« C’est un peu ma manière de fonctionner, je ne pense pas qu’il y ait quoi que ce soit de remarquable là-dedans… » Syrianne rougissait à vu d’oeil. Sous la peau de ses joues qui devenait plus sombre que sur le reste de son corps, ses tâches de rousseurs n’en étaient que plus visibles. « Il faut toujours que je passe par des chemins détournés. Les grandes allées que tout le monde empruntent sont rarement faites pour moi… La preuve, je me suis approchée alors qu’en entendant le bruit, j’aurais pu tout aussi bien prendre mes jambes à mon cou. » souria-t-elle doucement en jouant avec ses doigts, son regard baissait sur ses mains.
Au final, elle était bien heureuse d’avoir pris la décision de rester et de mettre ça au clair. Elle s’était fait une amie chez les Fae, ce n’était pas rien, surtout pour une jeune femme aussi curieuse que Syrianne. Le rire d’Aura l’avait fait sourire et mise dans de meilleures conditions. Elle avait déjà oublié sa mauvaise expérience alors qu’elle aurait pu y penser pendant plusieurs semaines en se fustigeant sans cesse pour ses échecs. Aura eut d’ailleurs un conseil avisé à lui donner pour enfin maîtriser cette capacité maudite et qui n’apporter jamais rien de bon lorsqu’elle s’enclenchait sans que la Magicienne ne puisse réellement y faire quelque chose. Oui, en réalité, il suffisait de s’entraîner, comme tout le reste… Syrianne n’y avait jamais pensé. Mais comment faire ? Elle ne pouvait pas tout simplement sacrifier des tas de végétaux à cette expérience, même si c’était pour une bonne cause, pour en sauver bien plus une fois qu’elle saurait comme l’arrêter. Elle se sentait déjà si mal lorsqu’elle prenait la vie de quelques renoncules inconsciemment, alors si elle le faisait de son propre gré… Non, ce n’était définitivement pas une solution. Elle s’y refusait, ses valeurs lui interdisaient. Elle ne pensait pas pouvoir respecter la Nature et la détruire consciemment, quelles qu’en soient les raisons. Ce serait, de toute façon, au dessus de ses forces. Et pour le moment, elle était trop faible pour puiser l’énergie ailleurs, dans des organismes plus complexes comme ceux humanoïdes par exemple. C’était une chance, en quelques sortes. Si Syrianne, en plus de tuer des plantes tout à fait innocente, se mettait à rendre malade, fatigué, mettre à bout de force tout ceux qui s’approchaient d’elle… Ce serait-là un véritable cauchemar. Cela en revanche, lui avait déjà traversait l’esprit et il était vrai qu’elle redoutait le moment où sa magie serait plus forte, avec le temps, son apprentissage et l’entraînement. Que ferait-elle, si jamais elle absorber une vie humaine un jour ? Cette perspective lui donnait la nausée.
Ce qu’il lui fallait, c’était de pouvoir prendre sans avoir d’impact quelconque sur ce qui l’entourait. Ce qui était impossible, il y avait toujours une réaction retour à une action. Ce qu’Aura lui proposait lui semblait être de l’ordre du rêve… Comment comptait-elle faire ? Cela ralluma automatiquement la curiosité de l’adolescente. Elle accepta silencieusement en hochant la tête, voulant au moins connaître l’idée que la Fae avait eu. Et puis, elle n’avait rien à perdre à essayer de nouvelles choses, bien au contraire, c’est comme cela que chacun évoluait.
La Magicienne suivit donc le mouvement de sa nouvelle amie et approcha du petit buisson qu’elle avait choisi. Pour faire quoi, elle l’ignorait toujours, mais elle espérait au fond de son coeur que ce pauvre arbuste survivrait à l’expérience qui allait suivre, c’était sa priorité. Et ce que proposa Aura, ce qu’elle lui expliqua sur ses propres pouvoirs lui parut étrangement familier. Elle aussi, de par sa condition et à cause d’une véritable malédiction, avait du mal à faire obéir sa magie sans qu’elle ne s’emballe. Plus les deux femmes apprenaient à se connaître, plus elles notaient des similitudes entre elles, bien que le chemin parcourut n’était pas du tout le même. Aura avait eut bien des malheurs, subit la méchanceté et la peur des gens qu’elle avait rencontré, là où Syrianne avait toujours été entourée.
Elle avait donc dans l’idée de contrebalancer un pouvoir trop gourmand par un autre. D’accord, c’était une bonne idée, mais rien ne pouvoir prévoir si l’un des deux n’auraient pas le dessus sur le second et anéantirait la plante en question. Aura tenta bien de la rassurer, mais Syrianne restait sur ses gardes. Elle faisait plus confiance à la Fae qu’à elle-même… Elle hésita un long moment en fixant les feuilles vertes du buisson, qui n’avait pourtant rien demandé. Il était là, le pauvre, au moment où Aura et Syrianne avait décidé de tester leurs capacités. La jeune femme se demanda d’ailleurs s’il savait ce qui était sur le point de se passer. S’il avait peur… Elle déglutit. Aura continuait de l’encourager et de lui expliquer la marche à suivre, et Taan’tū lui assura qu’il n’arriverait rien à ce pauvre petit être végétal s’il était là. Elle voulait bien croire un esprit de la nature, et la Fae était si motivée à aider que Syrianne acquiesça.
Elle devait se lancer, elle devait avancer. Elle devait essayer. Il en allait de la sécurité de toutes les autres plantes et vies annexes qui croiseraient son chemin par la suite. Elle lança un dernier regard, effrayé, à Aura, avant de fermer les yeux pour se concentrer. Elle visualisa son flux magique, bleu et lumineux, comme chaque fois qu’elle voulait en user. C’était une étape primordiale pour une jeune Magicienne qui n’était pas encore très puissante, mais elle travaillait à rendre cette phase du processus obsolète à l’avenir. Pour le moment, elle prenait son temps, mais elle avait également envie de devenir plus rapide dans son utilisation. Elle ramena cette pensée en arrière-plan pour ne plus garder en tête que le fait d’attirer l’énergie à elle, de la soustraire à la plante qui la produisait lentement, avec juste un peu de gaz et d’eau. Le plus difficile était de mettre son angoisse de côté. Aura ferait naître l’équilibre, il n’y avait rien à craindre… Il n’y avait rien à craindre… Elle se répéta cette phrase plusieurs fois et expira, tout doucement, en même temps qu’elle tendait les paumes vers l’arbuste. Peu à peu, elle sentit le courant se créer. Son corps récupérer la vitalité de la plante, par à-coups au départ, puis, de façon de plus en plus vorace. À partir d’un certain point, l’énergie affluait dans son corps comme un torrent et elle ne savait plus quoi en faire. Naturellement, elle le redirigea vers sa magie et se mit à briller, sur toute la surface de sa peau. Elle utilisait sa magie de la lumière en même temps qu’elle absorber, utilisant ce qu’elle prenait pour créer autre chose, encore une fois, sans trop savoir comment ni en avoir conscience.
Maintenant qu’elle avait lancé l’absorption, elle devait l’arrêter. Elle tenta de convaincre son corps qu’elle n’avait pas besoin de cette énergie, qu’elle ne voulait pas en recevoir plus. Il fallait que ça cesse. Il fallait que ça cesse. Une fois encore, elle se répéta mentalement la phrase pour l’imprimer totalement dans chaque fibre qui la composait. Elle calma sa respiration et son coeur, pour qu’il soit tout deux au plus bas, se débarrassa de cette peur lourde qui l’encombrait pour arriver à ses fins. Il fallait que ça cesse…
D’un coup, la lumière qui émanait d’elle disparut. Tout comme son pouvoir d’absorption, qui s’était éteint et qu’elle avait ressenti. Comme un élastique qui revenait vers elle en claquant… Elle papillonna des yeux sous le choc, sa tête se mettant à tourner violemment. Qu’est-ce qu’il s’était passé ? Est-ce qu’elle avait réussi ? Et l’arbuste, comme se portait-il ?
Elle eut tout juste la force de se rassoir en tailleur, la dos posé contre l’arbre où Taan’tū avait élu domicile. D’une voix faible, les yeux éblouis et aveuglés par quelque chose d’interne, elle appela la Fae.
