Lorsque je repensais aux plaies béantes maculant le ventre d’Irène, je me laissais toujours aller à d’étranges travers. La vie de la mère avait quitté son corps en même temps que celle de l’enfant qu’elle portait. Je trouvais la symbolique à la fois belle et dérangeante. Souvent, je tentais de me convaincre que le fœtus n’avait pas été créé du fait d’Ezidor, que la catin blonde avait écarté les cuisses pour un autre que lui et que cet autre était à l’origine de cette vie qui était retournée à la poussière par mes soins. Souvent aussi, je ressentais de la frustration à l’idée de ne pas l’avoir violée pour tenter d’effacer toutes les marques qu’avait pu laisser mon maître sur sa peau et à l’intérieur d’elle. Je n’avais jamais ressenti de jalousie vis-à-vis de ses victimes mais il ne m’avait jamais annoncé vouloir se marier à l’une d’elles non plus. Quand mes étranges travers me prenaient, je refaisais la scène dans ma tête. J’en changeais le déroulement jusqu’à sa mort, jusqu’à la jouissance. Je n’avais pas pu parce que je ne voulais pas qu’Ezidor connût un jour l’identité de l’assassin que j’étais. J’avais entendu dans sa voix l’attachement étrange qu’il portait déjà à ce qui n’était pas encore né. Ça m’avait rendu fou. Il ne pouvait me préférer personne d’autre, que cette personne fût la chair de sa chair ou non. Je savais qu’il ressentait la même chose. Il devait le ressentir, sinon je l’y forcerais. Une pensée pour Adénaïs s’invita dans mon esprit. Finirait-elle comme Irène, baignant dans son sang, après avoir subi les assauts de la lame du médecin ? Je dus me battre contre deux envies opposées. Une partie de moi appelait de tout cœur cette apothéose finale. S’il la tuait, Ezidore ne ferait qu’illustrer ses sentiments à mon égard. Une autre partie de moi était horrifiée par cette hypothèse. Si je ne l’avais pas revue depuis mon retour, c’était pour une bonne raison. J'étais ambivalent.

Mes pas résonnaient dans la cour comme résonne le poids du devoir. Droit, j’étais à des lieues de mes problèmes personnels. Je ne pensais qu’à Zébella et à la mise en place des projets qui étaient les siens. La voix qui trancha l’air jusqu’à moi me déstabilisa dans mon élan. Mon regard s’attacha sur la silhouette d’Adénaïs. Au début, je ne sus comment traiter l’information et où lui faire une place dans mon rôle actuel. Je finis néanmoins par m’adapter. Il me suffisait de faire comme avant, en oubliant la vision de son corps taché du sang de la vengeance d’Ezidor. « Adénaïs... » murmurai-je, en resserrant mes doigts autour des siens. « Bien sûr, la réunion à laquelle je dois assister n'est que dans une heure. » Je regardai autour de nous. « Préfères-tu que nous nous entretenions dans ta voiture ou que nous faisions une promenade ? À moins que tu ne veuilles visiter mes appartements ? Ce serait peut-être plus approprié. » Mon pouce caressa la peau de sa main. « Je suis désolé de ne pas avoir demandé à te voir jusqu’ici. »

502 mots

« Il me semble en effet que la sœur est plus digne de régner et inspirée que le frère. » dis-je, convaincu par ce que j’avançais. Ce ne serait pourtant pas facile. Elle était jeune et certains lui tournaient déjà autour comme des vautours au-dessus d’un animal blessé. Au moindre signe de faiblesse, ils se jetteraient sur elle. « Je ferai de mon mieux pour la soutenir quoi qu’il advienne. » lui assurai-je. Je préférais ne pas approfondir le sujet, ne sachant pas ce qu’Adénaïs savait ou ne savait pas sur la Princesse d’Uobmab et Reine du Royaume de feu Lieugro.

Je me tournai lorsque la blonde délia nos deux corps. Je fermai la porte et fis tourner la clef dans la serrure. Bien que je fusse certain que personne n’oserait rentrer sans frapper, je préférais être prudent. Je lui souris à mon tour et la laissai approcher. La caresse m’apaisa. « Je n’en suis pas certain. » Parce que lorsqu’ils étaient longs, je me perdais plus facilement dans mes travers. Je voulais essayer de bien faire cette fois. Si le meurtre d’Irène et de son fœtus était écarté, je n’avais pas encore failli à ma résolution. Ezidor était spécial et ce qui tournait autour de lui ne pouvait être compté. De plus, tout était de la faute du médecin. « Je suis heureux d’être rentré. » lui répondis-je, en plaçant mes mains dans son dos. Pour retrouver Lieugro. Pour retrouver le docteur. Pour la revoir elle. Mes sœurs et mon neveu n’étaient pourtant plus ici et la propriété qui était la nôtre était à présent vide. Je fermai les yeux et humai son odeur. Elle me semblait si familière. Parfois, j’avais senti celle d’autres hommes sur elle mais je ne lui en avais jamais tenu rigueur. Aujourd’hui, il me semblait que son parfum était immaculé de toute contamination extérieure. C’était plaisant. Ma bulle éclata néanmoins lorsqu’elle me posa des questions sur Narfas. Je m’arrachai à elle et fis quelques pas dans mes appartements, jusqu’à une table ronde sur laquelle je posai le bout de mes doigts. « Malgré ce qui avait été convenu, nous avons été très mal accueillis. Le Roi devait nous fournir un refuge mais semblait l’avoir totalement oublié une fois notre arrivée actée. Nous avons été insultés par les têtes dirigeantes. Ces dernières ont essayé de nous vendre un pseudo accord qui condamnait une partie des femmes de Lieugro à servir de ventre pour les besoins de Narfas en échange de leur aide. Je ne pouvais pas me plier à un tel contrat, voilà tout. » Je passai sous silence l’enlèvement du fils de Garance et le début du voyage. Je décalai une chaise de façon à ce qu’elle sortît de l’emprise de la table et m’assis dessus. « J’ai rencontré Zébella en chemin et nous avons discuté. J’ai décidé de la suivre. » Mon regard fixait un point de la pièce, une expression décidée sur le visage. Je relevai ensuite la tête vers elle. « Je sais que ça n’a pas été facile pour toi ici. Je comprendrais que tu m’en veuilles d’être parti. » Je tendis la main vers elle pour l’inciter à approcher. « Tu m’as manqué aussi. »

537 mots