La flamme entre nous
Valysteria & Babelda

La brune posa ses yeux sur leurs mains liées, étonnée. Le contact physique n'était pas une chose à laquelle elle était habituée : elle l'évitait soigneusement, ce genre de comportement la mettant le plus souvent mal à l'aise. Il traduisait une proximité qu'elle n'éprouvait aucunement. Les relations qu'elle entretenait se comptaient sur les doigts d'une main et malgré cet attachement singulier, aucune n'avait percé les barrières de l'étreinte. Il arrivait qu'on lui tapota l'épaule en guise d'encouragement, mais elle se soustrayait farouchement au plus simple des rapprochements. Camille l'avait une fois comparée à une portée fermée à double tour, qui ne laissait rien s'échapper mais, surtout, qui empêchait soigneusement qui que ce fut d'entrer. La concernée s'était fait la réflexion qu'elle n'avait pas totalement tort, sans que cela ne la déstabilise. Elle se retrouvait davantage dans les silences, les lectures ou les martèlements des outillages que dans des accolades amicales, des beuveries bruyantes ou des bavardages enthousiastes. Elle ne cherchait pas à changer et cette barrière qu'elle instaurait avec autrui avait quelque chose de rassurant. Peut-être parce qu'elle craignait le jour où elle découvrirait leurs malheurs ou la façon dont ils décéderaient. Il y avait quelque chose de cruel dans les secrets que pouvaient parfois révéler les étoiles. Quelque chose d'insoutenable dans ce devoir de neutralité absolu. Finalement, cette distance qu'elle maintenait n'était peut-être qu'une carapace pour se préserver des déceptions et des peines. Pourtant, ici, dans ce restaurant et avec Valysteria, les choses lui paraissaient bien plus simples, plus naturelles également. A sa propre surprise, la Rehla n'arracha pas sa main à l'emprise qu'imposait l'Ange. Elle esquissa un sourire, essayant d'ignorer l'étrange tiraillement qui s'était propagé dans son ventre, tout en remontant son regard vers son interlocutrice. « Il est parfois difficile de s'accrocher à ses objectifs mais une fois qu'ils sont atteints, ceux qui nous ont demandé le plus d'efforts sont souvent les plus gratifiants. » encouragea-t-elle à sa façon la blanche.

Babeldda haussa les sourcils. Motivante n'était pas l'une des caractéristiques qu'on lui associait naturellement. Lorsqu'elle guidait des inventeurs sur la bonne voie, ce n'était que pour se plier aux desseins d'Oni et ses manigances se faisaient dans l'anonymat le plus strict. Elle ne recevait donc jamais de remerciement pour son aide - bien que le contraire fut également vrai et qu'elle n'eut jamais à subir les brimades de ceux qu'elle avait empêché d'avancer. Pourtant, l'idée n'était pas déplaisante. Son sourire s'élargit, se faisant complice de celui qu'esquissait la jeune femme en face d'elle. « Je te retourne le compliment. » glissa-t-elle, soudainement embarrassée. Elle ne s'était pas rendu compte du rapprochement qu'elle venait d'effectuer, abandonnant le vouvoiement pour adopter le tutoiement. Elle n'avait pas dit cela par politesse. Elle se sentait véritablement à l'aise avec la Vertueuse et cela donnait place à une aisance orale qui ne lui était pas habituelle. A mesure qu'elle parlait, elle prenait conscience de tout ce qu'il lui restait à accomplir mais, plutôt que de l'assommer sous la charge du travail qu'il lui restait à faire, elle se sentait impatiente de pouvoir s'y mettre.  

L'inventrice récupéra sa main et reprit son repas. Elle avait pratiquement terminé sa dorade et le riz qui l'accompagnait. « Tu as parlé des Ecuyers de l'Aurore, tout à l'heure. » reprit la brune. « J'imagine qu'ils sont, eux aussi, une grande source de motivation et d'inspiration. Ils sont très réputés. » Babelda avait pu voir à quel point lors de son séjour à Utopia. La Matasif et son fiancé étaient tenus en haute estime par la population Humaine. L'étrangère supposait qu'il en était de même pour l'Insaisissable au sein de sa race. « Désires-tu prendre sous ton Aile un humain, un jour ? » questionna-t-elle, curieuse. « C'est beaucoup de responsabilité mais j'imagine qu'il s'agit également d'une marque de confiance plutôt gratifiante. » Peut-être un honneur, même. « J'espère que ma question n'est pas indiscrète. » Elle ne connaissait pas très bien les mœurs des Ailes Blanches. Peut-être que ces choses là étaient de l'ordre privé, de l'intimité que l'on ne partage pas avec une inconnue.

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La flamme entre nous
Valysteria & Babelda

« Mmh... » fit Jane, posant sa tempe contre son poing fermé, plongeant dans ses réflexions. La jeune femme se demandait dans quelle mesure les liens créés par les Anges et par les Orines différaient de l'un à l'autre. Il était vrai que les Vertueux avaient davantage cette réputation de tisser quelque chose de beau, une connexion qui découlerait sur de forts sentiments amoureux ; là où les Muses étaient davantage portées sur la coopération et l'inspiration qu'elles instiguaient chez leurs élus. Les filles de la Nature avaient malheureusement longtemps pali de cette relation, souvent décrite comme asservissante, dépossédant l'Artiste de ses propres moyens. Pourtant, qu'en était-il des Gardiens et de leurs protégés ? D'une certaine manière, ils subissaient tout autant l'influence de leur union. Ils étaient soumis à la magie qui unissait leurs cœurs et, finalement, n'avaient pas plus de contrôle sur ce qu'il adviendrait de leur relation. Ils devenaient esclaves de cet amour, totalement incapable de s'en défaire. Privé d'un certain libre arbitre et d'une objectivité, lorsque cela concernait leur moitié. Bien sûr, les concernés ne vivaient pas les choses comme telles, d'un côté comme de l'autre. Mais la finalité restait la même, aux yeux de l'observatrice. De toute manière, les duos étaient tous soumis au Destin, dans un cas ou son alter.  Babelda garda pour elle ces pensées, de peur de froisser la Blanche, qui éprouvait de toute évidence une fascination pour le couple énoncé. Venir distiller le doute sur la pureté et l'authenticité de cet amour risquait de la contrarier, et la Caeli ne souhaitait pas briser la bonne humeur ambiante qui régnait entre elles.

« Là où il existe une quelconque forme d'ascendance, l'humanité trouve toujours le moyen de créer des dérives et des abus. » C'était une loi universelle, sauf peut-être chez les Vertueux. Mais les races à tendances maléfiques possédaient une large propension à ce penchant néfaste. « Oui, heureusement elles ne sont plus toutes obligées de suivre cette destinée. J'imagine que désormais, elles sont plus semblables à vous. Elles possèdent un choix. » Babelda inspira profondément, fronçant les sourcils tandis qu'une pensée angoissante s'emparait d'elle. « Ce doit être quelque chose de particulièrement contraignant. De ne plus vivre seulement pour soi. C'est beau et honorable, mais je suppose que l'on fantasme beaucoup la chose, et qu'il existe bien des aspects du quotidien qui doivent nous échapper. » La Voyageuse ne parlait pas seulement des Orines, bien qu'elle ne le précisa pas et laissa libre interprétation à son interlocutrice. « J'imagine que cette option ne me siérait guère, si j'en avais été capable. » plaisanta la jeune femme avant de terminer son assiette. Peut-être était-elle trop pragmatique pour se dévouer aux passions de l'amour ? Ou trop désillusionnée pour véritablement croire à l'Amour véritable ? A moins que la chose ne soit tout simplement pas dans son tempérament.

« Ha, je suis repue. » La gourmande s'appuya contre son dossier, passant une main sur son ventre inhabituellement gonflé. Cela faisait vraiment une éternité qu'elle n'avait pas autant mangé, ni même autant apprécié un repas. La compagnie y était sans doute pour beaucoup. Seule, elle n'aurait savouré que les premières bouchées, avant de retomber dans ses travers et de ne manger que par nécessité, dans l'urgence, afin de retourner au plus vite à ses affaires. Avec Valysteria, cependant, elle n'était pas pressée de retourner sur le Tellus. « Que dirais-tu d'aller voir les alentours du restaurant ? » Babelda frissonna en regardant par la baie vitrée, se rappelant de la météo polaire de l'extérieur. Non, les deux exploratrices n'étaient définitivement pas équipées pour affronter le dehors. « Ou bien le reste du bâtiment, pour commencer. » proposa-t-elle à la place, se fendant d'un léger rire. « Il m'avait l'air gigantesque, quand je suis arrivée. » Peut-être y avait-il plus d'informations sur le territoire qui les accueillait. « Ou bien as-tu encore de la place pour un dessert ? » Ce n'était pas son cas mais patienter ne la dérangeait pas. Et puis, elle pouvait toujours boire une boisson en attendant - elle ne disait jamais non à un café, depuis qu'elle avait intégré le navire. « Le menu sucré avait l'air presque aussi long que le salé. » se rappela la brune.

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