J’ajustai ma veste. J’aurais aimé pouvoir cracher sur les pontons du Lac Bleu et en critiquer l’efficacité mais, sans eux, je serais encore trempé, le visage boursoufflé à cause de ce maudit Eversha. Quant à ce qu’il s’était passé à Basphel entre les soins que j’avais reçus et mon changement de tenue, je préférais ne pas y songer. J’inspirai et passai une main dans mes cheveux, afin de me donner contenance. Si je recroisais ce chat, je n’échouerais pas à le noyer cette fois. « Faites place ! » s’exclama un jeune homme qui devait avoir mon âge. « Oh regarde ! C’est le Vicomte Anthonius Halloy ! » s’enquit une fille, les joues déjà rougies par l’émotion que le blond suscitait chez elle. Les Magiciennes étaient la pire espèce qui fût… si bavardes et vulgaires. Une honte. Lana, en comparaison, ressemblait à la perfection absolue. Je songeai un instant à ses formes si parfaitement ajustées dans ses vêtements, au point d’en occulter l’arrivée du protagoniste. Je fus obligé de le regarder lorsqu’il s’adressa directement à moi.

« Dîtes-moi, ne seriez-vous pas le fils de Lhéasse Taiji ? » Même chez les Sorciers, l’on ne me reconnaissait pas aussi facilement sans la présence de mes parents et une présentation en bonne et due forme. Il capta mon attention. « Lui-même. Et vous êtes le Vicomte Anthonius Halloy, n’est-ce pas ? » « Oh, je vois que vous êtes aussi friand de généalogie que moi ! » Je lui souris. Je n’avais fait que répéter ce que j’avais entendu plus tôt. Pour le reste, je pouvais comprendre qu’il eût mémorisé les portraits des familles importantes, autant chez les Mages Noirs que chez les Mages Blancs. Pour briller en société, c’était la base. Je n’avais malheureusement pas une aussi bonne mémoire que mon interlocuteur. Je ne savais pas non plus qu’avant d’être pris de passion pour les contes en vogue, le Vicomte n’avait eu pour seule lubie que la généalogie, au point d’accrocher les portraits des Archimages et de leur famille sur les murs de son domaine. Depuis, lesdits portraits avaient été remplacés par des tableaux liés aux contes. Il dépensait des fortunes et la popularité l’avait saisi, tant pour sa ressemblance avec le Prince Anthonius de Narfas qu’il entretenait, en plus d’être son homonyme, que pour les ajustements qu’il avait introduits dans son domaine. En jouant sur l’effet de mode, il était devenu l’un des hommes du moment.

« Que diriez-vous de venir au bal que j’organise dans ma modeste demeure ? Vous feriez un Elzibert de Tuorp parfait ! » « Elzibert ? » Je n’avais rien lu de ce qui le passionnait. Cela ne lui vint même pas à l’esprit. Il partait du principe qu’absolument tout le monde avait parcouru plusieurs fois les livres dont il était question. « Bien sûr, Taiji. C’est une soirée déguisée ! » Il était enjoué, si bien qu’il se tourna vers une autre personne. « Et vous aussi, vous devriez venir ! Vous feriez une Clémentine à tomber à la renverse ! » J’observai la fille en question. « Il a raison. » articulai-je, avec la mine d’une personne convaincue afin de mieux noyer mon ignorance.

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Léonidas est retourné à Basphel entre le tour n°2 et le tour n°3 pour faire un câlin à Juvelian.

Je jetai un coup d’œil à la fille et souris avec courtoisie. Il ne faisait aucun doute que la fameuse Clémentine n’était pas un fruit mais bien une personne, à l’image de cet Elzibert d’ailleurs. Néanmoins, il me semblait logique qu’un individu qui n’avait pas suivi la conversation dans son ensemble ne pût le deviner. En mon for intérieur, j’étais partagé entre la raison et l’envie de me moquer des Magiciens. Je choisis la première option, convaincu qu’il y aurait bien d’autres occasions. Surtout, je préférais prendre le temps d’évaluer mes interlocuteurs. Le Vicomte paraissait imperméable à toutes les moqueries qui auraient pu être dirigées contre lui. Quant à la fille, Blu, je préférais m’y prendre autrement. Je n’étais pas comme Phèdre et Iphigénie. Je privilégiais des attaques plus sous-marines, afin de ne pas être pris en défaut. Je voulais croire en ma discrétion et en mes talents mais la vérité était différente : j’observais souvent mes victimes potentielles pour ne m’en prendre qu’aux plus faibles que moi. Parfois, je me trompais mais ma prudence était réelle. Je préférais que l’on me crût inoffensif et agréable, bien que je ne cachasse pas mon peuple d’appartenance. Mes parents m’avaient appris une arme dangereuse : l’élégance. Je tentais de la manier du mieux possible. De l’élégance naissait un charme indéniable et lorsque je la maîtriserais, je pourrais obtenir tout ce que je désirais.

« Si ça peut te rassurer, je n’en sais pas plus que toi. » lui avouai-je, en songeant à cette fille que j’avais rencontrée plus tôt et qui avait fini par fuir. Il ne faisait aucun doute que je lui avais plu. Qu’elle fût une Eversha et me dégoûtât n’y changeait rien. C’était une victoire et je pensais pouvoir réitérer l’exploit sur la gent féminine. « Il est venu me parler d’un Elzibert de Tuorp que je ne connais pas, tout comme cette Clémentine qu’il croit voir en toi. Je n’ai pas voulu le contrarier. Il semble enthousiaste mais sa santé mentale est peut-être altérée. » chuchotai-je. Elle n’était pas vilaine à regarder, bien que Magicienne. Sans l’ombre d’un doute, elle devait être aussi dévergondée que ses paires. Elle ne portait pourtant pas de décolleté plongeant. C’était déjà ça. La ligne que formaient les seins lorsqu’ils étaient trop proches l’un de l’autre était inconvenante. « Suivons-le pour en savoir plus si tu le veux bien. » Nous le suivions déjà. « Ne vous inquiétez pas ! J’ai tout ce qu’il faut pour vous habiller chez moi ! » Il se retourna vers moi. « On vous trouvera une Yvonelle très cher ! Peut-être qu’elle vous plaira pour de vrai… Oh mais suis-je bête, c’est vrai que vous êtes fiancé ! Quel dommage… Muscarine Paiberym ne pourrait décemment incarner Yvonelle. Le personnage est décrit comme ayant une apparence gracile, sans vouloir offenser votre charmante future épouse. Quant à vous… » Il regarda Blu. « Disons que Clémentine n’a pas eu le temps de trouver l’élu de son cœur, autre que le Prince Placide de Lieugro à qui elle ne cessait de penser ! Mais la différence d’âge aurait fait scandale, bien entendu ! » « Bien entendu. » appuyai-je.

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