Pourvue d’un confort rustique, la chambre se révéla dans sa perfection à la seconde où la jeune femme aperçut le lit. L’alcool et la fatigue s’entremêlaient sous son crâne, et l’énergie disparaissait de son corps aussi vite qu’un assassin d’une scène de crime. S’oublier dans le sommeil offrirait la conclusion que méritait leur périple. Elle n’avait pas compris grand-chose des dernières déclarations du blond, si ce n’est qu’il appartenait vraisemblablement au peuple le plus sombre des terres. Le constat lui paraissait incertain ; elle ne ressentait rien en lui de la méchanceté qui aurait dû le caractériser. Un goût prononcé pour le danger ne faisait pas de lui un monstre. Elle n’avait pas peur de lui. S’il s’agissait d’un Démon, elle aurait forcément eu peur en sa compagnie. En outre, il disait faire partie de la famille d’un roi disparu. Que diable cherchait-il, perdu dans un marais, sans la moindre escorte ? Son intellect lui semblait réellement fourni, mais l’était-il suffisamment pour avoir rivalisé avec celui d’un souverain ? Incapable d’évaluer la véracité de son histoire, elle se demandait s’il ne venait pas de lui servir un mensonge. S’il appartenait au peuple diabolique, c’était probable. Les Démons mentaient tout le temps. C’était ce qu’elle avait entendu dire. Pouvait-elle se fier à une rumeur ? Elle n’avait pas l’impression qu’il soit de cette trempe-là. Sentant un mal de crâne s’élever à l’horizon, elle songea que la vérité sur la nature de son camarade pouvait attendre. Pour l’heure, il resterait Sebastian Castellanos ; elle découvrirait le fin mot de l’histoire un autre jour.

Au lieu d’achever la bouteille entre ses doigts, Calanthe la déposa raisonnablement au pied du lit. N’ayant toujours pas réalisé la cause de son état, elle ne ressentait simplement plus l’envie de boire. Attirée par les promesses du matelas, elle lutta tant bien que mal pour garder les yeux ouverts en attendant le retour du renard. Lorsqu’il parla de lui mettre la misère, elle fronça les sourcils sans saisir l’allusion ; elle avait beau être idiote, il aurait été absurde d’attendre leur arrivée à l’auberge pour lui faire du mal. « Ce que vous dites n’a aucun sens. » Les occasions de se débarrasser d’elle avaient été nombreuses, et pour cacher un cadavre, mieux valait se trouver dans un marais que dans une taverne. La suite de ses élucubrations donna du grain à moudre à sa perplexité. Pour quelle étrange raison se trouveraient-ils dans des camps opposés ? Avant la veille, elle n’avait jamais eu à s’opposer à qui que ce soit, et elle ne comptait pas réitérer l’expérience de sitôt. La signification de la conversation lui échappait pour de bon. Le lendemain, elle verrait avec le propriétaire des lieux s’il n’existait pas un moyen sûr de se rendre à Avalon. Là-bas, Joliel ne laisserait rien lui arriver. Avec le secours de la chance, un client s’y rendrait peut-être, et elle pourrait se joindre à lui le temps du voyage. La Déchue ignorait qu’elle ne se trouvait même pas sur le bon continent. « Mon quotidien est beaucoup moins dangereux que le vôtre. Je devrais survivre. En revanche, je n’ai rien qui soit à... » Terminer sa phrase lui fut impossible. Éberluée, elle vit Sebastian se précipiter vers la fenêtre et s’évaporer. N’en avait-il jamais assez ?

Une pointe d’inquiétude au coeur, Calanthe resta quelques instants à scruter l’obscurité. Aucun mouvement n’alerta son regard. Peut-être reviendrait-il à une heure plus tardive. La fraîcheur de la nuit lui giflait le visage. Les sourcils froncés, elle poussa le battant sans oser le refermer. Avait-elle rêvé toute cette histoire, et la silhouette blonde du renard ? Sans doute allait-elle se réveiller bientôt, dans ses draps, et réaliser que son esprit fabriquait de toutes pièces des aventures hautes en couleur. L’épuisement la dirigea vers le matelas. Un détail chatoyant attira son attention. Au-dessus du plancher trônait le diadème. Avide de son contact, elle tomba à genoux pour le récupérer. Fiévreuse de sa découverte, elle attendit que le plaisir l’envahisse. Il était à elle, désormais. Qu’il lui appartienne lui ôtait toute saveur ; à présent, elle le trouvait presque quelconque. La déception s’invita en elle. Tout ceci ne pouvait qu’être réel. Envahie par la rage de ne pas jouir de la satisfaction promise, elle donna un coup de poing dans le mur. Une douleur stridente envahit sa main. Trop épuisée pour s’énerver davantage, elle prit enfin place dans le lit. Serrant le bijou contre sa poitrine, elle ferma les yeux. La réalité n’était pas à la hauteur de son fantasme. Elle en souffrait depuis toujours. Avant que le sommeil ne l’emporte, les paroles de Sebastian lui revinrent en mémoire. Ils pensent que le jardin du voisin est plus vert, mais ce n’est pas forcément vrai. Plus que quiconque, elle savait à quel point il avait raison.

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