Zachary poussa les portes de la bibliothèque de Basphel. Ses bagues firent résonner un claquement de métal dans le couloir en percutant les poignées. Ses devoirs sous le bras, le Lyrienn affichait un air fier, le menton relevé, et sautillait dans une direction aléatoire. L'intello des Craies qu'il payait avait pour habitude de cacher les feuilles sous une étagère du rayon des affaires légales –Zachary appréciait l'ironie. Le tricheur était resté dans la pièce poussiéreuse le nombre de minutes approprié, histoire de faire croire au groupe qui l'épiait que c'était un bosseur. Il les avait facilement repérés du coin de l'œil. Les étudiants feignaient étudier un livre, mais ce dernier connaissait trop bien cette tromperie pour ne pas la repérer chez les autres.

Aussitôt qu'il s'engouffra dans le couloir de Basphel, l'élève entendit le groupe d'élèves se précipiter derrière lui. Il s'agissait de cadets qui portaient le symbole de l'Etain sur leur manche : le blond les dépassait de deux têtes, ayant récemment achevé sa puberté. L'élève d'Obsidienne venait d'arriver dans l'école, mais il avait déjà posé ses marques. Il avait son petit clan pour faire les beaux dans les couloirs, son sous-fifre pour ne pas travailler trop dur et identifié les organisateurs de fêtes qui n'empestaient pas l'ennui. Apparemment, les bobards qu'il racontait ici et là avaient déjà produit leurs fruits. Les cadets trottinèrent pour atteindre son niveau et l'assaillirent aussitôt de questions. Ce dernier se délecta de l'attention qui l'auréolait et laissa un suspense s'installer avant de leur répondre, en continuant de marcher à la même allure. Les enfants le suivaient, pendus à ses lèvres.

–Excuse-moi ! C'est vrai que tes parents ont un dragon ?
–Attends ! Moi, j'ai entendu qu'ils en avaient deux ! C'est pas vrai ? Et puis son cousin a gagné la Coupe des Nations !
–Ah oui ! Mais c'est vrai que t'as déjà monté un dragon ?
–...alors, hum... ce que vous avez entendu est vrai, répondit-il enfin. Une partie, en tous cas. Emmenez-moi dans le lieu le plus intriguant de l'école et je vous raconterai tout...

Il leur adressa un regard de défi. Quand l'élève d'Obsidienne sentait qu'il avait la mainmise sur une conversation, il ne ratait jamais l'occasion d'en tirer quelque chose –même si la dose d'attention avait déjà suffi à repaître son ego assoiffé.


Le soir venu, Zachary se rendit à son dortoir. Comme ses devoirs étaient déjà faits, il avait eu tout le temps d'arpenter l'école pour en découvrir les coins qui pourraient lui être utiles. Il avait retenu quelques détours de couloirs où il pourrait donner des rendez-vous en toute discrétion. L'adolescent s'imaginait déjà y emmener la plus belle fille de sa classe et l'embrasser dans l'ombre. Il avait colporté de nombreuses rumeurs sur les Lyriennes de l'Electricité, s'affichant comme fin connaisseur de la "cuisine locale". Il n'en était rien, même s'il avait déjà tenté quelques contacts avec la gente féminine. Sur l'île d'Ildirim, ce n'était pas un sujet tabou.

–Tiens, te revoilà, l'accueillit son colocataire, sans enthousiasme. C'était un Sorcier, et pour cette seule raison, Zachary s'en méfiait.
–Exact, c'est moi ! Pour ton plus grand malheur, ironisa-t-il. Quand il était mal à l'aise, Zachary lançait des traits d'humour comme appâts pour désamorcer la situation.
–Non, au contraire, tu tombes bien.
–Ah. Hum, tu m'excuseras, j'ai pas le temps de bavarder...
–Je crois que si. Cette fois, Zachary s'immobilisa et plissa les yeux, inquiet. Il n'aimait pas que l'on emploie un ton autoritaire avec lui. J'ai cru comprendre que tu allais une soirée sympathique ce soir ? Invite-moi.
–Il va falloir me demander plus gentiment...
–Pardon. Invite-moi, ou je dirai à tes parents que tu triches pour tes devoirs. Tu penses qu'ils continueront à te donner de l'argent de poche, quand il le sauront ? Le Lyrienn tenta de paraître imperturbable, mais il avait commencé à taper du pied de façon incontrôlable.
–Hum... ça se discute. Tu voudrais que je dévoiles ton nom de famille aux autres élèves ? Je parle de ton vrai nom, bien sûr.

Le blond n'avait pas pour projet de batailler avec son propre colocataire. Ce dernier abhorrait les conflits : cela représentait une perte d'énergie évitable et inutile. Cela ne l'avait pas empêché d'assurer ses arrières en fouillant dans les affaires de son colocataire le jour de son arrivée, quand le Sorcier n'était pas encore au courant qu'il allait partager sa chambre. Zachary y avait trouvé assez d'éléments à utiliser en cas de besoin. C'était l'un des meilleurs réflexes que son père lui avait appris... à ses propres dépens. En voyant le regard noir que lui jeta le colocataire, il fit mine de lui laisser une petite victoire.

–Allez, je t'invite à celle-là. De toute façon, j'hésitais déjà à t'amener ! Tu as l'air d'être un véritable bout-en-train. Je sens qu'on va bien s'entendre !
–Oh, t'as pas idée.

Zachary se retourna aussitôt pour cacher sa contrariété. Il se mordit la lèvre et affligea le mur d'un regard sombre. Le capricieux détestait concevoir le moindre compromis. Le blond était habitué à ce que les choses aillent dans son sens, sans contestation. Mais c'était bien pour ça que ses parents l'avaient amenés dans cette école nulle, il le savait. Sa dernière tentative de défiance n'avait pas plu. En fouillant dans la chambre de sa mère, il avait trouvé une lettre à moitié terminée où elle se plaignait de ses états d'âme auprès de son père. Elle lui demandait l'autorisation de payer Basphel pour refourguer son éducation aux Professeurs qui auraient la malchance de trouver son rejeton dans leur classe.

Zachary n'avait pas osé confronter son père à ce sujet, mais il le connaissait assez pour imaginer sa réaction : un souffle de déception suivi d'un haussement d'épaules. Le Lyrienn d'Electricité avait délaissé son éducation, comme celle de ses deux frères : sa seule famille était ses clients, et son véritable bébé était sa banque. Ses propres fils ne savaient même pas où il travaillait, puisque l'emplacement de son coffre-fort était secret. Quoiqu'il en soit, le cadet Etheirys était déterminé à tirer un maximum d'avantages de la situation malheureuse, persuadé de ne passer que quelques mois à Basphel, le temps que sa lunatique de mère se calme. Il ignorait encore tout des obstacles qu'il allait affronter dans un lieu où il n'était pas tout permis.