Certains rêves se font éveillé

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« Ça va en faire des caisses. Ils devraient être tranquilles pour un moment avec ça. » Le regard de Shanxi suivait l’homme, alors qu’il venait déposer la dernière caisse de matériel médical sur la pile à destination des Jardins. « A quelle heure vous m’avez dit que vous viendrez les chercher, déjà ? » Sa question eu l’effet d’une aiguille perçant sa bulle. Elle n’était plus vraiment avec lui depuis quelques minutes. « En début de matinée. On ne m’a pas communiqué d’heure précise. » - « Je vois. Je verrai pour vous filer un coup de main, si je peux. » Elle sourit, gênée. « Oh, pas besoin vous savez. Vous nous avez déjà beaucoup aidés, et nous serons un peu plus nombreux que ça demain, heureusement. » expliqua alors la jeune femme, en froissant nerveusement les bords d’un petit carnet qu’elle tenait d’une main. « Bah ! Vous en faites pas ! Je suis costaud comme tout. Puis, si ça peut me faire échapper à la paperasse… » L’homme ria de bon cœur. Peut-être même un peu trop fort pour les tympans délicats de la vertueuse en cette fin de journée. « Bon, c’est pas tout… Il faudrait peut-être commencer à fermer. Je vous dis à demain, alors ? » - « Oui, nous nous verrons demain du coup. Merci encore pour votre aide. » Le marchand l’avait raccompagnée jusqu’à la porte, en lui proposant même de l’escorter jusqu’au portail. Il commençait à se faire tard, après tout. Qui sait ce que l’obscurité pourrait lui rapporter ? Shanxi avait décidé de le découvrir seule, semblait-il.

Elle avançait sur le chemin de terre, découvrant à nouveau son environnement éclairé par la lune et les quelques torches qui brûlaient ça et là. Le hameau était bien plus silencieux qu’à son arrivée. Quoi de plus normal, à cette heure-ci ? L’ange ne pensait pas que cet inventaire lui prendrait autant de temps. Heureusement que l’infirmerie des Jardins ne dormait jamais. Comment aurait-elle fait son rapport, autrement ? Shanxi entrouvrit le carnet qu’elle tenait pour y glisser une feuille pliée en deux entre deux pages, puis le referma doucement, caressant le cuir de sa couverture. Il était vide. Elle ne savait pas vraiment pourquoi elle ressentait le besoin de l’emmener avec elle. Pas une seule fois elle n'y avait écrit. Pas une seule… BAM ! L’Okan s’apprêtait à se confondre en excuses, alors qu’elle découvrait à la manière d’une enfant pourquoi il était déconseillé de lire en marchant. Heureusement, elle n’était pas tombée. Sa fuite en serait donc facilitée – du moins sa tentative – lorsqu’elle découvrirait, en relevant la tête, le visage d’un de ses cauchemars.

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En un instant, Shanxi s’était figée. Si elle s’était trouvée sur le continent des glaces, l’on aurait presque pu croire que la pauvresse était prise dans un glacier. Sa surprise fut telle que la jeune femme s’était demandé s’il ne s’agissait pas d’un rêve, une fois de plus. Le buveur de sang avait, après tout, suffisamment hanté ses nuits pour que l’ange remette naturellement ses sens en question. Il lui avait fallut peut-être autant de temps à son sang pour faire un tour que pour passer en revue les cinq dernières minutes. La force de leur collision avait, à ses yeux, été aussi réelle que la sensation qu’avaient laissé ses crocs sur sa peau toutes les fois où il s’était immiscé dans ses rêves. La brise qui rafraîchissait ses joues lui semblait réelle. Sa voix… L’Okan peinait à déglutir. Il était là, devant elle, mais ne l’avait pas encore touchée. Pas comme d’habitude. Elle retenait son souffle, dans l’attente, peut-être depuis trop longtemps d’ailleurs. Elle ne s’interrogeait même pas sur la raison de sa présence. Elle avait arrêté de se poser la question à force de le voir chaque nuit. Il pouvait l’avoir suivie, ou peut-être était-ce simplement le fruit du hasard. Shanxi s’en fichait au fond. Il était là. Et dans quelques minutes, ou moins, il fondrait sur elle, comme un prédateur sur sa proie.

Elle était en danger. Cette seconde réalisation lui fit l’effet d’une bouffée d’air. Une qui fit rapidement suivie d’une douce chaleur caractéristique au Sanctuaire d’Ahena. La jeune femme était revenue à elle juste à temps pour entendre les moqueries du vampire. De qui se fichait-il, celui-là ? Il ne pouvait pas être sérieux. « Me raccompagner ? » souffla-t-elle, sonnée. Elle n’avait pas les mots. Elle avait la colère. « Pour que vous vous jetiez sur moi, comme la dernière fois ? » Cette formulation audacieuse ne couvrait hélas pas les tremblements dans sa voix. Elle aurait bien voulu lui dire qu’il s’en était bien sorti, mais s’abstint. Il était vrai que se faire éclater une tasse sur le crâne était, après tout, probablement bien en dessous de ce qu’il comptait lui faire ce jour-là, et sûrement plus encore de ce qu’il lui ferait aujourd’hui. L’Okan choisit de suivre son instinct d’auto-préservation et se tut. Elle était certes en colère, mais elle avait peur avant tout. Shanxi fit un premier pas en arrière. Elle commençait réellement à regretter de ne pas avoir accepté la proposition du marchand. Elle n’osait pas quitter l’homme – ou le monstre – des yeux tandis qu’elle évaluait ses différentes échappatoires. Elle pourrait essayer de s’échapper en volant, au moins jusqu’au portail. Elle n’était pas très à l’aise en vol, mais la distance à couvrir était assez courte de là où elle se trouvait. Cela étant, rien n’empêchait le vampire de la suivre, ou même de la retrouver ultérieurement. Il ne fallait pas être très intelligent pour savoir que la plupart des Anges ici venaient des Jardins. Le souvenir qu’elle gardait de ses rêves abondait aussi en ce sens, quelque part. Et si elle courrait ? Non, elle n’aurait pas le temps de faire cinq mètres qu’il l’aurait sûrement déjà rattrapée. La fuite ne semblait clairement pas être une option viable. Pas si elle ne voulait pas avoir à déménager de son domicile à cause de l’invasion d’un nuisible.

Que devait-elle faire, alors ? Le laisser la raccompagner ? Autant lui donner l’adresse tout de suite. Elle devrait en changer quoi qu’il arrive. Peut-être qu’il la laisserait tranquille si elle refusait ? Il avait plus l’air déterminé à retrouver son lit qu’à la suivre jusqu’aux Jardins. Il s’était déjà nourri aussi, selon lui. L’ange n’était néanmoins pas sûre de vouloir jouer sa vie – la seconde – sur la bonne foi d’un vampire, surtout celui-ci. Sa proposition était étrange aussi, maintenant qu’elle y pensait. Les vampires faisaient-ils tous preuve de galanterie après avoir arraché la peau du cou de leur victime ? Le comportement du buveur de sang dénaturait sa peur. Elle n’aimait pas ce sentiment. C’était comme s’il lui demandait de tout oublier, de placer sa confiance en lui plutôt qu’en ses souvenirs et ce qu’ils lui faisaient ressentir, et ça, elle ne le pouvait tout simplement pas. Pas après ce qu’il lui avait fait. Que ce soit dans la réalité, ou dans le rêve. « Que faites-vous ici au juste ? Vous me parlez comme si de rien n’était… » un nœud s’était formé dans sa gorge. « Vous croyez quoi ? Que je vais vous laisser me raccompagner tranquillement chez moi et vous offrir mon cou ? » grogna-t-elle tout bas. Si la jeune femme ne s’égosillait étonnamment pas encore en dehors, la colère que la présence du vampire lui faisait ressentir, elle, était telle que Shanxi s’était soudainement mise à douter de l’efficacité du Sanctuaire. Il fallait qu’elle se calme. Il fallait qu’elle reste concentrée, ou cette fois elle mourrait.

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Comment ? Comment osait-il ? « Vous vous attendez vraiment à ce que je vous crois ? Et… » Elle souffla du nez. « Je ne regardai pas où j’allais, je… Je ne vous aurais jamais approché de plein gré. » déblatéra-t-elle à toute vitesse, renfrognant sa mine. Qu’essayait-il d’insinuer ? Comme si elle pouvait lui vouloir quoi que ce soit, à lui. Peut-être y avait-il des gens pour apprécier la compagnie des enfants de la nuit et ce qu’ils… avaient à offrir, mais ce n’était certainement pas son cas. L’Okan était persuadée d’être passée par tous les états possibles, sauf celui-ci. Une part d’elle peinait même à imaginer la chose, et l’autre… L’autre était le produit d’une terre et d’un poison qui avait redéfini sa vie à elle, mais aussi celles de nombreux vertueux. Alors même que la Terre Blanche était loin derrière elle et les démons anéantis, l’ancienne captive pouvait encore sentir leur influence dans chacune de ses émotions, de ses décisions. Ils la retenaient alors qu’elle aspirait à une vraie liberté. Ils lui avaient appris à maudire et à aimer. Parfois même les deux à la fois. En suivant leurs enseignements, l’Okan s’était rendue compte qu’entre les deux notions, il n’y avait qu’un pas. Une sensation de nausée la gagna. Les enfants de l’œil n’avaient plus besoin de lever le petit doigt, Shanxi faisait le travail à leur place, et elle le faisait bien. Cette idée la dégoûtait autant qu’elle l’agaçait. Comme ce vampire.

Assez. Cette fois-ci elle allait le remettre à sa place. Du moins, c’était ce qu’elle s’apprêtait à faire quand une voix l’avait arrêté. Un frisson remonta l’échine de l’Ange dans un sursaut. Le regard noir qu’elle adressait au coupable avait d’abord communiqué sa surprise, avant de se changer en peur tandis qu’il disparaissait sous ses yeux. Shanxi fit un tour sur elle-même, avant de reculer d’un premier pas, puis d’un deuxième. « Que faites-vous ? Arrêtez ! » s’écria-t-elle, le regard bondissant d’un côté à l’autre du sentier. Shanxi commençait à regretter son geste. Finalement, ne pas savoir où il se trouvait était pire. Et le sentir fureter dans son esprit, encore plus. Elle ne voulait pas qu’il voit. Elle ne voulait pas qu’il sente. Elle ne voulait pas sentir non plus, d’ailleurs. Pour une fois, la réalité avait dépassé le rêve. « Non, je… Sortez de ma tête ! » Shanxi ne savait pas combien de fois elle le lui avait demandé dans son esprit, sans savoir si le vampire pouvait l’entendre ou non. Elle était persuadée qu’il le pouvait, au fond. Elle était persuadée qu’il pouvait tout voir, tout sentir, tout entendre. Cette idée l’avait faite redoubler d’ardeur dans ses suppliques. La sensation des crocs déchirant sa peau lui était revenait , elle aussi, par intermittence, lui rappelant un sort plus enviable à celui qu’elle était en train de vivre. L’Okan ne voulait pas choisir. Elle ne voulait pas choisir, et pourtant l’Ange s’était déjà raccrochée à cette illusion. Elle ne voulait pas perdre la tête. « D’accord, d’accord… Vous avez raison ! » avoua-t-elle enfin, avant de poursuivre à bout de souffle : « Je vous en prie… Arrêtez. » Sa voix s’était faite plus basse, sûrement étouffée par la main qu’elle venait de passer sur son visage. « Je préfère discuter calmement. » répéta-t-elle, finalement. Le trajet jusqu’aux Jardins était ni trop long ni trop court, et donc tout à fait propice à cette discussion.

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Il s’était tut. Enfin. L’Okan profita de ce moment d’accalmie autant qu’elle le put. Elle se doutait qu’il serait de courte durée. Son corps entier s’était raidit au contact des mains du Vampire. En revanche, Shanxi ne s’attendait pas à le voir exprimer du regret, et encore moins présenter ses excuses. Il ne devait pas en penser un mot. Elle pourrait même s’en assurer, en soi, mais à quoi cela l’avancerait ? Ce suceur de sang mentait comme il respirait. Elle n’avait pas besoin de la Révélation pour en être sûre. Elle ne ferait que gaspiller sa magie, en usant d’un tel pouvoir sur Dorian. S’il s’appelait bien ainsi, d’ailleurs. Il pouvait très bien lui avoir menti, sur cela aussi. Pendant, un instant, rien qu’un court instant, l’Ange avait contemplé l’idée de répondre à ses excuses par la provocation. Si ce comportement lui avait semblé couler de source de prime abord, Shanxi avait vite déchanté quand elle s’était également dit que le vampire interprèterait sûrement ces propos comme une invitation à recommencer. Non, il valait mieux qu’elle se taise. Elle ne le voulait pas à nouveau dans sa tête. Une fois lui avait suffi. Et ses autres démons prenaient déjà bien trop de place, de toute manière.

L’Okan écoutait le Vampire d’une oreille. En fait, elle profitait de ce moment où l’attention n’était pas portée sur elle pour se ressourcer un maximum. Le Sanctuaire était un moyen efficace d’apaiser un esprit perturbé, quand il n’y avait pas un suceur de sang impertinent pour troubler la concentration du lanceur. Elle ne savait pas vraiment pour quelle raison, mais à chaque fois que Dorian l’interrogeait, peu importe le sujet, Shanxi n’avait jamais eu envie de lui répondre sincèrement. Elle le craignait, cela ne faisait aucun doute. C’était sûrement pour cette même raison que cette discussion mettait déjà ses nerfs en pelote. A quoi s’attendait-il ? A ce qu’elle lui parle des dernières actualités des Jardins, avant d’embrayer sur ses voisins et leur curiosité maladive ? Après cela, ils pourraient peut-être même parler de politique ? Et puis, quand ils auraient épuisé chaque sujet, ils aborderaient sûrement les cycles lunaires et la position des constellations ? Il ne sortait que la nuit, après tout. Un sourire naissait sur les lèvres de la vertueuse. Bien sûr, elle n’était pas joyeuse. C’était le gouffre entre les premières paroles du Vampire et les dernières qu’ils venaient de prononcer qui l’amusait. Si elle l’écoutait, Dorian ne voulait pas lui faire peur, mais il n’émettait aucune réserve quant au fait de la vider de son sang ou même la menacer pour s’être défendue. Finalement, économiser sa magie avait été une sage décision. « Je suis désolée si l’issue de notre rencontre vous a contrarié. » Elle n’en pensait pas non plus un seul mot. « Mais par vos paroles, vous justifiez ma réaction. » poursuivit l’ange. « Qui sait ce qui se serait passé si j’avais agi différemment. Ou même vous. » Elle ne savait pas trop pourquoi elle lui disait cela. Ce n’était pas comme si ses paroles allaient le faire revoir sa conduite. Shanxi soupira fébrilement. Elle espérait ne pas lui avoir donné plus de raisons de s’attaquer à elle. « En tout cas, je ne peux pas dire que je sois très heureuse de vous revoir. » déclara-t-elle, avec la ferme impression de s’enfoncer dans la neige. Sauf qu’il n’y avait pas de neige. « Je me portais bien, il y a quelques minutes encore. » Elle espérait pouvoir en dire autant d’ici une petite heure. Pour la première fois depuis que cette conversation avait débuté, l’Okan décolla son regard du sol. « Votre offre tient-elle toujours ? » l’interrogea-t-elle, en indiquant un bout du sentier sur lequel ils se trouvaient. Au fond, s’éloigner de toute population aux côtés du Vampire lui faisait peur, mais elle n’était pas sûre que sa proposition soit de celles que l’on puisse refuser. Il lui semblait, de plus, préférable de le voir marcher avec elle, plutôt que dans son dos et à son insu.

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Plus elle l’écoutait, plus il lui devenait difficile de trouver de bonnes raisons de ne pas le pousser dans le lac qu’ils longeaient. Shanxi tenait à la vie, mais le Vampire avait vraiment le don de lui hérisser le poil. Quand elle était avec lui, elle passait de la peur à la colère en moins de temps qu’il ne lui fallait pour dire Wëltpuff. Il arrivait à la faire douter de son jugement, et de ce qu’il lui faisait ressentir, et pour ça, elle le haïssait d’autant plus. « Ça ne me rassure pas vraiment, en fait. » soupira l’Ange, avant de poursuivre : « J’ai même du mal à vous croire, pour tout vous dire. » Un jour il lui mentait, un jour il se montrait honnête et semblait attendre d’elle une confiance aveugle. Shanxi n’en croyait pas ses yeux. Il devait vraiment la penser idiote. Pourtant, ce fond de vérité dont il savait armer ses mots – quand il le voulait bien – suffisait à la déstabiliser. L’ancienne captive n’avait même pas eu besoin de réfléchir plus de quelques minutes pour lui donner raison, dans son esprit. « En effet. J’imagine qu’en comparaison, ce qui s’est passé à l’Edelweiss n’était qu’un simple désagrément. » concéda-t-elle, avec la sensation désagréable d’autoriser le Vampire à réitérer l’acte. Au fond, elle était aussi bien placée – voir mieux – pour le savoir : les Démons étaient pires. Shanxi se demandait si la remarque du suceur de sang n’était pas volontaire ? L’avait-il sentie sur elle ? Leur emprise, leur souillure. Elle ne voulait pas lui faire le plaisir de lui poser la question. La situation lui était déjà bien assez désagréable.

La jeune femme s’était autorisé un moment d’absence, le regard braqué sur le matelas verdoyant qui bordait le lac. Elle avait passé beaucoup de temps sur les berges du côté des Palais de Coelya, à jouer avec ses amis. Aujourd’hui, elle était de retour et elle jouait à nouveau, avec un enjeu différent. Son partenaire était différent, et il avait commencé cette partie avant même qu’elle ne le réalise. Pour cette même raison, Shanxi craignait ne pas pouvoir gagner. Connaître le prix de la défaite était un luxe qu’elle ne s’était jamais refusé par le passé, et pourtant, aujourd’hui, elle ne voyait plus cet avantage que comme une malédiction. L’Ange ressassait le début de leur conversation, encore et encore. Elle pouvait encore sentir sa voix résonner dans son esprit. Elle avait même failli confondre, quand il avait décidé de briser le silence. Si sa question lui avait fait l’effet d’une mauvaise blague dans un premier temps, la suite, elle, n’avait fait que confirmer une idée à laquelle Shanxi essayait de se faire, depuis qu’elle lui était rentrée dedans : Il allait la mordre. Cette conversation qu’il avait initié n’avait été qu’une manière de l’acculer. Et leur petite balade n’était qu’une mise en bouche, des préliminaires pour ce qui allait suivre. « Oh, vous êtes en train de m’aider à surmonter mes peurs, là ? » demanda-t-elle, frottant nerveusement son cou. Elle avait soudainement chaud. « Je dois vous paraître ingrate. » Shanxi ne put retenir son rire. S ‘ils en arrivaient là… S’il devait la mordre, elle espérait au moins le voir s’y brûler le palais. « En même temps, c’est vous qui êtes entré dans ma tête, non ? Tous ces artifices n’étaient pas nécessaires, vous savez, si vous vouliez juste m’aider à surmonter mes peurs. » Votre seule présence suffit, pensa-t-elle. « C’est votre méthode, alors ? Vous faites peur aux gens pour les aider ? Quel bon samaritain. » Plus elle s’enfonçait, plus elle avait la sensation de devenir folle. Ce n’était d’ailleurs peut-être pas qu’une impression. Toute cette pression… Peut-être que le suceur de sang n’aurait pas à la mordre finalement. Quelques minutes de plus et tous ses vaisseaux sanguins exploseraient sûrement et leur contenu s’échapperait par ses orifices. Il n’aurait qu’à s’y pencher pour y boire. Comme à une fontaine.

Son regard migra vers le lac, tandis qu’elle caressait l’idée d’y plonger pour mettre fin à ses tourments. Elle ne voulait pas mourir, non. Mais avec un peu de chance, la magie du Lac bleu la transporterait loin d’ici, loin de lui. Dans le pire des cas, elle en ressortirait mouillée et au même endroit, mais rafraîchie. Ou elle pouvait tout simplement l’y jeter lui, et espérer que la magie ne l’emporte, oui. Ses ardeurs à lui aussi avaient besoin d’être calmées. Regret. Voilà ce que Shanxi avait ressenti, en sentant la paume de ses mains se décoller des vêtements du Vampire. Le bruit que son corps avait fait en heurtant l’eau l’avait comme sortie de sa torpeur. Le nœud qui contrariait son estomac coulissa doucement jusque dans sa gorge. Elle ferait mieux de courir, non ?

797 mots
Plouf !

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Klergy - Hide and Seek

L’Okan était figée dans le temps. Ses jambes ne l’avaient pas portée plus loin que le point d’ancrage d’où elle avait jeté le suceur de sang. Si pendant un instant elle s’était accrochée à l’espoir de ne pas le voir ressortir de l’eau, elle avait vite regretté son choix en entendant le bois du ponton grincer sous son poids alourdi par ses vêtements mouillés. Il allait la tuer. Qu’est-ce qu’il lui avait pris de le pousser ? Elle allait mourir, cela ne faisait aucun doute à présent. Shanxi ne pouvait même pas lui expliquer la raison de son geste. Elle ne le comprenait pas elle-même. Et puis, Dorian ne lui semblait pas être des plus magnanimes. Il lui ferait sûrement payer cet affront de son sang, puis de sa vie. Un frisson recouvra son échine, alors qu’elle le regardait impuissante réduire l’espace qui les séparait. L’air s’était soudainement refroidi. L’ange l’observa un moment, la gorge nouée et le regard agité. « Je-… Je suis désolée, je… Je ne sais pas ce qui m’a pris. Je… » Son cœur battait la chamade. A croire que même lui savait et voulait précipiter sa fin aux mains du vampire. « Je vais vous aider à les retrouver. » ânonna-t-elle dans la panique, contournant le ponton pour s’approcher de l’eau. Elle ne voulait pas s’approcher de lui. Elle avait peur. Peur qu’il ne l’attrape et ne lui brise le cou. Le froid commença à lui mordre les pieds à peine les avait-elle trempés dans l’eau. Elle hésita, raffermissant sa poigne sur sa robe qu’elle avait relevé juste au-dessus de l’eau. Il faisait noir. Elle n’y voyait rien. Même en cherchant à l’endroit où Dorian était tombé, trouver une simple paire de lunettes dans cette pénombre serait impossible. De jour, ils auraient de meilleures chances. Si elle survivait à cette nuit. C’était dans des moments comme celui-ci que Shanxi regrettait amèrement de ne pas avoir appris à se téléporter. Elle aurait pu lui filer entre les doigts et s’enfermer chez elle pour les trois prochains jours, ou plus. Ses lèvres tremblantes laissèrent passer un long soupir. Elle pouvait lui offrir n'importe quoi, même son sang sur un plateau, cela n’aurait aucune importance. Il avait le pouvoir. Il pouvait le lui arracher, sans lui demander. Il le ferait sûrement. Il n’allait pas attendre son autorisation. Encore moins après ce qu’elle venait de faire.

L’Okan n’osait même pas décoller ses pupilles de l’eau qui lui gelait les chevilles. Elle s’accrochait à l’ourlet de sa robe comme à sa vie, alors qu’elle rassemblait son courage. « Je… ne sais même pas quoi vous dire. » Sa voix tremblait, plus de peur que de froid. « Franchement, je ne sais pas ce qu’il m’a pris. A quel moment ai-je pu me dire que vous pousser était une bonne idée ? » Ce n’était pas vraiment une question. Ou alors, elle ne lui était pas adressée. « Pour tout vous dire, vous me faites peur. » Être aussi honnête n’était probablement pas plus éclairé que pousser le vampire dans le Lac bleu. « Pour vous, ce qui s’est passé à l’Edelweiss ne justifie pas un tel comportement. Vous m’avez juste goûtée, n’est-ce pas ? » Elle n’avait clairement pas conscience de l’étrangeté des propos qu’elle tenait. Elle ne sentait que ses mains qui commençaient à s’engourdir. Le froid qui remontait ses jambes s’était quant à lui endormi. « Vous m’avez dit que c’était normal pour vous. Pour votre espèce. Et peut-être que vous avez raison. » Shanxi ne savait pas où elle allait avec ce discours. En fait, elle était déjà perdue. Ou c’était son esprit. Ou les deux. « Mais pour moi, ce n’est pas normal. Et je vous avoue que si ce n’était qu’un avant-goût pour vous, je n’ai pas vraiment envie de voir à quoi ressemble la suite. » Le nœud dans sa gorge avait beau grandir, il ne l’empêchait malheureusement pas encore de parler. Et c’était bien dommage, car elle ne savait plus vraiment ce qu’elle disait. « Sans parler de ces rêves. Il faut que ça cesse. Vous ne pouvez pas venir toutes les nuits comme ça. » Elle parlait vite. Pas comme les ivrognes que l’on pouvait croiser chaque soir dans toutes les tavernes du continent. Pourtant, son discours faisait autant de sens que le leur. Elle avait l’impression de tanguer aussi. Mais elle était dans un lac, pas en mer. « J’ai des lunettes chez moi. Je pourrais vous les prêter. » Elle allait peut-être s’évanouir. Ou vomir.

750 mots
J'ai perdu Shanxi.

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Paolo Nutini - Iron Sky

Un nœud coulissait dans la gorge de l’Okan tandis qu’elle écoutait le suceur de sang. Certaines de ses paroles – même si elle les savait vraies – embrasaient son esprit. Une part d’elle – clairement pas l’altruiste contrairement à ce qu’il disait – voulait le voir finir sur une pique. Cette violence la dégoûtait de par de son origine démoniaque, et pourtant, y résister n’avait jamais été aussi difficile depuis son arrivée aux Jardins. Shanxi y était toujours parvenue jusqu’ici, mais par moments, elle ne demandait qu’à lâcher prise. « Vous devriez vous réjouir que nous, les Anges névrosés, existons. Nous ne vous mettrons peut-être pas aux fers, ni ne chercherons à écourter votre vie simplement parce que vous existez. » grogna-t-elle avec une hargne qui choqua sa peur, sans la remplacer pour autant. Les doutes que le Vampire venait d’exprimer avaient permis cet élan de confiance, semblait-il. Elle voulut lui faire savoir à quel point elle préférait son destin au sien. Courir après les vertus était préférable à courir après son prochain repas, en sachant que cela pourrait bien être le dernier. Pourtant, l’emplumée s’y résigna. Au fond, elle-même n’était pas convaincue par son discours. Quelque chose sonnait faux, mais elle ne savait pas encore quoi. « Mais il faut croire que, finalement, même vous doutez de l’ampleur de notre compassion. Vous ne craindriez pas que je vous livre aux gardes autrement. » elle leva les yeux pour soutenir son regard. L’ironie de la situation la ferait bien rire, si elle n’avait pas remarqué l’épée de Damoclès que le suceur de sang venait de placer au-dessus de sa tête. Elle n’avait pas pensé le livrer aux gardes. Finalement, peut-être que leur compassion n’était pas à sous-estimer ? Shanxi se pinça les lèvres. Elle savait qu’il n’y avait rien de vertueux à ses actes. Elle n’avait toujours cherché qu’à se préserver, quand elle ne désirait pas la mort comme la plus grande des hypocrites.

« Très bien. » souffla l’Ange, en hochant doucement la tête. « Allons chez moi. Ce n’est plus très loin. « L’Okan rejoint la route, ses craintes l’obligeant à garder soigneusement une distance entre elle et son accompagnateur. « L’entrée se trouve un peu plus loin sur la route. C’est là que se trouve le poste de garde. » expliqua-t-elle d’une voix morne. Son regard allait et venait nerveusement entre les torches qui brillaient près de l’entrée qu’elle venait de désigner et le vampire. Shanxi se repassait en boucle ces dernières minutes dans son esprit. Les paroles qu’il avait tenu à l’égard de son peuple. A son égard à elle. Pour quelqu’un qui voulait la voir ployer de son plein gré sous ses crocs, il s’y était sacrément mal pris. En fait, elle ne comprenait toujours pas comment quelqu’un pouvait accepter ou encore même vouloir une telle chose. Il devait bien y en avoir, ou le vampire n’aurait pas espéré que Shanxi soit de ceux-là. Un frisson lui glaça la peau. Elle était là, en train de l’emmener chez elle. Lui. Lui qui avait hanté nombreuses de ses nuits. Elle avait l’impression d’y être. De se trouver dans l’un de ses rêves, où il passait sa porte – ou parfois sa fenêtre –. Qu’est-ce qu’elle croyait ? Qu’il allait la raccompagner chez elle, prendre ses lunettes, et repartir ? Quelle idiote. Il avait réussi à la coincer. Elle n’avait désormais pas d’autre choix que de faire rentrer le loup dans la bergerie, peu importe à quel point elle avait voulu éviter cela. Et elle était malheureusement la brebis dans cette histoire. Shanxi ne pouvait plus reculer à présent. Ils étaient arrivés. Les murs entourant la cité se dressaient devant eux. L’ombre de deux silhouettes projetées par la lumière de leurs torches dansant sur la pierre. A leur approche, l’un des gardes releva la tête. « Bonsoir. » lança-t-il d’abord nonchalamment, en s’écartant de leur chemin. Puis son regard se posa sur les vêtements mouillés du Vampire. « Vous avez fait une baignade ? » demanda-t-il à mi-chemin entre la plaisanterie et l’interrogatoire. Son collègue les avait rapidement rejoints. « Tout va bien madame ? » L’emplumée s’était figée sous son regard. Comment allait-elle se sortir de là maintenant ?

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Post VII
Le loup est dans la bergerie.
Je répète : Le loup est dans la bergerie.