Dos au mur, le souffle coupé, Kiara scrutait le regard de Tekoa. Sa magie se déployait en elle et autour d’elle avec une facilité déconcertante. Elle voyait des instants de sa vie, des fragments d’intimité qui ne lui appartenaient pas mais qui devenaient siens par la force des choses, des éléments qui lui échappaient tout en résonnant au plus profond d’elle-même. Elle plongeait en lui comme à l’intérieur d’un livre. Les mots et les idées s’alignaient : Tekoa, Chaman, feu de camp, tambours, peaux, esprits, nature, Edel. Ses doigts se resserrèrent autour des siens. La poigne du Destin les enserrait. Elle la sentait autour d’eux, ferme et tenace. Les visions colorées s’enchaînaient, mais elles ne se différenciaient que par de menus détails. Elles conduisaient toutes au même chemin. Et il y avait cet océan, cet océan de courants chauds qui la traversaient, la bouleversaient, la poussaient vers lui comme s’il était un rivage, une grève que son écume devait venir caresser. C’était comme le rêve, comme Juvaniel. Elle se demanda s’il y aurait un réveil, s’il serait aussi abrupt que les précédents. « Halchelki. » répéta la Rehla, pour ancrer en elle ce mot dont elle voudrait se rappeler, qu’elle chercherait, qu’elle étudierait, qui la ferait sourire quand elle comprendrait.

Sous ses baisers, elle tendit le cou. Traînée d’huile sur laquelle on dépose les flammèches d’une torche, la peau de Kiara s’enflamma. Ses lèvres retrouvèrent les siennes avec un soulagement qui s’évanouit dès que le désir monta encore d’un cran. Quand il se détacha, elle ne put rompre le contact : ses iris noisette demeurèrent accrochés aux siens, sa paume ancrée contre la sienne. Elle ne pouvait pas le laisser partir – il ne voulait pas partir. Aucun d’eux ne pouvait s’enfuir. C’était écrit. Elle s’apprêtait à parler lorsque l’exclamation d’une femme la fit sursauter. Elle renversa la tête en arrière mais ne vit que les volets bleus mal ajustés, que de surprise elle n’avait pas fermés. Ses propos la firent rougir, cependant, quand elle baissa à nouveau les yeux sur Tekoa, un sourire étira ses lèvres. L’intensité de son regard suffisait à la faire frissonner. La Magicienne revint en riant, son mari sur les talons et ferma les volets, puis les fenêtres.

La blanche lâcha la main du Chaman pour passer ses deux bras autour de son cou et l’attira à elle. Elle l’embrassa, rapprochant leurs corps jusqu’à ce que la chaleur de celui de Tekoa n’apaisât la brûlure du sien. Son contact la rendait fébrile, son odeur l’ensorcelait. Elle entendait son cœur jusque dans ses tempes et le sentait jusqu’entre ses jambes. Ses doigts descendirent, s’entortillèrent à nouveau autour de ceux de l’adolescent, les amenèrent contre son intimité, cachée par quelques centimètres de tissu. Elle fit de même avec son autre main, qu’elle glissa contre le pantalon du garçon. Il n’existait aucun doute, aucune hésitation. « Destin. » lui murmura-t-elle près de l’oreille en Oraédera, dans cette langue chantante qu’elle ne dévoilait jamais. L’adolescente se décala légèrement, le temps de défaire la ceinture du brun. Elle faufila sa main dans l’espace aménagé, puis éprouva contre sa paume la douceur de sa peau. Son regard était rivé au sien, indétachable. Elle le lui avait dit, dans le rêve : on se retrouvera et on recommencera, ici ou ailleurs. Et ils recommenceraient encore, elle en était certaine. Elle fondit à nouveau sur sa bouche, défaisant et retirant sa chemise pour mieux sentir la chaleur de son torse, maudissant au passage cette robe trop lourde qui la séparait de lui, qui dénaturait la simplicité qu’elle recherchait. Ses mains glissèrent dans son dos pour délacer les rubans, et quand ils cédèrent tous, elle repoussa le jupon jusqu’à ses chevilles, elle abandonna ses chaussures et sa peau épousa celle de Tekoa. Son désir rugissant la fit chavirer ; elle se cramponna à lui comme une ancre à son port.