Inlassablement, je relisais les quelques mots griffonnés à la va-vite sur un vieux morceau de papier jauni. Dans un soupire, je glissais mes doigts froids sur mon front, pensif. Je ne pouvais ignorer que ce monde allait au plus mal et que la situation ne ferait qu'empirer. Cette lettre que je tenais entre mes mains étaient une preuve du fléau de la peur et de la colère. Les lèvres pincées, je laissais tomber la missive sur les vêtements plus ou moins bien rangés dans un vieux sac en toile. « Tu t'en vas. Encore.» Le ton réprobateur et acide m'arracha un mince sourire. Je connaissais bien cette voix basse et envoutante dont les intonations colériques trahissaient le caractère flamboyant de son propriétaire. « Je n'ai pas le choix, Alice. » murmurais-je en guise de réponse, tout en me retournant pour faire face à l'intéressée. Les bras croisés, la mine boudeuse, elle était plantée dans l'encadrement de la porte de ma chambre. « Je n'ai vraiment pas le choix.» - « Bien sûr que si, Caleb, tu pourrais choisir de rester ici, avec nous, dans la Cité que tu as érigé pour ton peuple.» - « Il est hors de question que je contemple les terres sombrer sans agir ou parler. Ce n'est pas négociable, ma belle.» - « Je viens avec toi.» - « Non.» Ce fut très certainement trop tranchant à son goût. Les joues rouges, elle se tendit et me poignarda des yeux. « Alice … » soufflais-je tout bas, un tantinet amusé par ses réactions toujours exagérées. Elle recula de quelques pas mais ne s'échappa toutefois pas lorsque je posais mes mains de chaque côté de sa tête. « Là où je vais, tu n'as pas ta place. Tu ne survivrais pas au climat extrême.» L'air soudainement inquiet et troublé, elle bredouilla :«  Dis-moi … Que tu ne vas pas au Continent des Glaces.» - « Je reviendrai vite. » - « Les filles ne te laisseront jamais partir. Moi non plus. Pas tout seul ! Ce n'est pas raisonnable, Caleb.» - « Vous êtes encore trop fragiles. Restez-là. Veillez les unes sur les autres.» Je me penchais doucement pour embrasser son front, avant de tourner les talons pour attraper mon sac, fermé en quelques gestes. Puis j'allais sur la pointe des pieds dans la chambre d'à côté, petit univers merveilleux et coloré à la lumière tamisé. Melodie dormait paisiblement. « Surveillez-la bien. Elle cherchera à me rejoindre.» Je ne me sentais pas très bien. Comment ne pas détester l'abandonner ? Elle me manquerait mais je ne pouvais décemment l'emmener, elle ou n'importe qui d'autre. Après un léger baiser sur ses petits cheveux blonds, je me mis en route.

Il faisait bon vivre à Lua Eyael. Paupières closes, je profitais un bref instant des doux rayons de l'Astre du jour et des vents marins malgré le brouhaha commun du Port. « Tu peux toujours changer d'avis. » me suppliait presque la voix douce et claire de Blanche-Lune. Je rouvris les yeux pour la contempler et souris. Anxieuse, elle tenait dans ses bras Myosotis qui me gratifiait d'un regard mauvais. « Je tâcherai de revenir vite. Dans le cas contraire, j'essaierai de vous envoyer de mes nouvelles le plus régulièrement possible. Ne vous préoccupez pas de moi.» - « Nous sommes près, monsieur ! » s'écria un membre de l'équipage de mon navire, du haut du pont. Je lui hochais la tête. « Fais attention à toi.» articula Liam, la gorge serrée. Je levais brièvement les yeux au ciel. « Cessez de vous comporter avec moi comme si je n'allais pas revenir. Tout ira bien. C'est moi qui vais m'inquiéter pour vous. Cette Cité semble refuser de tourner normalement lorsque je suis absent.» - « Tu as intérêt à revenir vite.» pleurnicha presque Yseult en sautant dans mes bras. Les au revoir durèrent encore quelques minutes puis, l'âme en peine et la conscience lourde face aux mille et une suppliques de mes amis à qui je tenais tant, je montais sur mon vaisseau, prêt à prendre la mer. Le voyage ne fut pas si long mais plutôt éprouvant. Entre tempêtes et averses, rien ne se passa réellement comme prévu, comme si on voulait m'empêcher d'accoster sur les terres du Continent des Glaces. Mon petit équipage, aussi persévérant que compétant, parvint cependant à me mener jusqu'à destination. Lentement, le bateau traversa les glaciers qui bordaient les côtés du nouveau continent. Songeur, je contemplais mon arrivée, emmitouflé dans un épais manteau sombre et la gorge entourée d'une large écharpe beige. Depuis ma dernière visite, les paysages avaient bien changé. Bien entendu, le Désert de Glace demeurait une immense étendu désertique, grand tapis blanc. Pour autant, le rivage était ponctué de petites habitations fragiles et de campements éphémères. Les hommes et les femmes avaient commencé à peupler ces territoires inconnues. Drôle de choix.

Doucement, je mis pieds à terre, indiquant à l'équipage du Rêve de la Sirène de naviguer un peu au large. Je ne préférai pas qu'ils restent ici. Il faisait bien trop froid. Un peu nerveux, je remontais mon sac sur mon épaule avant de me mettre à errer parmi les tentes et les maison. Ces gens étaient courageux. La vie ne devait pas être facile ici, sans compter sur les Ridere. J'étais soulagé d'être insensible aux températures extrêmes, comme la plupart des habitants des parages. Ce ne serait cependant pas le cas des nouveaux arrivés, venu à la suite des lettres. Les esprits semblaient échauffés. Beaucoup parlait avec haine et rage. Sur mon passage, je les observais en silence. Je ne savais pas trop où j'étais censé allé. Guider par un petit rien, je continuais d'avancer.

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« Attention ! » Une caisse s'effondra sur le sol gelé et les marins se mirent à grommeler. Les marchandises étaient étalées et c'était bien évidemment à eux de les récupérer. Faisant étalage de leurs muscles, les hommes, pour épater les demoiselles de passage, ne rechignèrent pas trop longtemps avant de ramasser le bois et le fer. Des dizaines et des dizaines de bateaux arrivaient de toute part. Certains contenaient des denrées et des fournitures par centaine. D'autres emmenaient les voyageurs et les colériques qui désiraient en savoir plus sur cette nouvelle contrée, ou ceux qui étaient prêts à se battre contre les Ridere. Ces derniers discutaient déjà avec les beaux-parleurs dont les discours enflammés attisaient davantage la rancune. Lily-Lune les contempla quelques instants avant de se concentrer sur le métal que l'on descendait de quelques  gros vaisseaux marchands. « Le compte est bon. » dit un vieil homme en signant dans de grands gestes quelques papiers. « Vous allez pouvoir ériger les fondations de bien des bâtisses, avec toute cette matière première ! » s'extasia un autre, avant d'ajouter : « Nous ne vous remercierons jamais assez, ma Dame, pour tout ce que vous faites pour la communauté du Continent des Glaces.» - « Ce n'est rien.» murmura la Vénus, l'air rêveuse. « Resterez-vous encore longtemps avec nous ? » Lily-Lune baissa doucement les yeux et posa ses mains sur son ventre, légèrement arrondi. « J'espère ne pas trop tarder dans la région mais je resterai le temps qu'il faut. » - « Ne prenez aucun risque inconsidéré. » - « Ne vous inquiétez pas.» souffla-t-elle dans un léger sourire. « Cessez donc d'importuner notre belle Lily.» s'interposa un jeune homme aux allures nobles et sophistiquées. Il glissa son bras sous celui de l'Orine. « Allons donc, Majesté, venez vous reposer un peu. Il se fait tard.» Après quelques pas, il ajouta : « Vous comptez donc repartir bientôt. » Il semblait déçu. Ses yeux était d'un pourpre écarlate, trahissant son appartenance à la race de la nuit. « Je ne peux me permettre de trop traîner. Ma grossesse me fatigue. » - « Je le comprends.» - « Vous avez été un hôte merveilleux.» - « J'étais ravi et enchanté d'accueillir la Reine des Orines sous mon toit.» Elle sourit.

Voilà déjà de longues journées que la Vénus laissait s'écouler au Continent des Glaces. Elle avait toujours apprécier les paysages blancs et givrés. Cependant, la vie sur le Désert était loin d'être aisée et sa terre natale lui manquait, ainsi que sa famille. Si elle était toujours prête à venir en aide aux autres, elle ne se sentait pas prête à abandonner trop longtemps ses enfants et les Orines, surtout en des temps si obscurs. « Vous me paraissez bien pensive.» Le Comte Dorbois était un Vampire de la haute aristocratie que Lily-Lune avait rencontré lors d'une grande réception du monde de la nuit, où elle s'était rendue en tant que Geisha. « Je songe à mes filles. » - « Je crois qu'une missive est arrivée de votre Capitale.» Une fois à l'abri entre les quatre murs de la demeure du Vampire, l'une des premières battit,  la Reine ouvrit son courrier et ne put s'empêcher de sourire. Du moins, au début. Il y avait trois lettres différentes, une de Juri, une autre de Risa et une dernière de Lorelei. « Elles s'inquiètent … » - « Les nouvelles sont-elles bonnes ? » - « En partie.» souffla-t-elle en pliant le papier. « Plait-il ? » - « Les Ridere envahissent toutes terres. Ils détruisent et tuent sur leur passage. » - « Hum. Ils ne se contentent donc plus d'ici.» - « C'est mauvais. Avec la baisse de la magie, je sens les Orines vulnérables … » - « Voulez-vous que l'on prépare votre retour ? » La Vénus réfléchit brièvement avant d'acquiescer. « Pour dans trois jours.» La jeune femme tourna très légèrement la tête, contemplant les ombres qui filaient à la fenêtre. « Veuillez m'excuser, Comte. » murmura-t-elle en se relevant. Elle enfila son grand manteau clair et ses gants, avant de rejeter la longue natte de ses cheveux dans le dos. Puis elle partit, quittant la chaleur du foyer pour s'en retourner dans le froid du Désert.

Une foule se rassemblait distraitement autour d'un beau-parleur perché sur un gros rocher. Fier et hautain, il semblait apprécier être au centre de toute les attention. Il bombait le torse et mettait en avant son armure étincelante. Avec son sourire charmeur et ses cheveux blonds joliment coiffés, il n'avait guère l'allure d'un battant ou d'un sanguinaire combattant. Bras croisés, Lily-Lune écouta attentivement les paroles de cet étranger qui se voulait bon orateur. « Il n'y a plus rien à faire avec ces créatures infernales, ce n'est rien qu'une bande des bêtes monstrueuses assoiffées de sang et de chair. Il faut tuer ces choses, les réduire à néant jusqu'aux derniers et ce sans aucune pitié. Plusieurs groupes se forment afin de régler ce problème épineux. Je me propose pour diriger l'un des bataillons. N'ayons pas peur de ces Ridere ! Ensemble, nous vaincrons. » Les hommes et les femmes applaudirent, de toute évidence en accord avec ce discours lamentable. La Vénus contempla cette scène effroyable, interdite. Quelques personnes aux allures de soldats se mirent à distribuer des armes à ces inconnus. La plupart devait toucher la lame d'une épée ou la tranche d'une hache pour la première fois. C'était de la folie. Ils allaient tous mourir. Lily-Lune soupira. Elle ne pouvait décemment pas laisser faire ça.

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Assis près d'une vieille table en bois sombre et humide, je buvais du bout des lèvres une bière trop froide dans une choppe gelée. Malgré tout, je trouvais cette pause agréable et bienvenue. Même aux confins de nos terres, dans une contrée inconnue semée d'embuches et de troubles, les campements les plus vacillants dissimulaient quelques débuts de taverne où les âmes fatiguées venaient se ressourcer.  Les hommes étaient incroyables. Certes, j'étais bien heureux d'avoir trouver ce petit endroit. Cependant, au fur et à mesure que je constatais les manquements les plus basiques de certains, je m'amusais de voir que les gens d'ici avaient préféré érigé un débit de boisson sous une vieille tente plutôt que de mettre tout le monde au chaud. « Alors les gars, quand est-ce qu'on part faire la fête aux Ridere? » railla un type costaud aux allures de pirate. Je fis glisser mes yeux sur lui, soudainement intéressé par ce qui se disait. « On ne sait pas trop.» répondit un autre. « Les troupes se forment mais l'attaque ne sera pas lancé avant demain, en début d'après-midi je crois. » - « Pourquoi attendre ! J'ai bien envie de dégommer leur petite face satisfaite et souriante. » - « Les … organisateurs veulent plus de monde avant de partir au front. »  - « Ce sont des froussards ! Nous sommes plus forts et plus nombreux. Finis ton verre, Josh. On va essayer de voir si on ne peut pas accélérer cette affaire.» D'une traite, ils vidèrent leur breuvage respectif que je devinais bien plus puissant que mon innocente bière. Puis ils se levèrent et partirent en riant. Perplexe, je soupirais. « Ils sont un peu bête, n'est-ce pas ? » Je levais les yeux sur la jeune femme qui venait de parler. Elle portait une épaisse veste de fourrure dont la capuche était rabattue sur son visage. Les joues rouges, souriante, elle avait le regard clair et pétillant et ses jolis cheveux roux encadraient ses traits fins. « Inconscients et naïfs seraient plus appropriés à leur comportement et leurs idéaux. » Elle haussa les épaules. « Ils ont peur. Ils font les fanfarons mais au fond ils sont terrifiés. Alors par dépit, ils ont choisi l'extermination de ce qu'ils ne comprennent pas. » Pensif, je me bornais à dévisager cette jolie étranger, désespérément muet. « Je peux m'assoir ? » finit-elle par demander en désignant la place devant moi. J'acquiesçais. « Quant à vous, que pensez-vous de ces Ridere ? » Elle sembla chantonner, rêveuse. « Je ne sais pas trop mais en tout cas, je ne me risquerai pas à les combattre.» Elle sourit. « Moi c'est Kira. » - « Caleb. »

D'un geste, elle commanda à son tour une bière qu'on lui servit en un instant. « Habitez-vous ici, Kira ? » - « Oui, depuis deux lunes déjà. Je me plais bien. Certes l'existence n'est pas des plus faciles mais … Je suis à ma place. Les Ridere posent évidemment pas mal de problèmes. On les voit souvent passer, couvert de sang. J'espère simplement que les tensions s'apaiseront d'elles-même. Vous, vous êtes pas habitué au coin en tout cas.» - « Je suis de passage.» - « Vous avez reçu la lettre je suppose ? Ceux qui se prennent pour les Chefs du Continent des Glaces en ont envoyé un peu partout. Seulement je m'étonne de votre présence. Vous semblez contre les combats contre les Ridere. Pourquoi être venu, alors ? » Je souris. « Peut-être pour éviter une guerre meurtrière et inutile. » Kira haussa les sourcils, surprise. « Vous comptez réellement vous élever contre une flopée d'hommes en colère qui réclament vengeance et aspirent à la sécurité ? » - « Pourquoi pas ? » - « Vous allez vous faire écraser. » - « Ne vous inquiétez pas pour moi. » Durant de longues secondes, elle et moi nous scrutions en silence. Elle semblait être une fille joueuse et spontanée, de celles qui ne tiennent pas en place. Elle me le prouva d'ailleurs en articulant avec une pointe de satisfaction dans le regard : « C'est du suicide. Une épreuve douloureuse. Je ne peux vous laisser affronter ça tout seul. Je vous accompagne.» - « M'accompagner ? » - « Oui, dans votre quête pour … protéger la vie. » J'aimais cette façon de formuler les choses car il était vrai que je ne comptais ni rejoindre les rangs de haine ni sauvegarder les Ridere qui n'avaient pas besoin de mon aide. J'espérais simplement sauvegarder les existences fragiles. Une vague de hurlements la fit sursauter. Je ne fis que tourner la tête. « Que se passe-t-il ? » Les lèvres pincées, je lâchais avec dédain : « Ils ont finalement décidé de se battre dès maintenant.» - « Mais il fait nuit ! » - « Ils doivent penser que cela les avantagera. Comme si les Ridere n'avaient pas l'habitude de l'obscurité. »

D'un bond je me relevais, abandonnant ma bière à moitié vide. Kira préféra terminer la sienne en quelques gorgées avant de s'élancer à ma poursuite. Je m'arrêtais net après quelques minutes de course. La jeune femme attrapa mon bras, manquant de glisser. « Ils sont nombreux.» constatais-je. Une foule épaisse marchait au loin, ponctuée des torches embrasées et des armes levées. « Ils courent à leur perte. » - « Qu'est-ce qu'on peut faire ? » - «Êtes-vous certaine de vouloir me suivre ? » - « Ah je vois ! Vous êtes du genre grand protecteur et gentleman. Je ne suis pas une petite chose fragile à surveiller. Alors allons-y ! Enfin … C'est quoi le plan ? » Je pris sa main. « Suivez-moi. »

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Le regard déterminé et la tête haute, une étrangère suivait les troupes armées qui marchaient sur le Désert de Glace à la recherche de Ridere à éliminer. Grande et mince, elle avait de longs cheveux blonds qui ondulaient et de grands yeux clairs, d'un bleu lumineux. Elle ne savait pas trop pourquoi elle faisait ça. Par rage et désespoir, très certainement. Elle ne devrait même pas être ici. C'était bel et bien la raison pour laquelle elle désirait se battre. Revenue d'entre les morts, elle se voyait arrachée à un monde de paix où elle se sentait si bien pour retrouver les maux des terres du Yin et du Yang. Elle n'avait plus sa place en ces lieux. À la fois peinée, colérique et perdue, elle avait choisi de suivre les bataillons pour aider à combattre les créatures qu'elle tenait pour responsable de ces tourments. « Pourquoi s'arrête-t-on ? » souffla-t-elle de sa petite voix claire et fragile. En quelques pas, elle se faufila à travers les hommes et les femmes pour voir un peu mieux ce qui se tramait un peu plus loin devant. « Les imbéciles.» lâcha un grand type. « Ils veulent protéger les Ridere et nous empêcher de passer. Les fous. » Il avança de quelques pas. « Vous feriez mieux de partir, rebrousser chemin. » tonna-t-il, la main sur le manche de son épée, prêt à dédaigner. Une femme du camp adverse fit à son tour quelques pas en avant. « J'allais justement vous dire la même chose. » - « Ne cherchez pas, nous sommes sûrs de nous et nous ne reculerons devant rien.» - « Tout comme nous.» - « Vous n'êtes pas notre ennemi. Ne le devenez pas en vous alliant à lui. » - « Vous avez perdu la raison.» - « Personnellement, je doute qu'un jour vous en ayez été pourvu.» - « Tant de personnes vont mourir. Est-ce que cela vaut la peine ? » - « Si ce sacrifice peut sauver d'autres milliers de vie, oui. En avant !» Céleste, la jolie blonde, hésita un bref instant. Voulait-elle réellement cela ? Elle n'eut pas vraiment le temps d'y réfléchir. Emportée par le flot de rage et de haine, elle suivit le mouvement.

C'était la première fois que Céleste tenait une armée. Lorsqu'elle avait rejoint le groupe, quelqu'un lui avait mis une épée longue et fine entre les mains avant de continuer à distribuer les instruments de mort. Maladroite dans ces gestes, elle frappait du mieux qu'elle pouvait pour se frayer un chemin. « Aaaah! » Le métal des lames s'entrechoquèrent. Céleste rouvrit ses yeux, qu'elle avait fermé par réflexe. Elle était face à son adversaire et elle ne s'attendait pas à ça. « Lily-Lune.» Elle lâcha son arme et recula de quelques pas. La Vénus baissa son sabre, perdue dans la contemplation de ce visage d'autrefois. « Comment … » - « Lily-Lune. C'est vraiment toi. Par tous les Aetheri, que tu es belle ! » - « C'est impossible.» La tendresse et la délicatesse inondaient cette étrange scène, bien loin des affrontements qui se déroulaient à deux pas de là. Céleste glissa ses doigts sur la joue rose de l'Orine. « Ma Lily-Lune. » - « Tu es morte. » Céleste haussa les épaules. « Je n'ai pas choisi de revenir.» Quelques paroles prononcées durant le Conseil des Chefs revinrent à la Reine. « Cela fait presque dix ans, maman. » - « Jamais je n'aurai cru avoir l'honneur de te voir ainsi, adulte et radieuse, plus resplendissante que jamais. » - « Attention, recule.» Quelqu'un voulu les frapper de la tranche de sa hache. Grâce à son contrôle du métal, elle voulu le désarmer mais il se raccrochait trop à son arme. Alors elle l'envoya valser un peu plus loin. Lily-Lune prit la main de sa mère et l'entraîna plus loin, derrière un gros rocher où les deux brindilles pouvaient aisément se cacher.

« Que fais-tu ici, Lily ? » - « Je tente d'empêcher le monde de sombrer dans un chaos certain. Les Ridere ne peuvent pas être battus. » Le visage de Céleste s'assombrit. Elle tâcha de reprendre contenance et demanda : « N'as-tu donc pas un Maître dont tu dois t'occuper ? » - « Il est habitué à mes absences. Je ne peux lui accorder chaque heure de ma vie.» La blonde écarquilla les yeux, surprise. Elle était une Orine dans la tradition la plus pure. « Maman, je suis la Vénus.» Une fois l'étonnement passé, elle sourit. « C'est …  Je suis tellement fière de toi.» - « J'ai tellement à te raconter. Seulement ce n'est ni le lieu ni le moment. Je veux que tu rentres aux campements, que tu te mettes à l'abri et que tu m'attendes.» - « Il est hors de question que je t'abandonnes ici. D'autant plus que je viens à peine de te retrouver.» - « Maman … » soupira Lily-Lune. « Je ne suis plus la petite fille que tu as élevé. Aies confiance. Je ressens tes faiblesses et ta fatigue. Reste en vie, c'est tout ce que je te demande. Ne veux-tu pas rencontrer tes petits-enfants ? » Bouche bée, elle murmura les lèvres tremblantes : « Je suis grand-mère.» - « Plusieurs fois. » Céleste prit la main de sa fille. « Tu es mariée, à ce que je vois. » La jeune femme se dégagea de l'étreinte en un instant. « Oui. » Face au ton sec de l'Orine, Céleste n'insista pas, se doutant qu'elle aurait de plus amples explications plus tard. « Possèdes-tu le cristal ? » - « Oui ne t'inquiète pas. » Céleste jeta un coup d'œil sur le côté, longeant le rocher. « Les Ridere n'auront même pas à nous tuer. Nous le faisons entre nous. »

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« C'est trop tard. Nous sommes arrivés bien trop tard. » Kira pestait,les lèvres pincées et le regard sévère. Ce qu'elle voyait ne semblait guère lui plaire et je ne pouvais que lui donner raison.  À quelques centaines de mètres en contrebas se battaient les deux camps : ceux qui prônaient l'extermination des Ridere et ceux qui veillaient à les protéger. Les créatures incriminées, quant à elles, ne donnaient signe de vie. Cependant, je ne doutais pas un seul instant qu'ils ne devaient pas être bien loin. « Que fait-on à présent, Caleb ? » Cette situation était embarrassante. « Il faut les empêcher de parvenir jusqu'aux Ridere. Cela causerait leur perte. Je trouve malheureux que le seul moyen de les garder en vie soit de les affronter avec des armes et la magie. » - « Comment voulez-vous raisonner qui que ce soit dans ces conditions ? Durant les guerres, il n'est pas aisé de se faire écouter. » - « Je le sais bien mais cela demeure déplorable. » Après quelques brefs instants de réflexion, j'osais murmurer malgré moi : « Je pourrais … tenter d'user de mes pouvoirs pour calmer la foule. Cependant le don que j'envisage ne s'utilise pas à la légère. » - « Qu'est-ce  ? » - « Avez-vous déjà entendu parler du Spleen ? » Elle prit le temps de réfléchir, rêveuse. « Un peu. C'est une des capacités du peuple des Rehlas, n'est-ce pas ? Je ne pensais pas que vous en étiez un. » - « Le Spleen peut avoir des effets dévastateurs. » - « Il y a énormément de monde. » - « Je serai à même de tous les toucher. Je crains le contre-coup. » - « Que fait le Spleen ? » - « Il plonge dans un état de profonde dépression et réveille les maux endormis. Il peut mener à la mort, au suicide.» - « Vous êtes assez puissant pour faire ça, vous ? » Elle rit. Puis au fur et à mesure qu'elle me contemplait, son sourire se fana. « Qui êtes-vous au final ? » - « Je vous l'ai dis.» - « La vérité, j'entends.» - « Tout à fait. » - « Entière. » - « Vous êtes têtue.» - « Alors ? » Cette étrange demoiselle réussit à m'arracher un petit rire doublé d'un sourire. « Je ne vous ai pas posé de questions. Faîtes de même, s'il vous plaît.» Elle grommela mais n'ajouta rien. « Pensez-vous que c'est une manœuvre à tenter? » Je secouais la tête, hésitant. « Je ne sais pas.» Des cris résonnaient et des ombres tombaient. La blancheur immaculée des paysages du Désert de Glace se teinta du sang des blessés et de ceux qui ne reviendraient sans doute jamais. Kira posa sa main sur mon épaule. «Tentons.»

Ce n'était certainement pas une bonne idée. C'était pourtant la seule qui avait une chance de marcher. Kira était accrochée à mon bras, nerveuse. Presque blottie contre moi, elle m'empêchait de marcher droit. « Tout va bien se passer.» lui murmurais-je en grinçant des dents. « Si vous le dites.» Peu à peu, nous nous approchions des combats. Bientôt, nous serions au cœur de la bataille. Mon pas était lent. Concentré, je laissais m'envahir la douleur du Spleen en prenant garde qu'il ne m'atteigne pas. Il ne fallut guère de temps avant que les premiers effets ne touchent les personnes alentours, avant de s'entendre à la foule entière. Les premières réactions furent discrètes et minimes. Bien que puissant, le Spleen prenait quelques instants à agir sur les âmes embrasées par la fureur. Cela commença par une pensée insidieuse. « A quoi bon ? Tout cela ne mène à rien.» Les armes commencèrent à tomber et teinter au sol. Les deux camps lâchaient épées et poignards car ils ne percevaient plus leur but et ne ressentaient plus aucune volonté. Les plus sensibles lâchèrent quelques sanglots. Les tensions s'effacèrent au profit d'une profonde mélancolie, qui s'amplifiait au fil du temps. « Caleb.» souffla Kira en serrant mon bras. Paupières closes, je ne retenais plus le Spleen qui explosait. « Caleb ! » J'avais échoué. Il m'encerclait moi aussi. « Hey ! » Le coup partit et la gifle claqua. Légèrement hébété, je rouvris les yeux. J'avais cessé d'user du Spleen. Kira, bras croisés, me scrutait d'un air de reproche, comme une mère qui disputerait son fils. « Certains étaient à deux doigts de se donner la mort. J'ai agi à l'instinct.» - « Vous avez bien fait.» Mine de rien, cette femme frappait fort.

Les hommes et les femmes autour de moi étaient dans l'incompréhension la plus totale. Ils se remettaient lentement de cette drôle d'épreuve. « Qu'est-ce qui s'est passé … » La voix du soldat trahissait sa rancune. Les esprits semblaient prêts à s'enflammer d'autant plus vite. « Vous … C'est vous qui avez fait ça ? » continua-t-il en me pointant du doigts. Muet, je ne pris pas la peine de répondre. « Vous êtes complétement malade ! Vous êtes avec eux, je suppose ? » Il parlait évidemment de ceux qui protégeaient les Ridere. En deux temps trois mouvements, il reprit son arme par terre. « Crois-moi gamin, tu vas me le payer.» Voilà qu'il se mettait à me tutoyer pour asseoir sa puissance. Un rustre parmi tant d'autres. « Les Ridere ! Ils arrivent! » s'écria quelqu'un. Ce fut la panique. Bien vite, la ligne des protecteurs se mit en place tandis que chacun reprenait une arme. Kira me donna un coup de coude. « Maintenant, on fait quoi ? » - « Les Ridere sont là. Il faut fuir. » En quelques pas, j'attrapais au vol une toute jeune fille qui criait de rage en s'élançant à la bataille. « Je suis certain que vous tenez à vivre. Fuyez.» Je la fis reculer.

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Céleste rouvrit précipitamment les yeux. Allongée par terre, l'âme meurtri et le souffle court, elle scrutait les cieux. Troublée et les lèvres tremblantes, elle peinait à se remettre de cette expérience inattendue. « Est-ce que tu te sens mieux ? » murmura Lily-Lune. Du bout des doigts, elle caressait doucement les cheveux blonds de sa mère qui avait la tête posée sur ses genoux. « Que s'est-il passé ? J'étais tellement … » Elle interrompit ses bafouilles pour prendre une grande inspiration. « Tout me semblait si fade. Je me sentais prête à mettre fin à un long calvaire comme si j'avais vécu de longs siècles d'agonie. C'était … terrible.» Elle se releva lentement, la tête entre les mains. « Qu'est-ce que c'était … » souffla-t-elle, vacillante. « On aurait dit le Spleen. » articula la Vénus tout bas, pensive et songeuse. Une foule entière avait été mise sous l'emprise de ce don ravageur. Peu de Rehlas devait être capable d'un tel exploit qui nécessitait une certaine puissance et un contrôle de soit. Lily-Lune se releva en laissant sa main glisser le long de la roche gelée. « J'aimerai vraiment que tu rentres aux campements. Tu es fragile et fatiguée, je ne tiens pas à m'inquiéter pour toi. Les environs ne sont guère sûrs. » - « Que vas-tu faire ? » - « Je ne vais pas tarder à te suivre. Il y a seulement des points que je dois éclaircir et des vies que je sois tenter de préserver. » Céleste se releva à son tour. Inquiète et perplexe, elle remarqua un petit détail qu'elle n'avait pas vu jusque là. « Ton ventre. » Lily-Lune referma correctement son grand manteau pour dissimuler la petite rondeur naissante. « Tu … » - « On en parlera plus tard.» - « Mais...» - « S'il te plaît.» Sourcils froncés, Céleste finit tout de même par hocher la tête, résignée. Elle embrassa la joue de sa fille. « Fais attention à toi. » - « Cours.» glissa-t-elle à son oreille. « Mets toi à l'abri.» La Vénus recula de quelques pas. Les deux Orines se tenaient encore les mains. À peine retrouvées, il fallait se quitter. Malgré tout, Lily-Lune finit par tourner les talons après un dernier regard empli de tendresse pour sa mère. Puis elle fila comme le vent à travers la foule perturbée.

« Caleb ! » Il était là. L'air concerté et las, il errait à travers le cortège morbide. Lily-Lune, dans sa course, ne put s'empêcher de sourire. Peut-être ne devrait-elle pas manifester tant de joie à la revoir. Entre eux, rien ne serait plus jamais comme avant. Tous les projets auxquels ils avaient songé s'étaient vus jeter aux orties. Malgré tout, elle tenait le jeune homme dans son cœur, aujourd'hui et à jamais, comme tout ceux qu'elle avait un jour aimé. La belle se faufilait dans l'assistance qui reprenait peu à peu contenance. Elle n'était plus qu'à quelques dizaines de mètres de lui. Le destin paraissait avoir choisi de compliquer la tâche à la jeune femme. « Les Ridere ! » criaient certains. « Les Ridere sont là ! » L'Orine jeta un coup d'œil derrière elle. Elle perçut les silhouettes évasives des étranges créatures au sourire déchiré. Ils étaient venus par quinzaine. Leurs ombres morbides noircissaient l'horizon. Dans la panique et les cris, chacun reprit de quoi se battre tandis que les lignes de défenses se reformaient. Bousculée de toute part, Lily-Lune s'échappa de la masse en cherchant un moyen de limiter les dégâts. Elle se savait assez puissante pour envoyer valser tout le métal des environs. Seulement, ce serait empêcher qui que ce soit de défendre sa vie face aux Ridere. Ces choses étaient d'une force incommensurable et elles se ficheraient bien d'être face à des soldats ou des rats. La vérité était froide et cruelle. Il n'y avait plus rien à faire. Ceux qui n'avaient pas le Cristal Bleu étaient perdus, à moins qu'ils courent extrêmement vite et qu'ils n'aient pas la bêtise d'essayer de tuer un Ridere.

Les Hommes étaient plus nombreux que les Rideres. Cela ne changerait rien. Les créatures du Continent des Glaces se mirent à marcher et sur leur passage, ils semaient ce chaos sans nom. Certains tentèrent de les frapper, de les assommer de magie ou de leur faire souffrir par leurs pouvoirs. La brise qui soufflait et balayait le Désert semblait leur faire plus d'effet. Dans les hurlements de peine et de souffrance, des âmes étaient réduites à néant. À une vitesse vertigineuse, les hommes tombaient et ils comprirent. Les gens se mirent à détaler en direction des mers et des Océans. « Caleb. » Lily-Lune prit la main du Rehla qu'elle avait réussi à rejoindre. « Partons.» murmura-t-elle. « Aaah ! » La Vénus, un brin nerveuse, soupira. Quelques personnes venaient de tomber dans une épaisse et profonde crevasse. Elle lâcha Caleb et courut vers la chute pour jeter un coup d'œil. Parmi les cadavres ensanglantés,  quelqu'un avait survécu, très certainement en tombant sur la dépouille d'un autre. « Comment allez-vous ? » - « B … Pas trop mal. Sortez moi de là, pitié. » - « Avez-vous votre arme sur vous ? » - « Oui je la tiens encore.» - « Alors accrochez-vous bien. » Grâce à ces pouvoirs, elle tira la jeune femme de la crevasse. « Merci. Je … Aaaah.» Effrayée, elle se remit à fuir. Les Ridere n'étaient plus très loin. Lily-Lune se retourna pour constater cela de ses propres yeux. Son sang se glaça. Elle était face à l'un deux. Il ne la regardait même pas. Tranquille et serein, il passa simplement son chemin. La jeune femme se laissa tomber au sol, le temps de reprendre ses esprits. Elle ne le vit pas arriver. Ce n'était qu'un homme comme un autre, un peu rancunier et terrifié. « Tu étais avec les défenseurs, hein, gamine ? »  Alors il la frappa.

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« Lily-Lune. » Mon cœur se serra un instant à la vue de la Belle dont le visage angélique et les grands yeux noirs m'avaient tant manqué. Puis vint les appréhensions. Je savais qu'elle était enceinte et comment ne pas craindre pour sa vie ou pour celles qu'elle portait ? Je me retins cependant de tout commentaire car je ne connaissais que trop le caractère de l'Orine et je préférais ne pas gâcher ses douces retrouvailles. « Qui est-ce ? » me demanda Kira avec une once à peine dissimulée de jalousie dans la voix. Je ne lui répondis pas. Si cette charmante demoiselle avait décidé de m'accompagner aujourd'hui, il n'en demeurait pas moins qu'elle était une illustre étrangère à qui je n'avais aucun compte à rendre en ce qui concernait ma vie personnelle. S'il me semblait vaguement qu'elle avait un coup de cœur pour moi, je ne tenais pas à lui conter les sentiments que j'éprouvais pour la Vénus. Je me faisais l'effet de devenir, un peu plus chaque jour, un handicapé des sentiments. Perdu dans mes pensées, je ne me préoccupais presque plus de la cohue qui m'entourait. Que craignais-je ? J'étais un porteur du cristal bleu. La stupidité était en train d'être punie et je ne pouvais plus rien faire si ce n'est pousser les gens à fuir à toute allure. « Caleb, il faut partir.» Je jetais un petit coup d'œil à Kira qui tirait mon manteau pour me pousser à avancer. « Partons, s'il vous plaît. » Je finis par tourner les talons : au bon moment ou au mauvais, selon les points de vue. « Lily ! » Je n'ai jamais été quelqu'un de violent. Ces derniers temps, pourtant, on s'évertuait à mettre mes nerf à vif. Alors sans ménagement, je collais mon poing dans la face de celui qui avait osé faire de même à la Reine des Orines. Frapper une femme était lamentable. S'en prendre à une Reine était risqué. Le tout devant moi était du suicide. « Qu'est-ce que t'as fait, toi là ? » hurla le type qui s'imaginait déjà comment il allait me tuer. Il balançait ostensiblement entre le dépeçage et l'étranglement. Je le savais bien, je suivais tranquillement le cours de ses pensées. « Tu vas me le payer ! » Il n'eut pas le temps d'envisager le moindre mouvement. Kira, furie infernale, se jeta sur lui. Elle avait la situation bien en main. Alors je me baissais pour prendre Lily-Lune dans mes bras.

« Kira ! » Après un ultime et habile coup de pied judicieusement placé, elle bondit vers moi. « Sommes-nous loin des côtes ? » - « Une bonne heure de course effrénée. » - « Attention.» Je reculais de quelques pas pour me plaquer contre un rocher. Kira m'imita sans broncher et nous laissions ainsi passer quelques Ridere qui ne se préoccupaient point de nous, qui portions le drôle de petit cristal coloré. « Elle saigne. » Je baissais les yeux sur mon inconsciente. Un mince filet de sang ruisselait doucement le long de son front et de sa joue si blanche. J'essuyais du bout des doigts la larme rouge. « Ce n'est qu'un mauvais coup, elle va bien. » me glissa Kira en voyant ma mine. « Je sais. » Je détestais simplement la voir ainsi. « Rentrons. Une tempête se lève. » Les vents se levaient et le froid se renforçait. Ceux qui ne possédaient pas le cristal risquaient de ne pas s'en remettre.

« Allez, levez-vous. » Kira tirait le bras d'un étranger pour qu'il continue à avancer. Presque affaler par terre, les doigts bleus et la face rouge, il était à bout de force et gelé. Impuissant, je le contemplais. Je ne pouvais rien pour lui, avec la Vénus dans mes bras. « Un peu de courage. » Elle passa péniblement le bras du jeune homme pour de ses épaules et le force à se mettre sur ses jambes pour presque le traîner. Mal à l'aise, je lui emboitais le bas. J'aurai aimé l'aider mais Kira n'était pas assez endurante pour porter une jeune femme complétement endormie. « Allez … Ne soyez pas le énième à tomber. » Cela faisait déjà quelques temps que nous marchions. Sur notre route, nous avions croisé des corps sans vie. Certains étaient morts de la main des Rideres. D'autres avaient simplement succombé au froid. Même les Possesseurs du cristal avaient vu leur rang réduit. Sous l'effet de la panique, beaucoup avait fait une chute mortelle dans les vicieuses crevasses du Continent des Glaces. D'autres avaient continué le combat entre eux et avaient fini par s'entre tuer. Le Désert de Glace n'était plus qu'un immense tombeau, un grand cimetière que nous avions joyeusement rempli. « Non ! » cria Kira. Frénétiquement, elle secoua celui qu'elle s'évertuait à sauver. « Allez on se réveille ! Debout ! » - « Kira … » - « Bouge ! » - « Kira.» Elle tourna la tête vers moi. « Il n'est plus là.» Les mains tremblantes, elle finit par le laisser tomber et le cadavre s'effondra par terre. « Ils sont morts. Morts parce qu'ils étaient trop fiers ou trop bêtes.» Plus qu'énervée, elle envoya un coup de pied dans la neige avant de continuer à avancer. Quelques minutes s'écoulèrent dans le plus grand des silences.

« Caleb ! » « Kira ? » Je tournais en rond mais elle n'était plus là. « Kira ! » Je suivis la piste d'un léger fracas pour arriver aux frontières d'une immense crevasse. Pressé mais avec mille précautions et une pointe de remord, je déposais doucement Lily-Lune par terre avant de filer près de la jeune femme à qui je tendis prestement la main. Elle avait le visage éraflé et la gorge entaillée. Accrochée à de la pierre gelée, elle glissait doucement. « Attrapez ma main, vite.» - « J'y arrive pas. » - « Un petit effort. » J'étais nerveux et le cachais tant bien que mal. Les larmes aux yeux, Kira fit une première tentative qui la fit descendre de quelques centimètres. Elle se cramponna bien vite. « Je n'y arrive pas.» répéta-t-elle. « Tenez bon.» Je me débarrassais de mon grand manteau pour gagner en adresse et entrepris de descendre un peu. « Non c'est trop risqué.» - « Ne dites pas de bêtise. Vous devez vous en sortir. J'ai beaucoup de choses à vous raconter. Ne me faites pas faux-bond.» Elle rit sans joie. « Comme quoi ? » - « Je suis Roi et la belle brune est la Vénus. » - « Réellement ou vous me faîtes marcher ? J'aurai rencontré deux Souverains ? C'est la classe ça.» Elle soufflait péniblement. « J'ai toujours rêvé de la vie château. De mon point de vue, c'est une belle façon d'en finir ... Hey... Ce n'est pas de votre faute.» Elle me sourit. Je lui murmurais un petit mot. Puis elle tomba.

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Bercée par la symphonie des vagues et des vents marins, Lily-Lune se réveilla doucement. Un peu surprise, elle se releva un peu trop vite et chancela pour atterrir en un instant dans les bras de son Rehla favori. « Caleb. » murmura-t-elle, un tantinet perdue. Durant quelques secondes, elle dévisagea le jeune homme dont le regard triste et la mine fatiguée ne présageaient rien de bon. Après lui avoir conseillé de s'asseoir et lui avoir tendu une gorge d'eau fraîche, il lui livra quelques explications sommaires. Cela ne faisait guère longtemps que le navire avait quitté le port improvisé du Continent des Glaces. Beaucoup fuyait ces terres hostiles dont le Désert était à présent jonché des cadavres de ceux qui avaient succombé à la sauvagerie des environs. C'était une véritable catastrophe. Silencieuse et pensive, la Vénus réfléchit à tout cela durant quelques instants. Elle se mit à entortiller ses cheveux autour de ses longs doigts. « Merci de t'être occupé de moi. » Elle posa ses mains sur son ventre. « Je n'ai même pas vu arriver celui qui m'a frappé. S'il avait visé les côtes j'aurai pu perdre mon bébé. » Elle courba très légèrement la tête en arrière pour scruter les cieux. « Dire que l'on n'a rien pu faire.» Elle s'était rendue sur le nouveau Continent avec les meilleures intentions du monde. Pour faciliter la vie des colons, elle s'était proposée pour ériger les structures et les fondations en fer de véritables maisons qui rendraient la vie plus douce que dans les tentes et les cabanes. Malheureusement, elle avait choisi un bien mauvais moment pour ses bonnes actions. « Qu'est-ce ? » demanda-t-elle quand on lui tendit un petit paquet. « Des lettres pour vous, ma Dame.» lui répondit-on. C'était un des membres de l'équipage. Caleb, les bras croisés, discutait tout bas avec l'homme à la barre.  Lily-Lune le scruta brièvement avant de parcourir des yeux les lignes de ses filles. Elles donnaient les dernières nouvelles. Earudien et Avalon étaient tombés. Il n'en restait presque plus rien. « Ça va aller ma chérie. » La Vénus faillit sursauté. « Mère. » Elle sourit avant de l'enlacer. « Par tous les Aetheri, je t'avais presque oubliée.» - « Tu n'étais pas consciente. Malgré tout, le charmant jeune homme m'a retrouvé et savait qui j'étais. Alors il m'a dit d'embarquer avec vous. Je n'allais pas refuser.» - « Bien heureusement. J'ai toute une famille à te présenter. » Céleste soupira en écartant ses cheveux blonds de son visage.

« Est-ce réellement une bonne idée ? Ce monde n'est plus le mien. Je ne vivais que pour ton père et il n'est plus là. Je ne me sens plus à ma place. Je ne connais plus rien et j'ai perdu ma puissance. Faut-il réellement insister ? » - « Ne sois pas sotte. Tu es là à présent. Tâchons de contrôler au mieux cette situation. Tu te trouveras un autre but.» Tremblante, Céleste porta les mains à son cœur. « Je n'arrive même pas à savoir ce qui est advenu de mon Lien. Tout cela n'est pas normal Lily. Mon Maître est mort. J'ai recyclé son âme. Tu es née. Je suis morte. Que suis-je à présent ? Suis-je une Orine refaite à neuf ou suis-je inutile ? » - « Je ferai quelques recherches. Tu es loin d'être la seule dans ce cas. Le phénomène devient … courant. » Céleste eut un pauvre sourire désolé. « Je suis heureuse de te voir si forte et épanouie. Tu ressembles tant à ton père. Tu as réussis à fonder une famille, ce que je n'ai jamais pu faire malgré mes tentatives. Être grand-mère est une idée qui me plaît. » - « Tes petites-filles vont te ravir. Elles sont adorables. » - « Tu n'as que des filles ? » - « Non mais Caliel est grand et voyageur. Il vient me voir assez souvent, tu le rencontreras bien à un moment.» - « Et qui est le père de tous ce beau monde ? Le beau jeune homme ? » Elle sourit en regardant Caleb. Lily-Lune, gênée et embarrassée, se contenta de hocher négativement la tête. « C'est … plus compliqué. Comme tu l'as vu je suis mariée mais ...» Céleste avisa l'expression de sa fille. « Mais pas à lui. Pourquoi ? » - « Je … Je n'ai pas envie d'en parler maintenant. » - « De qui es-tu enceinte ? » - « De mon mari. » - « Qui est-ce ? » - « Un autre Souverain. S'il te plaît, arrêtons d'en parler pour l'instant. Caleb a l'ouïe fine et je ne tiens pas à le blesser davantage. Nous étions fiancés.»  

« Que vas-tu faire ? » murmura Caleb, une main posée sur l'épaule de Lily-Lune qui, les bras croisés, contemplait sa mère qui dormait. « Je suis tellement heureuse de la revoir.» souffla la Vénus d'une voix fragile. « Seulement je ne peux m'empêcher de penser que son retour n'est pas naturel et qu'elle peut disparaître à tout moment. Tellement de morts reviennent. Cela finira par poser problème. » La jeune femme fit volte-face pour se glisser dans les bras du Rehla. « Cette époque n'est pas des plus douces.» Les Terres du Yin et du Yang avaient-elles une fois été en paix ? Un bien morbide dessein semblait peser sur ce monde.

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