Rp précédent : L'élu

Dans les couloirs de Basphel, humide de la tête aux pieds, une lueur haineuse nageait dans mes prunelles. Ce chat… Ce putain d’Eversha… Je l’aurais noyé sans l’intervention des autres membres de l’équipe, qu’importât le nombre de balafres que j’aurais dû subir. Mon passage à l’infirmerie de l’école n’avait pas étouffé ma rage. Elle était toujours présente, coincée en travers de ma gorge. Les marques laissées par les griffes de l’animal n’apparaissaient plus sur mon épiderme mais je ressentais encore leur présence. Je trouvais déjà les animaux passablement ignobles en temps normal. Aujourd’hui, mon dégoût à leur égard avait battu des records. Que ce fût cette fille aux babines remplies de bave ou ce garçon qui m’avait proposé de le caresser contre mon aide, il m’était de plus en plus clair que ces choses ne méritaient pas de vivre. Les Evershas étaient immanquablement des créations contre nature. Des personnes aux mœurs condamnables avaient forcément décidé de copuler avec des bêtes pour donner naissance à cette race immonde. Comment pouvait-on envisager un monde où ce genre d’ignominies existait ? Leur utilité s’arrêtait à la propagation des épidémies et aux expériences. Je le rappellerai à ce mi-homme mi-chat. Lorsque je l’aurais cloué au mur de ma chambre, il serait à sa juste place. Eutropius trouverait peut-être quelque chose d'utile à en faire.

En marchant, je commençai à enlever mes boutons de manchette et à retirer quelques éléments de ma tenue. Rien de vulgaire. Rien qui ne laissât apercevoir trop de peau. J’attendrais d’être à l’abri entre les murs de mon dortoir pour me dévêtir et me changer. C’était d’ailleurs la raison pour laquelle j’avais emprunté les pontons du Lac Bleu. Il était hors de question que je portasse l’une des tenues infâmes que l’on m’avait soumises. Ce complet mauve ne pourrait sortir de mon esprit avant de longues semaines. Comment quiconque pouvait-il décemment porter ce genre de choses ou même oser le proposer en vêtements de rechange ? C’était un outrage au bon goût et un manque de respect total. Heureusement, l’uniforme de Basphel était correct. J’aimais la sobriété et l’élégance, noires de préférence.

Perdu dans mes pensées, je ne sentis pas tout de suite la magie du Pont des Câlins. J’en avais vaguement entendu parler, rangeant les racontars le concernant avec les rumeurs infondées qui circulaient dans l'école et autres légendes basphéliennes. Certains disaient que des lézards vivaient sous l'établissement, les mêmes qui feraient probablement mieux d’étudier davantage. Lorsque je levai les yeux, afin de me diriger, je croisai les iris d’une fille. Je m’arrêtai devant elle. Le mouvement fut naturel. L’une de mes mains harnacha le bas de son dos pour la tirer vers moi. L’autre vint s’enrouler autour d’elle. Mes doigts trouvèrent une place dans ses cheveux.

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L'esprit ne me revint que lorsque la créature parla. Je clignai des yeux plusieurs fois, comme si je m’éveillais lentement d’un maléfice. Quand je compris la situation, la gêne s’immisça en moi et je m’écartai d’elle sans plus attendre, trop brusquement pour que je parusse contrôler la situation. Je remarquai la continuité de ses oreilles. Elles dépassaient de sa chevelure, telles deux feuilles de châtaigner. Il s’agissait probablement d’une Ygdraë ou d’une Alfare. Je n’étais pas au fait de tous les peuples végétaux qui vivaient sur ces terres. Valera Morguis n’était pas un lieu où la flore s’épanouissait, à croire qu’une guerre mystérieuse existait entre les Mages Noirs et les mangeurs de pissenlits. Je baissai les yeux pour la détailler. Elle tenait un livre à la main, un livre qui comprenait des signes que je ne connaissais pas. Il ne s’agissait ni du langage commun, ni de l’Obien Syliath. La contempler ne m’aida malheureusement pas à trouver une excuse valable à mon comportement. Si nous avions été à Amestris et que j’avais voulu me montrer cassant, je lui aurais très certainement dit que je l’avais prise pour une autre. Or, il n’était pas dans mes intentions de me faire des ennemies, surtout s’il s’agissait de filles susceptibles d’aller trouver ma fiancée pour lui révéler mes actes déplacés. Si la chose arrivait un jour, autant qu’elle se présentât pour une action concrète, pas pour une maudite embrassade sur un stupide pont. Je n’avais donc pas d’autres choix que de trouver une parade. « Excuse-moi, je ne sais pas ce qu’il m’a pris. Je t’ai vue et… et on connait la suite. » Je lui souris d’un air désolé. « J’espère que tu n’en prendras pas ombrage. Je ne voulais pas t’offenser. » Il valait mieux que je donnasse à la chose un aspect banal. Elle n’appartenait pas à mon peuple et ignorait probablement que j’étais un Sorcier. Avec un peu de chance, elle me prendrait pour l’un de ces Anges prônant la paix ou un élève de la craie déterminé à câliner quiconque voudrait bien adhérer à sa philosophie de vie. Les quiproquos culturels étaient nombreux dans l’Histoire. Nous en étudions bien assez en cours pour en avoir conscience. « Comme tu peux le voir, je dois retourner à mon dortoir afin de me changer. » Je baissai de nouveau mes prunelles sur son livre. Elles remontèrent ensuite et retrouvèrent les siennes. « Je te souhaite une bonne fin de journée et une agréable lecture. » articulai-je, avant de m’éclipser, une colère froide accrochée au ventre. Je détestais avoir à m’excuser. Ce n’était même pas la raison. À vrai dire, je détestais surtout perdre la maîtrise des événements. Que ce fût avec cet abruti de chat ou que ce fût avec cette fille aux oreilles de châtaignier, la chance ne m’accompagnait décidément pas en ce jour.

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