“Cher journal,

Ceci est le premier jour du reste de ta médiocre vie. J’ignore quand elle se terminera, mais très certainement dans un feu.

Quoi qu’il en soit, commençons par les salutations : bonjour Journal, enchanté. Moi, c’est Bacchus, mais tu peux m’appeler Bran. Pourquoi Bran ? J’en sais rien, c’est tombé comme ça, ne pose pas de questions. A la base, je t’ai acheté (car oui, tu n’es qu’un objet, la vulgaire pute de mes crayons) pour poser ma vie sur le papier. Pourquoi ? Est-ce que c’est pas un peu incriminant pour un Démon ? Ce sont d’excellentes questions, auxquelles je vais te répondre franchement : ta gueule. Ici, c’est moi qui pose mes questions existentielles. OK ?

Je te propose de te trouver un nom autre que Journal. Par exemple, Jits (pour Journal Intime Top Secret).

Jits

Jits

Il m’est arrivé un truc assez incroyable dernièrement. Je me promène pas mal en ce moment. Le fait est que je me fais un peu chier comme un rat mort dans la région. Les Démons, c’est la routine ; moi je veux faire mes preuves. Or, il me semble que l’un des piliers de l’existence d’un Démon, c’est de faire des trucs de Démon comme par exemple, répandre le Mal, le Chaos, la désolation et tout ce qui s’en suit, au travers des terres qui ne sont pas à nous. Ici, le travail est déjà fait et moi, je veux aller là où personne n’est allé, tu vois. Je suis pas un explorateur et le monde connu, bien que vaste, est connu il me semble. Alors j’ai eu une idée.

Tu sais, quand j’étais petit, on se moquait beaucoup de moi. Je veux pas te faire un cours de vieille école, mais c’est important pour la suite. Les Démons ont trois apparences : une humaine, une démoniaque et une monstrueuse. Bref. Ma mère est une harpie. Littéralement. Sérieux, c’est vraiment une tête de meuf sur un corps d’oiseau, et elle a une de ces voix insupportables, et elle bouffe les rongeurs qui se creusent des terriers sur son territoire. Pour nous nourrir quand on était petits, elle faisait comme les piafs et nous donnait la becquée. Oui, j’ai des frères et sœurs. Malheureusement, j’ai pas réussi à me débarrasser de tous. Ma mère est une femme intelligente. Une fois, elle m’a expliqué que ses œufs étaient comme ceux des requins : il y a plusieurs gamins dans le même œuf, et il y en a toujours un qui prend le dessus et bouffe les autres avant même qu’ils ne soient nés. Apparemment, c’est ce que j’ai fait pour mes colocataires d'œuf, mais j’ai pas pu avec les autres. Bref. Tout ça pour te dire que mon apparence démoniaque fait la taille d’un insecte (un gros insecte, certes, un oisillon admettons) et que franchement, ici, ça claque pas. Je me faisais moquer dans la cour de l’école, mais je te raconterai ça plus tard parce que là, je suis pas venu pour chialer. Je suis de bonne humeur.

Ce que les putains de gamins de l’école n’ont jamais compris, c’est que c’est tout de même vachement pratique d’être petit. Alors j’en ai profité. Y’a pas longtemps, j’ai quitté les Terres Arides et j’ai rejoint la région du Lac Bleu. J’avais des idées très précises en tête : trouver un ou une Magicienne, jeune et vierge de préférence. Mon idée ? Peindre en noir sur une toile blanche. Tu vois le genre ? L’avantage des Magiciens, c’est qu’ils peuvent passer de l’autre côté assez vite, si tu vois ce que je veux dire. C’est vachement plus compliqué avec d’autres races, et rendre visite direct aux angelots aurait équivalu (ça s’écrit ça ?) à signer directement mon arrêt de mort.

Eh ben sache que je l’ai trouvée, ma perle rare ! Elle s’appelle Erin, elle a quatorze ans et c’est une parfaite petite colombe. Par contre, quelle ne fut pas ma surprise de découvrir que son père était un Ange, oui un Ange ! Mini, tout comme moi ! Rholala, il faut que je te parle de lui, mais j’ai plus le temps, il faut que j’y aille, alors je t’en toucherai deux mots la prochaine fois si tu veux bien.

Bon voilà, j’ai beaucoup écrit, Jits. Je pense pas le faire tous les jours mais de temps en temps, je reviendrai ici pour me confier.

Je dois vraiment y aller.

La bise.”

“Cher Jits,

Ça fait pas très longtemps depuis la dernière fois, donc il s’est pas passé grand-chose depuis, mais je t’avais dit que je te parlerais du père de la petite Erin, alors voilà.

Pour commencer, son père s’appelle Jemimah. Rien que ça. T’y crois, toi ? Quand il me l’a dit, j’ai bien ri, je peux te le dire, et ça m’a fait du bien. Parce que oui, on s’est rencontré et on s’est parlé. Il faut que je te raconte ça aussi.

Le père d’Erin est un putain de psychopathe. Figure-toi que lui aussi peut changer de taille, et figure-toi que ce malade espionne sa fille depuis des années sous la forme d’un nain de quelques centimètres. Il n’est pas rentré dans les détails quand il m’a expliqué, mais l’affaire est louche, je te le dis. Parce qu’un Ange, qui serait moins net que moi ??? Tut tut tut, y’a quelque chose qui cloche, si tu vois ce que je veux dire.

M’enfin, tu imagines un peu la malchance de tomber sur le seul clampin qui a recours aux mêmes pratiques que moi ? Ça c'est fort ! C’est peut-être le destin, moi j’en sais rien. Quoi qu’il en soit, je considère avec mauvaise foi que j’avais trouvé Erin avant, et que si je suis parvenu à monter une fois sur son épaule, c’est pour y rester. Son père (Jemimah hahaha, quel nom de merde. Je le surnomme James, sinon je rigole trop) a essayé de m’éloigner d’elle, mais ça n’a pas marché, et ça ne marchera pas. Tu veux mon avis ? A mon avis, ce type est un gros lâche. C’est l’impression qu’il m’a donnée en tout cas. Il serait incapable de me dénoncer aux autorités (on ne le croirait pas de toute façon, l’histoire est trop absurde) et encore moins de me tuer.

Donc voilà. J’ai décidé que je ne bougerai pas de mes positions. Ce James ne me fait pas peur et puis quand on y réfléchit, c’est plus drôle comme ça. Sinon je me serai ennuyé, alors que devoir se tirer dans les pattes avec une colombe qui n’a visiblement que ça à faire de sa vie, c’est chouette. Le bougre va devenir parano maintenant, avec moi dans les parages. Héhéhé. C’est bien fait pour sa gueule de taré. Le pire, c’est que je suis pas tout le temps-là hein. Des fois, comme là, je rentre chez moi, en Terre Aride, je fais quelques petits boulots pas très propres pour renflouer les caisses puis je repars à l’aventure. Tu vois ce que je veux dire ?

Nan mais franchement. Oui, on peut trouver ça mignon que Jamessou cherche à protéger sa fille et gnagnagna, mais merde mon gros, tourne la page et trouve-toi un travail, non ? Pourquoi il cherche à rendre sa vie aussi compliquée qu’elle est douteuse ? A mon avis, tu sais quoi, c’est même pas sa fille. Ou alors sa donzelle l’a mis à la porte. Si c’est le cas, ça doit être pour une super bonne raison. Par exemple, il devait être super chiant, ce qui est pas étonnant au vu de sa constitution. D’ailleurs, où est-ce qu’il dort ce type ? C’est quoi, un clochard ? Franchement, ça m’étonnerait pas. Il est mal fagoté et sa barbiche mériterait un petit coup de coupe-chou, si tu veux mon avis. Moi, je suis peut-être un crado de temps en temps, mais au moins je la taille, ma toison faciale. Bref. Faudrait que je lui pose plus de questions sur lui, même s’il aime pas me répondre. Je sais qu’il surveille pas sa gamine en permanence, parce que je sais que dès qu’il me voit, il rapplique. Un peu comme ces chiens de berger, tu sais. C’est marrant.

Bon. Quoi qu’il en soit, en cherchant un agneau magicien, je me suis retrouvé à me coltiner un pigeon en plus. Ça me complique la tâche, mais je suis certain que j’arriverais à faire quelque chose d’intéressant de tout ça. Une Sorcière et un Déchu de la Colère, ça doit être dans mes cordes, non ? Oh, et ne dis pas que c’est tout l’inverse qui doit arriver parce que c’est pas vrai. Jamais je ne me repentirai ! Le daron est trop stupide pour venir à bout de ma personne. Tu le verrais. En fait, j’aimerais bien te le montrer mais ça rimerait à rien… enfin, t’es qu’un carnet quoi.

Waouh, j’ai encore sacrément parlé aujourd’hui. Si ça continue comme ça, Jits, je vais te terminer en moins de semaines que je ne l’avais imaginé (à savoir que je n’avais rien imaginé du tout).

Ne t’inquiète pas, c’est tout pour cette fois.

Zoubi”