Objectif : Wao [
compagnon Orine de Min] rencontre son premier Aisuru potentiel à Drosera, Eöl Lièn.
Tout est prêt. Et pourtant, la confiance de Wao s'est évaporée. L'Orine s'est levée à l'aube et a passé la matinée à se préparer à sa rencontre décisive. Certaines disent qu'une relation est déterminée par la première impression, pour la plus grande partie. Il lui est donc capital de revêtir sa meilleure apparence et ses meilleures manières. Comme un soldat s'arme pour le combat, il se pare de ses armes de séduction. Aidé par les Orines à l'ambassade du Troisième Plateau de Drosera, Wao n'a pas le moindre pli sur son yukata, ni la moindre irrégularité sur sa peau. On lui a assigné la couleur violette ; ses bijoux, tissus et maquillage ont été soigneusement choisis pour mettre en avant ce coloris. Wao a entamé sa journée par une séance de méditation, mais depuis, l'anxiété a repris ses droits dans son esprit. L'Orine, Maîtresse dans l'art de la dissimulation de ses émotions, n'en montre rien. Les Orines senior qui l'assistent lui disent être admiratives de son calme. Mais sous son masque, il est aussi tremblant qu'une fleur à l'épreuve de la tempête.
«
Wao Ming ? Il vous attend, Vous pouvez le retrouver sous le porche sur la gauche du jardin. » Lui, Eöl Lien. Son Aisuru
potentiel. Potentiel... si peu de certitudes dans ce mot, et tant de promesses. Sa mentor pose une main sur son front afin de puiser une partie de son anxiété. «
Le plus important, c'est d'être vous-même. Ne l'oubliez pas. » N'est-ce pas hypocrite ? Mh. Le jeune homme inspire un grand coup et avance vers le pas de la porte. Son pied s'enfonce dans l'herbe humide du jardin. Très souvent, les rencontres formelles avec des Aisuru potentiels se font au sein de l'ambassade Orine de la ville. C'est une façon de ne pas trop arracher les candidates à leur zone de confort. Pour Wao, c'est salutaire : arrivé par téléportation, il n'a pas encore mis le pied à Drosera et découvrira la ville avec l'Alfar. Il se conforte dans cette idée de vivre une première fois avec lui. Quoiqu'il advienne, il aura quelque chose d'unique à tirer de cette rencontre. L'anxiété laisse place à l'excitation de l'inconnu. Les quelques lettres échangées avec son prétendant l'ont rempli d'espoir. Son cœur brûle de tout découvrir sur lui et sa culture.
Ses getas résonnent sur le chemin de pierre alors que l'Orine s'approche du bout de la ligne. Il ne porte que peu d'attention à la beauté du jardin. Soudain, au détour d'un érable et de ses feuilles écarlates, une grande silhouette parée de bleu et d'une longue chevelure blanche se détache de la végétation. Son cœur accélère à mesure qu'il s'en approche. Il bondit quand l'Alfar se retourne et remarque sa présence. Wao le détaille du regard : sa posture est droite et élégante. Ses cheveux blancs encadrent un visage sévère, adouci par son regard où se loge une tendresse certaine, mais bien cachée. «
Wao Ming. » Il se lève et s'incline à la façon des Orines. Il n'en faut pas plus pour que son cœur chavire. Eöl excède toutes ses attentes. Son aura est magnétique et sa prestance intimidante. Wao est sous le charme. «
...Sire Eöl Lièn », formule-t-il difficilement en s'approchant de lui. Il s'incline à son tour et pose un genou au sol, en lui signifiant son intention de dévotion. «
Enfin, nous nous rencontrons. » La voix de l'Alfar est gracile. Son ton ne laisse pas paraître son émotion, mais ses prunelles anthracites la trahissent. Wao pensait connaître tant de choses sur Eöl en se basant sur leurs correspondances... en le voyant maintenant, il réalise l'abîme d'inconnu qui les sépare. Il a tant à apprendre.
«
J'en suis fort honoré... Eöl. » Son nom sonne si bien dans sa bouche. *
Eöl.* Il résonne dans son esprit comme une douce mélodie. «
Je dois dire que votre charme surpasse mes plus folles attentes », laisse-t-il échapper. Audacieux. Mais Wao ne peut pas s'en empêcher. Eöl est le premier Aisuru potentiel qu'il rencontre et son cœur a fondu. Pour les Maîtres, ces rencontres ne sont qu'une parenthèse pleine de promesses. Mais pour les Orines, c'est le résultat d'une longue préparation. Pour arriver là où il est aujourd'hui, Wao a compté des dizaines d'heures de cours sur la culture Alfar et pour perfectionner la performance dont il lui fera cadeau plus tard dans la journée. Il a voyagé à Maëlith en bateau juste pour rencontrer des expertes dont les connaissances surpassent les meilleurs talents d'Onikareni. *
Être moi-même... je comprends maintenant pourquoi. Après tout, nous n'avons point menti dans nos correspondances.* Wao avance en terre inconnue : sa confiance en lui est sa meilleure arme. Eöl sourit devant son compliment, mais il semble nullement touché. S'est-il trop avancé ? «
L'imagination est un outil dangereux. Marchons un moment », se contente de répondre l'Alfar. Wao repousse ses inquiétudes dans un coin de son esprit. Il ne doit pas craquer maintenant. Le moment est trop important pour se laisser emporter. Son bras s'enroule dans celui de son interlocuteur et le duo s'engage sur un chemin discrètement taillé entre les arbres.
«
L'est-il ? Un ami à moi ne jure que par l'imagination. Il nous confie parfois que sans elle, sa vie n'aurait aucune saveur », finit par répondre Wao. Son regard se perd dans la danse des fleurs au rythme du vent. A l'abri des regards et de l'agitation de la ville, le jardin de l'ambassade offre un cocon qui détend Wao. «
Votre ami ne doit pas faire grand chose de sa vie », laisse soudain échapper Eöl. Le choc des cultures vient de le frapper en pleine face. Si Wao n'avait pas autant appris sur le peuple Alfar, il aurait été choqué de cette réponse. Il aurait certainement rougi, puis dissimulé sa gêne en changeant de sujet, blessé. Mais Wao s'est préparé. Il s'arrête soudain de marcher et plante son regard dans celui d'Eöl. «
Bien au contraire. L'imagination est ce qui lui donne des ailes. » Wao grossit un peu le trait : Min n'est pas le plus brillant des adolescents de Takao, c'est un fait. Son surplus d'imagination est parfois comme une ancre qui l'empêche de prendre son envol. Et pourtant... elle lui confère aussi une créativité qui surpasse la sienne et celle de Chuan. «
Avoir les pieds sur terre et libérer son imagination ne sont pas deux choses incompatibles. En tant qu'artiste, c'est un équilibre que vous maintenez certainement dans votre quotidien ? »
Il en sait certainement quelque chose. Eöl a commencé l'aquarelle grâce à Wao et ses compétences sont déjà impressionnantes. Il a appris des techniques que même Wao ne connaît pas. C'est l'une des choses qu'il admire chez son Aisuru potentiel : quand il se lance dans quelque chose, il y met toute son énergie. En repensant à ses peintures, l'Orine sourit. Devrait-il lui cacher que certaines se trouvent dans sa poche, toujours à portée de main ? Oui, c'est peut-être un peu tôt. «
C'est vrai », admet l'Alfar. «
Rien ne sert de rêver sa vie. C'est à cela que je faisais allusion », corrige-t-il. Alors que Wao s'attendait à ce qu'il se renferme, son honnêteté semble l'avoir détendu. «
A la fin, tout ce qui restera de notre passage dans ce monde, c'est notre héritage. Et il se construit par des actions, des faits concrets. » Son regard se perd ailleurs. «
Pour ma part, j'ai créé ma propre galerie d'art. J'ai peint des portraits qui resteront dans des demeures pendant des siècles, voire plus. Je crée, je construis. C'est ainsi que je m'épanouis. Si je ne faisais que rêver, tout s'envolerait avec moi. » Le cœur de Wao se serre. L'Alfar n'est que cinquantenaire, et pourtant, ses paroles lui donnent des airs de vieux sage. «
Vous sentez-vous si proche de la mort ? » Plaisante l'Orine, en espérant alléger la conversation. Les yeux d'Eöl se replongent dans les siens.
«
J'y pense parfois, oui. Je m'y sens à la fois aussi proche qu'un nourrisson et un vieillard à la fois. C'est un va et vient. » Tentative ratée. Wao est à deux doigts de faire de son premier rendez-vous une séance de thérapie... l'humour n'est certainement pas son point fort. Ni celui de l'Alfar, apparemment. «
En ce moment, j'y pense énormément. Depuis que mon oncle s'en est allé... le deuil a ce genre d'effets sur quelqu'un. » Son interlocuteur sourit et une question muette surgit dans son regard. Il ouvre la bouche et hésite, mais se retient et se replonge dans la contemplation du jardin zen, alors que le duo s'approche d'un ponton rouge. Wao répond par un simple regard. Il est décontenancé, même si l'Alfar a déjà parlé de ce décès dans leurs échanges épistolaires. Est-ce une bonne chose qu'il s'ouvre autant ? Ou a-t-il piétiné l'ambiance ? Ce dernier s'immobilise au milieu du ponton et s'accoude à la structure en bois. «
Construire un héritage... » répète l'Orine. Cette notion est si éloignée de sa culture, précisément car l'héritage des Orines est indissociable de celui de leur Maître. «
Ce n'est pas à cela que je dédie mon existence », murmure-t-il, perdu dans ses réflexions. «
Je me vois plus comme... cette fleur de lotus. » Il désigne du menton une fleur à moitié fermée, dont la couleur blanche apparaît faiblement derrière son enveloppe verte.
«
Mon rythme s'accorde à celui de la nature. Tranquille et inoffensif. En paix avec ce qui m'entoure. Quand cette fleur fânera, elle s'enfoncera sous l'eau et disparaîtra. Mais moi, je me souviendrai de sa beauté quand je l'aurai vue s'épanouir. Et ce souvenir me suffira. » Une existence simple et tranquille. Qui s'intègre dans l'ordre des choses... Wao se perd dans la contemplation du jardin et Eöl laisse un silence s'installer entre eux. Un silence apaisé. Comme s'il n'y avait plus rien à dire, car leurs esprits communiquaient déjà. Il ne sait plus quoi faire. Il a passé des heures à apprendre toutes les règles de la préparation, mais aucun manuel ne l'a préparé à l'après.
Wao finit par frissonner, la fraîcheur du vent l'envahissant alors qu'il s'est immobilisé. Et soudain, une chaleur l'envahit : Eöl s'est rapproché de lui, en collant son bras contre le sien. L'Orine lève les yeux vers lui, troublé par ce contact physique. Son cœur s'est réchauffé en même temps que sa peau. Sa complicité avec l'Alfar semble aller de soi, comme si elle était l'aboutissement de quelque chose qui remonte à très loin. Ce rapprochement est une main tendue. Comment est-il possible qu'il se lie aussi vite à un inconnu ? Cela ne lui ressemble pas. «
Et si vous m'emmeniez dans le petit salon qui nous est réservé ? J'ai toujours rêvé d'assister à une cérémonie du thé. Et puis... vous me l'aviez promise. » D'autres promesses percent à travers le regard d'Eöl. Déjà, celle de vouloir passer plus de temps avec lui. L'Orine hoche la tête, l'estomac noué par l'émotion. *
Ce que vous voulez*, répondit-il mentalement.
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