Les ténèbres dévoraient Mornhîngardh depuis moins d'une heure et la majorité des masures étaient encore illuminées de bougies transparaissant par les fenêtres. Comme la fragilité de la vie se débattant contre l'ombre de la mort, inévitable. Les questions naissaient alors dès lors qu'aucune lumière n'était visible à cette heure éloignée du nadir. Était-il absent ? Était-il mort ? Et au milieu de ce silence et ces questions muettes, un son s'élevait depuis l'une des habitations. La musique douce des cordes pincées d'une harpe. La mélancolie perceptible dans sa musique. La volubilité du souffle d'une flûte. La légèreté qui en imprégnait la mélodie. Un contraste fulgurant entre les tonalités des deux instruments mais pas moins harmonieux. Le son de la flûte cessa net, sans avertissement ni indice suggérant un soupir. Rapidement il fut suivi du silence de la harpe. « Quelque chose ne va pas ? J'ai fait une erreur ? » questionna Èibhlin, serrant l'instrument contre elle. L'œil sévère rivé sur sa disciple, Iravami se tenait debout à ses côtés, une expression indéchiffrable sur le visage. La Sarethi avait bien du mal à la cerner à vrai dire.son visage de porcelaine semblait regarder le monde entier avec mépris. Pourtant elle était de ces rares personnes offrant son service si le besoin urgent se faisait sentir. « Vous avez fait des progrès. Vous pourriez bien faire une talentueuse harpiste. » fit la Nerethi. Èibhlin fut prise d'un mutisme surprit. C'était inattendu. Ce n'était pas ce qu'elle avait imaginé comme réponse en se tournant vers son regard de glace. « C'est vrai ? » s'assura-t-elle tout sourire. « Oui. Avec un travail acharné, bien entendu. ». Les oreilles de la clone se rabattirent en arrière. Évidemment. « Reprenons. » injoncta la flûtiste en portant l'instrument à ses lèvres. Èibhlin se réarma de la Nuit, pourtant elle ne répondit pas à la mélodie d'Iravami. « Si vous êtes incapable de rester concentrée plus de dix minutes, il est inutile de continuer. » siffla celle-ci en allant poser sa flûte dans son étui. « Non ! » s'exclama la Sarethi paniquée de cette interruption non désirée. « Je suis désolée, je ne voulais pas, enfin je veux dire, ça n'était pas volontaire je... ». Elle se tue, le désespoir au visage. Face au silence que la Nerethi ne brisa pas, elle se décida à reprendre tout de même la parole. « Je n'avais plus eu autant de temps depuis... Enfin, vous voyez. ». Depuis qu'on l'avait mise dans les pattes d'hommes et de femmes trop puissants et puissantes pour son bien psychologique. « Et là-haut, peu importe les efforts que je fournis, ce ne sont que des critiques que je reçois. Jamais on ne me fait remarquer mon évolution à part par des commentaires acérés. Ça me donne l'impression de ne pas avancer, c'en est déprimant. » compléta-t-elle, un sourire apaisé dessinant ses lèvres en une mince ligne comme son regard brilla d'un même éclat. Ce n'était pas clairement formulé, mais Iravami comprit de suite ce qu'avait essayé de lui dire l'apprentie. Merci.

Les sourcils froncés et la mine concentrée sur l'ouvrage, Èibhlin tournait d'un doigt lent les pages de l'épais livre, attardant avec intensité ses iris sur les lignes. « Èibhlin. Cela faisait longtemps que l'on ne t'avais vu ici. ». Elle détourna son attention du grimoire pour découvrir la voix l'interpellant. Levan. Depuis un certain temps à présent, elle n'avait eu l'occasion de le croiser que pendant les cours. Et encore. Ses leçons avec les Senthandas avaient fini par prendre la priorité et elle se montrait de moins en moins régulièrement à l'université, sans réprimandes des professeurs toutefois malgré le reproche visible dans leurs regards. Ça n'aurait de toute façon servi à rien. Que pouvaient-ils faire ou dire face à l'autorité de ses mentors depuis ce Plateau qui côtoyait bien trop la décharge où vivaient les Nägs. « Oh, je t'ai manqué ? Je n'aurai pas cru cela venant de toi. » rétorqua-t-elle en revenant à son manuel, un rictus sarcastique se dessinant sur les lèvres de son vis-à-vis. « Tu aimerais tant. » la contredit-il en s'installant face à la Sarethi qui redressa la tête, surprise. Finalement, et après un temps, un rire lui échappa, ce qui eut le don d'attirer les regards alentours sur sa personne. « Voilà qui est plus vexant que n'importe quelle réponse. » grogna Levan en croisant les bras, agacé de la réaction qu'il obtint. « Non, ce n'est pas ça. » commença à s'expliquer Èibhlin en reprenant son souffle. « Ce n'est pas le genre d'échange que je pouvais me permettre avoir ces derniers temps. ». Pas avec Emrys et encore moins avec Cerys. Ou même Iseabail. N'importe lequel de ses précepteurs en fait. De toute façon elle aurait chaque fois perdue et en trop peu de temps. Ce n'était pas la seule chose qui différait de sa condition précédente cela étant. « Je peux te poser une question ? » - « Cela dépend de la question. » répondit l'étudiant, trop intéressé pourtant pour que ce ne soit pas un "oui" dissimulé. « Pendant la dernière guerre opposant les Anges aux Démons, avant qu'ils ne les génocide sur les Terre Blanche, les Démons se dirigeaient vers Eërudien. Ils furent cependant arrêté avant. Ils ont également marché vers Stenfek et les communautés Humaines ont eux aussi soufferts de ces événements. » - « Et quelle est la question ? ». Èibhlin referma l'ouvrage avant qu'une phrase ne tambourine soudainement dans sa tête. Un adage connu de tous. Le Savoir, c'est le Pouvoir. Un adage que lui avait rappelé Óebfinn, sa tutrice d'Histoire, alors qu'elle lui avait révélée que les ouvrages présents sur les plus hauts plateaux n'avaient rien en commun avec ceux de la populace. Que l'histoire contée ici-bas n'étaient que des fables dont l'objectif n'était que propagande. Car, selon les livres comme celui qu'elle avait entre les mains et ce qu'en disait les professeurs, il y avait toujours au moins un Alfar dans l'ombre des évènements. Óebfinn et les ouvrages de sa bibliothèque niait cette affirmation. Parfois, oui, l'un ou plusieurs des leurs avaient dirigés le chemin d'une intrigue. Pas toujours. Parfois même ce n'était que suppositions. « Oublie en fait. Ça n'a aucune importance en plus de n'avoir aucun sens. » fit-elle soudainement. Elle savait, et lui probablement que non. Par conséquent elle avait le pouvoir sur lui. Il serait idiot de s'en priver.

Un long souffle exténué empli l'appartement à l'instant où la porte claqua sans un son. Il était tard. Toujours quand elle rentrait de ses tutorats avec Iravami. Le problème de la Nuit c'était que, comme son nom l'indiquait, la Sarethi ne pouvait en jouer que la nuit. Et la flûtiste n'étant pas des moins sévère, tout ce dont aspirait Èibhlin actuellement était de s'étendre sur son lit et dormir. Malheureusement, son sommeil devrait l'attendre encore un peu. Son attention se porta sur une lettre correctement disposée sur la table du couloir. Un regard et elle devina immédiatement la provenance au cachet la scellant. D'un geste rapide elle l'ouvrit, parcouru les trois lignes du message, puis se figea, son estomac noué de la nouvelle. Elle n'était pas certaine de ce qu'elle devrait en penser, aussi ne s'attarda-t-elle pas plus sur le contenu de la missive et obéit-elle à l'ordre manuscrit. Dans sa chambre, elle ouvrit un coffre et fouilla à l'intérieur jusqu'à trouver l'orbe de téléportation qui lui avait été confié par Emrys. Elle le fixa alors longuement, hésitante à en faire usage. Il était tard. Valait-il mieux attendre que le soleil soit levé. Puis elle se ressaisit. Emrys ne dormait pas. Apposant à nouveau une main sur l'artefact, elle souffla les quelques mots activateur. À l'instant l'environnement changea du tout au tout tout comme son être vacilla. C'est là qu'elle fut étonnée. Contrairement aux fois précédentes personne ne l'attendait, ce qui eut le don de l'inquiéter. « Bonsoir ? » articula-t-elle sans oser faire un pas. « Il y a quelqu'un ? » - « Le maître ne vous attendait plus, Mademoiselle Mèinn. ». L'interpellée sursauta dans un volte face rapide pour faire face au Mur. « Ou... Oui, pardon. Je viens seulement de voir le message alors – » - « Suivez moi. » l'interrompit le Mur en la dépassant. Et, comme chaque fois, c'était en silence qu'elle se laissait guider jusqu'au bureau du Senthandas. Elle se sentait terriblement fragile en sa présence. Ce soir plus que les autres fois. S'il lui avait clairement signifié qu'elle devait venir, rien dans le message ne laissait deviner pourquoi. « Noa ósudrah Vèriss Mævan. (Bonsoir Sieur Mævan) ». C'est à peine s'il lui rendit ses salutations. Il semblait irrité. D'un geste négligeant de la main, il fit signe au Mur de s'en aller avant rester cloîtré dans son silence. Èibhlin dansait alors d'un pied sur l'autre, gênée et fatiguée, jusqu'à ce qu'enfin le Nyëva daigne poser sa plume. Levant le regard sur le visage d'Èibhlin, il croisa ses mains devant son menton, mais ne parla toujours pas. Devant cette attitude, Èibhlin ne savait trop comment réagir et vint à se trouver une passion pour le dessin du tapis. « Demain vous reprenez votre enseignement avec Heriss Óebfinn. ». La déclaration, sans aucune forme d'introduction, surprit Èibhlin. « Excusez-moi ? » - « Il semblerait que la déchéance de l'Altesse Elias Salvatore ne change rien au contrat passé. » - « Alors... Cela veut dire que le mariage aura lieu ? ». Ce devait être une bonne chose. Elle n'arrivait pas à l'assumer comme tel pourtant. « En effet, avec l'Empereur Noir Cyrius Windsor. ». Une véritable crampe serra son estomac. L'ancien Archimage n'était pas seulement connu par son statut. Du moins était-ce le cas parmi les musiciens et les chanteurs.

Èibhlin suivait le Näg à travers la demeure. Le temps avait passé et ils faisaient petit à petit leur retour dans les grandes maisons. Quelques coups furent donnés à une porte comme le servant s'exprima. « Mademoiselle Mèinn est arrivée. ». La porte du salon s'ouvrit alors sur la silhouette d'Emrys et sa sœur, installée sur un épais canapé. Ils n'étaient pas seuls. La Sarethi pénétra le salon en passant devant le Näg plié en deux. Alors la porte se referma. « Vèriss Mævan. Heriss Mævan. » salua-t-elle les jumeaux dans une rapide révérence avant poser un regard timide sur l'invitée. « Je vous présente Heriss Elva Cynbel. » intervint Cerys en posant son verre. « Madame. » salua à nouveau la Sarethi à l'attention de cette dernière, celle-ci lui répondant d'un sourire avec un mouvement de la tête. La clone ne put s'empêcher de détailler la Nyëva. Elle était habillée à la manière des Orines, mais il était évident qu'elle n'en était pas une. l'Anoraë rose pâle fixée à son oreille en témoignait. « Avez-vous entendu parler des Geishas ? ». Èibhlin se tourna vers Emrys qui avait prit la parole. « Ce n'est pas ce groupe de personne qui se plonge dans les ancestrales cultures des Orine ? » - « Plus ou moins . » intervint Elva. « Heriss Óebfinn faisait bien son travail apparemment. Quelle tristesse. » commenta ensuite Cerys. « Faisait ? » interrogea la blonde, surprise. « Oui, il semblerait qu'un fâcheux accident ait conduit, dans la matinée, Heriss Óebfinn de vie à trépas. » expliqua Emrys comme il lui aurait expliqué le fonctionnement d'une horloge. Un accident hein ? Depuis le temps la Sarethi n'était plus dupe. Les accidents n'existent pas sur les hauts plateaux. Il n'y avait aucun décès qui ne fût pas prémédité. « C'est d'ailleurs ce qui nous a conduit à faire appel à Heriss Cynbel, bien que nous ayons prévu cela pour plus tard. ». La clone se montra intriguée « Cela ? ». Elva se leva de son assise. Elle était grande. Très. « Heriss Mævan est une amie chère. — autant que pouvaient l'être deux Nyëva appartenant au même ordre — Nous avons eu l'occasion d'échanger longuement à plusieurs reprises de tout un tas de sujets. Évidemment, votre cas a été évoqué. ». La Sarethi sentit ses joues chauffer de la gêne de se savoir au centre de conversation de ces femmes-là « Heriss Cynbel fait partie de l'ordre des Geishas. Nous avons convenu qu'il serait de bon ton que vous soyez également initiée aux mœurs des Orines. » compléta Cerys tandis qu'elle darda son regard sur la novice. « Vous voulez dire... Rejoindre les Geishas ? » - « Pas immédiatement bien sûr. Cela se fera après l'alliance avec l'Empereur Windsor. ». Le mariage, évidemment. « L'heure venue, je vous conduirais au sein du peuple des Orines afin que puisse débuter votre apprentissage. En attendant je me chargerai de vous préparer à votre potentielle intégration. ».

En entrant dans l'immense pièce dans laquelle elle était attendue, Èibhlin n'eut pas le temps de saluer sa mentore, celle-ci prenant la parole au premier pas que la clone effectua. « Qu'en pensez-vous ? » interrogea Cerys, laissant la blonde dans un état de pure stupéfaction. Ce devait bien être là première fois que la Nyëva s'intéressait à son avis. « Eh bien ? Je ne vous demande pas une appréciation détaillée, simplement une première opinion. » - « Mes excuses. Je... ». Avant qu'elle ne continue, Èibhlin détailla vivement le tableau devant lequel se trouvait la danseuse. Il s'agissait d'un paon. Sa tête était illuminée d'un soleil en arrière-plan alors que sa queue s'échappait d'un cercle d'or en un énorme panache. « ... trouve cela joli. ». Un sifflement agacé ponctua sa réponse et la Sarethi su instantanément qu'elle n'avait pas donné la bonne réponse. « C'est bien ce que je craignais. » soupira Cerys avec un air navré comme elle se tourna vers la clone, les bras croisés. « Vous devriez détacher votre regard de vos illustrations universitaire. ». L'interrogation dû se lire dans le regard de la plus jeune puisque la Senthandas l'invita à s'approcher. « Non, ce n'est pas "joli". » commença-t-elle en même temps. « C'est même absolument répugnant. ». Èibhlin ne put s'empêcher de penser que sa critique était exagérée. Elle n'en dit cependant rien. « Ce tableau est d'un simplisme navrant. Le peintre à l'origine de cette œuvre s'est contenté d'appliquer les bases stylistiques de cet art sans ajouter aucune touche personnelle pouvant le détacher de la norme. Sans parler des couleurs : la palette utilisée est si sombre et uniforme. Et les détails, dieux qu'ils sont si peu travaillés et si peu réfléchis. Vraiment, il n'y a rien à tirer de cette... Chose. » conclut-elle avec dégoût. Le commentaire fait, Èibhlin regardait l'œuvre avec un œil nouveau. Pourtant elle n'arrivait pas à se montrer aussi critique que sa mentore et, de nouveau, cela sembla se dessiner dans les traits de son visage tandis qu'elle oyait le soupir navré de Cerys. « Nous aurons beaucoup de travail vraisemblablement. » commenta-t-elle en allant tirer une toile recouvrant un second tableau pour en dévoiler le dessin. Il s'agissait également d'un paon. Ou plutôt, de deux paons. L'un debout, le second allongé, le plumage de leur queue tombait en cascade par-dessus une fresque linéaire sur laquelle ils semblaient être posés. La tête de l'un d'eux se trouvait être également auréolée d'un large cercle clair, quoique coloré, offrant un contraste impressionnant avec le bleu nuit du plumage de son cou qui se dégradait en des variantes moins sombres, presque blanches, de même que les plumes colorées de leur queue s'étendaient sur une palette de divers verts jusqu'à presque atteindre un bleu pastel. Autour, des plumes volantes ; des fleurs fines écloses sur des branches apparaissant depuis les bords du tableau ; des libellules voletant entre la faune et la flore ; des arabesques à peine visible habillant les espaces vides. Son regard revint sur la précédente peinture. Maintenant elle comprenait l'analyse de Cerys, qui reprit la parole. « Je vous écoute. Qu'en pensez-vous ? ». La Sarethi ne répondit pas immédiatement. Son œil comme ses connaissances n'étaient pas encore assez affûtées pour détailler une œuvre aussi rapidement que l'avait faite sa mentore. Pourtant, lorsqu'elle se lança, si elle pouvait apercevoir des mimiques montrant un désaccord profond sur le visage de la Nyëva, elle put aussi y remarquer un infime sourire satisfait appuyant certaines de ses remarques. Si elle n'avait pas tout juste, Èibhlin n'en demeurait pas moins fière. Il lui était si rare d'observer le contentement chez la Senthandas.

Èibhlin fixait la carte du Continent Dévasté. Au début elle avait dédaigné ce livre en voyant le titre. C'était forcément un truc de Magicien ça. Puis, le temps passant, sa curiosité avait pris le pas. Alors, avant de sortir, elle l'avait mis dans son sac. Et, enfoncée sur son siège, attendant l'arrivée de Levan, la Sarethi l'ouvrit pour la première fois. Un nom était inscrit sur la première page, en de belles lignes rondes et fines, dans un italique léger. Un nom qui chantait si bien aux oreilles malgré le personnage bien plus sec, lui. Elias. Elle avait marqué un temps, ses iris rivés sur ce nom, le cœur battant, comme sentant qu'aller plus loin la mènerait sur un sentier potentiellement dangereux. Avant tourner la page, elle avait exhalé un long et profond souffle stressé. Elle y avait découvert des dessins détaillés des terres connues de ce monde. Une par continent et archipels. Ce qui l'avait interrompue dans la découverte de l'ouvrage, ce fut un point, surmonté de ce nom, Elias, qui était apparu sous ses yeux, là, sur cette carte. En soit, la chose n'aurait pas été des plus curieuses pour un personnage comme lui. Ce n'était pas les races les plus bénéfiques qui y résidaient. Ce qui était curieux, en revanche, c'était qu'il se trouve là précisément, à ce moment-là. Le Berceau Cristallin. En ce moment avait lieu un événement que ces animaux d'Avalon nommaient vulgairement le fessetival. Depuis, une question tournait en boucle dans son esprit : que faisait-il là-bas ? « Qu'est-ce que tu lis ? ». La voix sortie du néant surprit la clone qui sursauta comme elle referma avec violence le livre. Avait-il vu ? Elle espérait que non et préféra tourner la page immédiatement. « Bonjour Levan. Tu es en retard. » fit-elle plutôt en rangeant vivement l'ouvrage dans son sac. « Bonjour à toi. » répliqua-t-il, un rictus relevant la commissure de ses lèvres alors qu'il comprit qu'il l'avait surpris à faire quelque chose de moins commun que lire simplement. Il devra trouver ce que recel cet ouvrage. Cette chose semblait être des plus intéressantes. « On a la salle pour les trois– ». La clone s'interrompit pour tourner les yeux vers l'horloge. « Un peu moins de trois heures » se corrigea-t-elle avant de reprendre, délaissant le sac dans un coin, à portée de regard tout de même. « Il n'y aura pas de soutien magique. Ce sera juste nous et nos capacités. ». Elle préférait. Cillín était toujours aussi critique avec elle sur sa maîtrise de la magie. Elle avait amélioré son endurance. Il lui était toutefois encore impossible de tenir la durée. Un point commun qu'ils partageaient, avec Levan. C'était d'ailleurs pour cela qu'elle s'entraînait avec lui. Chacun poussait l'autre à aller plus loin, aucun des deux se refusant la victoire. Là était le point noir de cette histoire : la victoire était généralement due au malaise de l'autre. C'était cependant un moindre mal, aux yeux de la Sarethi. Il valait mieux perdre conscience ici qu'au milieu des vautours d'Amestris ou de ceux des plateaux supérieurs.

Là-bas. Ce point, là. Elle ne devait pas s'en détacher. Sous aucun prétexte. Qu'importa la raison pouvant détourner son attention. « Ce n'est pas en restant crispé ainsi que vous arriverez à faire preuve d'élégance. » siffla Áed en fixant l'ambré de son cognac. Alors Èibhlin tourna le visage vers le Senthandas, surprise, encore. Comment arrivait-il à suivre ses efforts tout en portant son attention sur autre chose. Son sang se glaça lorsque son ainé se tourna vers elle, affichant un air durement réprobateur. Ses iris lui parurent prendre la teinte des ténèbres elle-même. « AH ! ». L'exclamation sortit dans un râle de souffrance comme la clone s'effondra au sol. Elle se plaignait de l'enseignement de Cerys ou de Cillín et pourtant leur mépris et la violence de leurs mots ne souffraient pas la comparaison avec l'Ashushirari qui, lui, mêlait en plus une brutalité physique. Et ce, dans le plus grand des calmes et sans qu'elle ne comprenne comment. De la magie, forcément. Une atroce magie. « Relevez-vous. Vous n'arriverez à rien en rampant ainsi aux pieds des autres. » l'attaqua-t-il avant porter le verre à ses lèvres. Èibhlin serra les dents, les larmes au bord des yeux et le souffle à moitié coupé à cause de son corset. Tremblante, elle se redressa avec difficulté. « Tsss. ». La Sarethi osa à peine se tourner vers le brun. « Par Velouria, cachez ces larmes également. Il n'y a rien de plus disgracieux qu'un visage bouffi par les pleurs. » - « Oui... » souffla la Sarethi en les ravalant comme elle put, essuyant vivement celles visibles du revers du pouce. « Reprenons. » - « Oui... » se répéta-t-elle sur un même ton. Ses muscles étaient engourdis et elle devait faire force de volonté pour tenir la tête droite. Après il s'agaçait de la voir tendue ? Il ne l'aidait pas vraiment à l'être, détendue. Une question lui traversa l'esprit tandis qu'elle essayait de reprendre son souffle. « Excusez-moi, puis-je vous demander quelque chose avant de reprendre ? ». Elle pria intérieurement pour qu'il acceptât, cette interrogation et la réponse qui en résulterait pouvant, peut-être, lui offrir quelques minutes de répit. Une longue seconde s'écoula où elle sentit le regard du Senthandas glisser sur elle. « A condition qu'il y ait un rapport avec le travail que nous effectuons. ». Flûte. Tant pis, elle allait essayer quand même. « Plus ou moins. Je m'interrogeais en fait sur le vêtement. Lors de ma visite au château interdit, Heriss Mævan m'a fait porter une tenue Alfar en me disant que ce n'était pas parce que j'allais devenir Dame Noire que je devais me soumettre totalement à leurs coutumes. Alors, je me demandais... ». Elle n'osa pas aller plus loin en constatant l'œil critique du Nyëva. « Cerys Mævan n'est qu'une gourde décérébrée. » rétorqua-t-il alors. Une réponse à laquelle ne s'attendait surement pas la Sarethi, ce qu'elle illustra par deux yeux grands ouverts fixant son précepteur qui quittait son assise. Un nœud serra son estomac en le voyant approcher, et soudain elle regretta sa question. Elle eut un mouvement de recul lorsqu'il avança une main vers elle, avant de sentir son cœur bondir au contact de ses doigts caressant sa mâchoire. Elle préféra alors détourner les yeux, rongée par la crainte. « Le Lotus Rouge n'est pas l'ordre le plus doué pour passer inaperçu. Ils se promènent, de ville en ville, exposant un art dont seul un centième de la population peut réellement comprendre le sens et la beauté de ce qu'il représente. Ils ont pour seul avantage de porter hautement les couleurs de notre race au sein d'un monde sot et décadent. ». Il s'empara violemment du menton de la clone, relevant son visage de sorte à la forcer à le regarder droit dans les yeux. Elle en était terrifiée. « Pour leurrer le monde, ressemble au monde ; ressemble à l'innocente fleur, mais soit le serpent qu'elle cache. » compléta-t-il d'une voix doucereuse avant, enfin, libérer la Sarethi. Elle déglutit. S'étonna de la familiarité dont il fit preuve pour ces derniers mots. Réfléchit. Puis comprit.

Èibhlin détaillait l'immense aquarium. Une pièce entière avait été déménagée et refaite afin de l'accueillir. L'aquarium était devenu la pièce. C'était tout l'écosystème marin qui avait été reproduit. Plus exactement, l'écosystème marin, avant que cette espèce de sauge marine ne colonise l'extrémité du plateau continental. D'immenses coraux s'érigeaient en tourelle de chaque côté du bassin, offrant abri et nourriture aux espèces y baignant. Mais ce n'était pas cela que la clone fixait. Retranchée dans une excavation, la nageoire caudale seule était visible mais il était aisé de deviner l'espèce à laquelle elle appartenait. Une Sirène. « Elle semble triste. » commenta l'Alfar. « Est-ce réellement un problème ? » répliqua Seisyll, tout sourire et l'œil brillant de fierté. « Qui plus est, cet aquarium m'a couté une fortune, tout ça pour reproduire un environnement marin correct qu'elle ne pourra plus jamais côtoyer. Elle devrait être reconnaissante plutôt. ». C'était une façon de voir les choses, songea la Sarethi. « Néanmoins je vous l'accorde. À long terme, son comportement risque de poser problème. » ajouta-t-il en tournant le dos au bassin. « Connait-on son nom ? » interrogea Èibhlin. L'Auraushnee était l'un des rares Senthandas avec lequel elle se sentait le plus à l'aise, et donc avec lequel elle arrivait à questionner ou interagir sans s'excuser avant. Il faisait tout pour se montrer avenant envers ses hôtes. Elle ne se faisait pourtant aucune illusion. Il n'avait aucune réelle aménité. Ce n'était qu'un mensonge de plus. Encore. « Non. Seulement qu'elle appartient à la dynastie des Mynceria. ». Èibhlin ne put s'empêcher de songer que les Ondins étaient dans un triste état depuis quelque temps. À croire que seul l'existence de Vanille Deslyce leur avait permis de faire partie de ces races terrorisant le monde. Un jour elle avait disparu, comme ça, sans un mot ni un signe préalable. La fortune de cette dynastie avait été dilapidée — par les Humains qui plus est, si ça ce n'était pas une preuve d'agonie. Et aujourd'hui elles étaient vouées à vivre aux côtés des êtres de la terre, ces Gælyans comme elles disent, tant méprisés, ou à demeurer sous l'eau, complètement coupée du monde, prisonnière dans leur élément de vie. Ce devaient être les pirates et navires marchands qui devaient être heureux. Ils n'avaient plus à s'inquiéter de voir leurs trésors sombrer par le fond. Èibhlin se détourna enfin du bassin où elle croisa le regard acéré du Senthandas. Pourtant, et plus que sa présence, ce n'était pas cela qu'elle craignait. Cette Sirène, il l'avait acquise avant tout pour cette soirée. Une démonstration de richesse et de pouvoir auprès de ses pairs d'Innasgardh. C'était cela qui terrorisait la Sarethi. Ce soir, elle assisterait à une véritable soirée mondaine. Une de ces soirées d'exceptions qui faisaient rêver les plateaux inférieurs. Plus encore alors qu'un Auraushnee en était à l'origine. « Vous devriez vous détendre, on dirait une biche à l'affut. » intervint le Nyëva après avoir adressé quelques messes basses à son Orine qui s'éloigna avec une œillade vive sur la Sarethi. « C'est parce que me sens comme tel. » admit-elle en se pinçant la lèvre. « Ne le montrez pas alors. Les proies les plus en vue sont les plus faibles. Vous. ». Èibhlin déglutit. S'il espérait la détendre ainsi, c'était raté. « Tâchez de dissimuler un tant soit peu votre faiblesse. C'est le minimum vital à savoir, surtout dans votre cas. » - « Les premiers invités sont arrivés, Messire. ». La clone se crispa. Elle n'était pas prête pour ça. Vraiment pas.

Èibhlin poussa un long soupir désespéré. Ça n'avait rien de simple d'apprendre cette langue si éloignée grammaticalement et vocabulairement du Llandreri. Sans parler de la prononciation des mots. Un instant, elle se demanda pourquoi elle devait prendre cette peine. Ils parlaient bien le commun là-bas, non ? « Quelle pitoyable posture. ». La clone leva les yeux sur Áed. Chaque fois qu'elle le regardait, elle ne pouvait cacher la surprise due à son physique. Il n'avait rien d'un Alfar. Plus que cela. Sa figure androgyne pourrait aisément le faire passer pour une femme s'il le désirait. « Veuillez me pardonner. Ne pas réussir à apprendre l'Obien Sylath rapidement me– ». Elle n'alla pas plus loin dans sa phrase lorsque le regard critique du Senthandas croisa le sien. « Je me remets au travail. » fit-elle plutôt, en se penchant sur ses notes. Elle avait essayé de tenir une conversation dans la langue des Sorciers avec le Nyëva. Face au peu de succès qu'elle eut, elle fut contrainte à se replonger dans les ouvrages. Mais elle s'emmêlait les pinceaux. Entre le Haut Llandreri à assimiler, l'Obien Sylath pour sa présence à Amestris et le Niseis en préparation de son intégration au sein des Geishas, ce devenait compliqué. « Les examens de fin d'études se déroulent bientôt, n'est-ce pas ? ». Èibhlin fut surprise de cette question. « C'est exact. ». Un silence plana suite à sa réponse. « J'espère que nous n'aurons pas pris tout ce temps pour vous pour rien. » soupira son vis-à-vis en se dirigeant vers la fenêtre. Alors la clone se crispa. Depuis quelque temps, régulièrement elle recevait des répliques du genre. À force, elle commençait par particulièrement stresser. Elle avait l'impression d'avoir le regard de tous ses mentors sur elle. Un court silence ponctua nouvellement la réplique du brun avant qu'il ne surprenne encore une fois son apprentie. « La leçon est finie pour aujourd'hui. Rentrez chez vous. » - « Pardon ? Déjà ? ». La leçon avait été bien courte aujourd'hui. Devait-il avoir des choses de prévues. Pourtant, jusqu'alors, Emrys avait toujours fait en sorte de l'envoyer chez ses mentors seulement s'ils étaient disponibles toute la soirée. « Oui. Il me semble plus intelligent d'écourter cette séance, sachant que vous pouvez apprendre la langue chez vous, afin que vos efforts se concentrent avant tout sur ces épreuves. Qui plus est, Vèriss Dreain semble dire que vous avez encore beaucoup à faire pour maîtriser votre magie avec plus d'aisance. Ce qui n'est pas à négliger. ». Èibhlin se pinça les lèvres. Il était vrai qu'elle s'était améliorée. Ce ne semblait toujours pas assez aux yeux de Cillín cependant. Lentement, elle rangea ses affaires et remit de l'ordre dans les ouvrages que lui avait prêtés le professeur. « Très bien. » fit-elle en même temps. « Je vous laisse alors. Bonne soirée Vèriss Ashushshirari. »