Point de vue : Ljund

- Ils étaient bicharres. statuai-je. J’avais du mal à articuler, avec mon auriculaire fourré au fond du gosier pour déloger un résidu de viande coincé entre deux dents.

Après le départ des deux curieux hérétiques, j’avais jeté un coup d’œil interloqué à Nini. Elle m’avait répondu par une grimace, le nez retroussé, qui montrait à quel point elle était d’accord avec moi. J’avais haussé les épaules et nous nous étions éloignés du hall d’entrée pour nous enfoncer dans la luxueuse bâtisse et poursuivre notre exploration.

J’ôtai mon doigt de ma bouche.

- Je me demande si Fifi va bien. C’était vraiment un sale type.

Je ne regrettais absolument pas de lui avoir envoyé mon poing dans la figure, ça me paraissait amplement mérité et j’espérais qu’il en garderait un hématome. Certaines personnes portaient sur eux d’être d’indécrottables connards, je me disais que ça ne faisait pas de mal de les brusquer un peu, qu’ils le méritent ou non. Ce n’est pas comme si quiconque allait mourir d’un simple coup de poing.

- Tu ne la connais même pas. T’avais pas à te mêler de ça. renchérit ma sœur, trop prudente. La situation aurait pu dégénérer plus encore si j’avais mal jaugé la force de l’autre enflure. Mais ce n’était pas comme si on risquait de les revoir un jour. Et puis, elle avait dit que j’étais cool.

- Peuh, je lui ai pas cassé la gueule pour elle, ça va pas ou quoi ? J’aimais juste pas comment il me matait. Sa tête me revenait pas. Péteux.

J’approchai ensuite un nez curieux d’un vase dont la matière m’était inconnue. La surface en était parfaitement lisse et des motifs bleutés représentant des fleurs le décoraient. Il n’y avait rien à l’intérieur.

- Encore un truc inutile. estimai-je en le poussant de l’index avec dédain. Le vase vacilla sur son appui sous mon œil blasé et une voix claqua soudain dans notre dos.

- Excusez-moi, qu’est-ce que vous faites ici ?

Je fis immédiatement volte-face, prêt à en découdre avec un nouvel hérétique qui voudrait me pourrir la journée. Ni’Obë sursauta aussi à côté de moi.

- Vous êtes ici pour la colocation ?

- Colocaquoi ? rétorquai-je grossièrement en croisant mes bras.

L’homme présentait un aspect impeccable. Son habit, entièrement blanc et noir, me paraissait étriqué. Impossible de se battre avec ça sur le cul.

- La colocation. Vous aviez passé les entretiens, non ? Quel est votre nom ?

- Ça vous r’garde pas. fis-je sans faire le moindre effort pour parler convenablement leur langue qui manquait de subtilité. J’en avais ma claque de ces coincés qui me prenaient de haut. Et je ne comprenais pas ce qu’il me chantait.

- Ljund, à quoi tu joues ? siffla Nini. Selon elle, la première avait aussi été la dernière fois que je collais mon poing dans la figure de quelqu’un ici. Moi, je me disais que mes phalanges n’avaient pas exprimé tout leur potentiel. Barrons-nous. Les gens sont tous bizarres ici, ça sert à rien.

Ses doigts diaphanes pianotaient dans le vide. L’envie de me tirer par le bras la démangeait, mais elle ne pouvait rien y faire.

- Ouais. Il est louche ce lieu de toute façon. Il fait pas naturel.

- Tsss. le yeux de Ni’Obë roulèrent dans leur orbites jusqu’à atteindre les hauteurs vertigineuses du plafond.

- On s’en va. ajoutai-je à l’adresse de Coincé numéro deux.

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