Quelques jours plus tôt, la jeune femme avait ressenti le besoin de s’éloigner de l’agitation de la ville et de ses effroyables tentations. Rentrer à la maison lui avait paru tout naturel, et, profitant de l’absence de sa mère, elle avait passé de bons moments en compagnie de sa demie-sœur et de son père. Ravi de la voir assidue à ses travaux de couture, il lui donna même quelques conseils pour améliorer son maniement de l’aiguille. Un matin, il lui demanda de venir dans son bureau. L’air préoccupé, il se tourna vers elle sitôt qu’elle eût franchi le seuil de la porte. « J’aimerais te demander un service, ma chérie. J’ai promis à des amis d’organiser une soirée pour la naissance de leur enfant, mais je dois me rendre en urgence à Avalon. » Troublée par l’inquiétude et l’empressement dans la voix de James, elle hocha la tête en silence. Être en mesure de lui rendre service lui faisait véritablement plaisir, elle qui passait son temps à requérir son assistance. « Ma boutique de lingerie a été cambriolée, et je dois aller constater les dégâts au plus vite. » La nouvelle écarquilla les yeux de la blonde. Comment pouvait-on s’en prendre à de si belles pièces ? Outrée par cette révélation, elle croisa les bras sur sa poitrine. « Qu’est-ce que tu fais encore là ? » Les lèvres de James s’étirèrent en un mince sourire. « Tous les détails sont dans cette lettre. Je reviendrais dès que possible pour t’aider. Merci, Calanthe. » Il lui tendit le parchemin et quitta aussitôt la pièce. Il ne pouvait croire que sa précieuse marchandise ait disparu.

Sans le secours de Serena, la blonde aurait été bien embêtée. Sa lecture leur apprit que les invités devaient arriver la semaine suivante, en fin de journée. D’ici là, il fallait se rendre au village voisin pour louer le personnel d’un restaurant, acheter les provisions en conséquence, et s’occuper de la décoration. James précisait également qu’il fallait récupérer des potions d’infertilité chez un herboriste. D’un commun accord, elles se partagèrent les tâches. C’est ainsi qu’elles prirent ensemble le chemin de Koqkiri. De taille modeste, le village se situait à une bonne heure de marche de la maison, et lorsqu’elles y parvinrent, elles avaient le visage rougi par l’effort. Sans tarder, elles se séparèrent. L’aînée avait beau ne pas briller par son intelligence, elle avait passé des heures à jouer dans les rues de Koqkiri, plus jeune. Pendant que Serena se chargeait de l’intendance, elle s’approcha d’un restaurant où elle avait souvent dîné, autrefois. « Bonjour Monsieur, je m’appelle Calanthe Firenze. Ma famille va donner une soirée la semaine prochaine. Seriez-vous disponible pour venir cuisiner à la réception ? » L’autre ne lui répondit pas immédiatement, lui administrant une tape sur les épaules. Manifestement, il se souvenait très bien d’elle : elle ne pouvait pas en dire autant. « C’que t’as poussé, gamine ! T’es sûre de manger à ta faim ? T’as que la peau sur les os ! Assieds-toi, et prends un morceau, c’est moi qui régale. » Malgré ses protestations, Calanthe se retrouva attablée, et dut avaler une quantité monstrueuse de nourriture, tandis que le cuisinier, riant à gorge déployée, lui racontait des anecdotes sur ses mésaventures d’autrefois dans les parages. Lorsqu’elle eût terminé son assiette, ils discutèrent brièvement de la soirée, et il promit de venir avec deux de ses serveurs.

Sa première tâche accomplie, la jeune femme se dirigea vers une boutique de fleurs. En matière de décoration, Serena lui avait laissé carte blanche, et, même si elle aurait aimé disposer d’un thème pour faire au plus juste, elle se contenta de se fier à son intuition. Dans l’échoppe, elle opta pour des glaïeuls de la couleur du soleil, et choisit de contraster la vivacité de leur teinte avec des bourgeons blancs, que la marchande lui désigna comme des belles de nuit. Ravie de sa trouvaille, elle régla la question de la livraison, et, assurée de la fraîcheur de la marchandise, elle retourna à ses recherches. Dans sa lettre, James précisait que seul le salon devait être décoré. Elle avait décidé de remplacer les rideaux par des tentures immaculées qui traînaient à l’étage. Sa représentation manquait cependant de couleur, et les touches jaunes apportées par les fleurs ne suffiraient pas. Errant à travers le village, elle finit par entrer dans une boutique qui, de loin, ressemblait davantage à un dépotoir. Une fois à l’intérieur, elle fut comblée. Des centaines d’objets s’étalaient sur les étals ; son bonheur, certainement, se trouvait là. Le désir de tout acheter monta en elle. Se mordant la lèvre inférieure, son regard coula avec convoitise sur tout ce qu’il pouvait capter. Sans réfléchir, elle demanda au marchand de lui donner tout ce qu’elle pouvait acheter avec la bourse qu’elle possédait. Content de son intérêt, il s’empressa de lui fournir une myriade de bibelots dont elle n’avait guère besoin, et que, pourtant, elle désirait de toute son âme. Cependant, posséder quatre sacs ne lui suffisait pas. Il lui en fallait davantage. Devant le vide de son porte monnaie, elle fut cependant forcée de sortir. Déçue d’elle-même, elle s’assit sur le seuil du magasin, les bras chargés de babioles inutiles. Elle avait eu tort de croire qu’elle pouvait aider son père.

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