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Kitoe
~ Démon ~ Niveau II ~

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◈ YinYanisé(e) le : 09/11/2016
Kitoe
Dim 04 Oct 2020, 19:05

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Objectifs : Réponse à Shanxi : Helsinki essaye toujours de prendre ses marques aux Jardins de Jhen. Malheureusement, le départ de Shanxi l’affecte beaucoup. Elle continue de se reconstruire malgré tout. Cela se passera notamment par les échanges épistolaires qu’elle entretiendra avec elle.

Helsinki
Page blanche
Don't Go


-Bonjour. Excusez-moi, vous n’auriez pas vu une Ange, petite, blonde et assez maigre ? Elle a de longs cheveux blonds et des yeux bleus, souvent le regard dans le vague et une expression assez triste…

C’était, sans exagérer, la dixième personne qu’elle interrogeait. Les bras chargés de documents, le secrétaire qui passait par là considéra la Magicienne, béat. C’était que des Anges blondes aux yeux bleus chamboulées par le traumatisme de la Terre Blanche, il en croisait des dizaines tous les jours. C’était son métier, de les voir, de les enregistrer et de classer les différents suivis et tests médicaux dans leurs dossiers respectifs. C’était un travail répétitif et plutôt triste. Souvent, la progression des patients était lente. Parfois, il y avait des crises et il regardait les infirmiers et les médecins s’agiter autour du concerné, impuissant. D’autres fois, il croisait de véritables plantes vertes et il était terrifié à la simple idée de ce qu’ils avaient pu subir. Non, ce n’était pas un métier facile, même s’il ne s’agissait que de la gestion de papiers en tous genre et de la transmission d’informations. C’était pourquoi il s’était, à l’instar de ses collègues toutes catégories confondues, forgé une sorte de carapace qui l’empêchait de trop souffrir du malheur des autres. Malheureusement, dans le même temps, cette volonté d’indifférence l’empêchait de reconnaitre bien des patients. En plus, il n’était pas physionomiste. Il secoua la tête. Méryl insista.

-Elle s’appelle Helsinki. Elle est tatouée à l’épaule gauche.

Elle refusait de prononcer le nom qui avait été marqué sur sa peau. Elle ne voulait d’aucune façon honorer l’homme qui lui avait fait ça. C’était lui donner de la force et de la légitimité alors qu’un affreux personnage comme lui aurait dû disparaitre avec la mort, sans laisser aucune trace pour attester de son existence passée. Son nom sur cette épaule était de trop.

-Non, désolé, ça ne me dit rien. Les épaules sont rarement dénudées, par ici, vous savez. Surtout avec ce temps. Helsinki comment ?

-Helsinki Sulys.

Elle avait insisté pour que son nom apparaisse dans les fichiers, avant même la procédure d’adoption et malgré les réticences de l’Ange, encore sous le choc. L’adoption n’avait toujours pas aboutie : puisqu’elle était adulte, Helsinki devait donner son accord. Elle avait refusé de signer jusqu’ici.

-Vous ne pouvez pas la louper, elle ne se couvre jamais trop. C’est presque si elle ne mourrait pas de chaud malgré toute cette pluie.

Ce n’était pas totalement exagéré. C’était l’une des conséquences de quitter une prison souterraine sombre et humide avec une robe de chambre qui la couvrait à peine, pour un climat sec et doux à la surface avec des tenues plus décentes. Méryl n’était jamais parvenue à convaincre sa protégée de porter un pull ou de mettre sa couverture lorsqu’elle allait se coucher. Elle avait dû lui apprendre à s’habiller correctement, sans que cela ne porte atteinte ni à son confort, ni à sa pudeur, chose qu’elle avait perdu lors de sa captivité. De nouveau, il secoua la tête.

-Je vais aller demander et voir dans les dossiers. Vous pouvez m’attendre ici, laissez-moi juste le temps de ranger ça.

Elle accompagna son soupir un signe affirmatif de la tête. Elle n’avait pas trop le choix.

-Helsinki ! Appela-t-elle une fois qu’il fut parti, incapable de tenir en place.

Elle ne comprenait pas. Elle était pourtant à l’heure. Rien ne changeait de d’habitude. L’Ange aurait dû être là, à l’attendre à la sortie de sa séance avec le psychologue. Ça s’était toujours très bien passé jusqu’ici. Entre la maison et ici, il n’y avait nulle part d’autre où l’Ange aurait pu aller. Elle ne se promenait jamais seule dans les Jardins. Même accompagnée, la marche était un exercice difficile qu’elle n’effectuait que lorsqu’elle y était contrainte. Le vaste de l’endroit continuait de l’angoisser.

-Madame Sulys ?

La Magicienne se retourna. Helsinki. Un soupir de soulagement affaissa ses épaules et elle étreignit sa protégée avant même de s’enquérir de son état. L’Ange avait les cheveux et le visage trempé. Elle était enroulée dans une large couverture, supposée la garder au chaud. Pourtant, elle grelotait. Méryl se recula pour l’examiner. Sa peau était encore plus pâle qu’à l’accoutumée, à l’exception de ses yeux, qui étaient rougis et boursouflés. Régulièrement, la blonde passait un bout de couverture sous son nez pour l’essuyer. Elle baissa les yeux, honteuse. Elle se sentait comme une enfant stupide ayant fait une bêtise stupide. C’était idiot d’avoir cru pouvoir y arriver. Elle aurait dû prendre son mal en patience et attendre la Magicienne, comme tous les jours. Elle n’aurait embêté personne et tout se serait bien passé. Méryl remarqua le parchemin détrempé et chiffonné qu’elle tenait dans les mains. Elle leva les yeux vers le médecin qui l’accompagnait.

-Que s’est-il passé ? Elle était sous la pluie ?

L’homme les emmena à part, dans une chambre vide. Là, une employée emmena Helsinki dans une annexe pour la sécher et lui donner des vêtements secs. Méryl et le médecin s’assirent sur le lit vierge. Il était grave.

-Je crains que ce soit de notre faute. Elle nous a indiqué qu’elle voulait rentrer plus tôt et qu’elle connaissait le chemin. Elle ne se sentait pas bien. Nous lui avons fourni un manteau et elle est partie aussitôt. Il semble qu’elle se soit perdue en cours de route, mais elle-même ne sait pas trop comment elle a fait. Elle a probablement eu une absence, cela arrive parfois suite à un traumatisme. Elle était presque au bout du Jardin avant qu’un habitant ne la trouve et ne nous la ramène. Veuillez nous excuser pour cet incident. Nous n’aurions pas dû la laisser seule.


La Magicienne était bouche bée. Comment avaient-ils pu la laisser seule ? Avait-elle tenté de s’enfuir ?

-Helsinki a-t-elle déjà eu ce genre de crise à la maison ?

-Non, pas que je sache…

-Si cela se reproduit, il serait préférable que vous nous en parliez.

-D’accord.

Soupçonnait-il quelque chose ? Devait-elle s’inquiéter ?

-Nous l’avons trouvée très étrange aujourd’hui. Elle tient un parchemin depuis ce matin. Elle ne l’a pas lâché d’une semelle et l’a lu et relu des dizaines de fois. Elle semble très perturbée par celui-ci. Vous pensez que ça a un lien ?

Assurément.

-Oui, elle a reçu cette lettre aujourd’hui. Je ne peux pas vous dire que quoi il s’agit, en revanche, je ne l’ai pas lue.

Elle n’avait pas voulu se montrer indiscrète.

-Peut-être que vous pourriez lui demander ?

Elle resserra ses mains autour de son sac à main.

-Cela serait intrusif. Helsinki a besoin de son intimité.

-Je comprends, mais il est important de comprendre les raisons de son acte.

Cet Ange avait vraiment un regard froid, avec des iris aussi grises que l’acier. Elle ne l’avait jamais remarqué. Après tout, ce n’était pas lui qui s’occupait habituellement de la rescapée.

-Ce n’est arrivé qu’une seule fois.

-Cela pourrait se reproduire. Il regarda ses mains jointes, posées sur ses genoux. Le mieux serait de ne prendre aucun risque.

-Nous sommes aux Jardins de Jhen. Pas sur les Terres Arides.

-Elle pourrait être la source du problème.

-Helsinki ne pourrait pas… S’étrangla-t-elle.

Ses yeux brillaient. Helsinki était saine d’esprit. C’était catégorique et non discutable. Jamais elle ne ferait du mal à qui que ce soit. Ce dont elle se souvint soudain, cependant, la fit se taire une bonne fois pour toute : elle restait capable de se faire du mal, à elle-même. Ses heures de sommeil manquées, Méryl s’en rappelait encore. La fatigue. Le stress. La peur qu’elle en finisse avec sa vie, dans la continuité de ce que lui avait fait le Diable. Des semaines entières avant que l’Ange ne cesse. Etait-elle vraiment sur le point de recommencer ?

-Je sais ce que vous pensez, Madame Sulys. Vous avez peur que je lui diagnostique un trouble ou une maladie et que le quotidien n’en devienne que plus compliqué. Mais au contraire : savoir nous aidera. Je ne suis pas en train de vous dire qu’elle est malade. Tout pousse à dire qu’elle est parfaitement saine d’esprit. C’est juste une précaution.

Ils se défièrent un instant du regard, puis la femme se leva. Elle reprit un ton agréable, malgré sa gorge nouée.

-Merci de l’avoir ramenée.

Elle ne lui en voulait pour rien après tout. Leur échange n’avait été qu’un partage d’opinions. Ils voulaient tous l’aider et personne n’était à blâmer pour cela. Elle lui sourit gentiment et alla chercher sa protégée.

De retour à la maison, comme Helsinki ne s’était toujours pas réchauffée, Méryl l’installa sur le canapé et lui apporta des couvertures bien chaudes. Dans l’âtre de la petite cheminée, un feu crépitait déjà. Ces derniers jours étaient froids.

-J’espère que ce n’est pas une fièvre que tu nous fais. Tu es sûre que tu ne veux pas d’un bon bain bien chaud ? Insista-t-elle.

-Non merci.

-Une tisane ?

-Non merci.

-Hm. D’accord…

Figée, debout devant l’Ange, elle se mordit la lèvre. L’anomalie de la situation fit lever ses yeux à Helsinki.

-Ça m’embête de te demander ça, Helsinki. J’ai promis que je ne te questionnerais pas à propos de ces histoires et de tout ce que tu vois déjà avec les médecins, et j’ai promis de te laisser un maximum de vie privée dans cette maison. Mais si ça ne te dérange pas, est-ce que tu pourrais me parler de ce que disait ta lettre de ce matin ?

Helsinki n’était pas surprise par la question. Dès lors qu’elle avait lu le contenu du papier, un voile de tristesse s’était tendu entre sa vision et le monde extérieur. C’était bien cela qui était à l’origine de l’incident du jour. La nouvelle l’avait oppressée, si bien que son besoin de retrouver le calme de la maison n’avait jamais été aussi grand. Elle n’avait pas menti quand elle avait dit qu’elle connaissait la route. Depuis le temps, elle avait enregistré. Elle s’était simplement perdue dans ses pensées, aussi sombres que tumultueuses, et lorsqu’elle s’était enfin extirpée de sa rêverie, elle ne reconnaissait plus rien. La pluie s’était mise à tomber. Sa recherche d’un point de repère lui permettant de retrouver le chemin n’avait fait que l’éloigner plus encore. Finalement, en la voyant errer sous le déluge, quelqu’un lui était venu en aide. L’Ange alla reprendre le papier déposé sur une commode. Elle le lui tendit. Malheureusement, l’encre avait bavé. Seuls quelques mots étaient encore lisibles, le reste ne formant que des taches diffuses et grossières.

-Shanxi est partie. Souffla-t-elle.

-Oh…

C’était un deuil. Encore. Méryl en était parfaitement consciente, bien qu’elle ne sût pas grand-chose du lien qui unissait les deux Anges.

-Je suis désolée, Helsinki.

Tendrement, elles s’étreignirent. Helsinki la serra fort. Elle pleura comme elle ne l’avait fait depuis longtemps. Ça faisait du bien. C’était la première fois qu’elle demandait un tel contact, un tel réconfort, et de manière aussi spontanée. Les contacts physiques la tétanisaient, mais elle avait besoin de celui-ci. Elle aurait voulu serrer Shanxi dans ses bras comme elle le faisait là, avant qu’elle ne parte. Elle aurait voulu lui dire tellement de choses, passer plus de temps avec elle, apprendre la vie à ses côtés. Elle aurait voulu partir avec elle. Elle lui manquait. Le simple fait de la savoir si loin, à l’autre bout du monde, l’affectait. Elle avait peur de son absence, de ne plus jamais la revoir. Il l’avait bien dit, qu’elle ne la reverrait plus jamais. Et s’il n’avait pas eu si tort que ça ?

*
« Chère Shanxi,

Merci pour ta lettre. Je regrette de ne pas avoir pu te voir avant ton départ. J’espère que tu vas bien, que tout va bien là-bas. J’espère que tu reviendras vite. Tu me manques beaucoup.

Helsinki
»


Son écriture était maladroite. Ses phrases aussi. Elles étaient brèves. On pouvait les interpréter sur le ton du reproche, mais Helsinki ne savait pas comment faire autrement. Elle n’était pas en colère ; elle était triste. A avoir attendu qu’elle ne parte pour écrire cela, elle avait l’impression d’avoir raté quelque chose de primordial. Cela l’abattit.


2017 mots



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Kitoe
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Kitoe
Sam 10 Oct 2020, 23:49

Helsinki
Page blanche
-Tu ne veux pas lui écrire ?

Cela faisait plusieurs jours que cette nouvelle lettre lui était parvenue. Comme la précédente, Helsinki l’avait lue plusieurs dizaines de fois, si bien qu’elle n’était plus en mesure de percevoir les émotions cachées derrière chaque mot. Elle était presque capable de l’énoncer par cœur, comme un poème appris en classe qui aurait perdu tout son sens à force d’avoir été répété pour le connaitre enfin. C’était au moins la troisième fois de la journée que Méryl lui proposait de répondre, fidèle à son rituel instauré depuis la réception.

-Je ne sais pas.

Le message invitait clairement à une réponse. Méryl le savait : Helsinki lui avait tendu la lettre pour qu’elle la lise elle aussi. Mais comme toujours, l’Ange refusa la proposition. Ce n’était pas faute de vouloir répondre à proprement parler. La Magicienne voyait bien qu’elle le voulait. Elle était heureuse de recevoir des nouvelles de son amie. Cela illuminait au moins une ou deux de ses journées et elle savait qu’elle rendrait aussi Shanxi heureuse en lui retournant quelques lignes.

-Je ne sais pas quoi dire.

Elle n’avait rien à dire. Sa tête était vide d’idées. Elle était plutôt intéressée par ce que Shanxi racontait de sa vie là-bas, sur cette île inconnue et pratiquement inconcevable par son esprit, plutôt que par la description de la sienne. Elle n’avait aucune question à lui poser pourtant. Elle était simplement prête à lire tout ce qu’elle avait à dire sans broncher, à se laisser bercer par ses mots. Elle aurait pu raconter n’importe quoi que cela l’aurait captivée de la même manière.

-Tu pourrais lui dire comment tu vas et ce que tu as fait ces derniers jours. Proposa la Magicienne.

Était-ce vraiment utile ? Shanxi savait parfaitement comment le quotidien, notamment en compagnie des psychologues, se passait. C’était un schéma répétitif, que l’on appliquait à chacun des patients. Qu’est-ce que cela raconterait d’elle, si ce n’est que rien n’avait changé, ni n’était prêt à changer ? L’information était si pauvre qu’elle était à peine capable de la formuler. Devant son manque de réaction, Méryl continua.

-Tu as beaucoup de choses à raconter. Tu pourrais lui dire que tu as commencé à aider…

-Pour quoi faire ? La coupa l’Ange.

Savoir qu’elle passait le balai tous les jours dans les pièces communes de la clinique n’intéressait personne et ne faisait preuve d’aucune pertinence.

-Cela montre que tu t’investis et que tu fais de ton mieux pour t’intégrer ici.

L’argument ne la convainquait pas. Ce qu’elle faisait n’avait aucune valeur, comparé à ce qu’il se passait autour d’elle.

-Tu peux lui poser des questions ? Comment se passent ses journées ? Comment est l’île ? Qu’est-ce qui change d’ici ?

-Oui… Murmura Helsinki après une dizaine de secondes de réflexion, la plume fébrile entre ses doigts, comme si elle n’avait aucune idée de quoi en faire.

Elle commença. La pointe de sa plume tremblait. Elle formait ses lettres et ses mots avec maladresse. Une ligne. Deux questions. Pas de forme épistolaire convenable. C’était si peu et déjà décousu. Les doigts de sa main gauche se collèrent au papier pour le repousser à l’autre bout de la table. Elle perdait patience. Elle avait songé à écraser le parchemin en une boule compacte, cependant elle avait appris que ce n’était pas convenable. Elle ne voulait pas céder à la Colère.

-Que se passe-t-il ?

-Je ne peux pas.

La mère posa sur elle un regard peiné. Elle ne comprenait pas ce qui posait problème. Les larmes montèrent aux yeux de l’Ange.

-Je ne peux pas écrire. Je n’y arrive pas.

-Tu as à peine…

-Je n’y arrive pas !

La blonde éclata en sanglots. Elle avait un paquet de choses à dire à Shanxi. Une infinité. Si cela était possible, elle serait capable de discuter avec elle pour l’éternité. Mais pas à l’écrit. Ce qu’elle avait à exprimer, ce qui sortait du plus profond de son coeur ne s’écrivait pas. Helsinki s’écarta avant même que Méryl ne puisse poser sa main sur son épaule. La Magicienne ne réalisait pas combien de temps elle avait songé à cette lettre, à quel point elle s’était torturé l’esprit pour écrire quelque chose d’honorable. Elle y avait déjà réfléchi un milliard de fois. Tout ça pour ça. Elle se trouvait pitoyable. Si elle était si minable qu’elle n’était même pas fichue de répondre ne serait-ce qu’une phrase, franchement, à quoi bon écrire ? C’était un stupide cercle vicieux. L’Ange passa ses mains dans ses cheveux, puis frotta ses yeux.

-Elle est…

Les mots restèrent coincés dans sa gorge. Ça ne se prononçait pas non plus.

-Elle est tellement…

Le sentiment qui lui tiraillait les entrailles était indescriptible. Il n’y avait pas de terme exact. Méryl ne la comprendrait pas. Il lui semblait que personne ne pouvait la comprendre.

-… Loin…

Ce n’était pas qu’une notion physique. Shanxi était loin parce qu’elle avançait à une vitesse fulgurante. Sa vie avait un sens. Elle était une source de fascination, et par définition, elle était inatteignable. Elle s’en était sortie et Helsinki avait l’impression que rien ne pouvait l’arrêter. Elle, elle était clouée au sol. Ce n’était pas de l’Envie. Ce n’était pas de la Jalousie. Juste un constat. La jeune femme montrait beaucoup de difficultés à se projeter, à comprendre comment s’en sortir et si justement, il y avait quelque chose duquel elle cherchait à se sortir. Elle continuait de cauchemarder, régulièrement. Elle revoyait Asborn. Leigh. Shanxi. Elle se voyait elle, rampant par terre dans un état déplorable. Sale, maigre, blessée, violée, parfois malade. On ne cessait de lui répéter qu’elle devait se détacher de tout ça. Comment ? Au-delà du fait que tout cela faisait à présent partie d’elle et de son histoire, comment pouvait-elle s’extirper de cette substance obscure, épaisse de ses peurs et collante de toute la douleur qu’elle avait ressentie ? Comment pouvait-elle aller bien après avoir trainé aussi longtemps dans cette boue nauséabonde, maintenant qu’elle n’y vivait plus mais qu’elle en resterait toujours souillée, qu’elle était le mouton noir du troupeau ? Helsinki était bien loin du stade où elle pouvait comprendre la moindre réponse à ces questions.

Le fait est que la jeune femme était incapable de sortir de sa bulle et de son mutisme. S’ouvrir aux autres était une épreuve dont elle ne saisissait pas toujours l’utilité, autant qu’elle n’osait pas le faire. C’était dangereux. La plupart ne la comprenaient pas, et quand bien même ils compatissaient, elle détestait voir leurs regards, remplis de ce qu’ils nommaient l’empathie, sur elle. Ça ne faisait que rendre la situation encore pire, infantilisante. Inconsciemment, elle voulait qu’on la traite comme si rien de tout cela ne s’était produit. Elle n’y parvenait pas toute seule. Elle avait besoin d’une impulsion, d’un coup de fouet qui la réveillerait. Elle pleurerait, sans aucun doute. Cela lui ferait mal et l’oppresserait tant qu’elle paraitrait encore plus invisible qu’elle ne voulait déjà l’être. Puis, d’elle-même, elle se reprendrait en main, réalisant soudain que c’est l’unique chose à faire pour ne pas sombrer. Pour le moment, elle flottait juste, stagnant au milieu d’un océan. Certes, elle n’était pas au fond, mais elle ne volait pas non-plus. Elle était un oiseau se servant de ses pattes et de ses ailes déployées pour flotter. Il n’y avait pas de prédateurs et la mer était paisible. Le fait de flotter n’était pas trop fatigant, mais sa condition ne la satisfaisait pas, car l’angoisse de couler, ou de ne jamais s’en sortir, subsistait. Elle restait là. A la dérive. Se laissant emporter par un léger courant. Il lui fallait des vagues pour s’extirper hors de l’eau, comme un tremplin, quitte à paniquer un peu.

Les deux femmes n’étaient pas à la même hauteur. C’était l’amitié la plus forte qu’Helsinki n’avait jamais nouée, un lien particulier de par l’époque et le contexte dans lequel il était né. A l’heure actuelle, il lui était pourtant inconcevable de comprendre comment il avait pu naître pour perdurer encore. Ça n’allait pas. Helsinki et Shanxi n’étaient pas… compatibles. Elles avançaient dans deux dimensions différentes. Elle ne la méritait pas.

-Helsinki… Je ne sais pas comment t’aider…

Pourtant, ce n’était pas l’envie qui manquait. Méryl était prête à l’impossible pour la rendre heureuse. L’Ange était devenue son enfant à l’instant même où elle avait appris son nom, après s’être proposée pour accueillir un rescapé de la Terre Blanche.

-Elle arrive à vivre.

-Parce que tu ne vis pas, toi ?

Méryl était à deux doigts de pleurer avec elle. Helsinki ne se rendait pas compte à quel point ses mots pouvaient aussi blesser la femme.

-Des fois je me dis que j’aurais dû rester avec Asborn.

Elle s’adaptait si peu. Sa vie aurait été plus simple. La mère plaqua une main contre sa bouche, incapable de contenir davantage son horreur.

-Ne redis jamais une chose pareille. Souffla-t-elle.

Elle perdait son sang-froid pour de bon. Ce n’était pas bon de stigmatiser ceux qui souffraient, mais c’était sorti tout seul. Elle s’était mise à pleurer à son tour.

-Ta vie est ici, Helsinki. Pas chez cet homme qui a voulu te détruire. Je ne sais pas ce qu’il t’a fait car tu ne veux pas en parler, et c’est ton choix. Mais tout ça, c’est fini. Il est mort. Tu es saine et sauve. Ne le laisse pas te hanter encore. Ce serait terminer son travail à sa place. Ne le laisse pas gagner. Peu importe le temps que ça prendra, ne le laisse pas gagner. Tout ce qui compte, c’est que tu le battes. Le temps importe peu. Je t’aiderai à affronter tes peurs jusqu’à ma mort s’il le faut. Tant que cela te permet d’atteindre le bonheur, je le ferai.

S’emparant de la main de sa protégée, elle continua :

-Shanxi fait aussi partie de ton traumatisme. Mais je pense qu’elle est la seule capable de t’aider vraiment. C’est la seule qui sait et qui peut te comprendre. Le reste d’entre nous, nous servons à te guider et à te donner des repères, jusqu’à ce que tu arrives à tourner la page. On se fiche d’où en est Shanxi. Nous voulons que tu sois heureuse. Nous voulons que tu gagnes. Elle sécha ses larmes, puis alla chercher des mouchoirs. Je pense sincèrement qu’écrire ces lettres t’aiderait. Vous vous êtes retrouvées, et c’est formidable. C’est le lien le plus important que tu as. Ne le perds pas. Tu as tous les moyens pour le faire, et je suis là pour t’accompagner.

Elle ramena le parchemin à elles. Elle sourit.

-Shanxi serait vraiment heureuse d’avoir de tes nouvelles. Elle est loin, mais elle aussi a besoin de toi. Autrement, elle ne prendrait pas le temps de t’écrire.

Helsinki baissa les yeux vers les quelques mots qu’elle avait écrit plus tôt. Elle renifla puis cacha son nez derrière le mouchoir.

-D’accord.

Elle avait encore besoin de réfléchir.

*

« Chère Shanxi, »


La pointe imbibée d’encre noire resta suspendue en l’air, à quelques centimètres de la feuille.

« Je suis toujours heureuse de recevoir tes lettres. Je ne compte pas combien de fois je les lis avant de te répondre. Autrement, je crois que ça va. Méryl s’occupe bien de moi et je continue d’aller à la clinique. J’aide un peu plus à l’entretien des locaux. Rien n’a vraiment changé ici, la vie est calme.

Je suis heureuse que tu te plaises là-bas et tu as raison, j’aimerais beaucoup voir ce que tu y fais. A quoi tout cela ressemble-t-il ? Comment est l’île ? Un an supplémentaire d’absence, c’est beaucoup... En attendant de te revoir, raconte-moi tout. Mais pas d’un coup. Juste un peu à chaque fois. Ça nous donnera l’impression de nous voir un peu tous les mois.

Prends soin de toi,

Helsinki »


Elle s’en voulait d’écrire quelque chose d’aussi court, bref et dénué d’intérêt. Elle n’avait rien trouvé de plus palpitant depuis la dernière fois, mais elle s’était faite à l’idée que c’était mieux que rien.

Les lettres qui suivirent, au cours de leur correspondance, se ressemblèrent d’une manière ou d’une autre. Shanxi relatait les évolutions auxquelles elle assistait de son côté. Helsinki parlait de son quotidien, qui bougeait à une vitesse logarithmique, au même stade d’assistée. Mais ce n’était pas grave. Méryl ne cessait de le lui répéter : le but était de se retrouver et de se rassurer, ni plus ni moins. Pourtant, c’était aussi elle qui s’était mise à lui proposer mille et une activités pour lui donner de l’inspiration.


2090 mots



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