Après quelques secondes ou l'ouvrier s'était tourné vers son vis-à-vis, incrédule face à ses mots, il le rattrapa au pas de course, sourcils froncés et la mine courroucée.
« C'est un non-respect aux morts ce que vous dites-là. Comment osez-vous ? » -
« Je constate c'est tout. En un laps de temps tellement cours le pays a subit les flammes, le sang... Et même la mutation ! Heureusement que ce fussent des chats. Imaginez le monde transformé en poisson. Il n'y aurait plus grand monde aujourd'hui pour prendre soin des défunts. ». De nouveau, il vit la colère s'installer dans le regard de l'homme.
« Le pays n'a brûlé que parce que des hommes venus d'ailleurs ont profité de l'absence de notre Reine pour s'en prendre à nous. » -
« Et j'imagine que ce sont également ces hommes qui s'en sont prit à l'église. », rétorquait Jämiel, cynique.
« Ces malheurs nous arrive uniquement parce que Maléfique est sur le trône. Il est évident que le Seigneur n'approuve pas son règne. ». Le Sarethi s'arrêta au milieu du chemin, fixant d'un regard circonspect l'inconnu. Il s'était attendu à une résistance absurde, mais tout de même, une telle mauvaise foi.
« Au point d'en faire brûler les chaumières des honnêtes gens au risque de les immoler et d'éventrer ses propres fidèles ? C'est un bien cruel dieu que vous avez là. ». Ça y est. Le sujet était enfin ouvert.
« Mais admettons. », commença-t-il en reprenant la route.
« Considérons cela comme un châtiment pour ne pas avoir résisté ou s'être révolté ou que sais-je encore. ». A peine avait-il fini sa phrase qu'il pu voir un air de fierté sur le visage de son vis-à-vis. Il venait de le faire plier et il en était fier. Ce qu'il croyait, pauvre idiot.
« N'est-ce pas de l'acharnement quand on en vient à envoyer une bête sauvage massacrer ses fidèles dans son propre lieu de culte, qu'il soient innocent ou non - d'ailleurs, vu le monde qu'il y avait, il est probable que, si ce fussent les pécheurs qui furent visés, les innocents ne fussent pas épargnés - en plus de réduire en cendre tout un pays et de rendre incapable une population entière ? ». Il vit l'ouvrier rapidement chercher une réponse. Evidemment qu'il y avait une réponse. Il en était certain. Pourtant elle ne lui venait pas. L'Alfar l'avait, lui.
Il fit mine de réfléchir un instant à la raison de ces attaques simultanées, avant d'imiter un semblant de révélation. Alors, il s'arrêta à nouveau, fixant son nouveau compagnon.
« Je me demande si... » -
« Si quoi ? », questionna ce dernier, entre espoir et crainte. Il marqua un temps. Sa foi était trop ancrée en lui encore pour balancer les choses de but en blanc.
« Disons que... C'est seulement une hypothèse, évidemment. Mais, avec tout ces événements mit bout à bout, elle prends des allures de vérités. Inconcevable et pourtant, tellement logique. Toutefois... » -
« Et bien, qu'est-ce que c'est ?! », demanda l'homme brusquement avec une impatience non-cachée. L'Alfar le dévisageait plusieurs secondes avant de répondre.
« Hum... Vous avez entendu parlé d'Ezechyel ? ». Cette fois ce fut le croyants qui l'observa d'un œil sceptique.
« Ezechyel ? Le corbeau de Maléfique ? » -
«Lui-même. ». C'était maintenant qu'il devrait faire attention à chacune de ses paroles. L'homme fronça des sourcils. Evidemment qu'il n'était pas convaincu. La conversation avait débuté sur la terrible mort de ses concitoyens, et maintenant il évoquait un oiseau de malheur. Pour lui tout du moins. Le Sarethi le voyait d'un œil bien différent, plus encore depuis qu'on lui avait donné son nom. Demain, cet homme verrai cet oiseau du même œil que le sien.
« J'ai entendu, une fois, que la magie de Maléfique était moins dû à ses propres capacités qu'au corbeau qui l'accompagnait. ». L'ouvrier continuait à l'observer, silencieux et soupçonneux.
« Plus que cela, certains murmurent que, s'il voyage sous la forme d'un corbeau aux côtés de cette Sorcière, c'est pour mieux surveiller et juger le monde. ». Il le vit hésiter. Aussi ne continua-t-il pas plus loin, attendant l'intervention de l'homme.
« Mais... Comment ça ? La forme d'un corbeau, c'est ridicule ! », souffla-t-il, inquiet. Ça y est. Un germe commençait à s'implanter dans son esprit. Ne restait plus qu'à le faire croître. Aussi reprit-il, à demi-mot,
« En réalité, l'on dit qu'il est bien plus qu'un simple animal et plus puissant encore qu'un Sorcier. Qu'il surveille les hommes et les punit s'ils venaient à oublier son nom et son origine. ». De nouveau, l'homme se tût. Les traits du visage tendus, il ne détachait pas son regard de celui de l'Alfar. Puis il continua son interrogatoire, la voix tremblante.
« Mais, qu'est-ce que ça veut dire ? » -
« Hum... Pas au milieu de la rue. Ce n'est pas l'histoire à laquelle la population adhère le mieux, surtout lorsque le prêtre est juge en même temps. ». Aussi lui indiquait-il le château en cendre de Maléfique comme lieu de retrouvaille.
En un rien de temps, il se retrouvait face à celui-ci. Son regard se posa au sol, où il trouvait le fétu dont il s'était débarrassé plus tôt. Un air ravi aux lèvres, il le ramassait et le remit dans sa poche avant de se tourner vers l'ouvrier comme il l'entendit approcher.
« Je ne connais même pas ton nom. », commença-t-il avant tout autre chose.
« Je m'appelle Ezra. Quant à vous, vous êtes le Docteur Facilier, n'est-ce pas ? ». Hum. Cet homme dont il arborait l'apparence avait une réputation qui le précédait.
« En effet. » -
« Je me posais une question. Pourquoi rabaisser Maléfique et dévoiler son point faible. Certaines rumeurs disent qu'elle est votre mère. ». Evidemment. Il avait besoin de ça. Il laissa échapper un soupir, profitant de ces quelques secondes de répit pour trouver une excuse valable et tenant la route. Une rumeur.
« Une mère qui délaisse son enfant mérite en retour peu d'attention de ce dernier. ». C'était plus un pari qu'autre chose qu'il effectuait.
« Je vois... », fit-il, presque triste. C'était ridicule. L'Alfar ne répondit rien. Il ne voulait pas ouvrir le sujet. Il ne voulait pas insister avant de connaître la position de l'homme.
« Ce dont nous avons parlé plus tôt, est-ce que... Est-ce que c'est vrai cette histoire ? Ou ce n'est qu'un on-dit parmi d'autres ? ». Le Sarethi l'observait quelques secondes. Non, il n'y croyait pas encore tout à fait.
« En effet. J'ai quelque peu menti tout à l'heure en ne parlant que de murmures. Mais c'était dangereux au milieu de tous ces adorateurs, et surtout avec la garde, sous les ordres de Frollo, qui patrouille continuellement. N'est-ce pas étrange d'ailleurs ? ». Il marquait un temps, laissant l'opportunité à l'ouvrier de réagir à cette dernière remarque. Ce qu'il s'empressa de faire.
« Quoi donc ? » -
« Et bien. Un religieux qui, également, s'occupe des affaires judiciaires de la région en plus d'être à la tête de la milice armée de la ville. ». L'ouvrier fronçait des sourcils, se plongeant dans les prunelles de Jämiel. Il ne voulait pas comprendre, ce qu'il cherchait à lui énoncer.
« C'est à croire qu'il cherche à maîtriser la totalité de la population. » -
« C'est impossible. », murmura l'homme qui baissa les yeux à ces paroles. L'Alfar le vit blessé, rongé par le doute et la détresse. Tant mieux.
« Est-ce que je peux faire une hypothèse ? », continua celui-ci, voyant très bien que l'ouvrier ne répondrait rien de plus. Aussi l'émit-il sans même attendre son autorisation.
« Cet homme, ce "juge" ou "prêtre", peu importe le nom qu'il se donne, a imposé cette religion, probablement montée de toute pièce, afin d'avoir les pleins pouvoirs sur le peuple et la pleine connaissance de votre vie pour en maîtriser chaque mouvement. ». Ezra leva brusquement la tête à ces paroles et, dans un souffle, chercha à les nier.
« Et, à mon avis, c'est pour cela que le pays a été mit à mal. Pour rappeler le peuple à son véritable dieu. ».
L'homme jeta un regard noir sur l'Elfe sombre.
« Tu l'as dis toi-même. Un dieu peut-il se montrer si cruel ? Quel dieu véritable assassinerai ses fils et ses filles, surtout pour les ramener à ses côtés ? Qui plus est, ces attaques n'avaient rien de divines. ». Jämiel marqua un temps avant de répondre. Il y avait une logique à ses paroles. Il pouvait également en trouver une à sa propre réponse.
« As-tu déjà vu un dieu s'en prendre personnellement aux mortels pour les punir ? Qui plus est, y a -t-il eu tant de mort que cela ? Ces événements ont plus été marquants qu'ils n'ont été meurtrier. » -
« Alors... » -
« Pourquoi ? Quel dieu chercherai à semer la Mort pour rappeler au peuple son existence ? », questionna-t-il en s'avançant vers les ruines, découvrant sous un amas de poutres sombres et de charbons, le corps calciné d'une personne, impossible à identifier, qui n'avait probablement pas réussi à échapper aux flammes. Face au mutisme de l'homme, il reprit, répondant comme une évidence.
« Celui que l'on ne peut éviter et que tous finissent par embrasser un jour. Celui qui représente la Mort dans tout ses états. ». Un instant, il pu voir l'effroi passer dans le regard de l'ouvrier. Il ignorait si Ezechyel agirait réellement d'une telle manière. De toute façon, il avait du mal à imaginer le culte de l'Aether disparaître.
« Je te laisse réfléchir. C'est tout de même étrange que, juste après l'arrivée de Maléfique, donc d'Ezechyel, le Royaume s'effondre. » -
« Et pourquoi ce n'est pas arrivé au Royaume voisin ?! Dis-le moi ?! ». Le désespoir. Sa foi, celle de son ancien dieu, ne tenait qu'à un fil qu'il n'avait plus qu'à trancher sans le moindre scrupule.
« La Mort est déjà présente dans les deux Royaumes voisins. En plus de l'avoir oublié, elle n'a jamais été aussi absente ici. ». Ou presque. Les folies de Ravenna n'étaient qu'un détail à passer sous silence. L'homme leva les yeux au ciel comme il ajoutait, la voix tremblante,
« Que dois-je faire, Seigneur ? » -
« L'oublier, tout simplement. Ou il est probable que les enfers s'abattent de nouveau sur ces terres, et de façon plus brutales et assassine je le crains. ». Il dévisagea l'Alfar, terrifié, tandis que ce dernier posa ses mains sur ses épaules en reprenant, d'une voix presque implorante.
« Dites la vérité aux autres, à tout ceux que vous pouvez. Il faut rendre l'église au dieu qui en est à l'origine. Montrer à Frollo qu'il n'est pas le Maître Suprême. ». Sur ces mots, il se saisit de la main d'Ezra pour y déposer un objet. Deux morceaux de bois liés.
« Qu'est-ce que c'est ? », fit l'ouvrier.
« Le jour de la catastrophe, nombreux sont ceux ayant vu Ezechyel traverser le Royaume de part en part. Lors de son passage, ils ont vu un objet tomber à différents endroits. Il s'agissait en réalité de ceci. Des signes, indiquant les lieux qui seraient attaqués, comme un avertissement. » -
« Où l'a-tu trouvé ? » -
« Auprès de l'église, tout à l'heure. ». Mensonges, encore. C'était un machin que Facilier trimbalait avec lui, qu'il avait jeté avant de le récupérer en se disant que ce pourrait finalement être utile.
« Avec les incendies, il ne doit plus y en avoir tant que ça, il se pourrait même que ce soit le dernier. A moins qu'ils ne soient emprunt de magie alors... » -
« Avec de la chance, les autres seraient encore présent. ». De la chance ? L'Alfar posa un regard curieux sur lui, avant de sourire doucement.
« En effet. ». Ezra posa son regard sur le bout de bois qui avait prit valeur d'artefact à ses yeux.
« S'il y a quelqu'un qui peut énoncer cette vérité, c'est toi. Je ne suis pas le mieux placé pour cela. Tu as vu le temps que j'ai mis pour te convaincre seulement toi de la véracité de ces propos. Mais je serai là si tu as besoin de soutiens. ». L'ouvrier leva les yeux, s'accrochant au regard du Sarethi. Il ne pu retenir un sourire satisfait en lisant dans ses prunelles la lueur de la résignation. Il le ferait.
Le suivant de loin, il observait, dans l'ombre des ruelles, l'homme développer ce qu'il lui avait expliqué plus tôt. Le dieu fallacieux et omniprésent dont la foi, forcée par Frollo, n'avait été fondée que dans un but de suprématie. Les volontés d'Ezechyel, la réalité de son existence et de son culte mortuaire. Même la puissance présumée et finalement pas si développée que ça de Maléfique. Ce n'était pas volontaire, mais c'en était amusant. Nombreux étaient ceux qui se refusaient à le croire et les débats allaient bon train. Puis il y avait ceux qui se pliaient rapidement, assimilant avec une étonnante rapidité - même s'il devait bien avouer que, le visage amical de cet homme aidait grandement. On lui faisait confiance. Qui allait mettre en doute la parole d'un homme des champs ? - un phénomène de cause à effet monté de toute pièce en une nuit, à l'égal de ce présumé faux dieu. Il l'ignorait en fait. Mais c'était étrangement satisfaisant de voir ce monde prier les Aetheri. Si seulement c'eut été Dothasi, il en aurait tiré une plus grande fierté encore. Chassant pour la énième fois une ombre qui n'était pas la sienne, il fut attiré par le croassement d'Ezechyel. Les choses ne se feraient pas en un jour, mais elle prenait la bonne direction.