Objectif : Chuan fait un entraînement de taï-chi et rencontre Isaris.
Je chassai mes pensées parasites en inspirant un bon coup. L'air frais du matin emplit mes poumons et me fit frémir. J'étais à bout de souffle ; j'avais couru de la maison de ma tante jusqu'au sommet de la colline. Les Orines ne transpiraient pas beaucoup, et pourtant, quelques gouttes de sueur avaient perlé sur mon front. Ma colère avait donné une impulsion naturelle à mes jambes. Je tentais de l'évacuer à chaque souffle, mais l'impulsion revenait sans cesse avec la même rengaine. Même Pouic avait atteint les limites de son endurance ; je l'avais pris dans mes bras et terminé ma course un peu plus lentement, jusqu'à arriver au sommet. Et puis, il n'y avait plus nulle part où courir. Je m'étais allongée dans l'herbe avec mon ami de toujours et l'avais regardé s'endormir dans le creux de mon ventre, ponctuant ses respirations de bisous apposés sur sa patte. Plus que la course, c'était lui qui était parvenu à me calmer, sans même qu'il ne s'en rende compte. Sa vie à lui était si simple. Il n'avait pas une mère qui l'affichait devant tout le monde, ni des chiennes hypocrites qui lui cassaient du sucre dans le dos.
Un goût d'amertume revint à la charge et pourrit mon humeur. *
Concentre-toi. Allez. Inspire. Expire. Encore.* Je m'étais hissée sur une pierre qui divisait un ruisseau en deux et m'étais posée en équilibre sur un pied, les bras croisés en cintre. Devant moi, la plaine s'étendait dans une marinière de vert et de bleu. Puisque la course n'avait pas suffi, j'avais décidé de méditer en faisant du taï-chi. L'île de Su me fascinait : l'eau était omniprésente, des grottes jusqu'aux maisons. Les villes n'obéissaient à aucune structure logique. Elles s'étendaient sur de très longues distances, fluides comme le courant. Je pouvais apercevoir leurs toits bleus, qui contrastaient à peine avec le paysage, ici et là. Même vu de si haut, je n'arrivais pas à trouver le connecteur logique de ces constructions. A Onikareni, il était essentiel de se fondre dans le paysage, et je pensais que nous étions les Maîtresses incontestées de cet art. Il était évident que je me trompais. Je bougeai mes bras lentement et employai la position de la grue. La sensation de mes muscles me détourna de mes sombres pensées, mais l'effet fut trop fugace.
« J'ai vu le dernier origami de sa mère, et il se dépliait au moindre mouvement. Quel dommage de perdre son Art ainsi, et ça pour prendre des tâches subalternes à la place... il paraît même qu'elle couche avec son Aisuru. » Les commérages effroyables de ces pimbêches résonnèrent dans mon esprit. Je les avais confrontées, mais ça n'avait pas suffi à éteindre mon feu intérieur. Le goût amer de l'injustice restait dans ma bouche, et ce malgré le sport, la discussion, le chien et la méditation. *
Il faudrait que je perde la mémoire. Je ne vois que ça.* Un soupir à la hauteur de mon mal-être s'échappa de mes lèvres. Il fut tellement puissant que je me courbai sous l'impulsion de mon souffle et perdis l'équilibre. *
Oh non.* Mon regard se porta sur l'eau alors que mon corps se tordait. Je visualisai ma chute et tentai de l'arrêter en tendant les mains. Mon geste était futile. La gravité m'attirait, imperturbable.
Splash ! Je plongeai les mains la première. L'eau n'était pas très profonde ; mes mains s'enfoncèrent dans la vase et mon visage s'arrêta à quelques centimètres de l'eau glacée. Les pointes de mes cheveux trempaient dans l'eau, et je sentis une morsure glaçante me prendre le bas du corps. Des gouttelettes atterrirent sur Pouic, qui fut dérangé dans son sommeil. Ce dernier s'ébroua, leva les oreilles, l'air alerte, et décida de s'en aller lâchement. «
Merci de ton soutien, hein ! » Maugréai-je à son attention. Je me relevai difficilement, honteuse d'avoir ainsi perdu le contrôle. J'imaginais déjà la voix de mon mentor qui me reprenait. «
Regarde toujours devant toi avant de fermer les yeux ! Garde des mouvements symétriques ! » Quand mes jambes sortirent de l'eau, l'air frais mordit violemment ma peau. Et quand le tissu de ma tenue se colla à mon tibia, la sensation fut encore plus désagréable.
*
Même ici, ces pimbêches m'ont ruiné ma matinée !* Pensai-je amèrement. Je grelottais déjà. Je réfléchis à un haiku pour que la nature me vienne en aide, mais il m'était devenu impossible de me concentrer. Cette journée ne s'annonçait pas meilleure que la précédente, même sur une île différente... je me retournai et foudroyai le rocher du regard. *
Pffff. Un Sorcier m'a jeté une malédiction aujourd'hui ? Mon thé était empoisonné ?!* En serrant les poings, je plaquai mes bras contre mon torse pour me réchauffer. Cela eut comme seul effet de me mouiller le torse et d'empirer la situation. «
Pouic, viens ! Je vais hiberner jusqu'à la prochaine lune. » Repliée sur moi-même pour tenter de garder un maximum de chaleur corporelle, je commençai à me diriger vers le bas de la colline. Mais Pouic ne venait pas. «
Pouic ? Tu vas pas t'y mettre aussi ! » Je le cherchai des yeux et vis son derrière poilu se secouer dans un arbuste.
«
Qu'est-ce que t'as trouvé encore ? Du gibier ? J'ai dit au pied ! » Mais il ne réagissait pas. Ce qu'il avait trouvé devait être fort intéressant pour qu'il brave mon autorité. Je me dirigeai vers lui et, soudain, me pétrifiai. Un être humain venait de surgir. Pouic essayait de lui sauter dessus et aboyait d'excitation. «
Pas sauter, Pouic ! » Maugréai-je. Cette fois, c'était la meilleure. Tomber comme idiote avait asséné un coup à mon amour propre. Mais savoir que quelqu'un m'avait vue dans cette situation... et dans cet accoutrement peu grâcieux... c'était encore pire. Ma tenue blanche était à moitié transparente, imbibée d'eau, et des mèches de cheveux étaient inégalement collés à mon visage rougi par la honte. «
Je... euh... » balbutiai-je. J'avais réponse à tout, d'accoutumée. Mais là, maintenant, plus aucun son ne pouvait franchir mes lèvres. Je voulais juste me téléporter loin d'ici, dans mon lit, et rester à jamais cachée sous ma couette.