La moue de Malakh se tordit, réminiscences de ses regrets et fatalités. Malgré lui, l'accident ayant emporté Ren lui avait remémoré le destin tragique de sa propre Orine. D'un côté, il était soulagé d'avoir pu épargner les Yuërell d'un tel sort, de l'autre, il comprenait parfaitement leurs ressentis actuels. Au-delà d'eux, l'Orine s'était dévoilée comme une personne foncièrement magnifique, un véritable joyau resplendissant au sein de ce monde brutal et injuste. L'avoir tenu dans ses bras, ainsi estropiée et réduite à un morceau de viande pour ces monstres abyssaux, rouvrit ces cicatrices qu'il espérait refermer au fil de leurs pèlerinages. Exténué, Malakh raffermit sa position sur le lit, mais préféra ne pas finir convalescent face à l'instructeur. On contait de nombreux exploits au sujet des jumeaux de feu la Compagnie. L'Ange n'avait guère cherché la gloire ou la reconnaissance auprès de lui ; Ren aurait pu être l'Orine d'un parfait inconnu que cela n'aurait aucunement changé la donne. C'était un hasard. Un heureux hasard, peut-être. Il baissa la tête, accablé par la fatigue et le poids des remords. Si même les Yuërell ne pouvaient protéger leur compagne, à quoi bon ce monde persistait… ?

" Nous prierons, d'une ferveur sans précédent. " Abonda Domiel pour eux deux. Présentement, le réveil de Muramasa leur importait plus que tout.

Péniblement, Malakh acquiesça. Plus que pour Sagara, il priera pour Ren et Wakiya. Chacune à leurs manières, elles formaient une histoire qui se jumelait et créait un Tout. Jusqu'où cet équilibre précaire s'étendra, ça, le Soldat comptait bien le découvrir. Et en ce sens, il souhaitait tout d'abord démarrer avec celle ayant été épargné du fléau : Wakiya. Cet incident lui paraissait bien trop louche dès l'instant où il se rappelait avoir assisté au courage de la Sunano. Sans doute ce germe d'appréhension fut enseveli à cause de son trouble lancinant, néanmoins il se garda cette possibilité dans un coin de la tête. Ils étaient des victimes dans ce périple, tous autant qu'ils étaient. Ils auront l'occasion de lécher leurs plaies, de patienter, et de comprendre par-dessus toute forme de logique.

" Nous ne quémandions pas vos remerciements… Conscient de sa nature rustre, l'Ange se montra aussitôt plus limpide : Nous sommes des soldats. Nous agissons pour le Bien, sans rétribution. Vous pouvez bien entendu nous offrir ce que vous jugerez nécessaire ou mérité, mais ce n'est pas une obligation. "

De son côté, Domiel frotta sa tignasse touffue, un sourire fragile le long de ses lippes. Il était bien plus détendu que son homologue.

" Tout ce que nous désirons… Tout ce que vous pouvez nous offrir, c'est une coupe de saké en compagnie de Ren pour l'accueillir de nouveau parmi nous. "

À cette idée, Malakh laissa échapper un soupir ; le genre qui trahissait son accord malgré son masque bourru.

" Je n'ai pas laissé la Mort emporter vos Orines ce jour-là. Un silence morne. Pour me faire pardonner, je vous quémanderai cette coupe. "

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Sur son ordre, Wakiya porta son regard – si lourd – sur lui. Isiode lui paraissait comme une flamme vers laquelle elle souhaitait consumer pour ne plus jamais revenir. Depuis son quotidien avec eux, l'Orine était habituée à ce halo lumineux qui les cerclait, qui définissait leur être empli de bonté. Pour autant, c'était bien de cette lumière dont elle avait le plus besoin dans son état actuel, à l'heure où ses idées noires embrumaient son esprit et emplissaient ses poumons d'un poison vorace. Plus qu'une présence, ce que lui offrait le Yuërell était bien plus précieux : c'était cette main tendue qu'elle attendait sans même le savoir. Plus attentive, un chouïa plus expressive, la Sunano encaissa ses questions fondamentales, ces interrogations nécessaires par leur tranchant et leur légitimité. Toute aussi sérieuse, l'Orine demeura fixe sur lui et, d'un courage nouveau, elle ressassa toute la scène macabre déroulée sur le pont de l'Opalescent. Une poignée de secondes plus tard et ses lèvres se décousirent ; son timbre était ferme, assuré.

" Cette corde n'aurait pas pu lâcher. "

Wakiya Sunano était une Nawashi, la Maîtresse des Liens créés par l'Art ancestral du Shibari. Plus que n'importe quelle âme sur ce bateau, elle savait pertinemment que son nœud n'aurait pas dû se défaire. Encore moins celui qui liait sa sœur de cœur au mât de la Vie. Par ces questions, Isiode lui fit bien comprendre que ses lamentations ne portèrent plus aucun sens. Et plus encore : il lui faisait confiance. On l'écoutait, on la comprenait, c'était… comme une aubaine. Elle avait enfin l'impression de respirer.

Retrouvant un semblant de couleur – de souffle de vie par extension – la jeune femme découvrit cette étrange magie qui la liait à Isiode, ou aux deux Orines plus précisément. Wakiya n'en savait trop rien mais cette capacité lui rappelait son propre pouvoir sur le mannequin lié à Andrea. Était-ce si commun de posséder de telles attaches enchanteresses ? Ce monde lui apparaissait aussi déstabilisant que merveilleux, jour après jour. Quoi qu'il en soit, le témoignage du Yuërell changeait toute la donne. Dans la confusion, elle n'avait pas pu voir ce qu'il s'était passé, elle ne parvenait pas à se remémorer le moindre détail tant les bruits horrifiques s'étaient entassés dans son crâne et limitaient ses capacités cognitives. Une aiguille de frustration se planta en elle lorsqu'il lui révéla que le moment fatidique lui avait échappé. Peut-être était-il possible de retrouver ce morceau du puzzle, de le recoller avec toutes leurs autres pièces en main. Que s'était-il passé ? Petit à petit, Wakiya approuva son cheminement de pensées, les hypothèses s'écartaient et leurs raisonnements communs se resserraient sur des conclusions trop déchirantes pour être ne serait-ce qu'imaginer par son esprit trop innocent. Malgré tout, s'il y avait bien une leçon que la Hanatsu apprît ce jour-là, c'était que la cruauté de ce monde pouvait être revêtue par le moindre de ses natifs.

Comment son lien avait-il pu lâcher… ?

Il ne lui avait fallu qu'une trop maigre poignée de temps pour réaliser. Ses yeux s'écarquillèrent, horrifiée par cette unique option qui se présentait à eux. L'Orine aurait pu fuir, la balayer sans aucune sommation. Mais pour Ren, il lui était impossible de faire machine arrière. Isiode, lui aussi, avait compris. C'était à elle de l'exprimer pour eux deux ; pour eux tous.

" Quelqu'un l'a détachée. "

Et puisqu'aucune Sirène n'avait réussie à monter sur le bateau… le coupable se trouvait parmi eux.

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