J’en avais marre d’être suivi par cette grande asperge d’Ilias avec sa canne nulle. Il n’arrêtait pas de me dire que je ne pouvais pas faire ci ou ça. C’était pas mon père ! Je baissai la tête pour mieux fixer le sol, les sourcils froncés et les lèvres boudeuses. Quand je serai grand, je le ferai décapiter ! « Il est où, Kaahl ? » « Tu devrais l’appeler papa tu sais. » Je pris une grande inspiration et soufflai comme s’il m’ennuyait. « Il est où, papa ? » « Je t’ai déjà dit que je ne savais pas. Tu ne t’en souviens pas ? » « C’est pas drôle quand il n’est pas là ! » « Il est occupé, c’est tout. » « Il devrait s’occuper de moi ! » m’exclamai-je, irrité. « Et il est où, Judas ? » La dernière fois, quand papa n’était pas là, Judas était là. Mais aujourd’hui, il n’y avait aucun des deux. Ça m’énervait ! « Ilias ? C’est toi ? » Je relevai mes prunelles sur une jeune femme aux longs cheveux blancs. La réaction de mon frère ne se fit pas attendre. La surprise marqua ses traits avant qu’un sourire finît par apparaître sur son visage. « Alicette ! Ça fait longtemps ! » « Tu m’étonnes. Je pensais même que tu étais mort. » plaisanta-t-elle. « Mais je vois que je n’étais pas loin du compte. » Ses yeux allèrent sur la canne d’Ilias. Je levai les yeux au ciel. Il aurait mieux fait de mourir plutôt que de revenir de je ne savais pas où en étant handicapé. Les handicapés méritaient d’être enculés ! Je ne pouvais juste pas le dire à haute voix parce qu’Ilias m’avait interdit de dire ce mot. Je ne comprenais pas pourquoi mais bon. « Je me suis battu contre un terrible monstre. Par chance, il est mort avant moi. » répondit-il sur le même ton. « Félicitations ! » s’amusa-t-elle. Je levai encore les yeux au ciel. « Bon les amoureux qui puent, on peut partir maintenant ? » La fille baissa les yeux vers moi. « C’est un nouveau petit frère ? Il est mignon, même s’il a l’air d’avoir un sacré caractère. » « M’en parle pas. Mon père a adopté une dizaine d’enfants avant son mariage. Ils courent partout dans le château, sans parler de l’aile dédiée à l’orphelinat qu’il a créé. » « Une vraie collection. » « Je ne suis pas une collection ! » Elle rit, ce qui m’énerva encore plus. « Mais dis-moi, Alicette, tu vas où habiller comme ça ? » « Au bal du Vicomte Anthonius Halloy ! Je suis déguisée en Eléontine ! » « Ah c’est encore ce fameux conte ? » « Oui. » Je grimaçai et m’éloignai. Ils me donnaient envie de vomir. Comme une fille me barrait la route, je m’exclamai : « Dégage de là, grosse pleine de soupe ! »

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Grosse pleine de soupe

Musique

Léopoldine pensait encore à ce drôle de garçon qui avait fait semblant de la jeter au dragon. Elle avait eu envie de lui faire un câlin lorsqu’il lui avait conté l’histoire de sa maman morte. Aramis aussi ressemblait beaucoup à leur père. Plus d’une fois, lors des repas de famille ou entre amis, ce point avait été évoqué. « Qu’est-ce qu’il a grandi ! Il te ressemble de plus en plus dis donc ! » Léopoldine ne ressemblait pas spécialement à ses parents. On ne lui avait jamais fait de remarques à ce sujet en tout cas. « Il était gentil finalement… » dit-elle, à voix haute, pour elle seule. Après tout, il lui avait fait un bisou. Si les chaussures qu’il portait ne puaient pas autant, ça aurait pu aller. À cette occasion, elle avait songé à ces sauces de poisson fermenté que les adultes faisaient parfois pour agrémenter les plats. Ça puait mais c’était plutôt bon. Cela dit, même si elles sentaient fort, elle comprenait aussi qu’il voulût garder ce souvenir de sa mère.

Après la fin de la course – qu’ils n’avaient pas gagnée – la rouquine était partie de son côté, en espérant peut-être trouver son frère ou sa grand-mère. Ils étaient repartis mais voyageaient avec de maigres moyens, ce qui rendait le parcours bien plus long. Ils étaient donc peut-être dans les parages. En tout cas, l'enfant était fière d’être la première Des Cloches à expérimenter un transport magique. Elle avait hâte de tout raconter à ses parents, même si elle se doutait qu’ils accueilleraient mal ses explications sur ses pérégrinations dans les contrées magiques. Sans l’aide de sa grand-mère, jamais elle n’aurait pu intégrer Basphel. Elle serait restée au village à aider son frère avec les cloches ou à faire un autre métier manuel. Elle aurait épousé un garçon du village et ils y seraient restés jusqu’à leur mort. Elle n’avait pas inventé cette histoire. Sa mamie lui avait raconté que c’était ce que la plupart faisait. Et elle avait raison. Sortir de cet entre-soi donnerait à l’enfant un maximum de chance dans la vie. Côtoyer d’autres artistes la propulserait sur le devant d’une scène précédemment inaccessible. Elle pourrait réaliser son rêve ou au moins s’en rapprocher.

Alors qu’elle songeait à se poser quelque part pour dessiner la foule présente sur les rives du lac, elle fut interpelée par un garçon plus jeune qu’elle. « Grosse pleine de soupe ? » demanda-t-elle, avant de rire en réfléchissant au sens de ces mots. « Je n’ai pas mangé de soupe pourtant. » ajouta-t-elle, tout en sachant que ce n’était pas réellement le sujet. Comme elle n’avait pas l’intention de rester là-dessus, elle enchaîna. « T’es tout seul ? » Parce qu’il ne semblait pas y avoir d’adulte avec lui. « Moi aussi je suis toute seule. » Mais elle était plus grande quand même. Lui était presque un bébé, songea-t-elle. « Dis voir… ça te dit que je fasse ton portrait ? » Elle lui désigna son matériel à dessin, coincé sous son bras. « On pourrait s'installer là-bas. T'aurais le lac derrière toi comme ça. Ce serait chouette. »

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Je levai les sourcils vers le haut, droit en direction des cheveux qui tombaient sur mon front. Cette fille était dééébiiilleee. Mes lèvres se réunirent d’un côté de ma bouche et je croisai les bras sur mon torse en la regardant comme l’asticot écervelé qu’elle était. Même si je ne savais pas moi-même ce que « grosse pleine de soupe » voulait dire exactement, je savais que c’était à peu de chose près comme « enculé ». Le dire était une insulte vis-à-vis de l’autre et ça me suffisait. Je savais, contrairement à cette idiote, que ça n’avait rien à voir avec la soupe. Et j’étais plus jeune qu’elle, ce qui prouvait bien ma supériorité. « Je ne suis pas tout seul. » lui révélai-je. « Mais mon esclave est occupé. » Ilias n’avait pas encore compris mais il m’appartenait. Pour l’instant, je ne disais trop rien vis-à-vis de ses comportements stupides mais ça ne saurait tarder. « Mon portrait ? » demandai-je, soudainement bien plus avenant. « Tu dessines ? » Si elle dessinait, c’était une aubaine. Je regardai son matériel puis mes yeux allèrent jusqu’au lac. « Bon… d’accord. Mais après tu me le donneras. Je le veux pour moi. » Comme Ilias et comme tout ce que ce monde comportait. « Allez viens ! » lui dis-je, en lui prenant la main pour l’entrainer vers la zone précédemment indiquée. « Presse-toi un peu ! J’ai pas toute la journée non plus ! » J’étais certain qu’Ilias allait revenir pour casser l’ambiance si on s’attardait. Néanmoins, avec de la chance, la fille lui ferait encore les yeux doux et il resterait accroché à ses lèvres comme un poisson à une canne à pêche durant plusieurs heures.

« Je me mets comment ? » la questionnai-je, tout en bombant le torse. « Franchement, je préférerais avoir des trésors à mes pieds… et d’autres gens. » Je regardai à droite et à gauche. « Attends. » Je trottinai en direction de plusieurs sacs, posés plus loin. Les propriétaires, qui se baignaient dans le lac, étaient bien sûr loin de se douter qu’un Déchu subtiliserait bientôt leurs biens. J’en trainai un gros derrière moi et le plaçai à mes pieds. « C’est pour le modèle. Mais faut que tu fasses des objets mieux que ça hein… » Il n’y avait aucune gloire à avoir un sac de plage en tissu aux pieds. « Des pièces d'or, comme dans les aventures d’Eméliane au pays des dragons ! Tu connais ? » Je la regardai, prêt à lui conter l’histoire si elle ignorait ce dont il s’agissait. Je repris la pose.

426 mots

Grosse pleine de soupe

Musique

« Si tu veux. » Léopoldine sourit au garçon. Il était petit mais il avait une imagination débordante. Un esclave ? La petite Humaine trouvait ça très drôle. On ne lui avait pas encore raconté l’Histoire de son propre peuple et elle ignorait bien des choses qui auraient rendu les propos de Jude difficilement supportables en d’autres circonstances. Pour l’heure, elle le suivit donc, contente que quelqu’un voulût de ses dessins. Il n’avait pas encore vu le résultat mais elle se dit que si elle s'appliquait vraiment, il ne regretterait pas d’avoir accepté. Qui sait ? Peut-être qu’à l’avenir il serait un potentiel client ? Sa grand-mère lui avait dit que les artistes renommés se faisaient payer mais que dans les débuts, il valait mieux opter pour la gratuité, le temps de s’exercer et de se faire connaître. Léopoldine avait acquiescé. Après tout, les apprentis qui façonnaient les cloches n’étaient payés qu’une misère ; lorsqu’ils étaient payés autrement qu’en pain et en eau. Ils apprenaient, comme elle. Son premier client avait néanmoins un caractère particulier. Elle se mit à espérer que les autres ne seraient pas comme lui.

« Comme tu veux ! Il faut juste que tu te sentes à l’aise. » Elle commença à sortir son matériel à dessin et releva les yeux lorsque son modèle fila soudainement. Quand il revint, elle ne prit pas la mesure du vol. Il était petit mais elle n’était pas bien grande et d’autres considérations plus importantes retenaient son attention.  « C’est vrai que ça peut être utile ! » finit-elle par admettre en regardant le sac de plage. Il avait une forme de jarre ou de petit tonneau. « Eméliane au pays des dragons ? Non. C’est quoi ? » Ce titre lui donnait des idées en tout cas. Léopoldine se concentra et, comme à chaque fois qu’elle était concentrée, sa langue sortit de sa bouche pour remonter sur sa lèvre supérieure. Le dessin dura longtemps. Parfois, elle tenta de rassurer son modèle, en lui disant qu’elle avait bientôt fini mais ce ne fut vrai que la dernière fois qu'elle le dit.

Après une éternité, elle s’approcha de lui et lui tendit la feuille. « Tadaaaa ! » Elle avait signé son œuvre, bien sûr. « Je t’ai fait une capuche en forme de dragon ! Et ce ne sont pas tes vêtements mais j’ai vu ce genre de vêtements dans les temps libres à Basphel et une fille m’a dit qu’ils venaient d’une soirée pyjama. Je me suis dit que ça t’irait bien ! Et regarde, là il y a des pièces d’or qui brillent ! » Excitée, elle se mit à détailler encore plus le dessin, exposant les idées qu’elle avait eu en le traçant et celles qu’elle avait potentiellement pour de futures œuvres. « C’est pas un portrait finalement hein, t'as compris, mais je suis contente de t’avoir représenté comme ça ! »

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TADAAAAAA