Je l’observai dans le repli du Rêve avec un air de dégoût. Il était pitoyable. Il n’avait pas même essayé de résister à son affliction. Il se contentait de la vivre pleinement, convaincu de mériter chacun de ses châtiments. Était-ce ce que l’Amour avait fait de lui ? Une poupée sans vie manipulable par n’importe quel marionnettiste ? Et le pire dans tout cela, était que son coeur n’arrêtait pas d’appeler sa chère et tendre défunte. De lui intimer de l’aider, de le pardonner, de lui revenir. La scène était écoeurante. S’il voulait souffrir, alors je répondrai à son appel, amplifiant son comportement destructeur. La douleur et la rage rongeait son esprit torturé. La réalité du songe s’immisçait au plus profond de son être, bouleversant ses propres certitudes. A sa force d’aimer, je substituai la haine.
La vieillarde que j’étais posa une main décharnée sur l’épaule du jeune homme, lui intimant de plonger une nouvelle fois son regard dans l’eau sombre du lac piquetée d'étoiles.
« N’oublies pas qui tu es…»
Le mystère qui entourait mon existence, celui dans lequel baignait mes mots, fut balayé par les images qui s’animaient sous les yeux de mon supplicié. Les secondes cessèrent de s’égrener le temps d’un bref instant durant lequel le vampire se remit en mémoire ses souvenirs les plus chers. Chaque moment de vie, chaque instant complice avec Suna lui revint en tête avec une précision effrayante. L’espace d’un moment qui sembla durer une éternité, ses sens furent en effervescence ; il discernait son regard flamboyant, humait son parfum de coriandre, touchait ses cheveux soyeux, goûtait sa peau délicate, entendait sa voix satinée. Avant ce jour tragique, il possédait une vie. Avant cet événement fatidique, il était heureux.
Dorian sortit de sa transe couvert de sueurs. Il haletait comme s’il avait parcourut la moitié du continent naturel en courant. Son coeur battait à un rythme bien trop élevé pour un simple spectateur ; mais revivre une vie en si peu de temps demandait beaucoup d’énergie, même dans le Monde des Rêves. Il tourna son regard perdu vers celle qui le guidait à travers ce cauchemar. Son expression pleine d’incompréhension demandait ‘Pourquoi faites-vous cela ?’. Un sourire timide répondit à cette question dérobée.
« Car il est important que tu saches la vérité. Mais prends garde, mon jeune ami, la teneur de tes actes tracera ton futur : la survie, la félicité ou la mort. Observe donc l’un des futurs qui t’attends. »
Ses pieds nus baignent dans une flaque humide et chaude. Pour la première fois depuis longtemps, le précieux liquide rouge n’attise pas sa convoitise. La rage emplit l’entièreté de son être, le détournant de la futilité du quotidien. Elle est si intense, si entière. Ses yeux croisent le regard sans vie de la femme étendue dans la mare sanglante. Laysa. Ses frêles épaules sont secouées par un ultime frisson. L’homme émet un son. Un léger rictus qui ne tarde pas à se métamorphose en un fou rire malsain. Il a perdu sa femme. Il a tué sa mère. D’une main tremblante, il attrape son visage déformé par la démence, comme s’il essayait de lui maintenir une quelconque consistance. La folie meurtrière l’a rattrapée. Et puis, infiniment lentement, comme un coeur qui se déchire, il réalise les conséquences de son geste. Les larmes ruissellent derrière ses lunettes rondes. Il n’a pas qu’assassiné sa mère, il a détruit sa famille.
En filigrane, au travers la cascade de son chagrin, il discerne une forme. C’est une jeune femme. Son teint est blanc comme la neige. Elle est belle comme une fleur, dangereuse comme des ronces. Ses lèvres sont du plus profond des roses. Ses yeux d’un noir profond. Et quand elle parle, sa voix sonne comme le glas.
« Pars. Pars très loin, et ne reviens jamais ! »
Le couteau souillé glisse des mains du matricide. Entendre Selyne réveille cet instinct de survie qu’il pensait avoir perdu. Il se retourne et court. Il entend les sanglots de sa soeur, les hurlements de sa lignée. Ils répondent à ses pas qui martèlent le sol dans une cadence folle. Il doit fuir. Fuir pour survivre.
Il arrive finalement aux portes du manoir. La liberté est à portée de main. La sortie s’ouvre sur la nuit. Mais il n’est pas seul. Face à lui, l’homme lui lance un regard plein de haine. Ses canines blanches luisent à la lueur de la lune. D’un bond, il s’élance sur Dorian qui tombe au sol. Son regard se perd dans les étoiles. C’est la fin. Magnus est rejoint par d’autres. Mérope, Willhelm, Hedwige et tout ceux qu’il a côtoyé par le passé. Ceux qu’il appelait frères, soeurs, oncles et tantes. Finalement, tout le clan se réunit autour de son corps figé par la peur et l’angoisse. Et, en mémoire de Laysa, ils s’élancent sur son fils, pour déchiqueter son corps alors qu’il hurle une dernière fois dans l’obscurité.
L’onde se propagea à travers l’eau. La vision se troubla. Que s’était-il passé ? La scène était si réelle. Il se tourna vers la magicienne ; la vieille n’était plus là. Il était seul, abandonné dans ces bois maudits. Sa vision devint de plus en plus floue, comme si les choses voulaient se dérober à sa vue. C’était l’heure, je le savais. La bulle du songe éclata, emportant Dorian vers l’Eveil, à l’abri de ma damnation.
907 mots - Merci pour ce RP j'ai VRAIMENT beaucoup apprécié
