Mitsuko contemplait le vide, ce vide qui ne menait, elle en était certaine, qu'au néant. Comment était-elle arrivée au sommet de cette montagne ? Comment avait-elle pu gravir le continent interdit alors que les dieux eux-mêmes n'osaient pas s'y aventurer ? Elle sourit, étrangement calme, la couronne des génies apparaissant sur le sommet de son crâne. Elle la retira, doucement, redoutant sans doute de mourir de par ce seul geste. Pourtant, ce ne fut pas ce qu'il se produisit, sa puissance se libérant alors dans un flot qui teinta le paysage. Ce lieu était spécial, mystique, un lieu que peu voire aucun individu encore vivant avaient déjà foulé. La déesse de la justice était là, le vent balayant ses vêtements, balayant sa chevelure, l'obligeant à fermer les yeux. Pourquoi se cantonner à une apparence humaine alors qu'elle aurait pu n'être que magie, ne plus subir les caprices des éléments, de la gravité et de tout ce qui l'entourait ? C'était cette question qui importait, la seule au final. Cette question qu'elle n'avait pas arrêté de se poser. Elle ne voulait pas de ce statut, elle le détestait, avait besoin de le renier, de le réduire en poussière. Pourtant, elle savait que ce n'était pas possible, pas à mi parcours. Néanmoins, si William lui avait soufflé de se rendre ici, cela ne pouvait être que pour deux choses : la première était qu'il souhaitait la voir disparaître, la seconde était qu'il souhaitait l'aider. L'une ou l'autre de ces possibilités était la bonne mais puisqu'il lui avait demandé une information dans le cas où elle survivrait, elle optait plus pour la seconde. L'esprit du temple lui devait ce service. Alors, elle attendait, là, que quelque chose veuille bien se produire, arriver. Elle avait vu les Ridere, avait même été attaquée par l'un d'eux. La déesse avait perdu son statut divin pendant quelques jours à cause de cette étrange magie qui ressemblait comme deux goûtes d'eau à celle des magiciens. Elle le savait, connaissait cette magie pour avoir été elle-même mage blanc. Les légendes de ce peuple, du peuple de ses parents, ne lui étaient pas étrangères, celles qui contaient l'histoire de Suris, l'animal de Sympan, le créateur des terres du Yin et du Yang. Mais ce qu'elle ne comprenait pas, c'était cette vague de destruction. Si les Ridere étaient liés à la magie bleue et si cette magie était celle de l'Aether originel, alors peut-être que William avait raison, peut-être que l'apocalypse n'était plus très loin. Et si tel était le cas, elle n'avait pas l'intention de le savoir en avance. Son statut ne lui convenait pas et si elle était ici, si elle avait marché des jours sur le continent de glace, c'était pour s'en débarrasser. Du moins en partie.

Mitsuko regarda la couronne des génies. Finalement, « il » avait bien fait de la lui confier. Néanmoins, cette relique vivait ses derniers instants avec elle. Elle ne lui servait plus à rien à présent, elle ne lui servirait plus jamais à rien et puisque celui qui la lui avait confié ne faisait plus partie de ce peuple, elle devait obsolète et sans valeur symbolique. Aussi, la jeune femme la posa sur l'étrange socle qui se trouvait là, en haut de la plus haute montagne. Ce socle, elle le connaissait, c'était une certitude. Elle le connaissait car elle l'avait vu en rêve, il y avait fort longtemps, lorsqu'elle n'était qu'une enfant. Pourtant, elle ne connaissait nullement son utilité, elle sentait juste qu'il aurait un rôle à jouer dans le futur, un futur qui n'était plus si lointain.

« J'ai une requête. Je souhaite rejeter l'élévation. ».

La voix de la déesse s'était élevée dans le silence des montagnes, le socle se réveillant alors, une douce lumière bleutée s'en dégageant après qu'il eut aspiré la couronne des génies en une fraction de seconde. L'objet tomba dans l'océan, loin de la vue de son ancienne propriétaire, loin de la vue de quiconque, une disparition pure et simple. Oh, peut-être qu'un jour, un homme ou une femme trouverait cette couronne à nouveau, mais quoi qu'il en soit, elle resterait hors de portée un long moment.

Un homme, ses lèvres sur son oreille. Jun. « Nous y voilà. Le moment où tu renonces et où mon passé va prendre conscience de son lien avec la mort. Seulement, Mitsuko, je ne suis qu'une pâle figure d'un futur qui n'existera sans doute plus d'ici quelques semaines. Néanmoins, si je suis ici, je pense que ton intelligence te fera comprendre que si je suis ici, c'est qu'il n'en est rien. Ou peut-être n'es-tu pas en mesure de comprendre tous les tenants et les aboutissants ? Quoi qu'il en soit, je veux bien faire en sorte que ta requête soit entendue mais tu seras vouée au silence de ce que tu auras vu. Tu ne devras en parler à quiconque et les dieux eux-mêmes ne pourront extraire ces données de ton esprit. Mais rien n'est gratuit, il me semble. Je veux, de ce fait, que tu m'empêches d'accéder à l'élévation trop tôt. Je mourrai sans doute si je devais la tenter à présent. Le monde n'est pas très sûr en ce moment, il le sera encore moins d'ici quelques temps, surtout pour les Aetheri. Beaucoup vont disparaître. ». Il chuchota. « Plus la magie sera présente chez les êtres, plus ils seront en danger... ».

Il réapparut devant la déesse, la fixant. Ses cheveux étaient bien plus longs, comme toutes les représentations du futur de Jun qu'elle avait aperçu tout au long de son existence. « Ne sens-tu pas cette tension courir les terres ? Les Ridere vont détruire tout ce qu'ils trouveront sur leur passage parce que c'est ainsi. L'équilibre entre les temps a été détruit, le monde n'est que déséquilibre et Sympan avait prévu cette sécurité dans le cas où les choses tourneraient mal. C'est automatique. Et seuls les Mortels pourront sauver leur monde, seuls eux pourront faire en sorte de trouver la solution. Le futur n'est que probabilités. Je suis l'Aether de la mort de l'un d'eux, ce sera à vous de faire en sorte que celui-ci existe. Vos choix seront capitaux, leurs choix. La mort ou la vie. Les deux m'arrangent. ». Il sourit. Il avait raison, d'un côté seulement, car là où se trouvait la vie, la mort trônait également et ces deux facteurs étaient éternels, immortels, toujours présents. Seulement, si les terres du Yin et du Yang périssait, Jun disparaîtrait. Ou peut-être que non... Que pouvait-elle en savoir, elle qui n'avait jamais mis un pied dans les confins de l'univers ? Il y avait d'autres mondes, c'était une certitude, mais est-ce que les dieux pouvaient s'y rendre ?

Elle choisit de ne rien dire si ce n'était sa réponse. « J'accepte de guider encore un peu le Jun de mon époque. Je ne dirai rien et n'essaierai pas, de quelque manière que ce soit, d'intervenir dans les enjeux futurs. ». « Tu es consciente qu'au sein de ton temple et d'Okaeli, tu demeureras, maintenant et à jamais, la seule déesse de la justice digne de ces lieux ? ». « Oui. ». « Tu es consciente que ton office sera le même, que ta liberté ne sera acquise que dans tous les lieux qui ne seront guère dédiées à ton culte ? ». « Je le sais. ». Non, elle n'en savait rien avant qu'il ne le lui apprenne mais peu lui importait. Elle préférait mille fois être une sorte de déesse à temps partiel plutôt que son état reste celui qu'elle vivait chaque jour. « Bien, alors qu'il en soit ainsi. ». Il sourit et la lumière du socle s'agrandit en même temps que la visibilité de la déesse s'appauvrit.

Elle n'était plus au même endroit et, à dire vrai, elle n'avait aucune idée d'où elle se trouvait. Elle sentit juste une présence. Il ne s'agissait pas de Jun, il s'agissait de rien de connu. Pourtant, la puissance de la chose ou de la personne dépassait de loin la sienne, dépassait de loin tout ce qui existait. Pas par la magie véhiculée, non, mais plus par ce savoir étrange, par l'étendue infinie des connaissances. La déesse ne comprenait pas comment elle pouvait sentir que cet être Connaissait, mais c'était si palpable, si indérogeable. La langue parlée lui était inconnue mais lorsqu'elle put voir à nouveau, elle se rendit compte qu'elle était au dessus de l'océan, en chute libre. Sa propre puissance était grande mais elle sentait qu'elle avait perdu cette chose qui avait gâché son existence. Oh oui, l'immortalité s'était éteinte. Elle tomba dans l'eau, une magie nacrée enveloppant ses jambes qui devinrent une queue de poisson blanche.

Sirène. Parfait.