Je suivais le petit groupe d’élèves. Je n’aimais pas marcher à n’en plus finir. Ma frêle silhouette était bancale mais j’étais malade. Je ne comprenais pas cette lenteur qui me caractérisait. Je ne voulais pas comprendre qu’elle était due à ma mauvaise alimentation. J’étais trop grosse, de toute façon. C’était la seule chose qui m’importait : mon poids. Le Moineau, c’était ainsi que les autres élèves m’appelaient. Je les haïssais, tous, tous ces chiens étrangers. Pourtant, j’avais décidé de faire des efforts, de m’intégrer et de travailler. Mes résultats scolaires n’étaient pourtant pas reluisants. Ceux qui voulaient me faire disserter sur la grandeur des Sirènes ou des Magiciens étaient des fous. Ces peuples n’étaient qu’un ramassis d’immondices. Ma mauvaise fois n’avait d’égale que les retenues que j’avais écopé en essayant de leur signifier la vérité. Je soupirai. J’étais lasse, aujourd’hui. Cette excursion chez les Réprouvés me semblait être une véritable torture. Il n’y avait pas une race plus misérable que ces derniers. Ils n’avaient aucun savoir-vivre. Ils étaient répugnants, ne se lavaient pas, ne s’habillaient parfois pas non plus. Qu’essayaient-ils de faire ? À montrer ainsi leurs muscles ? J’avais envie de leur refourguer la peste entre deux ruelles. Qu’ils crachent et qu’ils toussent. Qu’ils tombent et qu'ils meurent.
« Eméliana, que viens-je de dire ? » Je n’en avais aucune idée. Comme elle parlait des Réprouvés et que je ne voyais pas l’intérêt d’écouter ou, pire, de retenir quoi que ce fût sur ces choses, j’avais fermé mon esprit à son charabia. « Vous présentiez Stenfek. » dis-je, au hasard. Heureusement, la chance était de mon côté. « D’accord. Sois plus attentive. Ce qui se déroule en ce moment ici est très important historiquement parlant ! » Bien sûr. Comme si les Réprouvés avaient fait avancer l'Histoire d'une quelconque manière. Elle semblait pourtant convaincue. Encore la marque de l’infériorité des professeurs de Basphel. N’importe quel Sorcier aurait trouvé le sujet inintéressant. Ces gens buvaient des litres de bière et jouaient à monter sur des Bicornes… Dans quel but ? S’amuser ? Ce n’était pas drôle mais s’ils pouvaient tous se fracasser le crâne par terre, ça m’arrangerait parfaitement. S’ils disparaissaient, je n’aurais plus à déambuler dans ces rues. J’avais mal partout : aux pieds, aux mollets, aux cuisses. Je n’étais pas faite pour l’activité physique. Pourtant, je désirais que les choses changeassent. Je voulais prouver à l’Empereur Noir que j’étais digne et apte à me débrouiller seule. J’espérais que lorsqu’il constaterait que je n’étais plus torturée par l’école, alors son plaisir à m’y voir souffrir s’éteindrait et qu’il n’y verrait plus aucun intérêt. J’étais très loin du compte. Il ne cherchait pas mon mal-être. C’était tout le contraire. J’étais trop sotte pour le comprendre. Au moins, ma nouvelle motivation me tirait vers le haut.
La professeure continua son récit. « La question est de savoir ce que les autorités décideront. Stenfek demande son indépendance, ce qui entraînerait de multiples conséquences si ça arrivait. Quelqu’un a-t-il une idée ? Oui ? » « Une indépendance pourrait fragiliser le pouvoir ? » Je n’écoutais déjà plus. Je soupirai et laissai les autres élèves prendre de l’avance. Je ne me sentais pas très bien, sans doute parce que je n’avais encore rien avalé de la journée. Je finis par me mettre sur le côté. J’appuyai l’une de mes mains sur le mur, à cause de ma vision approximative. Tout devenait noir progressivement. L’environnement tanguait au fur et à mesure que mon esprit perdait de sa vivacité. J’avais l’impression de valser maladroitement, consciente de ne pas avoir donné à mon corps le carburant nécessaire à son propre maintien. Mon autre main se serra autour de ma robe. Elle était verte, de la couleur des sapins. Le col remontait jusqu’à mon cou. Je portais des collants noirs et mes cheveux étaient attachés en queue de cheval haute. Le tout me donnait une apparence stricte, appuyée par la posture que l’on m’avait fait adopter depuis l’enfance. J’étais une Princesse Noire. Je devais me comporter comme l’exigeait mon rang. Même si je ne l’avouerais jamais, ma silhouette, entourée de celles des Réprouvés, paraissait insignifiante. La plupart d’entre eux auraient pu contenir cinq fois ma largeur. Ils étaient grands et robustes, là où j’étais petite et fragile. Je ne pouvais rien soulever. Je ne pouvais pas faire le poids physiquement. Néanmoins, mon avis sur eux n’allait pas changer. Les peuples qui n’utilisaient que très peu la magie étaient des inférieurs. Les Mages Noirs avaient déjà montré à ces minables l’étendue de leur supériorité, lorsque Lumnaar’Yuvon était parti en fumée. Depuis, les Sorciers n’avaient plus réitéré. Pourquoi faire ? Les Réprouvés n’avaient rien pour eux. Les laisser vivre n’était une menace pour personne. Ils étaient des déchets, au même titre que les Humains. J’essayai de respirer lentement mais rien n’y fit. Ma vision sombrait progressivement dans le noir complet. Ce n’était pas agréable. La transpiration, la chaleur froide qui m’étreignait… J’allais m’évanouir au milieu de ces cafards aux mœurs dégradantes.