« Bbbrrrrrrrrrrrrrrrooouuuuuuu ». Violette courait, les bras écartés, mimant un oiseau ou une quelconque autre créature ailée en clamant haut et fort le bruit de la chose, un bruit qui n'existait pas vraiment ou, du moins, devait exister mais ne pouvait être reconnu. La petite fille tourna sur elle-même puis sauta dans la Rivière Éternité, fière d'elle et de sa connaissance approfondie de la nage. On lui avait dit de ne pas s'éloigner mais cela faisait un long moment qu'elle jouait toute seule, à courir partout, à essayer d'attraper en vain les papillons et à divers autres jeux qu'elle avait inventé tout au long de son existence. Elle écarta les bras puis les jambes avant de les réunir, afin d'avancer dans l'eau. Elle n'avait pas peur, jamais, ou peut-être un peu, parfois, quand il y avait des bruits la nuit dans sa chambre, mais certainement pas d'une Rivière. L'expérience allait lui apprendre qu'il fallait rester méfiant, de tout, car le danger pouvait se trouver en chaque chose. « Bonjour ! ». Une femme venait d'apparaître dans l'eau, une ondine. Malgré le sourire de la demoiselle, l'enfant restait sceptique. Elle lui paraissait louche. « Tu sais bien nager à ce que je vois... ». « Voui... ». « Qui t'as appris ? ». « Ma maman. ». « Oh ! Comme c'est attendrissant ! Et elle t'a appris à nager dans les rapides aussi ta maman ? Hum ? ». Sans un mot de plus, l'eau qui entourait l'enfant fut prise dans un courant qui n'existait pas auparavant, entraînant la pauvre petite Violette au large. Criant et essayant de se débattre, elle eut de la chance que la sirène ne soit pas totalement malveillante, la maintenant à la surface grâce à son contrôle de l'eau tout en l'éloignant de la berge pour la conduire vers un tout autre endroit. « Alors, on se croit toujours forte ? ». « Ma maman elle va... ». La jeune femme avait appuyé sur la tête de l'humaine afin de la faire taire, celle-ci continuant au début son monologue sous l'eau jusqu'à ce qu'elle s'étouffe, buvant la tasse. « Les enfants pensent toujours que leur mère les protégera toujours. C'est si pathétique. ». Violette fronça les sourcils. Cette femme était méchante. « Arrête d'abord t'es qu'une sorcière des mers même pas belle ! Ma maman c'est une déesse elle va te tuer rien qu'en te regardant d'abord et même que moi j'ai été reine des humains alors tu arrêtes tout de suite parce que tu vas avoir de gros problèmes ! T'es vilaine ! ». Pauvre petite fille, se débattant dans l'eau pour essayer d'échapper à l'ondine qui ne savait pas comment prendre la dernière remarque. Cette enfant était totalement dérangée, ou alors elle disait la vérité et dans ce cas les choses pouvaient devenir moins drôle pour elle. Mais tout de même, une déesse... En même temps, est-ce qu'une fillette aussi petite aurait eu une quelconque notion des divinités ? « Bon, ravie de t'avoir rencontrée ! Bonne journée ! ». « Ouais c'est ça ! Vas-t-en poulpe de... ». Une dernière tasse pour la route. La femme des océans éclate de rire avant de disparaître, laissant la petite fille seule au milieu de la rivière qui commençait à rétrécir.

Se croyant saine et sauve, Violette soupira, ayant mal partout, dans ses bras, dans ses jambes, à sa gorge. L'eau n'était pas salée contrairement à l'océan mais cela était douloureux de boire la tasse. Elle n'avait plus la force de nager jusqu'à atteindre la berge, préférant se laisser guider par le courant naturel qui, quand même, était de plus en plus fort. Ce qu'elle ne savait pas encore c'est qu'elle se dirigeait droit vers une chute d'eau. Mince, elle était loin du lieu duquel on lui avait dit de ne pas s'éloigner. Comment allait-elle faire pour rentrer ? Elle avait envie de pleurer. Cette femme avait été tellement méchante avec elle. Maintenant, elle était perdue, seule et dans l'eau. La petite fille fit la moue, se demandant pourquoi elle ne voyait plus la rivière et même le paysage entier à quelques mètres de là. Tout s'arrêtait ? Comment cela se faisait-il ? « Hum... ». Ce n'était pas normal. « AAAAHHHHHHHH !!!! ». Elle préférait crier, on ne savait jamais.

« Oh ? » fut la réaction de Violette lorsqu'elle se sentit attraper par quelque chose, ou, plutôt quelqu'un. La présence de l'individu la rassura quelque peu même si, dans le fond, ça ne changeait rien au problème : ils se dirigeaient tout deux inéluctablement vers la chute d'eau. Néanmoins, la vision de Violette changea, comme si tout se déroulait au ralenti. C'était étrange, une sorte de symbiose qui calma les battements de son cœur qu'elle entendit aussi distinctement qu'elle aurait pu entendre un oiseau chanter ou l'un de ses camarades de jeu l'appeler. Son regard ne fixait pas l'individu, perdu dans le vague, dirigé vers la fin du parcours en étant à moitié caché par les bras de l'inconnu. Puis, ce fut le grand saut, au sens propre comme au sens figuré. Elle se sentit happée par le vide, une sensation de liberté s'infiltrant en elle, une sensation de peur venant faire battre son cœur plus vite. Tout était brouillé, comme si, au final, elle se savait en sécurité tout en ne pouvant être sûre de cela. Ses petites mains s'agrippèrent au vêtement de l'homme et elle ferma les yeux. La gravité lui semblait reine, comme si rien n'aurait pu freiner leur chute. Pourtant, contre toute attente,  elle sentit les choses s'inverser, leur chute ralentir légèrement. Elle se questionna mais déjà, elle sentit le contact de l'eau, tel un mur d'épais tissus accrochés à des fils qu'elle aurait heurté en courant de toute ses forces dans l'un des jardins de Bouton d'Or. Elle aimait ce village qui sentait bon la campagne. Elle immergea, reprenant sa respiration bruyamment. Le moment d'éternité était passé. Elle se sentait juste sonnée à ce moment précis. Elle avait presque envie de pleurer mais ne le fit pas. Il n'y avait que les petites filles pas courageuses qui faisaient couler des larmes de crocodile pour qu'on les prenne dans les bras. Bon, d'accord, des fois elle jouait de certains charmes, mais là, ce n'était pas le moment. Elle n'en avait pas envie. Elle cherchait à comprendre, déboussolée, muette jusqu'à ce que l'individu lui demande si elle allait bien. Grossière erreur si ce dernier voulait avoir la paix car l'une des choses à savoir sur Violette était qu'elle était des plus bavardes une fois qu'elle était lancée. Il venait de la lancer.

« Hum. » fit-elle comme si elle réfléchissait à ses états interne et externe. « Ze ne sais pas trop. T'es qui toi d'abord ? ». C'était une bonne question. « En plus, tu viens me sauver mais en fait tu as faillis dormir éternellement en faisant ça. ». Elle s'arrêta. « Dormir éternellement... tu sais, comme les zens qui se font attaquer par les méchants démons. T'es un démon toi ? Bon mais tous les démons sont pas méchants. Moi mon papa adoptif, avant, c'était le roi des démons. Hé ouais ! T'es zaloux ? ». Elle ne le regardait pas, dissertant dans le vide en battant des pieds pour ne pas couler. « Bon, mais t'es quoi ? T'es pas un démon au moins ? Quoi que non, sinon t'aurais eu des pouvoirs... ou ptêtre pas parce que ze suis handicapée... euh non... handicapante. Mais bon, tu me sembles pas très mazique monsieur. ». Elle s'arrêta, passant du coq à l'âne sans prévenir. « Bonzour, moi ze m'appelle Violette. Tu peux m'appeler Violinette si tu veux, c'est rigolo parce qu'on dirait un violon et donc que ze zoue de la musique mais en fait ze zoue pas de la musique. Hum... tu comprends ? Et ze suis une humaine, c'est pour ça que ze suis handicapante. ». Puis, enfin, comme une décision qu'elle aurait finalement réussi à prendre, elle leva les yeux vers l'homme. Elle le fixa un moment qui lui sembla durer une éternité avant de lui signaler : « Oh, mais t'es beau monsieur. ». Il lui paraissait sans doute bien plus âgé qu'il n'était réellement mais, après tout, elle n'était qu'une petite fille et elle avait bien du mal à juger de l'âge des plus grands.

« Un anze ? Oh... mais t'es comme mon frère alors. Enfin, non, ce n'est pas vraiment mon frère. Il s'appelle Faust, mais lui c'est pas zuste un anze, lui, il a déssu après anze. Anze déssu. Mais lui il a des ailes. Dis monsieur, elles sont où tes ailes à toi ? Tu les as perdu ? ». Comme si les Anges avaient pu un jour détacher leurs ailes. Cela dit, Violette ne savait pas vraiment ce qu'était un Ange véritablement. Elle en avait côtoyé un jadis, un petit garçon comme elle qui avait les cheveux blonds, mais cela faisait longtemps qu'elle ne l'avait pas vu. Il faut dire que sa vie n'était pas simple. « Pourquoi t'es un anze au fait ? T'as ssoisi ? Ou t'es né comme ça ? Moi ze suis née humaine mais ze connais pas mes vrais parents. Ze crois qu'ils se sont endormis pour touzours en fait. ». Elle avait l'air songeuse. Finalement, après un silence, elle décida d'éponger un peu ses vêtements en les serrant dans ses petites mains. Elle était mouillée des pieds à la tête, mais elle n'avait pas envie de se déshabiller devant le monsieur. « Moi, la dernière fois, z'ai vu Neros... c'est un fils à ma deuxième maman. Et z'avais envie de faire pipi chez Neros alors ze me suis déshabillée et z'ai fait pipi dans ma chambre parce que ze trouvais pas la pièce pour faire pipi. Et après il m'a grondé ! Neros c'était un Ré-prou-vé. C'est pas très zentil les Ré-prou-vés quand même... ». Elle marqua une pause. « Bon mais là z'ai pas envie de faire pipi. T'façon, ze fais plus pipi dans la nature depuis qu'il y a une méssante bêbête qui m'a piqué les fesses. ».

Elle finit par s'arrêter un moment, regardant l'eau. C'est vrai qu'il lui avait demandé ce qu'elle faisait dedans. « Ben, en fait, moi, ze nazeais. Mais y a une méssante madame de l'océan, une sorte de poulpe pas beau et pas zentil qui m'a attaqué. Parce qu'elle sait que si ma maman était là, ben elle l'aurait trucidé. Mais comme elle était pas là, c'est pour ça, elle voulait me faire couler. ». Bon, ce n'était sans doute pas très clair mais elle y mettait vraiment du cœur. Quant à ses parents, quelle bêtise de le lui en parler. D'ailleurs, pour marquer le coup, elle prit une énorme respiration. « Alors, en fait, moi, ze t'ai dit, z'ai pas connu mes parents. Parce que c'est comme ça, c'est la vie, tu vois ? Et pis du coup, ze me suis fait adoptée par une Lilith mazique ! En fait c'parce qu'elle s'appelle Lilith et que c'est une madame qui sort d'un obzet pour réaliser des souhaits. Et en fait ben elle m'a amené voir le roi des démons d'avant. Et il m'a adopté parce qu'il était zentil. Ze crois... parce que les démons c'pas zentil normalement. Mais après il a disparu et pis elle aussi et c'est ma maman de maintenant qui m'a gardé. Elle s'appelle Mit-suko. Et en fait, elle, elle a un temple parce que c'est une dé-esse ou quelque chose comme ça... ze crois. Mais c'est trop compliqué pour les enfants, ze crois... Voilà ! ». Elle sourit de toute ses dents, apparemment fière de son histoire familiale. Son visage avait fait tout un tas de mimiques durant son discours, comme pour appuyer ses paroles. [color=violet« Et pis, ze n'étais pas toute seule au début, mais ze me suis ben... perdue ze crois. Mais c'est pas grave parce que ze ne suis plus toute seule ! T'es avec moi monsieur ! Re-aven le monsieur qui est trop beau ! ».[/color] Elle sembla réfléchir un moment avant de continuer sur sa lancée : « Tu es venu tout seul toi ici ? Tu n'as pas de namoureuse ? Tu veux que ze devienne ton namoureuse ? Moi ze veux bien, on pourra se tenir par la main, parce que c'est comme ça qu'ils font les namoureux ! ». Elle marque une énième pause avant de demander d'un air motivé : « Bon, on fait quoi maintenant ? ».