Dhavala démontrait beaucoup moins d’intérêt au conte que Grendel, mais l’Eversha suivit la présumée Fae jusqu’à ce qu’elle fût satisfaite, et épuisée, du voyage. Contrairement à Grendel qui découvrait cet univers pour la première fois en personne, Dhavala y avait gardé ses souvenirs de son passage en tant que le personnage de Shan Yu. Si ce n’était de l’envoutement qui lui fit perdre le contrôle de ses actions, l’expérience avait été plaisante. Il avait d’ailleurs été intéressant pour Dhavala de comprendre l’origine des actions de ses adversaires d’alors. Cela dit, le Conte des Trois Royaumes appartenait au passé et l’Eversha y accordait bien moins d’intérêt que le présent.
« Rien ne t’empêche de rester, expliqua Dhavala suite à la question de Grendel. Tu y vivras sans influence et tu n’accompliras rien. »
Dhavala avait bien remarqué les réactions de Grendel à chaque fois qu’elle se retrouva en présence des petites créatures ailées. Ce mélange de colère, d’impuissance, de désir et de jalousie qu’elle dégageait alors ne laissait place à aucun doute. Elle était reliée à ces créatures, ces Faes. En tant que changeur de forme, il était évident pour Dhavala que la petite allait un jour se transformer pour gagner les caractéristiques propres à sa race. Ce n’était pas bien différent de l’Eversha qui éveillait son Totem pour la première fois à la puberté.
Cette réalisation marqua la fin de l’observation de Grendel. Dhavala avait appris ce qu’il pouvait apprendre d’elle. À moins de rester en sa compagnie jusqu’au jour où elle se transformerait en Fae, l’Eversha n’en apprendrait pas plus sur la race. Si, somme toute, Dhavala n’avait pas appris grand-chose des Faes, il connaissait maintenant le nom de la race et disposait de trois exemples à différents stades de leur cheminement.
Si Grendel n’intéressait plus Dhavala, elle ne lui était pas encore inutile. Grâce à celle-ci, Dhavala avait pu faire connaître sa cuisine aux membres du cirque et il comptait se servir de cet avantage pour négocier avec Chichi un partenariat. Ainsi, Dhavala pourrait tirer profit de la clientèle du cirque pour vendre ses plats. De même, le cirque allait pouvoir attirer une clientèle plus vaste que les simples curieux de passage en ajoutant de la cuisine étrangère à leurs atouts.
« Moi, je retourne au monde réel. À toi de voir si tu veux devenir Fernand, le vieux lion en cage, ou Ambroisine, la maîtresse du monde des contes. »
Chacun avait ce choix, de vivre une vie tranquille, banale et sans intérêt, ou de prendre son destin en main et d’accomplir des exploits. C’était un choix personnel et sans mauvaise réponse. Dhavala avait fait le choix d’aller de l’avant et de vivre sa vie comme il l’entendait. Le temps l’avait naturellement dirigé vers une vie d’aventures et de difficultés à surmonter. Grendel pouvait choisir de passer sa vie dans le monde des contes ou dans son cirque, comme elle pouvait choisir de prendre sa destinée en main.
***
Dhavala et Grendel rentrèrent au cirque de Chichi l’instant suivant leur départ, mais avec l’épuisement accumuler lors du voyage. Comme pour la veille, Dhavala eut tôt fait de prendre congé de Grendel et du cirque pour retourner dans la forêt à son camp. L’Eversha était sûr qu’après avoir goûté à sa cuisine, Chichi accepterait son offre de partenariat et qu’il le laisserait travailler au cirque comme cuisinier en échange d’une part des profits.
La chasse avait ce côté positif qu’il était aisé de débarquer à l’improviste dans un marché et de vendre sa marchandise. Les fourrures, les cuirs et même les os avaient différentes utilités et les marchands comme les passants pouvaient y trouver leur compte si le prix était bas. La cuisine, toutefois, nécessitait de la confiance, des connexions et un public. Étant nouveau dans la région, Dhavala ne disposait d’aucun de ces atouts. En s’associant au cirque de Chichi, Dhavala profiterait des capacités de Chichi à gérer ce genre de chose, tout en faisant circuler son propre nom à Vervallée. Ainsi, lors du départ du cirque, Dhavala serait bien plus à même de s’établir commercialement à son compte.
Ainsi donc, au lendemain, c’était toute la meute qui se présenta au cirque. Le trio de changeurs de forme avait été très actif la veille et leur chasse avait permis une récolte abondante de viandes diverses. Si Dhavala avait confiance en sa capacité à négocier un accord avec Chichi, Échidna était présente pour s’assurer que son chef obtenait satisfaction. Elle avait ordre de ne pas abuser de ses pouvoirs mentaux. C’était logique, si les Béluas désiraient se lancer en affaires à Vervallée, la ville des Magiciens, ils ne pouvaient pas être reconnus pour des histoires de manipulations mentales.
Dhavala et Chichi discutèrent pendant un moment pour arriver à un compromis mutuellement bénéfique. Comme prévu, les dons d’Échidna étaient inutiles au débat. Chichi avait tout à gagner. Un cuisinier de formation s’occuperait de nourrir le cirque et offrirait ses plats à la clientèle. Ainsi, le cirque pouvait justifier une augmentation des coûts d’entrées, payer les services de Dhavala et ainsi augmenter son profit par visiteur. Que ladite cuisine ait été goûtée au préalable ne faisait que faciliter le partenariat, malgré la discutabilité des actions entreprises pour arriver à ce résultat.
***
Dhavala cuisina pour le compte de Chichi pendant les deux mois où le cirque itinérant fut de passage à Vervallée. Durant ce laps de temps, plusieurs silhouettes s’arrondirent parmi les employées de Chichi, et même parmi certains clients réguliers. Si l’Eversha ne produisait pas de la fine cuisine, il s’illustrait par des portions particulièrement imposantes. Somme toute, le salaire de Dhavala frôlait l’exploitation en considérant la quantité de travail fourni par le cuistot, qui trouvait en plus le moyen d’aider à s’occuper des animaux. C’est, entre autres, ce qui permit au cirque d’engendrer un profit conséquent de son séjour chez les Magiciens.
Avec sa charge de travail, Dhavala passa assez peu de temps en compagnie de Grendel, qui retrouva son rythme de vie habituel. Une fois la curiosité envers l’un l’autre étanchée, il y avait peu d’intérêt commun entre l’Eversha et la Fae. Travailler ensemble dans le cirque de Chichi eut tôt fait de banaliser leurs rencontres, ce qui permit à Grendel de retrouver sa vie normale.
C’est le départ du cirque vers de nouveaux horizons mis fin au partenariat entre Chichi et Dhavala, chacun poursuivant son propre chemin. Les adieux furent brefs. Dhavala ne s’était pas particulièrement lié d’amitié envers qui que ce soit au cirque, à l’exception des deux Hesshas, avec qui l’Eversha passait une bonne partie de son temps libre. Ce n’était un secret pour personne que la présence de Dhavala parmi le cirque serait éphémère et chacun agissait en conséquence.
Dhavala était un cuistot de passage et l’on allait se souvenir de lui comme tel. Au final, Grendel fut la seule envers qui l’Eversha s’attarda et prit la peine de faire connaissance. Elle reçut donc un traitement de faveur quant aux plats qui lui furent cuisinés.
« Peut-être nous reverrons-nous un jour, Grendel, Fae des Cirques. Prends soin de toi, mène ta vie comme tu l’entends et tu trouveras le bonheur. »
1189 mots
8ème message
