Dératiseur à bon prix
Duo avec Jezemiās.

Les lanières en lin du siège suspendu s’enfoncèrent dans ma robe noire en dentelles alors que je m’asseyais dessus, mes pieds quittant le sol. La branche du grand pin tressaillit sous mon poids et une nuée d’aiguilles chuta dans ma chevelure de jais. Je secouai la tête avec agacement et gigotai pour trouver mon équilibre. *Mph. Mignon, mais pas très confortable*, songeai-je. A Drosera, l’artisan à l’origine de ce brouillon de siège aurait été viré. *Il a intérêt à arriver à l’heure.* Je sortis ma montre à gousset de ma poche et étudiai la position des aiguilles. Il restait précisément trois minutes et cinquante-deux secondes au garçon de l'annonce pour arriver avant que je m’en aille et que l’affaire tombe à l’eau. J’étais intraitable sur la ponctualité.

Comme à mon habitude, je décidai d’optimiser les quelques minutes qui m’étaient données à attendre. J’ouvris ma besace et en extirpai trois feuilles encrées de lignes et de ratures que j’entrepris de relire. Il s’agissait du dernier article de ma colonne dans le journal de l’Epine du Trois, sur le sujet de Juvaniel. Le papier était dû ce soir et j’avais passé une partie de la nuit à réécrire la dernière feuille. La fatigue avait dû m’emporter et causer quelques coquilles. *Tout ça à cause de cette grosse larve de Myrddhin.* J’avais cru pouvoir me débarrasser de lui, au moins pour un moment, en disparaissant sur un autre continent, mais le gamin était pire qu’une sangsue. Il me suivait partout et empoisonnait ma vie ; c’était devenu, me semblait-il, son seul et unique but dans la vie. Un véritable parasite que mes parents avaient eu l’audace d’amener sur le pas de ma porte.

La veille, il avait pris un malin plaisir à m’espionner à la bibliothèque et gribouiller un dessin de crâne, très moche soit dit en passant, sur la dernière feuille de mon article dès que j’avais eu le dos tourné. A cette pensée, mon poing se serra et froissa le papier. Cette larve testait ma patience chaque jour. Et petit à petit, je perdais le contrôle. Mais je ne pouvais le laisser gagner. Quoiqu’en fût le prix, je le supprimerais de ma vie. Et même s’il décidait de partir, ma vengeance le poursuivrait au-delà des mondes et des âges. Ma haine s’était propagée tel un incendie, inarrêtable et destructrice. Je fermai les yeux et inspirai un grand coup. *Du calme, Fawëlysa. Ne gaspille pas ton énergie.* Mon regard se posa sur les mots que j’avais couchés sur papier et je me reconcentrai en attendant mon futur collaborateur, qui avait encore… une minute et dix-sept secondes pour se montrer.

Je lui avais donné rendez-vous dans un parc très éloigné de la colocation, histoire que personne ne me reconnaisse. Mes disputes avec Myrddhin avaient été rapidement remarquées par la direction et je ne souhaitais pas que cette larve provoque mon expulsion et la fin de ma colonne dans le journal. Je ne tenais guère à cette colocation, mais l’enjeu était trop élevé pour prendre des risques. La description de ce Jezeṃiās était sommaire : c’était un garçon de mon âge, mais je n’en savais pas plus. Je lui avais indiqué que je serais assise à cet endroit précis et mentionné l’élastique orné d’une rose qui tenait mes cheveux attachés en queue de cheval. Je ne lui avais pas indiqué tous les tenants et aboutissants de sa mission : il savait simplement que je cherchais les services d’un dératiseur pour la colocation de Juvaniel et que je m’attendais à ce qu’il me présente un produit éradiquant de sa confection. Il ignorait encore la nature du rat en question.

Mots : 603

Dératiseur à bon prix
Fawëlysa & Jezeṃiās

☙ Sevdaliza, Pabllo Vittar & Iseult - Alibi
(Rien à voir avec le rp, j'essaie juste de m'extraire cette chanson du système)

Assis en tailleur à même le sol, Jezeṃiās leva un bras au dessus de sa tête et s'amusa à attraper avec ses lèvres le morceau de viscère suspendu entre deux doigts. Il ne mangeait jamais à heures régulières, pas même à Basphel, mais lorsque la faim le tenaillait, c'était brutal, frénétique, et impossible à ignorer. Il avait donc pris pour habitude de truffer ses poches d'en-cas tels que celui-ci pour palier à ses fringales. Par chance, les arènes en Enfer étaient généreuses pour qui ne faisait pas la fine bouche sur la ripaille.

En dehors de son uniforme scolaire, le Démon portait les vêtements que l'orphelinat lui avait fourni. Vieillis jusqu'à la corde, devenus trop petits depuis qu'il avait pris une poussée de croissance, et tous troués sans exceptions, ils étaient aussi tâchés et dégageaient une odeur de poisson pourri. Il ne possédait que peu de vêtements, ce qui ne l'empêchait pas d'être peu soigneux de ses affaires. En passant, un homme lui jeta une pièce en cuivre qui rebondit près de son genou. Interloqué, Jezeṃiās fixa les vacillements de la pièce sur la chaussée, puis l'homme qui s'éloignait déjà. Son sourcil se haussa, puis il attrapa la pièce et la fourra dans son caleçon, bien au chaud et là où elle ne s'échapperait pas.

Une cloche dans la ville sonna au loin. Il n'y prêta pas attention les premières secondes, puis sursauta d'un seul coup en se souvenant qu'il était attendu. Le morceau qu'il mâchait fila droit au fond de son gosier, bloquant sa trachée. Aussitôt, Jezeṃiās se mit à tousser. Il se frappa le torse avec le poing et fut pris de convulsions telles qu'un passant s'approcha, le front plissé d'inquiétude. « Mon garçon ? Ça ne va pas ? » Refoulant son dégoût à l'idée de le toucher, il posa une main sur l'épaule de Jezeṃiās. « Vous avez besoin que je - oh bon sang ! » s'écria-t-il en recevant sur le bout de ses bottes un projectile rouge et gluant après une furieuse quinte de toux. Blanc comme un linge, l'homme fut saisi d'un violent haut-le-cœur. « Ah ! Ça fait du bien ! » soupira Jezeṃiās, soulagé de ne pas être mort si bêtement. Vivement, il récupéra le bout de tripe échoué sur les chaussures et le renvoya promptement dans sa bouche. Il n'aimait pas gâcher la nourriture. Conscient de son retard, l'adolescent sauta sur ses pieds. « Bonne journée ! » lança-t-il par dessus son épaule en courant en direction du parc.

« Désolé ! » lâcha-t-il, essoufflé, en arrivant face à la fille qu'il avait deviné être sa cliente. Armé de son sourire en tranche de courge, Jezeṃiās lui tendit sa main pour serrer la sienne. « Fawëlysa En Auraushnee ? Je suis Jezeṃiās ! Mais tout le monde m'appelle Jezz. C'est comme tu préfères. Je préfère qu'on se tutoie, au fait. » Elle pouvait le vouvoyer si ça lui chantait, il ne lui en tiendrait pas rigueur. « Bon ! Y a des rats qui t'enquiquinent ? » C'était un verbe appris à Basphel, qu'il trouvait rigolo à prononcer. En Enfer, les termes étaient plus vulgaires, plus crus. « Ils sont chez toi ? On peut y aller maintenant, si tu veux. Ch'uis prêt, ch'uis chaud. Ah mais avant. Ta garantie, et la mienne. » Il fouilla à l'intérieur de son haut élimé et en extirpa un vilain bout de parchemin tâché. « T'aurais une plume pour signer ? J'ai oublié. » Il étala la feuille entre eux et la fit pivoter de façon à ce que l'Alfar puisse la lire.

Moi, Jezeṃiās, m'engage sur l'honneur à débarrasser Fawëlysa En Auraushnee des rats du lieu qu'elle occupe. En contrepartie, Fawëlysa En Auraushnee s'engage à ...

L'espace avait été laissé libre intentionnellement, afin de le remplir après négociation. « J'applique un tarif personnalisé, à la tête du client si tu préfères. Certains trouvent que c'est injuste, je pense que c'est tout l'inverse. Alors, qu'est-ce que tu pourrais me donner en échange ? »

Message I | 711 mots

*Trois…deux…un…tant pis.* L'heure avait sonné : le client était en retard, ce qui m'était strictement inacceptable. Je rangeai ma montre dans ma poche en soupirant et me levai quand soudain, un gamin qui semblait tout droit sorti des égoûts de Sceptelinôst me tendit une main terreuse. Je songeai à partir, mais décidai de lui laisser une chance. Je le toisai de haut en bas en silence. Les cheveux du dératiseur partaient dans tous les sens comme les mèches d'un balai dont on se serait trop servi. Les bouts de ses doigts étaient brillants, comme s'il venait de les lécher.

J'aurais eu moins de scrupules à serrer la patte d'un chien galeux que la main de ce lépreux. Je ne pus réprimer un mouvement de recul, bien que mon expression resta impassible. Je levai la main pour le saluer et la rangea aussitôt derrière mon dos, pour ne pas le laisser penser que je serrerais la sienne. « Ah… c'est donc toi », lui répondis-je sans cacher ma déception. Je n'appréciais guère le tutoiement, mais j'avais dû m'y habituer dans cette ville de primates où tout était permis. Je clignai des yeux, la bouche verrouillée devant la diarrhée d'informations que le gosse m'adressait. Mon instinct de survie me criait de tourner les talons et de prendre un bain d'huile de jasmin pour laver l'odeur pestilentielle qui émanait de sa bouche, voire de sa personne toute entière… mais j'étais là pour une mission.

*Combattre le feu par le feu…* J'extirpai un mouchoir parfumé de ma poche et le collai à mon nez. J'inspirai un grand coup et rassemblai mon courage. « Hum… une sorte de rat, oui, c'est bien cela. J'ai de l'argent, des livres, ou mieux, des informations qui pourraient t'intéresser... mais dis-moi : tu as un produit ? Quelque chose qui le fera partir ou, mieux, l'exterminera ? J'ai besoin d'un peu plus d'informations avant de négocier et de signer cette chose, vois-tu. » J'employai le ton le plus gentil qu'il m'était possible, mais je donnais certainement plus l'impression de m'adresser à un bébé qui avait du mal à me comprendre.

Mon père m'avait bien expliquée qu'il ne fallait jamais sous-estimer le pouvoir d'une signature. En plus, l'idée de devoir une faveur à une espèce pareille m'était désagréable. Mais enfin, il n'avait pas l'air de bien avoir les yeux en face des trous : je pourrais peut-être l'arnaquer ou le laisser espérer sa récompense un petit moment, jusqu'à ce qu'il m'oublie. *En échange, j'aimerais bien te plonger dans un bon bain,* pensai-je amèrement, mais sans laisser mon poison passer mes lèvres. J'avais quand même besoin de lui. Et au vu d'à quel point j'avais envie de m'éloigner de sa présence, je ne doutais point qu'il saurait comment repousser la vermine : c'était très certainement son domaine d'expertise par excellence.

Mots : 515

Dératiseur à bon prix
Fawëlysa & Jezeṃiās

☙ Måneskin - Bla Bla Bla

Jezz fit la moue, aussi déçu qu'elle avait l'air de l'être en découvrant son interlocuteur. Ce qu'elle proposait n'avait rien de très attrayant. Des livres, il y en avait à en vomir à Basphel, une vraie infection. Pour l'instant, ça ne lui apportait que des migraines, et en plus, ça pesait lourd dans son sac. Et l'argent ? Un peu mieux, mais il se fichait d'en avoir ou non. Son travail dans l'arène le rémunérait assez pour satisfaire ses besoins les plus basiques. Pour le reste, il improvisait. Le vol n'avait jamais été exclus.

« Un produit ? Genre un poison pour rats ? Nan, j'ai pas, désolé. Mais j'suis doué avec les bestioles. Je m'y frotte souvent en Enfer, et faut les voir les vilains ! Alors un rat, je peux gérer, même les yeux fermés je le gère. Ou plusieurs même si t'en as plusieurs. Ce sera plus rapide et efficace qu'un produit, j'te jure ! » Il s'empara du papier entre eux. « Pour clarifier, c'est pas une chose, c'est un Pacte, P majuscule. S'il y a bien un truc que je respecte dans ce monde, et les autres, c'est bien ce bout de papier. Autrement dit, si tu signes ça, ton rat est sûr de mourir. C'est magique, tu saisis ? Je peux pas me détourner de mon engagement. Y a pas d'arnaque, pas d'entourloupe. » Sur ce, il afficha un large sourire. Il espérait avoir été assez éloquent. Il savait que son haleine pouvait parfois déconcentrer ses interlocuteurs.

« Tu as raison quand tu dis que tu as besoin de plus d'informations. Moi aussi, je vais en avoir besoin. C'est quoi comme lieu où il faut opérer ? Et il est gros comment ton rat ? Il est magique ? Il t'a déjà attaqué ? Mordue ? Il a des copains ? » Avec toutes ces questions, le Démon se sentait très professionnel, presque adulte et responsable. C'était plutôt déplaisant, à la réflexion, mais il fallait bien faire un effort pour donner envie à cette Alfar de se payer ses services. Son jeune âge le desservait, mais il se savait débrouillard, il fallait savoir l'être rapidement, à l'orphelinat.

Ses coudes se posèrent sur la table. « L'argent et les livres, je m'en fous. T'as dit que t'avais des infos, c'est à quel sujet ? Ce qu'il se passe dans le monde, ça m'intéresse pas des masses. Entre toi et moi, y a pas mieux que l'Enfer. Le seul truc dommage, c'est que tout le monde est déjà corrompu là-bas. T'es déjà allée en Enfer ? Tu devrais ! Ici, c'est un peu toujours la même chose, des guerres, machin a baisé avec machine, une météorite explose un bled, la routine quoi. Alors, qu'est-ce que tu pourrais bien m'apprendre qui me soit utile, mmh ? Moi, j'suis un gars simple. Ça peut juste être des infos compromettantes sur toi. J'en ferai sans doute rien. » Il avait surtout une très mauvaise mémoire.

Message II | 519 mots