À l'heure convenue, Susannah franchit la porte. Les cuisines, réservées au personnel, ne lui étaient pas inconnues. Animée par une gourmandise plus charnelle que sucrée, ce n'était pas la première fois qu'elle empruntait la porte de derrière, s'y faufilant incognito pour de bien meilleures raisons que celle qui l'amenait aujourd'hui. Son partenaire du jour ne manquait pas de points communs avec l'habituel; Magicien au caractère épouvantable, vulgaire et colérique, tous deux issus du même département. Mais les incendies que déclenchaient Johannês n'étaient pas les mêmes que celui démarré par Lazare dans le labyrinthe. Dans son dos, la porte se rouvrit, laissant apparaître le profil du fauteur de troubles. Il lui apparut changé depuis la dernière fois, plus hargneux et sombre. La ressemblance physique avec le personnage de Primaël ne manqua pas de la frapper. Le phénomène touchait plusieurs Basphéliens et donnait à l'engouement autour du Conte une dimension singulière qui ne laissait pas les principaux concernés indifférents.
« Bonjour. » En bon membre du Charbon, Lazare avait fait parler de lui dans les couloirs. Son insurrection prenait des proportions exagérées depuis son retour du bal, et les rumeurs sur les raisons de ces éclats allaient bon train. Comme elle, l'adolescent enchaînait les punitions. Si ce mode de vie convenait au Gælyan, ce n'était pas son cas et l'Ondine comptait bien que celle-ci clôture sa propre série. Elle regrettait leur emportement mutuel aux écuries et la double peine qui s'ensuivait. Cette erreur ne serait plus commise. « Finissons-en le plus rapidement possible, et n'en parlons plus. Je n'ai pas l'intention de passer ma scolarité à nettoyer cette école avec toi. » Naturellement autoritaire, sa voix portait dans l'arrière-cuisine, résonnant dans la pièce angulaire actuellement vide. C'était un problème quand elle coinçait Johannês ici, et ils avaient dû apprendre à être silencieux.
Les manches retroussées jusqu'aux coudes, elle s'approcha d'une vasque où s'amoncelaient des collines de vaisselle sale qu'elle défia du regard comme elle l'aurait fait d'un ennemi à abattre. Empoignant un torchon, elle le lança à Lazare. « Bon. Je lave. Tu sèches. » Méthodiquement, elle s'attaqua à la tâche et attrapa une assiette qu'elle frotta avec énergie. Du coin de l'œil, elle surveilla l'avancée de son binôme. Elle n'hésiterait pas à lui coller la tête dans l'eau sale s'il rechignait à la tâche. « Alors, il paraît que tu étais à Boraür finalement ? Ça ne t'a pas fait du bien, on dirait. » Elle marqua une pause, le temps de passer à une poêle. Les yeux rivés sur la satisfaisante disparition du vernis de graisse, elle reprit son propos. « J'avais dû voir une psychologue aussi, ou quelque chose comme ça. » Un reniflement méprisant gonfla les ailes de ses narines. « C'était avant Seaghdha. Ce niais d'Alcide avait oublié de se taire et était allé raconter que mon comportement était anormal. Quel idiot. Ça ne m'étonne pas qu'il s'entende bien avec l'autre Oisillon. » Un sourire malicieux fleurit sur ses lèvres. « Je lui avais fait goûter des biscuits au sang, ceux qu'on donne aux élèves Vampires. Tu aurais vu sa tête, j'ai cru qu'il allait se vomir dessus. »
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Orphée Dasgrim ~ Orisha ~ Niveau I ~ ◈ Parchemins usagés : 162 ◈ YinYanisé(e) le : 11/03/2023◈ Activité : Voyager avec les Enfants de Yanna
La porte de la cuisine céda à sa poussée et Lazare s’engouffra dans la pièce saturée d’odeurs de nourriture et de propreté étrangement mêlées. Son regard azuré se vissa à la silhouette de Susannah. Il ne répondit pas tout de suite, comme s’il la jaugeait. Tout son corps était parcouru d’une tension qu’il ne parvenait pas à apaiser. C’était un mélange de tout ; de Sceptelinôst, de sa sœur gênante, de son frère débile, des profs chiants, de la psy qui ne comprenait rien, des élèves qui le regardaient de travers, de ses nouveaux amis qui n’étaient pour la plupart pas là, de la Sirène qui avait toujours l’air aussi aimable qu’une porte de prison. De la Sirène qui sortait avec Johannês. Sympan aussi avait une copine, Lucius et Dastan arrivaient à coucher avec tout ce qui bouge et le premier avait désormais Kiara, Haru regardait Adriæn avec des yeux de merlan frit, Tekoa attirait aussi largement les regards, Alcide était très proche de Rose-Abelle, et lui il était tout seul et peut-être que ça commençait à lui peser, peut-être qu’il en avait marre, peut-être qu’il était un peu jaloux, peut-être qu’il aurait aimé avoir quelqu’un pour parler de tout ce qui n’allait pas, quelqu’un contre qui se blottir et fermer les yeux, peut-être qu’il aurait voulu savoir ce que ça faisait d’avoir une amoureuse, et de coucher avec quelqu’un, de sentir une peau contre la sienne plus longtemps que quelques instants volés entre deux cours, peut-être, après tout, mais il ne l’admettrait jamais. Il y avait bien Eris qui lui avait proposé de venir dans sa chambre, et il devait un rendez-vous à Moon, mais pour l'instant rien n’avait abouti, et il se sentait nul. Ça non plus, il ne l’admettrait jamais. « Salut. » finit-il par lâcher. « Sans blague. Mais t’es pas obligée de gueuler, tu sais. » Je suis pas Johannês, aurait-il sans doute ajouté s’il n’était pas d’aussi mauvaise humeur.
En soupirant, il se dirigea vers la montagne de vaisselle que Susannah avait choisie. Depuis sa base, il leva les yeux jusqu’à son sommet. Il fit la grimace. La tâche lui paraissait colossale. Il attrapa au vol le torchon lancé par la bleue. Sans grogner, il s’attela au séchage des assiettes que commença à lui envoyer son binôme de punition. De temps à autre, il lui jetait un coup d’œil. Il repensait à Johannês, au bal, au labyrinthe, à tout ce qu’il s’était passé entre ces deux moments. Il se demandait comment c’était, entre eux, si elle était plus sympa ou aussi exécrable que d’ordinaire, si elle savait être douce ou si elle restait une grosse brute en toutes circonstances. « Ouais. » Il décala la pile d’assiettes sur un autre meuble, derrière eux, pour laisser de la place au reste des couverts. La chaleur et l’humidité qui se dégageaient de l’évier fumant faisaient boucler ses cheveux. Il revint à sa place et attrapa une fourchette qu’il serra fort dans son poing quand elle évoqua la psychologue. « J’ai pas besoin d’en voir une. » grommela-t-il sèchement, avant de lui jeter une œillade intriguée. Il ne s’attendait pas à ce qu’elle se confiât sur le sujet. En fait, il ne s’attendait même pas à ce qu’elle lui livrât cette information ; mais il était si centré sur ses propres problèmes que c’était comme s’il l’avait à peine entendu le dire. Il releva la tête vers elle et l’observa. Quand un sourire affleura sur ses lèvres, il sentit les siennes s’étirer légèrement en retour. Il appréciait autant Alcide que Zeryel – qui était très utile pour esquiver Lorcán et ses manières et sous-entendus qui avaient le don de le faire rougir jusqu’aux oreilles –, mais il ne s’était jamais privé de les taquiner gentiment. Ils pouvaient être si premiers degrés que c’était toujours amusant de les charrier et, si jamais il n’aurait osé aller aussi loin que Susannah, son méfait restait drôle. Il replongea le nez dans les couverts qu’il essuyait. « Le pauvre. » Il pinça les lèvres pour réprimer un vrai sourire. « Il pensait bien faire, je suis sûr. Je crois que j’ai jamais connu quelqu’un d’aussi intolérant et cruel que toi. Il va en garder des séquelles toute sa vie et toi tu te marres. Franchement… » Il lui adressa un regard taquin, puis se détourna pour poser une poignée de couverts derrière eux dans un fracas métallique. « Tu ferais mieux de traumatiser les profs. On aurait la paix pour un bout de temps. T’es pas allée à Boraür, toi, en plus, si ? T’aurais eu le temps de réfléchir à un plan machiavélique qui nous aurait évité une heure de colle. Je suis déçu. »
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Susannah ~ Sirène ~ Niveau II ~ ◈ Parchemins usagés : 466 ◈ YinYanisé(e) le : 04/04/2021
D'un haussement d'épaules nonchalant, Susannah éjecta toute hypothétique culpabilité en même temps que le jugement proféré par Lazare. Le jour où elle se soucierait de ce que les Gælyan pouvaient penser d'elle était encore loin de se lever. Quant au traumatisme d'Alcide, elle estimait que ce n'était pas son problème. Il n'avait qu'à être moins faible et naïf. Lazare la trouvait intolérante et cruelle, et il avait raison, c'était un fait. Seulement, dans sa bouche, ce qui sonnait comme des reproches n'en étaient pas aux yeux de l'Ondine. Chaque peuple possédait ses propres valeurs morales et les siennes rentraient souvent en conflit avec celles des autres. Avec le temps et par la force des choses, elle parvenait à l'accepter et à cohabiter avec tous ces énergumènes, aussi navrants soient-ils. Savoir qu'elle partirait un jour l'aidait à tenir.
« Les professeurs ? N'importe quoi, tu es bête ou quoi ? Si je m'en prend à eux, ce n'est pas la paix que je vais avoir, mais tout l'inverse. Je vais finir par avoir plus de retenues que de devoirs à rendre. » Levant les yeux au ciel, elle s'attaqua au décapage intensif d'un fond récalcitrant de casserole. « C'est de la perte de temps, j'ai autre chose à faire que ces tâches de domestique. Le plus tôt je serai diplômée, le plus vite je pourrais partir d'ici. D'ailleurs, tu devrais faire pareil au lieu de geindre. T'en as pas marre d'être collé sans arrêt ? Tu veux rester ici toute ta vie ? » lui demanda-t-elle sévèrement en levant une spatule vers lui, l'éclaboussant de mousse au passage. « Et puis, j'aimerais être réintégrée au Puffball aussi. Il faut que je me remette les enseignants dans la poche pour ça, mais je n'ai pas les talents de Lana. » Sa patience à elle se consumait en un claquement de doigts et la faisait réagir au quart de tour là où son amie savait composer avec ses émotions pour ne rien laisser paraître. « J'ai bien sauvé la vie de Claer au Tournoi d'Ublys, mais ça n'a pas suffit. » grimaça-t-elle. Ça lui avait pourtant tout coûté de ne pas laisser la blonde se noyer.
Avec un soupir, elle coupa le flux du robinet et s'essuya le front avec le bras. « C'était comment Boraür ? » Se saisissant d'un chiffon humide, elle se dirigea vers un des plans de travail pour le frotter avec assez de vigueur pour faire voler miettes et épluchures, comme si en y mettant suffisamment d'énergie, la tâche en deviendrait moins humiliante. « Tu étais au bal déguisé chez ce Vicomte aussi, non ? Vraiment un truc de Magicien, ça. Vous êtes de la même famille ? »
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« Je suis pas bête, c’est ingénieux. » rétorqua-t-il. « T’es juste trop une grosse bourrine pour t’en rendre compte. » Bien qu’il voulût avoir l’air sûr de lui, une pointe de doute modulait les inflexions de sa voix et atténuait l’étincelle taquine dont devait se parer son sourire. Ça l’agaça. À chaque fois qu’il était avec Susannah, il se faisait l’effet d’un papillon de nuit qui vogue trop près de la flamme d’une bougie. Hypnotisé par sa danse, ses ailes virevoltaient à l’orée du feu dont les mèches avides grignotaient les bords. « Si on fait ça bien, il y aura pas de punition. » insista-t-il, son ego à l’avant-poste de ses mots. Il frotta une poignée de couverts pour les déposer près du tas de vaisselle sèche. « Quoi ? » Pivoter vivement lui valut de recevoir quelques gouttes de mousse liquide sur le nez. Il fronça les sourcils et se frotta le visage du plat de la paume pour le débarrasser des petites billes savonneuses. « N’importe quoi. Je suis pas collé sans arrêt, et je vais certainement pas rester ici. Tu crois que ça me plaît d’être là ? Tu m’écoutes pas quand je parle, en fait… » Il plongea son poing dans l’eau et l’éclaboussa en décontractant ses doigts d’un coup. Sans s’attarder pour éviter des représailles, il attrapa la casserole qu’elle venait de récurer et l’enroba dans le torchon. « Hum. » Son envie de parler de Lana était inexistante. Depuis que Johannês avait soulevé la possibilité qu’il fût intéressé par elle, il évitait tous les sujets de conversation qui l’impliquait. Il ne souhaitait pas que l’on crût quoi que ce fût à son propos. Le seul de la bouche duquel il tolérait d’entendre le prénom de l’Ondine, c’était Lorcán. Et encore. Son intérêt pour elle éveillait en lui des sentiments ambivalents, entre le soulagement et une espèce de jalousie qu’il n’aurait jamais nommée ainsi. « Je vois, t’as l’intention de devenir une grosse lèche-botte, quoi… T’as vendu ton âme, Susannah. Je suis déçu. » rebondit-il avec un sourire, en lui donnant un léger coup de coude, peut-être un peu trop surjoué pour ne pas révéler les tourments qui le harcelaient encore.
« Boraür ? » Il se détourna pour poser une pile d’assiettes sur la table centrale. « Ça allait. » fit-il, évasif. Il n’était pas censé parler de sa réunion avec les autres garçons, encore moins de ce qui s’y était dit – ou fait. Il pensa brièvement à Érasme et Dastan, à Sceptelinôst, à la mort d’Erza et à tout le reste – ce qu’il savait et ce qu’il ne savait pas. Il ne pouvait pas raconter tout ça. C’était impossible. « Oui. » Comme il se saisissait d’une éponge humide, il s’attela au décrassage de l’un des fourneaux. « Non. Enfin, par extension, oui, mais on n’est pas proches. C’est vaste, les Halloy. Je crois qu’il faudrait remonter loin pour trouver un ancêtre commun. » Ses phalanges coururent jusqu’à un torchon sec, avec lequel il entreprit d’essuyer son labeur. « D’ailleurs, t’y es pas allée alors que t’étais aux Ublys. Pourquoi ? » Il lui décocha une œillade malicieuse. « T’as peur que les profs te catégorisent dans le groupe des dégénérés qui font trop de fêtes ? Tu commences à jouer les élèves parfaites, premières de la classe ? Tu devrais piquer les lunettes d’Aubépine, ça te rendrait plus crédible. » la charria-t-il.
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La porte de la cuisine céda à sa poussée et Lazare s’engouffra dans la pièce saturée d’odeurs de nourriture et de propreté étrangement mêlées. Son regard azuré se vissa à la silhouette de Susannah. Il ne répondit pas tout de suite, comme s’il la jaugeait. Tout son corps était parcouru d’une tension qu’il ne parvenait pas à apaiser. C’était un mélange de tout ; de Sceptelinôst, de sa sœur gênante, de son frère débile, des profs chiants, de la psy qui ne comprenait rien, des élèves qui le regardaient de travers, de ses nouveaux amis qui n’étaient pour la plupart pas là, de la Sirène qui avait toujours l’air aussi aimable qu’une porte de prison. De la Sirène qui sortait avec Johannês. Sympan aussi avait une copine, Lucius et Dastan arrivaient à coucher avec tout ce qui bouge et le premier avait désormais Kiara, Haru regardait Adriæn avec des yeux de merlan frit, Tekoa attirait aussi largement les regards, Alcide était très proche de Rose-Abelle, et lui il était tout seul et peut-être que ça commençait à lui peser, peut-être qu’il en avait marre, peut-être qu’il était un peu jaloux, peut-être qu’il aurait aimé avoir quelqu’un pour parler de tout ce qui n’allait pas, quelqu’un contre qui se blottir et fermer les yeux, peut-être qu’il aurait voulu savoir ce que ça faisait d’avoir une amoureuse, et de coucher avec quelqu’un, de sentir une peau contre la sienne plus longtemps que quelques instants volés entre deux cours, peut-être, après tout, mais il ne l’admettrait jamais. Il y avait bien Eris qui lui avait proposé de venir dans sa chambre, et il devait un rendez-vous à Moon, mais pour l'instant rien n’avait abouti, et il se sentait nul. Ça non plus, il ne l’admettrait jamais. « Salut. » finit-il par lâcher. « Sans blague. Mais t’es pas obligée de gueuler, tu sais. » Je suis pas Johannês, aurait-il sans doute ajouté s’il n’était pas d’aussi mauvaise humeur.