Nostradamus était installé dans le canapé de son salon, devant la cheminée. La pièce était éclairée par le feu qui brûlait dans l'âtre, projetant des ombres sinistres sur l'étrange mobilier de la demeure Dementiæ. Le sorcier tenait un anneau qu'il faisait distraitement rouler entre ses doigts, caressant de sa main libre la chevelure d'ébène de celle qui s'était assoupie. Elle s'était blottit naturellement contre lui, la tête posée sur ses cuisses. Alice avait encore fait tourner ses surveillants en bourrique, refusant d'aller se coucher dans sa chambre. Elle avait débarqué dans son bureau alors qu'il était en train de lire le compte rendu qu'un spécialiste lui avait rédigé, concernant un objet de sa nouvelle collection. Le Mage Noir détestait être interrompu lorsqu'il travaillait. S'il s'était agit de n'importe qui d'autre, il aurait sans hésitation fait punir ses esclaves pour cette irruption. Néanmoins, son cœur devenait tendre dès lors qu'il s'agissait de la demoiselle. Son caractère de bourrique le faisait quelque peu rire et ses manières enfantines l'attendrissait, d'une certaine façon. Elle était agaçante, par certain moment. Sans doute était-il trop laxiste, beaucoup de points étaient à revoir sur son éducation. Mais il avait de plus gros chats à fouetter ailleurs et, puisqu'elle lui obéissant docilement, il ne voyait pas d'inconvénient à céder à ses caprices de temps à autres. La sorcière sourit dans son sommeil, attisant la curiosité de l'homme.

Soupirant, le Dementiæ attrapa fermement l'anneau avant de se redresser, déposant un coussin sous la tête de la brune pour remplacer ses jambes. Pensif, il s'approcha d'un secrétaire et en sortit un parchemin ainsi qu'un nécessaire à écrire. Il déposa le tout sur la table basse puis prit quelques secondes pour ouvrir son étrange livre. Jetant un rapide coup d’œil aux lignes qui s’inscrivaient magiquement sur les pages vierges, il s’assura que personne ne l’épiait. Non pas que ce qu’il s’apprêtait à faire requiert une discrétion absolue. Non, Nostradamus détestait simplement avoir la sensation d’être surveillé. Un sourire vint se dessiner sur ses lèvres fines lorsqu’il lut qu’une servante nettoyait son bureau, sans fouiner cette fois-ci – les coups de fouet qu’il lui avait administré lui avait sans doute fait passer l’envie de se montrer curieuse à nouveau – et qu’Alice dormait paisiblement. Satisfait, il déposa l’ouvrage puis ensorcela sa plume pour qu’elle suive sa dictée.

Nostradamus avait longuement hésité à se séparer du bijou. Depuis qu’il avait remporté la Coupe à laquelle il avait participé, il s’était vu devenir la cible de nombreux complots pour attenter à sa vie. Situation plutôt dérangeante et tout à fait nouvelle pour le Mage Noir. Il lui était arrivé à de nombreuses reprises d’être le destinataire de menaces de morts ou de missives fort peu courtoises, mais jamais personne n’avait encore mis son plan à exécution. Sa victoire, bien que non incontestable, signifiait une augmentation significative de sa popularité et de sa renommée. Dans son métier, cela suffisait parfois à faire la différence. Depuis qu’il avait été proclamé Ellēs uzvarētājs, le tenancier avait vu ses chiffres d’affaire gonfler à une vitesse impressionnante : les curieux se ruaient dans les cabinets de curiosité où le gagnant avait travaillé. Une aubaine pour l’homme, mais ce qui était bon pour les affaires de l’un ne l’était pas pour les autres. Certains s’inquiétaient de cette soudaine montée de clientèle -qui redescendrait cependant bien vite une fois que le prochain Isemssith serait élu- et ne comptaient pas rester les bras croisés. C’est là que l’anneau avait révélé sa vraie valeur. Récupéré sur le cadavre de l’une de ses victimes, Nostradamus avait vu en l’objet un simple accessoire et la trouvant à son goût, il avait décidé de la porter quotidiennement. S’il ne l’avait pas fait, nul doute qu’il serait décédé depuis un certain temps. C’est ce qui expliquait pourquoi il avait tant de mal à s’en séparer. Elle lui serait sans aucun doute encore utile. Cependant, l’Apôtre avait jugé plus intéressant, sur le long-terme, de s’en débarrasser et de l’offrir à la bonne personne. L’heureux élu était déjà tout trouvé. S’éclaircissant la voix, le sorcier commença à parler à haute voix.

« A l’attention de Siruu Belhades,
Fier vainqueur de la Nation Sorcière.

J’ai été ravi lorsque mon comptable m’a rapporté avec une satisfaction certaine que le nombre de visiteurs au Musée des Horreurs avait augmenté considérablement depuis la sortie de votre article. Je sais que votre rémunération vous a déjà été reversée, mais je tenais à vous remercier personnellement pour vos services de qualité. Vous trouverez ainsi avec cette enveloppe un masque qui, je n’en doute pas, vous rappellera des souvenirs. Grâce à lui, vous pourrez revenir aussi souvent que vous le désirez dans l’établissement dont vous avez fait l’éloge, et ce de façon gratuite, évidemment. Ce présent vous donnera également accès à des expositions privées, auxquelles seuls les invités les plus privilégiés pourront aller. Suite au succès que vous nous avez apporté, j’ai d’ailleurs décidé de monter une collection en votre honneur. J’ai donc le plaisir de vous informer que l’exposition sur le thème de l’écriture et du journalisme a lieu en ce moment même, et ce pour les quatre prochains cycles lunaires, au Musée des Horreurs. Vous y êtes bien sûr attendu avec impatience, mais libre à vous d’y venir selon votre envie. Il serait néanmoins intéressant pour vous d’y découvrir jusqu’où peuvent aller les rivaux pour monter les échelons, dans votre branche. Je suis persuadé que votre toute nouvelle popularité vous a également valu quelques mésaventures, certaines liées de près ou de loin à la concurrence, particulièrement rude dans votre domaine. Si ce n’est pour vous mettre en garde, peut-être cette exposition vous permettra-t-elle de trouver l’inspiration pour leur renvoyer la monnaie de leur pièce.

Sur une note festive, je me suis récemment rendu compte que je ne vous avais pas encore félicité pour votre victoire. Etant moi-même un Isemssith, je sais qu’il est parfois compliqué de discerner ceux vous écrivant pour tomber dans vos bonnes grâces de ceux qui désirent sincèrement vous montrer le respect qui vous est dû. Ma position étant sensiblement similaire à la vôtre, je vous prie de prendre cette missive pour ce qu’elle est réellement : un message pour vous faire passer mon amitié. Et, puisque je vous apprécie, je m’apprête à vous faire parvenir un second présent. La Chevalière que vous trouverez dans le coli n’est pas des plus banales. Vous en découvrirez rapidement les effets bénéfiques. Ne prenez pas cet artefact pour une simple babiole, comme j’ai eu l’idiotie de le faire au début. Elle peut rapidement se révéler comme étant un véritable atout.

Mes plus sincères salutations,
Un ami qui vous veut du bien. »

Nostradamus relut sa missive avant de la glisser dans une lettre qu’il scella du sceau de son entreprise. Il déposa ensuite le masque ainsi que la chevalière dans une boite, avec l’enveloppe. Claquant des doigts, il ordonna au démon à ses services de faire parvenir à son destinataire le colis qu’il venait de faire. De nouveau seul, le mage noir s’approcha de la clone et la porta délicatement entre ses bras -elle n’était pas bien lourde- et entreprit d’aller la coucher dans sa chambre.

Cadeaux  :