire faux-bond, et elle s'arrêta brutalement. Peut-être parlait-elle un peu trop ? La petite morte-vivante éclata de rire. « Faut croire que tu l'intéresses pas, ma pauvre ! En même temps t'as pas trop l'air d'avoir vraiment envie d'aller à cette fête, je me trompe ? ». Mircella poussa un soupir et ne répondit pas. Ca n'aurait servi à rien à part attiser l'envie de bêtises de la gamine. Mais bien vite, la jeune femme revint à elle, comme si une illumination venait de lui parvenir. Elle pouvait les y emmener, et elle venait apparemment de le comprendre. L'elfe lui sourit en retour. Peut-être était-elle un peu longue à la détente, ou qu'elle avait quelque chose derrière la tête. Peu importe. Il fallait qu'elle arrive à cette fameuse fête avant qu'elle ne commence à battre son plein, et trouver une compagne de jeu n'était que plus agréable.

Les deux jeunes femmes se mirent en route, l'elfe à la suite de la jeune femme qu'elle ne connaissait pas, et elle décida de faire les présentations. « Vu que nous allons passer un petit moment ensemble – au moins le temps du trajet - , je pense que je devrais me présenter. ». Elle se plaça devant elle pour la stopper et s'inclina faiblement. « Je m'appelle Mircella et la petite fille turbulente s'appelle Julia. ». Puis elle reprit la route, se tenant aux côtés de son interlocutrice. « Je ne sais pas si ça se fait de demander ça aux gens qu'on vient de rencontrer, mais vous avez une raison précise pour aller à cette fameuse fête. ». La Dullahan s'ennuyait à mourir. Elle passait son temps à observer l'inconnue, essayant sans doute de déterminer ce dont il s'agissait. « Z'avez pas l'air d'être une réprouvée en tout cas. ». Puis elle se tourna vers sa maîtresse en riant. « Elle non plus, elle a pas l'air super heureuse d'y aller en tout cas, ça vous fait un point commun ! ». La jeune femme poussa un soupir et continua son chemin, suivant formellement la trajectoire que formait l'autre jeune fille. Elle devait sans doute être un peu bête, suivre la première venue comme ça, sans réfléchir aux conséquences que ça pourrait avoir. Et le double maléfique de la jeune elfe riait au plus profond d'elle. Les réprouvés partageaient une part de bien et une part de mal, comme elle en ce moment même. Il ne s'agissait que de l'éveiller..

Saleté d'hybride.. L'espace d'un instant, un sourire gêné prit place sur le visage de Mircella. Elle qui ne connaissait pas plus les réprouvés que ça n'osait pas répondre à une telle provocation. Elle les savait quelque peu violent de par la dualité qui s'exerçait entre leur bon et leur mauvais côté mais y étant en proie également par rapport à son double maléfique, elle n'estimait pas qu'il s'agissait d'une excuse valable. Comment parler de ce qu'on ne connaît pas? Sans doute Lully connaissait elle des personnes de cette race et s'était fait sa propre idée dans une certaine généralité. Peut-être rencontrait-elle des problèmes avec ces derniers. Le cerveau de l'elfe carburait, à la recherche d'une raison valable d'agir de la sorte mais elle s'arrêta bien vite : parfois, on a pas forcément besoin de bonnes raisons pour détester quelqu'un. Elle pensa notamment à Julia qui haïssait Héliana juste à cause de son appartenance à la race céleste qu'était les anges. Certains êtres s'opposaient et on ne pouvait rien y faire.C'était dans leur nature, bien que l'homme allait vers la culture. Un sourire radieux naquit sur sa bouille d'enfant quand elle apprit qu'il s'agissait d'une sirène. Elle entendait tellement de choses sur cette race. Leur beauté mais aussi leur sournoiserie l'intriguait et pendant un moment, elle s'amusa à détailler la sirène de haut en bas. Mais quelque chose d'autre attira bien vite son attention. Une perle.. La jeune elfe n'avait jamais rien lu à ce sujet. Mais elle ne s'en préoccupa pas plus que ça étant donné que Lully venait de lui poser une question.

« Je suis bel et bien une elfe mais je suis désolée de te dire que je ne connais pas cette Ritournelle. » Elle paraissait quelque peu embarassée. « Je ne fréquente pas trop mes congénères, c'est une longue et ennuyante histoire. Mais si je la croise, alors nous aurons une connaissance en commun je présume. » La jeune femme replaça une mèche de ses longs cheveux blonds derrière son oreille fuselée avant de donner un petit coup sur la tête de la gamine pour qu'elle réponde. « Ca va, j'suis polie quand même. Et je veux pas dire mais tu m'as pas laissé me présenter pis maintenant tu me demandes de dire ce que je suis à une dame qu'on connaît même pas ? Tu manques de logique pour une elfe ma pauvre. » La morte-vivante se mit à rire, avant de reprendre son sérieux. « Je suis une Dullahan. Tu peux prendre ça comme une morte-vivante, à quelques exceptions près qu'il ne me plairait pas de dévoiler. » Elle leva alors les yeux et sembla fixer quelque chose au dessus de la tête de la sirène. « Tu as encore du temps devant toi, petite chanceuse. » Elle arrêta d'analyser les nombres flottants en rouge et ne donna pas d'explications, se contentant d'observer Stenfek, une ville où elle n'était jamais venue malgré leurs nombreuses excursions.

La musique parvenait aux oreilles fines de l'elfe depuis un bon moment et le rythme entraînant semblait la quérir petit à petit. Ils se trouvaient à présent au beau milieu de la foule mais la sirène ne semblait pas décidée à les lâcher. La Dullahan parut soucieuse de ce qui allait leur arriver mais elle haussa bien vite les épaules et suivit sans broncher. Que pouvait-il bien leur arriver de toute façon? Si quelqu'un devait gâcher la fête, la morte-vivante s'assurerait que ce serait elle et non pas quelqu'un d'autre. Lui voler la vedette, et puis quoi encore. La petite se fichait bien de la danse ou de la musique, ce qui piqua sa curiosité fut le vin. Depuis combien de temps n'avait-elle pas pu s'offrir une bonne bouteille? Cela se comptait presque en siècles.Mais personne dans ce bas monde ne donnerait une telle boisson à une petite fille. Elle regarda ses mains et se mit à pester dans le vide. Cette apparence la tuerait.

La technique de la sirène parut marcher, car quand l'étui du violon fut sorti, les yeux de la jeune femme s'illuminèrent. Elle plongea sa main dans sa sacoche pour en sortir son ocarina, brûlant d'envie d'en jouer. Elle adorait la musique plus que tout au monde et Lully venait manifestement de gagner un certain point et de monter dans l'estime de l'elfe. Mircella suivit son hôte jusqu'au centre de la fête et en effet, la fête battait son plein. La musique agressait presque les oreilles de Mircella tant elle était forte mais elle s'en accommoda bien vite, tandis que la gamine fonçait là ou se trouvait le vin. Elle s'approcha sans aucune timidité, sans doute pensait-elle avoir une chance auprès des réprouvés. Mais quand ils la virent, ils l'éloignèrent du bar improvisé. « Ce n'est pas un endroit pour les enfants. ».

A cet instant, la morte-vivante eut envie de dire à tous ces hommes qu'ils allaient mourir bientôt et s'en occuper elle-même mais elle préféra aller lâcher son dévolu sur sa maîtresse. « Vous devriez aller boire un coup, tu n'as jamais été friande de vin mais peut-être était-ce parce qu'il n'était pas à ton goût Mircella. Vas faire un tour, tu ne seras pas déçue.» . Elle ne lui laissa pas vraiment le choix et la tira vers le dit-endroit. L'elfe s'assit sur le banc, rapidement zieutée par les réprouvés qui se mirent à rire. L'ambiance fut alors quelque peu plombée mais à la vue de l'alcool et de la malaisance des personnes autour d'elle, le double maléfique de la jeune femme prit son ascendance. Elle s'apprêta à prendre une choppe dans la main quand elle fut arrêtée par l'absence de la sirène. La Dullahan se chargea alors d'aller la quérir, un sourire aux lèvres. « Mircella se trouve là-bas, ou ils sont réunis pour boire du vin. J'ai pensé que ça la décoinçerait, j'sais pas ce que tu en penses mais si tu veux te marrer je te conseille de venir. » Car oui, on allait bien rigoler..

Si l’elfe buvait rarement, elle tombait sous le joug de l’alcool bien plus vite que les autres. Elle le tenait mal mais parvenait à garder la tête haute et il ne lui est jamais arrivé de s’écrouler sous l’ivresse. Même la fois où la Dullahan l’avait forcée à boire jusqu’à n’en plus pouvoir pour oublier la souffrance causée par sa rupture avec l’alfar – chose qui d’ailleurs n’a fait qu’empirer son état -, elle avait réussi à garder une part de lucidité certaine. Peut-être la sagesse des elfes, dans un sens ou dans un autre. Le fait est que Mircella avait une choppe dans les mains et ne se privait pas de boire. Avec modération bien entendu, comme elle savait si bien le faire. La morte vivante la fixait de loin, un large sourire lui déformant le visage. Elle aimait voir sa maîtresse tomber dans ses filets et essayer de s’y débattre en vain. Et elle sentait que tôt ou tard, le double maléfique prendrait possession du corps de l’elfe. Là se trouvait peut-être la raison de sa résistance à l’alcool. Dés lors que son esprit premier ne répondait plus, son double assurait la relève ce qui lui permettait de tenir de longs moments en buvant sans en ressentir de trop gros effets.

Lorsque le réprouvé tenta de les provoquer, l’elfe manqua de recracher le contenu de sa choppe. Se fichait-il d’elle ? L’alcool jouait beaucoup dans la transformation de la jeune fille, et elle manqua de s’énerver, elle qui était d’ordinaire si calme et posée. Il pariait ces beaux colliers qu’il pouvait avoir une meilleure descente qu’elles. Un sourire audacieux naquit sur son visage qui gardait cependant une certaine candeur. « Vous désirez vraiment jouer à ça, messieurs ? ». Elle s’efforçait de rester polie. Elle était l’invitée, elle venait s’incruster alors se faire mal voir, très peu pour elle. Mais l’hésitation lui vint un instant. Boire ne faisait pas parti de ses hobbys préférés et la dernière fois fut pour oublier un chagrin d’amour. L’alcool lui laissait maintenant un goût amer dans la bouche, et ce regard indécis n’échappa pas à l’œil de lynx de la petite fille. Elle s’approcha du groupe et alla taper dans le dos de sa maîtresse. « Allons ma grande, ce n’est rien de plus qu’un bête concours. Il n’y a ici en jeu que des biens matériels. Tu n’y risques pas tes sentiments et encore moins ton image. ». Elle lança un regard moqueur aux réprouvés et baissa d’un ton. « Eux, par contre, te montrent avec fierté leur manque de civilité. Tu es une fervente défenderesse de la logique, de la diplomatie et de tout ce qui s’en suit. Mais avec des personnes comme ça, les mots ne marcheront pas. ». Elle glissa alors à son oreille quelques mots, tremblante d’excitation à l’idée de voir un tel duel se dérouler. « A toi de leur montrer de quoi tu es capable, de quoi ton peuple est capable. ». La gamine touchait les points faibles de la jeune femme comme son patriotisme et sa fierté et nul doute que ses provocations porteraient leurs fruits.

Les paroles eurent l’effet escompté et l’elfe se leva pour attraper sa bourse et en sortit une somme plutôt raisonnable. Pour cause, elle n’imaginait pas perdre. Il ne s’agissait pas d’une somme astronomique mais la provenance des bijoux la titillait sérieusement. Elle posa les pièces sur la table et attrapa une des choppes présentées devant elle par le tavernier de la fête s’étant pris au jeu. « A la votre, chers réprouvés ! ». Elle engloutit alors tout le contenu de sa choppe d’une traite et fit de même pour plusieurs autres avant qu’elle ne se sente légèrement vaciller. Tout le long du jeu, l’elfe affichait un sourire imperturbable qui donnait une symétrie parfaite à celui de la morte vivante qui l’observait. Voir sa maîtresse se dévergonder de la sorte lui procurait un certain plaisir, une certaine fierté. Comme si elle disait « regardez, c’est moi qui ait fait ça ! ». Les elfes n’étant pas connus pour avoir une très bonne descente, les yeux des habitants de la cité s’écarquillèrent en la voyant enchaîner. Finalement, ils se rendirent compte que le défi commençait à devenir sérieux. Mircella s’arrêta en claquant sa choppe sur la table et lança un regard à peine dans le vague à la sirène. « Alors, comment ça se porte pour toi ? Moi ça va ! ». L’elfe riait à s’en détruire la mâchoire puis reprit sa choppe. Quand on l’accusait d’être complètement saoul, elle reprenait l’air sérieux qui la caractérisait si bien et prouvait qu’elle pouvait encore tenir des propos cohérents. Julia souriait. Elle souriait mais elle sentait que ça ne durerait pas. Pourvu qu’elles gagnent…

Mircella observait à peine ses concurrents : elle semblait bien trop concentrée sur les choppes qu'elle engloutissait à une vitesse phénoménale. Grâce à Julia, qui l'observait de loin avec un sourire fier sur le visage, elle résistait à l'alcool depuis quelques temps mais elle n'eut nul doute que malheureusement, cette expérience la dégouterait. Après plusieurs choppes, elle commença à ne plus sentir le goût de ce qu'elle buvait et le liquide devenait aussi facile à avaler que de l'eau. C'était le signe que la situation allait tourner au vinaigre. Elle ne tiendrait plus si longtemps, heureusement, le réprouvé à côté d'elle semblait bien plus mal en point qu'elle. Elle lança un sourire à la sirène tandis qu'elle continuait d'enchaîner et l'observait rôter sans même réagir. Elle était bien trop saoul pour se permettre de lui faire une remarque, et si elle ne rôtait pas, elle ne devait pas avoir une belle allure non plus.

La vision de l'elfe commença à se flouter et elle vacilla d'un côté et de l'autre de son tabouret, un peu désorientée. L'alcool continuait à s'accumuler dans son corps et pour une fois, au lieu de s'en féliciter, la jeune Dullahan s'en inquiéta. Elle ne comptait plus les litres d'alcool ingérés par la jeune fille et même si elle se trouvait être résistante, personne n'était jamais à l'abri d'un coma éthylique. La morte vivante s'approcha alors lentement et tenta de saisir le bras de la jeune fille sur laquelle elle veillait de temps à autre. « Je.. je crois que vous avez gagné, Mircella, ce n'est plus la peine de te rendre folle... ». Son concurrent ne parvenait plus à boire ne serait-ce qu'une seule choppe mais la folie alcoolique était dure à arrêter, Julia étant la meilleure placée pour le savoir. Elle caressa les cheveux devenus brillants de la blonde des bois et l'attira vers le côté. « Je sais que tu as voulu faire tes preuves pour ton peuple, mais si tu continues tu vas tomber dans les pommes et ça ne risque pas de montrer aux autres de quoi tu es capable. Ils vont plutôt se moquer de toi si tu veux mon avis. ».

Mircella tituba jusqu'à la sirène et posa sa main sur son épaule, entre quelques "hics". « J'en ai fini de mon 'hic' côté... Tu penses avoir 'hic' fini 'hic' bientôt? ». Elle se mit à rire sans aucune raison avant de se sentir brutalement mal. Son ventre hurlait pour une libération et quand elle vit un des réprouvés se précipiter dans les champs pour soulager sa douleur, elle comprit qu'elle venait d'atteindre ses propres limites. Elle mit sa main devant sa bouche et s'aventura à son tour dans les champs pour y vomir ce qu'elle venait d'ingurgiter. Le réprouvé contre lequel elle combattait s'était effondré sur la table tandis qu'elle relâchait tout le contenu de son estomac sur l'herbe. Elle se tint la tête et se releva lentement en s'essuyant avec une serviette rapportée soigneusement par la petite fille et se tourna vers la jeune fille qui l'accompagnait, comprenant l'ampleur des dégats. Mais qu'avait-elle fait...

La jeune elfe souriait. Elle ne savait pas s'il s'agissait des effets de l'alcool sur son corps ou juste l'euphorie d'une folie nouvelle, d'un dynamisme naturel. Elle observa un instant sa compagne de nuit sans manquer de remarquer les rejets gastriques sur ses cheveux. Loin d'être dégoûtée - de toute manière dans cet état on ne pouvait plus faire grand chose pour elle - elle s'assit à ses côtés, lâchant quelques 'hics' a intervalles réguliers. « Ouais.. je crois que j'ai gagné. ». Elle admirait les étoiles à son tour, prise d'une certaine nostalgie. Le goût de l'alcool disparaissait de ses papilles doucement mais sûrement tandis qu'un mal de tête la gagnait lentement, la poussant a se coucher aux côtés de la sirène. « J'avais pas prévu de finir dans cet état en venant à cette fête ! ». Elle rit un bon coup et se calma tout aussi vite. « Mais des fois ca fait du bien d'avoir des petits coups de folie.. ». Ses paupières se fermirent sur son visage paisible, après avoir entendu les pas de la petite fille résonner.

La gamine s'approcha des réprouvés encore sobres avec un rictus déformant son visage. Elle s'installa à table et passa ses doigts sur ses lèvres, malicieuse. « Mes amies ont gagné. ». Il lui en coûtait beaucoup de les qualifier d'amies quand l'une d'elle se trouvait être sa maîtresse et l'autre une pure inconnue. « Je crois que vous nous devez deux beaux colliers..». Elle passa ses petits doigts autour de ces derniers, amusée. « Je vais les revendre pour obtenir de l'argent afin de nous loger. A Stenfek bien entendu. » Son sourire s'élargit encore plus que possible. « Bien entendu, si je ne parviens pas à les vendre je reviendrais vers vous et vous sentirez passer l'affront de vous être foutus de moi.». Elle replaça une mèche de ses longs cheveux blancs devant son visage, ne laissant voir que ses yeux noirs qui fixaient des noms et des chiffres flottant au dessus des inconnus. « Je connais vos noms, je vous retrouverais, et je vous tuerais. Pas de mes mains bien sûr, je ne me salirais pas de votre sang de lâche. Vous n'aurez qu'à craindre chaque personne que vous rencontrerez.» Elle souleva la mèche qui cachait sa frimousse démoniaque pour dévoiler une douceur sans pareille, autant dans l'expression qu'elle dégageait que dans sa voix rendue mielleuse. « Cela dit, si vous m'aidiez à leur trouver un logement contentant une couche et le minimum nécessaire, votre situation pourrait s'arranger. Mais avant tout.. ». Elle pointa les deux jeunes femmes allongées du doigt. « Emmenez les a la rivière, il faut qu'elles se lavent.».

Les deux jeunes hommes pousserent un long soupir avant de saisir la sirène et l'elfe sur leurs épaules. Mircella riait aux éclats en tentant de se débattre faiblement en vain, sans parvenir à articuler un simple mot. Elles furent déposées près d'un cours d'eau et la morte vivante déshabilla rapidement sa maîtresse en sommant aux réprouvés de partir leur trouver une auberge. La Dullahan nettoya le visage et les longs cheveux de l'elfe qui lui rentraient presque dans les fesses, sans dire un mot. Elle n'avait pas daigné accorder un regard à la sirène, espérant qu'elle saurait se débrouiller seule. Un bain de minuit, il n'y a que ça de vrai ! Mircella grognait quelque peu, vexée d'être livrée aux bons soins de la petite fille et bailla un bon coup avant de se tourner vers sa nouvelle amie. Elle voulut s'en approcher mais son équilibre fut perturbé et elle finit par tomber sur Lully, l'entraînant dans sa chute dans l'eau.

Spoiler:

Mircella ne réfléchissait pas vraiment à ce qu’elle faisait. A vrai dire, pour réussir à la mettre nue dans une rivière avec une femme qu’elle venait à peine de rencontrer, il fallait le faire. Mais dans l’état ou elle se trouvait, on aurait pu tout lui faire faire. Cette idée passa d’ailleurs dans l’esprit de la Dullahan qui se ravisa bien vite. Si elle en profitait maintenant, elle mordrait la poussière plus tard et voir sa maîtresse complètement saoule ne l’amusait plus vraiment. Elle semblait presque ennuyée par ce spectacle, comme une adulte surveillant des enfants qui jouent à des jeux stupides tel que chat perché. Son regard se dirigea vers la lune. La nuit était tombée depuis voilà un bon bout de temps mais elles n’étaient pas prêtes de rentrer. Elle sourit, pensant brièvement à la petite ange qui avait bien fait de ne pas venir.

L’elfe se retrouva alors sur la sirène qui ne tarda pas à prendre sa véritable forme sous le regard ébahi de la jeune femme qui semblait s’être réveillé d’un profond sommeil. Tout à coup, sa mémoire lui revint parfaitement. Peut-être était-ce le choc d’enfin rencontrer une véritable sirène sous ses vrais appareils, peut-être était-ce l’alcool, elle ne le saura jamais. Mais ce qu’elle savait, c’est que ce n’était pas sa première rencontre avec Lully. Elle s’exclama alors, se relevant lentement lorsque cette dernière revint avec un caillou entre les mains. « Mais.. On se connaît, je me trompe ? ». Elle rit alors toute seule. « Je veux dire, pas de maintenant, je suis pas stupide à ce point, mais on s’est vues avant aujourd’hui, je le sais ! ». Julia observait sa maîtresse, un peu surprise par son comportement. Elle aurait cru se voir. « Mais si tu l’avais rencontré je m’en souviendrais, Mircella. Mais je n’ai jamais vu ce visage. ». Mircella lança alors un regard blasé à la petite fille. « Je l’ai rencontrée quand j’ai failli… ah bah non, quand je suis morte la dernière fois. Normal que tu ne la reconnaisses pas. ».

La morte vivante poussa un long soupir. Les rôles s’inversaient et elle comprit lentement ce que devait supporter la blonde des bois chaque jour en sa compagnie. C’était loin d’être une partie de plaisir et elle aurait eu tort de lui répondre. A elle de faire avec. Et parler de sa mort ne lui plaisait pas des masses non plus, il faut l’avouer. Mircella prit les mains de Lully dans les siennes et lui sourit chaleureusement, alors qu’elle se rhabillait légèrement. « Je me rappelle de toi ! Bon c’était pas dans des supers supers conditions mais j’trouve ça chouette de t’avoir retrouvée ! Je suis pas dans un bon état la non plus, à croire qu’on va se voir que quand y’aura un sacré soucis ! ». Elle rit un bon coup à nouveau avant d’être aidée par la gamine pour se relever. Les réprouvés venaient de revenir, et après s’être entourée d’une robe qui ne lui allait pas du tout – il faut prendre ce que l’on trouve ! -, elle tendit la main à la sirène pour sortir de l’eau.

Une nuit dans une auberge et un repas chaud les attendait et elles, n’attendaient que ça. Du repos et de la chaleur. Elle s’interrogea un instant sur la nature des sirènes et décida de remettre ses questions à leur arrivée. Une fois qu’on les laissa se coucher tranquillement, elle murmura à l’intention de son amie. « Eh, on a bien rigolé quand même… Je m’demandais… Ca fait quoi de passer de la terre ferme à l’eau ? Enfin je veux dire… Je peux voler, alors de la terre à l’air je sais, mais de la terre à la flotte avec les jambes qui deviennent une queue, j’arrive pas comprendre… Ahah… Fais pas gaffe, je pose des questions bizarres…. ». Oui, en effet, c’était bizarre. Mais toute cette journée, après tout, l’était aussi.

L’elfe se sentait comme une enfant, dans une soirée avec ses copines. Elle ne possédait pas véritablement d’amies, ou en tout cas pas sur lesquelles elle puisse compter. Elle ne leur parlait que peu, et il se passait parfois des mois sans qu’elle les revoit. C’est avec un sourire un peu triste qu’elle regardait la sirène. Elle s’en sentait si proche et pourtant si loin. Elles étaient si différentes et pourtant si semblables. Elle l’appréciait, mais doutait de pouvoir devenir quelqu’un d’important à ses yeux. Comme si elle ne comptait pas, comme si elle n’avait jamais compté. La Dullahan se laissa glisser le long de la porte, seule. Cette soirée l’épuisait plus qu’elle n’avait épuisée sa compagne, et elle s’en alla pour boire un coup plus loin. Loin de ces jeunes femmes qui devaient récupérer et qui avaient tant à se dire.

Mircella réfléchit à la sensation de mourir, qu’elle avait ressentie et qu’elle ne voulait plus jamais ressentir. C’était affreux, c’était horrible. Rien n’y était comparable et ne le serait jamais. Elle tenta de se rappeler de son vol en tant qu’esprit et, adressant un sourire chaleureux à Lully, couchée alors sur le lit d’en face, se mit à lui répondre. « Cela n’a rien à voir, tu sais. En tant qu’esprit, tu te sens largement plus libre, tu peux faire tout ce que tu veux. Tu n’as quasi plus conscience de la gravité. Quand tu voles vraiment, quand tu voles alors que tu vis, il y a tout le poids de ton corps qui te pèse. Tu dois faire attention aux mouvements que tu fais et tu dois constamment rester concentrée. Je m’y suis habituée maintenant, alors ce n’est plus bien dur, mais ce n’est pas pour rien que même les anges galèrent à utiliser leurs ailes au début. ». Elle lança un regard dans son dos. « Je n’ai pas d’ailes, alors je manque un peu d’équilibre. Un corps normal n’est pas fait pour voler, tu sais. C’est plutôt amusant, en fin de compte. Et puis c’est plus rapide, même si je ne me comparerais pas à toi. Une sirène dans l’eau est bien plus rapide qu’une elfe dans les airs ! ». Elle rit alors puis se tint la tête. Elle commençait elle aussi à subir les effets secondaires de l’alcool mais le matelas moelleux la soulageait.

Elle écouta attentivement les paroles de la sirène, curieuse d’en savoir plus. Cette race lui restait si inconnue, si mystérieuse. Elle voulait en savoir plus, mais elle savait. Elle savait qu’on ne peut connaître parfaitement une race que si on en fait partie. Elle n’allait pas lui confier tous les secrets de son peuple, si déjà elle les connaissait. Même en tant qu’elfe, il restait des parts d’ombres, des choses qu’elle ne comprenait pas, qu’elle ne comprendrait peut-être jamais. « J’aime beaucoup l’eau, mais je ne pourrais jamais m’y sentir comme toi tu t’y sens. Je t’avoue que je suis un peu jalouse. Je suis née avec la gravité, avec toutes ces choses. Nous sommes dans un sens un peu opposées. ». Elle sourit alors. « Mais je ne pense pas que ce soit une mauvaise chose. Nous nous sommes connues dans la mort, maintenant dans la beuverie. Ce n’est pas commun, mais je pense que ça nous ressemble et ce n’est pas plus mal. ». Elle fixa alors le plafond, un peu perplexe face à la remarque de Lully. Elle et la nature…

« Je ressens la nature comme un autre morceau de moi. Elle m’indique tout ce qui se passe et je peux entendre ce qu’entendent les brins d’herbes. Je peux sentir s’ils souffrent, si un danger les menace. Ils peuvent faire de même avec moi. ». Elle ferma les yeux, soudainement très sereine. « Et lorsque j’ai des problèmes, je peux toujours faire appel à elle pour me soigner ou pour m’aider à me défendre. Bien sûr, je ne suis pas une alfar, alors ça ne ressemble jamais à quelque chose d’agressif. Mais il est dangereux d’attaquer un elfe en forêt, c’est même presque… suicidaire. C’est sans doute pour cela qu’Earudien est recouvert de verdure. ». Sa voix s’éteignit doucement, la tristesse la gagnait. « Mais cela n’empêche pas les autres de venir la détruire, de tuer nos enfants et nos congénères. J’étais là, mais je n’ai rien pu faire. ». Elle passa rapidement un revers de manche sous ses yeux. L’alcool poussait ses émotions à se manifester encore plus. Elle s’en voulait encore. Elle s’en voulait encore terriblement. Peut-être que la sirène arriverait à la comprendre, ou au moins à la réconforter…

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