Mancinia ne sût comment exprimer son soulagement autrement que par un profond soupir. Que la Déesse de la Justice en soit remerciée, Utopia était en vue ! A quelques centaines de mètres d'eux se trouvait les hautes murailles protectrices de la Capitale des Humains, ainsi que ses portes principales. Ils seraient bientôt en sécurité et rien qu'à cette idée, d'autres expirations se firent entendre derrière elle, celles d'anciens prisonniers à nouveau libre. Ils firent une halte pour reprendre leur respiration, soulagés que personne ne soit venu les importuner durant le trajet et exprimer leur bonheur d'être bientôt de retour à la civilisation. Pourtant, ils étaient là car ils n'avaient pas vraiment eu le choix que de suivre la jeune femme. N'ayant rien pour retraverser le Désert dans l'autre sens - même si Raphaël avait, à nouveau, eut l'ingénieuse idée de fouiller les souterrains à la recherche de vivres et d'eau - cette action aurait été suicidaire. Qui plus est, une fois la tempête terminé, le Soleil avait esquissé sa déclinaison, ce qui rendait l'air ambiant insupportablement chaud et annonçait la venue des étoiles. Prendre le risque de parcourir un Désert durant la nuit, surtout sans protection ni vivres, était quelque chose qu'elle n'aurait pas permis. Ils n'auraient rien vus à plus de deux mètres, la morsure du froid ambiant aurait tué les moins aguerris d'entre eux et leurs faibles vivres n'auraient pas plus survécus, quoi qu'il advienne.

Aussi, l'Humaine avait choisi de les guider vers Utopia, pour qu'ils puissent déposer plainte devant les autorités compétentes, mais aussi reprendre des forces avant de retourner à leur existence. Inutile de dire que certains d'entre eux avaient été contre dans un premier temps, mais ils avaient dû se rendre à l'évidence ; leur entreprise n'était que pure folie et puis, elle les avait aidés. Ils pouvaient, dès lors, lui faire plus ou moins confiance. Raphaël avait également choisit de l'accompagner, il savait ne rien craindre en sa présence et désirait visiter la cité - bien que leurs aspirations actuelles soient de manger et de s'affaler sur un lit pour prendre du repos. Une fois cette petite halte terminée, ils reprirent leur route. Utopia était une ville fantôme à certains moments, mais elle s'ouvrait au monde progressivement ces dernières années. Encore fallait-il que les étrangers se risquent dans le Désert et ait envie de visiter cet endroit qui les privait de leur essence magique, ce qui était plus rare. Qui aurait envie de perdre sa magie et se retrouver démuni face à ce qu'il considérait comme un insecte ? Ils croisèrent en chemin quelques caravanes, qui entraient pour faire affaires le lendemain, car la nuit ne tarderait plus. Le Soleil irradiait le crépuscule de flammes rouges d'or et le ciel paraissait s'être embrasé sous la main de Drejtësi, Utopia étant encore illuminée par les rayons solaires, formant une eau scintillante et limpide, tel un miroir de par son immobilité.

— Faites attention, dit Mancinia en se retournant vers ceux qui la suivait. Une fois proche de la ville, vous perdrez votre magie et d'après ce qu'on m'a dit, cela a tendance à déstabilisé ceux qui n'y sont pas habitués.

C'est qu'elle n'en avait pas eu l'amère expérience ; la magie l'avait repoussé et l'antimagie avait imprégnée son être. Elle était née ainsi, elle était née Humaine. Pourtant, elle avait face à d'autres situations tout aussi exécrables. Naître sans capacités magiques était un signal envoyer aux autres races, un signal qui leur donnait le droit de les méprisés ou de les considérer comme inférieurs, même aux animaux. Certes, certaines d'entre elles, comme les Anges ou les Magiciens, se montraient respectueux, mais un Humain seul est un Humain mort. Pourtant, cela n'avait pas arrêté celle qui avait annexé ce lieu pour eux, car feue leur Reine Violette l'avait compris ; une fois uni aux siens, un Humain devenait une nation. Il devenait puissant et capable d'arrêter toute forme de magie pour se défendre. Utopia en était le symbole resplendissant. Voyant que les effets se firent ressentir aussi vite qu'elle l'eut énoncé, Mancinia s'arrêta à nouveau, mais uniquement dans le but d'offrir la chance à Raphaël de s'habituer à sa perte de magie progressive. Si c'était sa première visite au sein d'Utopia, alors il allait se sentir légèrement désemparé de ne plus pouvoir se servir de ses pouvoirs. Elle tenta de le convaincre d'un regard muet qu'ici, il n'avait absolument rien à craindre, même si sa magie était absorbée hors de son être par les défenses antimagiques de la Capitale.

Comment convaincre les autres qu'ils ne risquaient pas de retomber dans les filets de marchands qui désireraient faire fortune ? Car les Humains ne feraient rien aux étrangers, les soldats en patrouille aux abords des portes, s'assurant que tout se passait bien, était une preuve supplémentaire de la sécurité qui pouvait régner en ces murs - même s'ils n'étaient pas à l'abri de détrousseurs ou d'une mauvaise rencontre. Quelle ville pouvait se prétendre rassurante ? Laissant le temps à tous ces utilisateurs de magie de prendre l'habitude de la destruction de leur magie, Mancinia s'éloigna du groupe pour interpeller des Gardes, expliquant la situation du groupe qu'elle avait ramené et on les fit entrer sans problèmes, on les invita même à déposer plaintes et requêtes dans l'instant, pour expliquer plus concrètement ce qui s'était produit. N'attendant pas qu'on se concentre sur eux, la jeune femme saisit le bras de Raphaël et disparut aussi vite qu'elle n'était apparue face à eux, laissant ces gens se débrouiller seuls. Ils n'avaient plus besoin d'elle, désormais.

— Désolée pour Nathaniel, mais il va falloir qu'il se fasse discret. Mais, comme promis, tu auras un lieu où dormir tranquillement ce soir !

En effet, un Dragon ne pouvait pas passer inaperçu au sein de la ville et risquerait de se faire embrocher par quelques lances, alors ils avaient dû s'en séparer un temps - mais Mancinia lui avait promis un morceau de viande bien cuit. Après avoir pressé le pas durant quelques ruelles, les deux compagnons prirent une allure normale à l'approche des quartiers d'habitation. Fuir les Gardes leur donnerait peut-être un air suspect, mais c'est qu'elle n'avait pas envie de se faire assaillir de question en tout genre alors que son ventre criait famine. Mancinia prit le temps de respirer et de savourer l'odeur de l'encens qui flottait dans l'air. Tout était si tranquille. Des oiseaux chantaient ci et là, la nature se réveillait après la tempête, mais se fermerait tout aussi vite pour le repos et la fraîcheur de la nuit. Une légère brise soufflait au sein d'Utopia, faisant s'envoler quelques grains de sable. Le soleil disparaîtrait bientôt derrière l'horizon et le monde deviendrait silence et obscurité. Mancinia n'avait pas dit à Raphaël où elle l'emmenait, elle lui réservait la surprise de loger chez l'habitant pour la nuit. C'était bien tout ce qu'elle pouvait faire pour le remercier de l'avoir aidé à s'échapper de cette geôle puante, où elle croupirait encore sans sa vivacité d'esprit. Kamiya était sur l'épaule de sa maîtresse, égayé ;

— Tu as trouvé la réponse à mon énigme ?

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Au détour d’une colline, ils purent enfin voir Utopia. Raphaël ne put s’empêcher de sourire en entendant tous les soupirs de soulagement. Ils allaient être enfin en sécurité, c’est ce que les anciens esclaves devaient penser. Lui, était plutôt admiratif devant la beauté d’une telle cité. Il ne connaissait pas grand-chose à l’histoire de cette ville, mais il savait que les Humains avaient longtemps, et étaient encore, considéré comme un peuple faible et chassé de tous. Le fait qu’il puisse supprimer la magie contribuait à cette peur. Mais ce peuple avait réussi à construire une ville des plus belles. Ils prirent une pause pendant laquelle tout le monde discuta tranquillement. Raphaël se tenait légèrement en retrait avec Nathaniel, s’assurant que le dragon supportait la présence des autres. Ce dernier était sûrement le seul qui ne se plaignait pas de la chaleur, au contraire, il l’aimait. Mais c’était compréhensible, après tout c’était un dragon de feu. Seul le sable le gênait, et l’ennuyait, mais au moins, il avait une double membrane au niveau de ses yeux, lui permettant de se protéger du sable. Oui, le désert lui convenait bien mieux qu’aux autres. En fait, l’Elémental se rapprochait de son ami également pour éviter les autres personnes du groupe. Il était fatigué, et n’avait pas spécialement envie de se faire agresser de questions, et le dragon les effrayait tous, même les plus curieux. Ils venaient tout juste de se sortir d’une situation périlleuse, ils ne voulaient pas en subir une nouvelle.

Quand ils reprirent la route, Raphaël ordonna au dragon de trouver un coin tranquille et de ne pas bouger. Il grogna, mais accepta. De toute façon, il n’avait aucune envie de rentrer dans une ville. Mancinia les prévint, de leur perte magique. Raphaël espérait qu’en temps qu’Elémental il pouvait entrer à l’intérieur de la ville. Quelques secondes après, il sentit sa magie le quitter, et ne put s’empêcher de perdre l’équilibre. Il se rattrapa juste à temps. C’était la première fois qu’il subissait une telle expérience, et il s’était très désagréable. L’impression de perdre la connexion avec l’eau le faisait vaciller. Cela faisait si longtemps, même s’il l’ignorait. Il prit une profonde inspiration, s’adaptant aussi vite à la situation qu’il le pouvait. De plus, il arrêta de sentir la pression que son pouvoir d’apprentissage accéléré exerçait en permanence. Il balaya la foule tout autour de lui, et sentit qu’il ne retenait pas aussi bien les choses. Il continua de respirer calmement. Son esprit était particulièrement souple, et donc il se fit rapidement à la situation. Il se tourna vers Mancinia et la rassura d’un sourire. Il n’était pas très rassuré d’avoir perdu ses pouvoirs, ce qui était compréhensible, mais il n’en avait pas non plus peur. C’était une nouvelle expérience, et il pouvait également compter sur son esprit pour se sortir de mauvaises passes.

Les gardes emmenèrent leur groupe pour qu’ils déposent plainte, et Mancinia lui prit le bras, l’embarquant. Il se laissa faire, suivant le mouvement. « T’en fais pas pour lui, il va se trouver un coin tranquille ». Répondit-il. Ils reprirent une allure normale après quelques rues, mais attiraient quand même l’attention. Il fallait dire qu’avec leurs vêtements sales et couverts de sang, ce n’était pas étonnant. Mais il n’en avait pas d’autres, n’ayant pas pensé à récupérer sa sacoche sur la selle de Nathaniel. Mais, plutôt que de s’inquiéter sur le regard des gens, il regarda tout autour de lui, essayant de retenir tout ce qu’il voyait. Cela lui demandait un effort différent de d’habitude, et cela, en un sens, lui plaisait bien, même si cela le déstabilisait également. S’il vivait ici, il finirait par garder la mémoire… Mais il ne pourrait pas. Il le savait, il était intenable. En tout cas, il se laissait guider par Mancinia, ne cherchant pas vraiment à savoir où elle l’emmenait. En fait, il était trop captivé par la ville et par ses nouvelles sensations.  Alors qu’il observait une étable de fruits un peu plus loin, il entendit la voix de Kamiya. Il sortit de sa rêverie, et se tourna vers l’oiseau, un sourire malicieux sur les lèvres. « J’ai cinq doigts mais je n’ai pas d’os. Facile, un gant ». Bon, s’il avait tort, il allait passer pour un idiot, mais il en avait tellement l’habitude, que ça ne lui faisait plus rien. Et au pire, ils en riraient facilement. « Dit-moi, tu comptes garder le secret encore longtemps de l’endroit où on va ? » . Puis il rajouta une pointe d’humour. « Je te préviens, si c’est encore un endroit glauque je me fais la malle. Par contre, si on peut trouver de la nourriture, je te suis direct ». Son ventre ponctua son commentaire d’un gargouillis assez fort. Il sourit, passant une main à l’arrière de sa tête. Une manie qu’il avait.

Amusé de la question de son ami à plumes, Raphaël répondit malicieusement à son énigme. Un coassement approbateur résonna, Kamiya semblait ravi de la performance de l'Élémental. Cette énigme était relativement simple, mais elle figurait parmi les favorites de son corbeau. Mancinia ne dit rien, se contentant de sourire. Il était agréable de mener une vie innocente et agréable, mais elle ressentait aussi que les choses avaient changées autour d'elle. Sa main avait pris plusieurs vies, malgré toutes ces années dangereuses sur les toutes, elle n'avait jamais été jusqu'à occire quelqu'un. Cette nouvelle expérience néfaste n'avait pas changé sa vision du monde, mais elle avait la vague impression d'être souillée. Sans parler du fait que, même si elle avait tué pour sauver sa peau, elle ne parvenait pas à se le pardonner. Le pourrait-elle seulement ? Pourrait-on lui pardonner ses méfaits ? Quoi qu'il en soit, tout ceci lui demanderait du temps. Songeuse, elle entendit à peine Raphaël lui en demander plus sur l'endroit où elle comptait l'emmener, précisant avec un ton qui ne laissait pas de doute sur l'humour que, si c'était un lieu sordide, il fuirait sans sommation, à moins d'être certain d'y trouver à manger. Mancinia eut un sourire des plus étranges en le voyant mettre sa main dans ses cheveux.

— Ma résidence est l'endroit le plus glauque de la ville, même si tu y trouveras de quoi te restaurer. Nous avons souvent des Démons en ragoût et les meilleurs Sorciers cuits à la broche. Les Élémentals frits sont des denrées rares, surtout pour la soupe...

S'arrêtant au milieu de la ruelle, l'Humaine se retourna vers lui. Son regard ne laissait place à aucune moquerie tant il était sérieux et glacial.

— Tu peux essayer de t'enfuir, mais sans ta magie, tu n'iras pas loin. Je crierai et les Gardes accourront à mon secours, surtout s'ils ont faim.

Laissant planer sa menace sur la tête de son ami, Mancinia repris son chemin. Kamiya coassa en signe d'approbation. Pourtant, elle avait le sourire franc et se retenait d'exploser de rire. Même si elle se promenait souvent dans toute la cité, l'Humaine ne connaissait pas encore tous les recoins d'Utopia, malgré la décennie qu'elle y avait passé. Elle ne vivait d'ailleurs pas au sein des plus riches quartiers, bien au contraire. Sa maison ne bénéficiait pas de nombreux étages, seulement deux et le second n'était qu'une seule pièce ; sa chambre. Ensuite, c'était un peu au petit bonheur la chance et selon les possibilités. Au bout de quelques instants, Mancinia s'immobilisa devant une porte et attendit que Raphaël vienne la rejoindre, avant de l'ouvrir sans prendre la peine de frapper.

— C'est moi, maman ! Je suis rentrée !
— Oh ! Te revoilà, ma chérie ! J'étais inquiète que tu ne reviennes pas alors que soufflait la tempête, tu t'es abritée quelque part ?

Mancinia continuait de sourire dans le vide, sans rien dire. Sa mère ne pouvait pas voir les tâches de sang sur ses vêtements, ni les griffures ou les bleus sur son corps, encore moins que le visage épuisé de son invité surprise et de l'épreuve qu'ils venaient de subir. Sa mère était aveugle et c'était une évidence, même pour un étranger ; ses yeux étaient translucides et la peau environnante encore rougie du sortilège ou du produit lui ayant fait subir pareil abomination. Sylvia n'en demeurait pas moins une femme ravissante, aux longs cheveux bruns et à l'allure élancée, même si son visage gardait la marque des épreuves subies. Par ailleurs, il était amusant de voir que la fille était plus grande que sa mère.

— J'étais à l'abri. Je me suis seulement attarder.
— Tu reviens pour le dîner, la taquina sa mère.
— J'ai une faim d'Élémental ! dit Kamiya d'un air innocent. Crôa.
— Eh bien, c'est bientôt prêt.

A peine son enfant eu-t-elle fait un pas dans la maison que l'expression sur le visage de Sylvia permuta vers un masque d'inquiétude.

— Mancinia, tu es blessée ?
— Je...Non, pourquoi ?
— Tu as l'odeur du sang.
— ...Je me suis un peu bagarrée.
— On à manger des peaux d'Élémental.
— Ah, mais toi alors ! sourit-elle avec affection.
— Je plaisantais, répondit Mancinia en faisant une grimace. Je me suis seulement retrouver emmêler dans une drôle d'histoire et Raphaël a eu la délicatesse d'essayer de me soigner du mieux qu'il pouvait.

Sa mère restait songeuse à son explication évasive qui ne retraçait pas la vérité, mais qui aurait envie de dire à l'un de ses parents qu'il venait de se faire enlever par des marchands d'esclaves ? A plus forte raison quand le parent en avait fait les frais par le passé ? L'essentiel était qu'elle s'en était sortie, avec l'aide d'un être magique qui plus est. Détail que l'Humaine ne révéla pas immédiatement.

— Ma pauvre chérie, tu n'as pas mal ?
— Nan.
— Oh là là là, où ai-je mis cette trousse de soin ?
— Ne t'en fais pas maman, ce ne sont que des égratignures.
— Bon. Fort bien. Hum. Et donc, ton ami, c'est... ?
— Raphaël. Et Raphaël, voici ma mère.
— Vous pouvez m'appeler Sylvia, Raphaël. Merci d'avoir pris soin de ma fille !

Une fois les présentations faites, l'Humaine invita son ami à entrer chez elle. Une marque de confiance.

— Maman, Raphaël à ses vêtements salis par ma faute, tu n'en aurais pas de rechange ?
— Nous avons ceux de ton père. Je vais les chercher.

Tâtonnant un peu dans la maisonnée avec ses pieds, on voyait l'habitude que sa mère avait de rester en ce lieu. Mancinia ouvrit la bouche avant de la refermer aussi vite. A quoi cela servirait-il de conserver les tenues d'un homme qui ne reviendrait sans doute pas ? Sa mère s'était fait une raison plus vite qu'elle, c'en était désolant. Sa mère ne devrait pas avoir des désillusions aussi horribles. Sa mère revint et tandis les affaires de son mari à l'ami de sa fille, ne pouvant s'empêcher de faire la remarque ;

— Eh bien, Raphaël, vous savez que vous êtes le premier homme que ma fille ramène à la maison, hu hu hu ?
— Je sais à quoi tu penses, maman, mais tu n'auras pas de petits enfants dans quelques mois.
— J'aurais essayé !

Souriante avec un air faussement innocent, Sylvia s'en retourna regarder la marmite d'où émanait une délicieuse odeur. Mancinia soupira de soulagement que sa mère ne la questionne pas plus et emmena son ami dans la pièce du haut, la seule et unique, sa chambre. Elle entreprit de refermer les volets intérieurs, de l'intérieur, sa fenêtre étant entrecoupée de meurtrières pour éviter tout vol. Ou toute fuite. Puis, elle regarda son ami avec un air rebelle ;

— Ouais, c'est ma chambre, alors, zou ! dit Mancinia en le poussant à l'intérieur. Passe le premier !

Elle sourit ;

— Et oui, les femmes humaines peuvent se montrer très autoritaires. Y'a tout ce qu'il faut pour ta toilette, alors n'hésite pas.

Elle passa la langue et referma sa porte, appuyant son dos contre cette dernière, attendant que l'Élemental ait terminé de se changer. Kamiya, quant à lui, trouva sa place au-dessus de l'armoire de son Humaine. Observant Raphaël, le regard menaçant ;

— Si tu tentes quoi que ce soit, tu n'auras même plus tes yeux pour pleurer !

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Raphaël sourit à la fausse menace de Mancinia. Elle était bonne comédienne. Il la suivit, les bras derrière la tête, souriant joyeusement, mais une voix et un regard froid. « Pourquoi m’enfuir ? Je risquerai de te bouffer en premier, t’auras même pas le temps de crier ». Puis il tourna la tête vers Mancinia et lui fit un sourire sincère, bien qu’une légère touche froide reste au coin de son regard. Ce n’était pas contre elle, mais il avait tellement prit l’habitude de se méfier des autres, et de les garder éloigner de lui, ainsi que refouler ses sentiments, qu’il n’arrivait plus réellement à les ressentir correctement, ni à les afficher. C’était grâce à ça qu’il arrivait à être une personne aussi détaché dans toutes les situations de dangers qu’il avait pu affronter. C’était peut-être pour ça que les gens étaient effrayés par lui habituellement. Ca ne semblait pas être le cas de la jeune humaine qui lui souriait et restait avec lui malgré les choses qu’il avait faites. Elle pensait sûrement qu’il n’était pas mauvais, que c’était de la simple défense, mais il savait qu’il était capable de tuer de sang-froid. L’Elémental se demandait toujours si c’était bien ou mal. Il n’arrivait pas à le différencier, il ne le voulait pas vraiment d’ailleurs. Il préférait ce faire ses propres impressions avant de les classer quelques parts.

Perdu dans ses pensées, il vit qu’il avait pris du retard sur Mancinia. Il accéléra le pas, et la rejoignit tandis qu’elle s’était arrêté devant une maison. Il l’observa rapidement. Plutôt de petite taille, avec un unique étage, il pouvait voir que c’était loin d’être un lieu riche. Pourtant ce n’était pas dénué de charme, et de chaleur, il en était persuadé. Surpris d’entendre une autre voix, il préféra rester sur les pas de la porte. Alors la jeune femme avait encore sa mère. A ce moment il percuta. Elle allait être surprise devant leur allure. La femme apparut, et il comprit. Non, elle ne pouvait pas voir leur état. D’ailleurs elle devait ne rien voir du tout. Oubliant de se présenter, l’Elémental se détacha de la conversion, observant l’endroit. C’était très simple, meublé de choses et d’autres. Une maison, tout ce qu’il y a de plus normal. Une chose qu’il ne connaissait pas. Même lorsqu’il avait encore ce qui ne ressemblait pas vraiment à une famille. Toujours rejeté des autres, trop bizarre, trop différent. Avec un pouvoir comme le sien, c’était normal aussi. Il trouvait étrange de ne plus avoir la pression constante de son pouvoir sur son cerveau. C’est d’ailleurs pour ça qu’il avait tellement de mal à se concentrer. Habituellement, il n’avait pas besoin de faire cet effort pour retenir les choses. Il avait simplement besoin que ses sens le perçoivent pour ça.

Lorsqu’il entendit son prénom, l’Elémental tourna la tête vers les deux femmes. « Elle m’a bien aidé elle aussi ». Répondit-il, puis entra lorsqu’elle lui demanda. « Euh… Non pas besoin, ça ira vous savez ». Dit-il lorsqu’elles parlèrent de vêtements. Les siens étaient déchirés, et sales, c’était logique qu’il en change, mais il les aimait bien, confortable et pratique pour voyager. Lui qui avait l’habitude de les rafistolés, il n’aimait pas spécialement que quelqu’un lui apporte son aide. Ce n’était pas par fierté, mais simplement car il n’aimait pas dépendre des autres. Mais Sylvia était déjà partit, et revint quelques minutes plus tard, lui tendant les vêtements. Retenant un soupir, Raphaël les prit, essayant de ne pas tâcher les vêtements avec ses mains sales. « Merci ». Il lança un regard à Mancinia lorsqu’elle réagit à la remarque de sa mère. « Je rajouterai que j’ai trop la bougeotte pour être un bon père de famille, mieux vaut avoir un autre gendre ». Puis il se fit embarqué par la jeune Humaine qui l’emmena en haut.

Elle le poussa dans sa chambre. « Autortaire, d’accord, mais tu pourrais pas être plus douce, espèce de sale brute ». Se plaignit-il en affichant une fausse grimace de douleur. Il leva la tête vers Kamiya et rétorqua. « Tenter quoi dis-moi ? ». Il s’avança vers la bassine d’eau, observant le liquide. Il mit la main dedans, mais ne ressentit rien. Fronçant les sourcils, il prit une inspiration. C’était très étrange pour lui. Jamais il n’avait été coupé de son élément. Même dans le désert il le sentait toujours avec lui, mais ici, plus rien. Il secoua la tête se reprenant. Retirant ses vêtements, il commença à retirer la crasse et le sang, dévoilant ses cicatrices, et son tatouage. Habitué à tout ça, il n’y faisait plus attention désormais, bien qu’il ignore d’où elle venait. Il savait que certaines n’étaient pas dues à des attaques qu’il aurait subi, mais ressemblait plus à des marques de tortures. Une fois propre, il mit les vêtements qu’on lui avait donnés. Etant assez mince et petit pour un homme, le pantalon glissait légèrement le long de ses hanches, et la chemise lui tombait sur les cuisses, les manches longues cachant ses mains. Il replia ses manches jusqu’au coude. Il avait déjà l’air d’un débrayé avant, mais maintenant c’était pire. « C’est bon ». Dit-il à Mancinia, puis ouvrit la porte. « Au fait, c’est plutôt sympa chez toi. En tout cas, merci pour la séance de nettoyage. A toi maintenant ». Il sortit à son tour et la laissa rentrer, ensuite il s’assit contre le mur, dos et tête appuyé contre, restant sur ses gardes malgré les apparences. Il ne se sentait pas à son aise ici. C’était une ambiance si calme, si tranquille, si plein de chaleur. Il n’était pas habitué à tout ça, il n’avait jamais connu tout ça. Et, même s’il avait perdu la mémoire, il sentait au fond de lui qu’il n’avait jamais eu une famille, et qu’il n’avait jamais été réellement aimé. Pas comme il venait de le voir avec Mancinia et sa mère. Pliant les jambes, il posa ses bras sur ses genoux, et baissa la tête en soupirant. Pourquoi est-ce qu’il était aussi déprimé à ce moment précis ? Ce n’était aps dans ses habitudes de s’apitoyer sur son sort.

— Je vous connais, vous, les hommes, développa le corbeau. Vous êtes constamment là, à songer à des trucs louches dès que les femmes ont le dos tourner !

Suivant ce petit échange, un silence retomba sur la chambre, uniquement entrecoupés de bruits mâts. Mancinia ne pouvait pas entendre ce qu'il se disait entre son compagnon et son nouvel ami. Nul doute qu'elle aurait eu de quoi en redire ! Si elle n'écoutait que d'une oreille distraite en attendant derrière la porte de sa chambre que Raphaël termine de faire sa toilette et de mettre des vêtements propres. C'est qu'elle prenait conscience que cela ne la dérangeait pas plus qu'autre chose que les vêtements de son père soit porté par quelqu'un d'autre. Était-ce désolant en sachant que son père avait été tout un pan de son existence à une époque ? Sans doute que son amour n'avait pas besoin de vieux vêtements et pouvait se contenter de souvenirs, avec l'espoir un peu vide de le revoir réapparaître aussi brusquement qu'il était partit. Un sourire naissant sur son visage lui rappelait une affirmation amusante ; Raphaël avait dit à sa mère qu'il était bien trop libre pour songer à être parent, elle était tout l'inverse. Ils étaient contraires en tout point, mais ils parvenaient à s'entendre. C'était une chose qui la changeait venant d'une autre race que la sienne. Mancinia essayait de contenir son impatience en tapotant des pieds, tout en repensant à cet instant, quelques minutes auparavant, où Raphaël avait compris où il se trouvait.

— N'empêche, rit-elle en haussant la voix pour qu'il l'entende. Tu aurais dû voir la tête que tu avais en entrant chez moi ! Ah ! Je présume que tu ne t'y attendais pas ? C'était un peu le but, mais tout de même !

C'est alors que Mancinia vit la clinche se mouvoir et ôta son dos de la porte d'un mouvement d'épaules, avant que celle-ci ne s'ouvre. Ça lui évitait une chute qui n'aurait pas manqué de la ridiculisée et de faire rire l'assistance, ce que de toute évidence, l'Humaine souhaitait évité. Observant Raphaël venait d'apparaître devant elle avec des vêtements qui étaient larges pour sa petite taille, mais ils ne manqueraient pas de faire l'affaire en attendant. Elle eut néanmoins un sourire crispé. C'était tellement bizarre de voir les habits de son père sur quelqu'un d'autre. L'Élémental la remerciait à nouveau tout en lui cédant la place, mais la jeune femme balaya ses paroles d'un geste de la main.

— Je t'en prie. Sans toi, je ne m'en serais pas sortie toute seule là-bas...Je ne fais que te rendre une service amplement mérité !

Sans un mot de plus, elle s'introduisit dans sa chambre en refermant derrière elle. Kamiya était là, mais il ne disait rien en regardant sa maîtresse émettre un profond soupir. Mancinia relâchait cette pression accumulée et auquel elle n'était guère habituée, sans parler de ses muscles et de ses nerfs qui se relâchent, lui donnant envie de s'affaler sur son lit et de dormir. Cette mésaventure l'avait épuisée, même si quelques points positifs en ressortaient. Des gens avaient été sauvés et elle avait la rencontre de Raphaël, autant dire que ce n'était pas rien ! L'Humaine ôta ses vêtements crasseux avant de faire sa toilette, l'eau était sale, mais l'essentiel était d'enlever le plus gros. Mancinia utilisa l'éponge pour nettoyer la crasse qu'incarnait le sable mêlé à la sueur. Et ce sang qui n'était pas sien. Elle évitait de songer qu'elle avait pris une vie et pourtant, elle se souvenait encore de la résistance du corps et de sa raideur lorsqu'il péri. Un frisson lui parcourut l'échine, sans doute à la fraicheur ambiante. Ses petites estafilades piquaient lorsqu'elle passait l'eau. Elle n'osait imaginer la réaction de sa mère si celle-ci l'avait vue revenir ainsi...Propre, la jeune femme saisit d'autres vêtements dans son armoire pour de se vêtir plus dignement. Alors, que mettre ? Elle avait un invité après tout. Bah, au point où ils en étaient...

— Prête ! dit-elle en ouvrant la porte à la volée.

Mancinia s'attendait à faire choir Raphaël au sol en ouvrant brusquement, mais elle fût déçue. Ce dernier était assis sur le côté, mais au moins, il avait tout loisir de voir sa tenue. Elle avait opté pour un chemisier blanc dénuant ses épaules, aux manches froncées à hauteur des coudes, surmontée d'une veste en cuir noire, sans manche, avec des broderies à l'encolure et un laçage à l'avant. Plutôt que de mettre son habituel pantalon, elle choisit de mettre sa jupe longue et ample qui lui descendait jusqu'aux chevilles, ajustant cette dernière à la taille avec l'aide du cordon. Kamiya se tenait sur son épaule, c'était une habitude.

— Eh bien, on nous fait une petite déprime, allez ! Zou ! Allons manger !

Mancinia saisit son bras et le redressa un peu maladroitement, l'odeur de la cuisine se faisait sentir et elle crut défaillir tant ça sentait bon ! Sa mère n'était pas mauvaise cuisinière et même les ténèbres qui l'entouraient n'avait pas été capable de lui enlever ce talent. Cette dernière les entendit dans les escaliers et se mit à servir le contenu de son bouillon où flottaient encore quelques carottes et des morceaux de poulet. Sur une petite assiette à part ce trouvait les pilons ayant mijoté des heures, mais qui serait pour Kamiya qui s'envola de son épaule sur la table pour déguster sur un coin lui étant réservé. Mancinia invita Raphaël à s'asseoir avant de l'imiter, suivit de sa mère ;

— Faites attention, les enfants. C'est chaud. J'espère que cela te conviendra Raphaël, vous avez besoin de prendre des forces après une journée aussi accablante !

Sa mère n'en avait pas idée, mais elle était si intuitive des fois que Mancinia la croyait doter du don de lire dans les pensées. Le bouillon était encore fumant, mais elle ne se sentait pas la force de souffler dessus à tout bout de champs. Choisissant de regarder son compagnon Élémental ;

— Alors comme ça, tu as la bougeotte ? C'est normal remarque, tu es si loin des terres appartenant aux Élémentals. C'est tout à ton honneur de découvrir le monde. As-tu été à Cael ? C'est une ville magnifique. Bon, elle est moins belle qu'Utopia à mes yeux, mais ce n'est que mon avis.

Mancinia accompagna sa phrase d'un éclat de rire. Raphaël prendrait sûrement mal qu'elle lui donne la direction d'une terre appartenant aux Magiciens, mais il lui avait aussi dit ne pas se sentir concerner par tous ces problèmes raciaux.

— La Forêt des Mille Clochettes n'est pas en reste si on veut se détendre dans la nature.
— Tu as raison, maman. C'est un très bel endroit. Surtout si on veut se rendre à Earudien.

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Raphaël attendait que Mancinia termine, ne lui ayant pas répondu pour tout à l’heure. C’est sur qu’il avait été surpris de voir qu’elle l’avait conduit chez elle, bien qu’il se doutait qu’elle en avait un, de chez elle. Mais, étonnamment, il avait eu du mal à y croire au départ. Un nomade tel que lui n’était pas habitué à cela. Heureusement, Mancinia vint le tirer de sa torpeur en ouvrant la porte brutalement. Il leva la tête vers elle, et sourit devant son air déçu. Elle s’attendait peut-être  à ce qu’il s’effondre. Il la détailla du regard. C’était la première fois qu’il la voyait clairement, et propre également. De plus, elle était habillée d’une jupe et d’un corset, ce qui le changeait bien de la première fois où il l’avait vu. La jeune femme lui attrapa le bras, et le releva. Il suivit son élan, et trébucha, manquant de s’étaler au sol.  Mais il put se rattraper juste à temps, et la suivit, tandis qu’elle l’entraînait dans la salle à manger.

Ils descendirent les escaliers, l’odeur de la cuisine se faisant sentir, et faisant saliver Raphaël. Depuis combien de temps n’avait-il pas mangé un bon repas ? Il ne s’en souvenait plus, même si c’était assez ironique de sa part. Il s’assit à la table quand il fut invité, essayant de respecter les bonnes manières pour une fois. « Vous savez, je ne suis pas difficile en matière de nourriture, et la vôtre à l’air excellente ». Lui dit-il. Bon, il n’avait pas non plus de réel point de comparaison. L’Elémental fut impressionné par la déduction de la mère de Mancinia. Elle avait deviné qu’ils avaient vécu des choses assez compliquées, bien que ce soit son quotidien. Elle avait sûrement du sentir l’odeur du sang. De plus, son talent pour la cuisine, malgré sa cécité était impressionnant. Il n’avait pas encore gouté le bouillon, car trop chaud, mais l’odeur était excellente. En attendant, il décida de faire la conversation. Ou plutôt de continuer la conversation que la jeune femme venait de lancer. Mais les deux parentes continuèrent entre elle, ce qui lui fit baisser les yeux, observant sa nourriture, jouant avec. « Tu sais Mancinia, je ne suis pas sûr que tu es un avis très objectif sur la question de savoir quelle ville est la plus belle ». Dit-il à la jeune femme.

Puis il décida de répondre, plus ou moins, aux interrogations des deux femmes. Mancinia était intelligente, et les épreuves qu’ils avaient subi ensemble les avaient rapproché, elle allait sûrement se douter qu’il cachait quelque chose, voir le cuisiner là-dessus. « Eh bien oui, j’ai la bougeotte. Je ne tiens pas en place. La plupart du temps je reste rarement plus d’une semaine  au même endroit. Je me lasse assez rapidement ». Il marqua une pause, puis reprit. « Enfin, tu ne devrais pas vraiment m’associé au peuple des Elémentals. J’en suis un, mais je ne suis pas particulièrement proche d’eux ». Et le ‘’pas particulièrement’’ serait plutôt un ‘’pas du tout’’. Il n’avait aucun lien avec les Elémentals, et il ne cherchait pas à en avoir. Il ne tenait pas particulièrement à s’investir dans la race qui était la sienne. Avoir des responsabilités, se posés, des gens qui comptaient sur soit, il préférait se tenir éloigné de ce genre d’ennui. En fait, c’était surtout un moyen pour lui de se détourner du réel problème. Il avait peur d’avoir quelque chose, ou quelqu’un, à qui tenir, ou l’inverse. Passer en coup de vent, ne laisser qu’un simple souvenir de son passage l’arrangeait. De plus, personne ne restait longtemps dans sa mémoire, ça lui évitait de regretter de ne pas rester à un endroit. Après tout, les gens disaient souvent que l’on savait qu’un endroit était chez nous s’il nous manquait lorsqu’on en partait.

« Cael… Ce  ne serait pas une ville de Magiciens ? Je ne crois pas y être déjà allé, mais pourquoi pas, elle est comment, il y a des choses intéressantes ? Et vous êtes déjà allé dans la forêt aux Milles Clochettes ? Et Earudien ? A quoi cela ressemble-t-il ? » . Le jeune homme posait beaucoup de questions. Pour deux raisons, la première était pour une réelle curiosité. Il adorait apprendre, en connaître d’avantage sur les lieux dont il ignorait tout, ce qui voulait dire chaque recoin de ce monde, quand bien même il y passait deux fois. La deuxième raison, est qu’il voulait détourner l’attention des questions sur les endroits qu’il avait visités, ce qui revenait à en venir à sa mémoire. Il n’en avait pas spécialement honte, mais il appréciait Mancinia, et ne tenait pas à ce qu’elle prenne peur en apprenant la nature de son pouvoir. La plupart des gens, en apprenant qu’il apprenait tout en quelques secondes, et qu’il oubliait tout, prenait la fuite. Il passait un agréable moment, un des rares moments en compagnie d’être humanoïde, alors il tentait d’en profiter.

Mancinia vit le sourire de gratitude sur le visage de sa mère, ravie de recevoir un compliment sur sa cuisine. Sa fille lui en faisait à chaque fois que le repas se terminait, mais ils ne valaient pas ceux d'un invité ! Elle-même était reconnaissante envers Raphaël d'avoir permis à sa mère de respirer un peu mieux malgré sa cécité et son coeur se serra. Si elle avait été plus grande lors de sa disparition, sans doute aurait-elle été capable de la sauver plus vite...C'était un cercle vicieux. Celui de la mère refusant que son enfant s'inquiète, qui l'aimait malgré tout et celui de l'enfant avec sa culpabilité, ses regrets. Des années heureuses n'avaient pas suffis à enlever ce sentiment de malaise entre elles, bien dissimuler au travers de leurs liens l'une pour l'autre et, désormais, il n'en serait que plus pénible de s'en sortir. Le nouveau venu allait égayer leur soirée à sa manière, changer les idées de deux Humains un peu maussades si la situation s'altérait quelque peu. L'Élémental serait un peu comme une eau rafraichissante lors d'une soirée trop chaude. Raphaël n'eut aucune retenue à lui dire qu'elle manquait d'objectivité l'instant qui suivit et Mancinia en demeura bouche bée durant quelques instants. Redressant son bec de sa gamelle, Kamiya se mit à coasser d'une drôle de manière, son imitation d'un rire ;

— Ah, ça c'est vrai ! approuva-t-il.
— Quoi ?! s'indigna l'Humaine devant ce complot. C'est absolument faux ! Entre Cael, Earudien et Avalon, c'est bien les Humains qui ont la plus belle capitale ! Elle peut se targuer d'être une oeuvre architecturale de plus belle ampleur ! Elle est sobre, dominante et sans artifices magiques !
— Allons, allons, dit Sylvia en riant. Suffis vous deux. Vous valez deux enfants !
— La meilleure ville du monde, c'est la Forêt au Mille Clochettes !

Mancinia voulu rétorquer que ce n'était pas une ville humanoïde, mais Raphaël enchaîna avant qu'elle n'est pût ouvrir la bouche, enclenchant un coassement narquois de son ami à plumes. Bien que vexée dans son amour propre et affichant une mine boudeuse pour le faire savoir, elle écoutait ce que disait son nouvel ami avec intérêt. De ce qu'elle entendait, Mancinia apprenait qu'il n'aimait pas rester plus d'une semaine après avoir fait la découverte d'un lieu. Lassé. Comment pouvait-on être aussi indécis quant à un lieu où demeurer ? Ce qui l'étonna encore plus, c'est le fait que son camarade ne se sente pas proches des siens. Pourquoi ? C'était une chose qui la dépassait, tant les Humains étaient peu nombreux. Ils ne pouvaient être proches que des uns et des autres, tant ils étaient honnis à l'extérieur des murailles d'argent d'Utopia. Elle conserva cette interrogation personnelle pour plus tard, évitant de lancer un froid au milieu du repas sur lequel elle avait fini par se jeter avec plaisir. Le plaisir de sentir quelque chose de chaud dans son estomac la fit sourire de plaisir. La chaleur. Si elle ne comprenait pas pourquoi Raphaël devait avoir envie d'être seul, c'est parce que l'un comme l'autre n'avaient pas vécus la même existence, leurs expériences étaient différentes, leurs races et leur rapport avec cette chose appelée Magie. Raphaël se montra plus curieux quant à certaines villes qu'il ne connaissait pas...

— La Forêt au Mille Clochettes, c'est beau ! argumenta Kamiya en premier. C'est plein d'arbres, de feuilles, de petites rivières ! C'est autre chose que le sable de la plage, il est affreusement gluant ! A Kutopia, il est plus agréable lorsqu'il se glisse dans tes plumes !

Mancinia grimaça au son outragé de sa Capitale bien-aimée. Cette Forêt n'était pas une ville pour elle, mais pour son corbeau, il s'agissait là d'une magnifique forteresse naturelle ! Si tout séparait les races, une chose pouvait les réunir : c'était leur avidité en termes de connaissances et d'art. La jeune femme enchaîna sur les dires de son ami en reposant sa cuillère.

— Cael est une ville Magicienne d'une grande beauté où la perfection demeure magique, insista l'Humaine. Mais Cael désigne surtout ville principale de l'île de Caelum, car, en effet, on ne peut accéder à cette ville que par transport maritime ! Je vais te donner un conseil. Si tu souhaites te rendre dans la cité, fais le choix d'une petite embarcation, les plus grandes ont tendance à s'arrêter loin du coeur et tu raterais certaines merveilles ! Oh ! Et tu sais qu'elle est sa particularité par-dessus les autres ? C'est que Cael est baignée d'une douce couleur pastel !

Souriante et s'étant laissé absorbée par son enthousiasme, elle fit une pause avant de reprendre.

— Earudien a été magnifiquement reconstruite depuis les deux destructions successives qui ont été les siennes. Les Elfes ont persévérés et sont parvenus à la rebâtir plus belle que jamais. Protégés par des falaises et une forêt enchantée, la nature y est dominante. Il faut aller à sa rencontre pour comprendre le lien profond que ce peuple à avec la nature. C'est une cité secrète aux rues paisible où les habitants sont respectueux.

Son regard se baissa vers la table et se perdait dans sa soupe.

— Je ne suis sans doute pas impartiale à tes yeux, mais si chaque ville de ce continent possède ses propres atouts, Utopia n'en demeure pas moins le fruit d'un labeur collectif et d'un rêve qui a réuni un peuple.

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Raphaël fut surpris devant la réaction de Mancinia. Est-ce que dire à quelqu’un qu’il n’était pas objectif était si mal et difficile à entendre ? Il avait un peu de mal à comprendre. A force d’être trop direct, il ne prenait pas en compte l’amour propre des autres. Il fallait dire que lui-même n’en avait pas beaucoup, n’étant pas le moins du monde touché lorsqu’on l’insultait, ou qu’on lui dise ses défauts. Mais au moins, ses questions avaient coupé court à une dispute avec son corbeau. Et sur le visage boudeur de la jeune femme, il crut distinguer de la surprise sur son visage. Quand avait-elle montré cette surprise ? Ah oui, au moment où il avait dit ne pas être proche de son peuple. En quoi était-ce si étonnant ? Cela devait être assez courant quand même, vu le nombre de race, et de personnes les peuplant, il n’était sûrement pas le seul à ressentir ce genre de distance avec les gens de sa race. Mais la jeune femme tut sa curiosité, et le commença à manger. Faisant de même, il se mit à manger, soufflant légèrement sur sa nourriture. En avalant sa première bouchée, sa première impression sûr le goût de la nourriture s’avéra exacte. Ce plat était délicieux. Bien plus que ceux qu’il se préparait lui-même sur la route, ou dans les auberges bas de gammes où il dormait. Un sourire apparut sur son visage, tandis qu’il continuait de manger avec entrain. Il savait qu’une portion ne suffirait sûrement pas à le rassasier, ayant tendance à manger comme trois, mais il ne voulait pas être trop envahissant pour ces deux femmes qui l’avaient accueilli chez elles avec bonté. Il ne voulait pas abusé.

L’Elémental écouta Kamiya parler de la forêt aux milles clochettes. Sa franchise, et la simplicité de ses mots étaient assez amusantes. Au moins il était presque certain que l’oiseau ne pouvait pas lui dissimuler grand-chose. Contrairement à beaucoup d’humanoïde, le corbeau n’avait pas réellement d’expression faciale, ce qui compliquait l’analyse de son visage. Pestant contre lui-même mentalement, il se concentra sur la conversation. Ses habitudes de méfiances revenaient à la charge dès qu’il essayait de se détendre un peu. Il essayait toujours de lire les émotions des autres pour décrypter leur comportement, et prévoir leur attitude. C’était devenu naturel chez lui, et quelque chose dont il n’arrivait pas à se détacher. En même temps, cela lui permettait de se maintenir en vie. Maintenant qu’il était désarmé, et sans magie, ce sentiment de danger des autres devenaient plus fort. Il ne lui restait plus que ses capacités physiques pour se défendre. Sérieusement, il devait se sortir un peu de cet état, surtout maintenant qu’il était avec quelqu’un qui arrivait à l’apprécier, et que lui-même aimait bien. Autant en profiter plutôt que de laisser faire son instinct, qui lui dictait de s’éloigner le plus loin possible d’ici.

Puis ce fut à Mancinia de reprendre la parole, essayant de lui décrire Cael. Tout en continuant de manger, il écoutait la jeune femme. Elle avait un certain don pour la description, ce qui ne déplaisait pas à Raphaël, qui prenait plaisir à écouter les gens raconter leurs expériences. Pour quelqu’un qui avait un lieu où vivre, elle semblait voyager beaucoup. Il remarqua son insistance à propos de la perfection magique. Elle semblait avoir une certaine animosité pour cette essence. Mais ce n’était pas si étonnant que ça. Il connaissait vaguement l’histoire des Humains, et les horreurs que leur avait fait subir les différents peuples magiques. Mais il n’avait jamais compris pourquoi ce rejet. D’accord, leur anti-magie pouvait être un sérieux problème dans certaine situation. Et se retrouver couper de sa magie provoquait un sentiment de faiblesse, allant certainement jusqu’à la peur chez certains. Mais de là à vouloir anéantir toute une espèce. Cela relevait de la stupidité. La curiosité de connaître ce peuple, sa culture, et ses particularités n’étaient pas plus forte que ça ? C’était peu compréhensible pour lui.

« Excuse-moi Mancinia si je t’ai vexé, mais j’ai dit ça parce que ça se voit que tu aimes ta ville, et les Humains, d’où le fait que tu manques d’objectivité ». Bon, lui dire ça n’allait pas forcément améliorer les choses, et c’est pour cela qu’il enchaina sur une vérité. « Mais de ce que j’ai vu, je trouve Utopia particulièrement belle, même s’il me reste encore beaucoup de choses à voir de cette ville. Et puis, j’avoue que j’admire assez les Humains. Ils se sont rassemblés, et ont pu construire cette ville. Et ce que tout le monde considère comme une faiblesse, vous l’avez transformé en force. Je trouve sa admirable ». L’Elémental était sincère lorsqu’il disait ça. Ce peuple et ses membres étaient forts et courageux, et le fait d’avoir enfin trouvé une première souveraine leur avait été très bénéfique. Le reste qui en avait suivi avec l’entraide entre les peuples auraient été encore mieux si elle avait tenu, mais malheureusement les puissants de ce monde étaient toujours en train de se quereller pour des raisons stupides. « Tu me feras visiter la ville après ? J’ai envie d’en apprendre un peu plus sur vous et votre culture. Votre langue aussi…». Soudain il se tut, surpris. Il venait de se souvenir qu’il ne possédait plus ses pouvoirs. Ce qui voulait dire qu’apprendre en quelques secondes n’était plus envisageable pour lui tant qu’il restait là. « Euh… Non, pour la langue c’est pas vraiment possible pour le moment, ça me prendrait trop de temps » . Enfin, il devait ce l’imaginait, vu qu’il connaissait pas mal de langues grâce à son pouvoir. Et qu’il arrivait à s’en souvenir. Il se demandait toujours pourquoi ce genre de connaissances ne s’effaçait pas. « Et pour commencer, vu que tu aimes tellement Utopia, tu pourrais me raconter comment elle sait construite ? ». Ses yeux bleus brillaient d’une vive lueur de curiosité, presque insatiable à propos d’à peu près tout ce qui pouvait attiser son intérêt. Et ici, c’était les Humains.

Un léger silence avait suivi son échange et chacun dégustait son plat avec appétit. Cette scène avait de quoi rendre le sourire à une personne de mauvaise humeur et même privée de vue, Sylvia avait un sourire flottant sur son visage. Elle savait que sa fille ne pouvait pas être aussi agressive verbalement qu'elle voulait le faire croire aux grosses brutes. Mancinia n'était pas en état de rester fâchée très longtemps, tant cela lui avait usé les nerfs de rester cloîtrée quelques heures avec des marchands d'esclaves. Ce n'était pas quelque chose qu'elle pouvait dire à voix haute, mais que ses compagnons d'infortune comprendraient d'instinct. Raphaël reprit la parole en s'excusant d'avoir heurté un point sensible. Ah, il pouvait bien le dire, en effet ! Pour toute réponse, la jeune femme lui sourit. Ce qu'ils avaient vécus ensemble ne pouvait pas se briser pour un peu de fierté mise à mal. Peut-être si c'était un Sorcier, mais ce n'était pas le cas. Ce petit silence détendit l'atmosphère pourtant agréable qui régnait dans la demeure. Ça faisait plaisir à l'Humaine d'y ressentir un peu de vie en la présence de l'Élémental. Peut-être était-ce liée à sa magie ? Il était lié à l'eau, un élément qui se voulait apaisant et agréable.

— Ça me fait étrange d'entendre de tels compliments, admit-elle. Et toi, tu ressembles aussi beaucoup à ton élément. Ta magie n'est pas aussi toxique que celle des autres.

Elle reposa ses couverts.

— C'est vrai. J'aime mon peuple, sans doute plus que de raison au regard de certains. Je ne remettrais pas en cause le fait que la Reine Violette, celle qui a uni nos ancêtres et fait construire cet endroit devait avoir un amour encore plus profond que le mien.
— Et ça fait plaisir d'avoir un endroit où vivre.

Mancinia hocha la tête d'un air entendu. Ça prenait encore plus de sens dans la bouche de sa mère. Elle avait vécue toute sa vie en nomade sur les routes, sa fille savait à quel point cela pouvait être difficile. Surtout que jamais elle ne verrait Utopia. Jamais elle ne recouvrirait la vue. C'était rageant, mais peut-être valait-il mieux que ce soit le cas vu où elles résidaient toutes deux. Ce n'était pas les meilleurs quartiers de la ville et elles étaient mêmes très pauvres en comparaison d'autres résidents. Ce n'était pas très grave tant qu'elles demeuraient en sûreté, mais l'Humaine avait envie de changements. Et pas seulement de sa propre vie, mais celle de tout son peuple.

— Peut-être que dans quelques années...Avec de la chance...Je serais quelqu'un sur qui on pourra compter en cas de coup dur. Je ne sais pas.

Laissant ses paroles suspendues dans les airs, ne souhaitant pas s'étendre sur ses ambitions ridicules. Raphaël l'interrogea aussi sur la possibilité de découvrir la ville, leur culture et même leur langue. Avant de se raviser sur ce dernier point. Ça lui arracha un rire.

— Je te ferais découvrir la ville, tu verras ! Tu ne ressortiras pas d'ici sans de bons souvenirs à aller raconter chez les tiens ! Et qui sait ? Raconter tes découvertes vous permettra de mieux vous entendre. Tu expliqueras comment tu as échappé aux Humains cannibales et affreux d'Utopia.

Raphaël l'interrogea ensuite sur la construction même de la ville.

— Utopia s'est bâtie à la suite d'un Conseil des Chefs sur notre nouvelle réunification. On ne pouvait pas construire une ville sans aide ni protection. Si nous somme protéger par l'Aether de la Justice, l'aide est venue de quelques souverains alliés. C'est d'ailleurs pour cette raison que certaines statues leur sont dédiées. Il y a celle de l'Élue des Cieux, Nydelia, par exemple, mais aussi de nombreuses de la Reine Violette. Tu les verras dès qu'on aura fini.
— Tout de suite après ? interrogea Sylvia. C'est vrai qu'un petit tour nocturne n'est pas un problème puisque la sécurité y est, mais tu devrais sans doute lui conseiller un endroit où dormir. Je ne veux pas jouer les ingrates, Raphaël, mais il est hors de question que ma fille dorme avec un homme si elle n'est pas mariée.
— Maman, enfin !
— Je plaisantais, ma fille. C'est seulement que, comme tu le vois, nous n'avons pas beaucoup de place.

Il y eut un silence gêné. Sa mère n'avait pas tort, mais elle n'irait pas par quatre chemins pour le dire.

— Je vous ressers, les enfants ? questionna sa mère.
— Volontiers ! dit Mancinia avec un sourire embarrassé.

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Mancinia semblait être surprise des compliments que faisaient Raphaël. C’est vrai que les Humains étaient rarement appréciés des autres races. Il était vrai que leur anti-magie était déroutante, il ne se le cachait pas. Depuis que son lien avec l’eau avait été coupé, il se sentait vide, et perdu. Tout pour être effrayant. Mais il était de nature calme et réfléchit, ce qui l’empêchait de paniquer. « Toutes les magies ne sont pas toxiques. Pour certaines, cela dépend de la manière dont on l’utilise » Lui avait-il répondu. Il est vrai qu’il était rare que la magie noire puisse faire autre chose qu’infliger des douleurs, mais toutes les magies n’étaient pas noires ou blanche. La magie élémentaire, comme la sienne, n’avait pas d’affinité, et seul ce qu’en faisait le possesseur déterminait ce qui était bien ou mal. Mancinia avait repris la parole, en parlant de son peuple, et son amour pour lui. Elle l’aimait ? Cela lui faisait bizarre d’entendre ça, surtout s’il se comparait à lui. Il n’en avait pas grand-chose à faire de son peuple. Il ne le détestait pas, mais il ne l’aimait pas non plus. C’était de l’indifférence pure. Enfin, au vu de sa mémoire, il ne pouvait pas ressentir grand-chose pour sa race, pas comme Mancinia en tout cas. D’ailleurs, il remarqua qu’elle semblait avoir de l’ambition, mais qu’elle en avait.. Honte ? Non, peut-être pas un mot aussi fort. Elle trouvait peut-être cela ridicule et démesuré.  Et comme elle semblait gênée, elle préféra répondre à ses interrogations.

En apprenant qu’elle lui ferait découvrir la ville, un sourire joyeux apparut sur le visage de Raphaël, et le fit même rire lorsqu’elle lui fit une blague. « Ils seront tellement surpris qu’ils me nommeront héros » Dit Raphaël en riant. Enfin… Il ne se souviendrait pas des quelques moments passés ici, et finirait par oublier la jeune Humaine également. Elle lui raconta ensuite un peu l’histoire de la ville. Raphaël écouta. Il comprenait mieux pourquoi cet endroit était aussi bien protégé, et vivable malgré l’endroit où il se trouvait. Grâce à la magie, il était possible de protéger ce genre d’endroit, comme au Palais de Dasha, mais l’anti-magie des Humains empêchaient ça. Mais si c’était la protection d’un Dieu… Ca changeait tout. Raphaël était toujours aussi surpris de voir les miracles des Dieux, et, malgré le fait qu’il croit en Sympan plus qu’en d’autres, il ne pouvait qu’être émerveillé. Et alors que sa fille parlait, Sylvia finit par intervenir. La sécurité ? Dans une ville ? Cette phrase souleva les coins de la bouche de Raphaël dans un sourire ironique. Les gardes avaient beau être présents, ils ne suffisaient pas. Ils ne suffisaient jamais pour arrêter les assassinats, les voleurs, et autres. Quant à la suite de ses paroles, il ni fit pas vraiment attention, ce qui pourtant déclencha des exclamations de la part de Mancinia. Pourquoi semblait-elle si gêné ? Il avait l’habitude de se faire mettre à la porte, et vue la petitesse de l’endroit, il ne s’était pas attendu à rester ici bien longtemps.

Raphaël accepta la proposition d’être resservi, tendant son assiette. Il était admiratif de la façon dont s’en sortait Sylvia, et c’est pour cela qu’il ne s’était pas proposé pour le faire. « Merci, dit-il en récupérant son assiette. Et puis, je vois pas en quoi vous jouer les ingrate, c’est déjà bien assez gentil de votre part de me nourrir. Et puis, il doit bien y avoir quelques auberges pas trop cher dans les parages. En plus, je ne compte pas m’éternisé à Utopia. Sans vouloir vexé personne, la ville à l’air sympa, mais pour un Elémental, c’est un peu comme si on m’avait coupé un bras. Sûrement parce que je ne ressens plus le lien avec mon élément. Enfin bref. Ca me gêne pas » Raphaël parlait sans détour, mais se posant quelques questions. Est-ce qu’il avait fait de bonnes suppositions sur les Elémentals, ou était-ce le cas de toutes les personnes magiques ? Dans tous les cas, il se demandait s’il avait réussi à casser la gêne qui semblait s’être installé entre eux trois. En même temps, il mangeait la nourriture dans son assiette. Il finit par lever sa fourchette en direction de Mancinia, avalant sa bouchée. « Au fait, tu devrais pas avoir honte de ton ambition. Si t’as un peu de volonté, tu pourras faire ce que tu voudras. Et puis, avec un objectif dans la vie, ça t’éviteras de finir comme moi, toujours en train de courir dans tous les sens » Enfin, elle n’avait pas non plus le même genre de problème qui s’additionnait à son manque d’objectif dans la vie. Ce manque était-il un effet secondaire de son pouvoir, ou alors était-ce un plus qu’il avait, et qu’il aurait même en ayant de la mémoire ? « Ah oui, j’oubliais, si je ressemble tant à mon élément, c’est juste parce que je suis un Elémental, sinon, pour tous ceux qui peuvent contrôler un élément, c’est différent. Et, même entre Elémental c’est différent, dit Raphaël, commentant une conversation qui semblait être fini, mais c’était son habitude. Enfin, je crois, question relation, je suis une quiche » Et c’est peut-être pour ça qu’il était nul en relation, parce qu’il était trop bizarre.

Mancinia prenait conscience qu'elle se laissait emporter par le plaisir d'invité quelqu'un à sa table. Quelqu'un de différent et qui lui faisait honneur par sa présence. Il faut dire qu'elle n'avait pas l'habitude d'être aussi bien traité par des étrangers, qui voyait plus sa nature d'Humaine que la personne qu'elle était à l'intérieur. Si cette tendance s'effaçait ces dernières années, les mauvaises habitudes, surtout des plus anciens, avaient la dent dure. La jeune femme reconnaissait ne pas être particulièrement frappante, mais elle adorait faire de nouvelles rencontres. Pour le coup, elle n'avait pas assuré d'être aussi prétentieuse, espérant que son nouvel ami ne lui en tiendrait pas rigueur et il ne préférait, visiblement pas, enfoncer le couteau dans la plaie et elle le remerciait intérieurement, tandis que sa mère demeurait silencieuse. Après tout, elle connaissait bien son avis sur la question.

— Tu as l'air bien fatigué.

A vrai dire, elle se doutait bien être dans le même état. Que l'utilisation de sa magie dans le labyrinthe des marchands d'esclaves l'avait grandement épuisé, surtout qu'un Élémental devait toujours être en contact avec son élément. Du moins, c'est ce que la jeune femme avait appris, ce qui voulait dire que Raphaël ne devait pas être au mieux de sa forme dans cet endroit hostile à toute forme de liquide. Lui était honnête et malgré les tensions entre les deux races, elle ne pouvait que lui donner raison quant à l'utilisation de la Magie. Si on pensait aux Sorciers, elle ne pouvait être que sombre et manipulatrice, au contraire de ma magie bleue bienfaisante des Magiciens. Quoiqu'elle n'y comprenait rien. C'était un tout autre monde que le sien et, pour dire, vrai, elle se moquait bien de connaître les mécanismes que son antimagie disloquait. Peut-être que c'était une erreur, mais comment pourrait-elle interpréter cela de toute manière ? Raphaël semblait ravi de sa proposition de visiter la Capitale, ce qui fit encore plus plaisir à l'Humaine. Car, égoïstement, cela lui permettrait d'avoir une occasion supplémentaire pour squatter près de lui. Sa mère prit l'assiette de Raphaël en même temps que la sienne, il faut dire que le ragout était délicieux, sans doute parce qu'elle avait cru qu'elle n'en mangerait plus jamais ? L'Élémental la remercia à nouveau sur sa gentillesse de l'inviter à sa table.

— Pour une fois que ma fille me ramène un de ses amis, c'est un plaisir !
— Tu es donc complètement lié à l'eau ? pour changer aussitôt de sujet. Si c'est le cas, je dois avouer que ce n'est pas le meilleur endroit pour toi. Tu dois mieux te sentir dans les villes portuaires, non ?

Ce qu'elle était curieuse. Hélas, elle n'y pouvait rien, c'était dans sa nature. La magie ne l'intéressait guère, consciente qu'elle ne pourrait jamais la manier et l'Humaine le vivait bien. Ceci dit, certaines choses la fascinaient. Est-ce qu'être lié à un élément particulier était comparable à de l'amour ?

— Je présume qu'il y a une différence entre ceux qui vive avec l'élément et ceux qui le contrôle à leur guise, comme une affinité ? Hum.

Sa mère revint, elle aussi s'était resservie, bien qu'une quantité moins importante. Raphaël releva son couvert dans sa direction, lui affirmant qu'elle ne devait pas être honteuse d'être ambitieuse, assurant qu'avec sa volonté, elle pourrait être ce qu'elle désirait et lui assurerait un certain confort plus qu'une vie vagabonde. N'était-ce pas, au fond, ce que la jeune femme désirait ?

— Ma fille court toujours dans tous les sens, c'est pour cette raison que beaucoup ont du mal à la suivre.
— Dis toute suite que je suis ingérable, maugréa-t-elle entre ses dents.
— Tu l'es ! dit Kamiya d'un ton fort. Reconnaître ses défauts est un pas vers la guérison !

Mancinia était un peu bougonne de ces mauvaises langues qui riaient gentiment. Voilà pourquoi elle n'invitait jamais personne ici ! Même si les paroles de Raphaël lui avaient donné un regain de confiance en plus d'une certaine gêne. Difficile de recevoir de tels compliments de la part d'un véritable étranger dont on avait fait la connaissance le matin même. C'était véritablement une personne en or. Puis, elle passa un peu sa langue comme pour signifier que ce qu'il venait de dire était un peu ridicule.

— Nous sommes seulement maladroits parce que nous n'avons pas l'habitude, hé hé. Dans la vie, tout s'apprend avec de la patience ! Tiens, d'ailleurs, tu as un métier ou tu te contentes de sauver les demoiselles en détresse quand tu es en vacances ?

Ce fût à son tour de se moquer un peu.

Raphaël demeura muet quelques instants, il faut dire que Mancinia avait conscience d'être une vraie pipelette de temps à autre et qu'elle avait bien du mal à se contrôler. Malgré tout, il prit néanmoins le temps de répondre à ces interrogations curieuses. La Magie était un concept abstrait dans son esprit, elle ne pouvait pas réellement comprendre la finalité que les Élémentals éprouvaient avec leur élément, s'interrogeant mentalement sur ce fil invisible qui les liait. Etait-ce comparable à la relation qu'elle avait avec Kamiya ? Ou bien ses parents ? Serait-ce un sentiment amoureux dont la privation cassait quelque chose ? Peut-être allait-elle trop loin, mais dans tous les cas, en être coupé ne devait pas être évident, ce devait être comme être amputé d'un membre et de souffrir de l'absence cette présence que l'on avait autrefois ? Un contrôle, une régularité, si elle était issue d'une race magique et qu'elle lui lançait de l'eau au visage, est-ce que ça marcherait comme il disait ? Bon, elle ne se croyait pas impolie au point de lui faire une méchanceté de ce genre. C'était seulement des idées qui lui traversaient l'esprit.

— Nous n'avons pas de ville portuaire, malheureusement. Je ne pourrais donc jamais t'y invité pour que tu t'y sentes comme chez toi.

Mancinia se mit à rire quand il émit l'éventualité qu'il se tenait bien, avant d'enchaîner sur le fait que non, il ne passait pas son temps à sauver des demoiselles, lui assurant que sa témérité l'obligeait à courir au-devant des ennuis en entraînant les autres, ne parvenant à se sauver que par quelques coups bien ficelés, en aidant éventuellement ceux qu'il à entraîner avec lui. Ce récit la fit sourire tant il ressemblait à leur aventure, mais l'Humaine ne souligna guère ce point de peur d'éveiller les soupçons de sa mère et de l'affoler plus que de raison. Elle-même était d'une témérité certaine, peut-être parfois abrutissante tant cela relevait de la folie et, de ce fait, elle ne se moquerait pas de son nouvel ami sur ce point. Oubliant bien rapidement ce sujet, il répondit à sa question avec sérieux en affirmant ne pas avoir de place quelque part, apprenant trop vite pour un éventuel employeur, devenir Horloger lui plaisait bien. C'était un métier aussi précis que celui auquel elle aspirait. Raphaël lui retourna sa question, lui demandant sa passion autre que celle de se moquer des autres ou d'aimer les siens plus que de raison. Sa mère prit le relai.

— Je suis néanmoins consciente d'avoir une fille merveilleuse. Elle aime venir en aide aux autres, comme elle l'a fait avec vous. Parce que je suis certaine qu'elle s'est battue à vos côtés, n'est-ce pas ?
— Tu me connais trop bien. Je vais finir par en rougir, maman.
— Je te connais, c'est moi qui t'es tricoté.

Difficile de réfuté un tel argument. Mancinia posa le regard sur son assiette, mangea quelques bouchées et bu un peu d'eau avant de reprendre. Kamiya continuait son assiette mécaniquement, presque au bord de l'endormissement.

— Dans la famille, on est des Sertisseuses de mère en fille, dit-elle d'un ton doux et amusé. C'est un métier lié à la Joaillerie. C'est l'étape finale qui donne toute la beauté au bijou ! C'est nous qui manipulons les pierres, les incrustons dans l'alliage et faisons en sorte qu'elles tiennent durablement. Nous sommes méconnus et pourtant à la base de tout ! N'importe quel bout de métal peu devenir précieux une fois passé entre nos mains ! Par contre, ce n'est pas mon métier actuel. Je me contente de faire des petits boulots pour vivre ici, mais je ne désespère pas de me faire embaucher par le patron du Lux'or, un prestigieux bâtiment de la Capitale. Darren est néanmoins exigeant, ce qui n'est guère étonnant vu la qualité de ses créations.
— Tu y parviendras ! l'encouragea sa mère.
— C'est une vraie tête de mule, oui ! Je sais que je suis douée ! Il ne veut même pas m'accorder un essai. J'irais voir ailleurs à ce rythme !

Elle s'emportait gentiment. Ce travail était sa fierté et elle désirait ardemment en faire son métier. C'est pour cette raison que ce que disait Raphaël la surprenait.

— Et pourquoi dans un mois ? J'suis sûre que si tu restes avec moi une semaine, tu voudras devenir Joaillier dans ce laps de temps !

Bien que l'Humaine plaisantait sur la question, elle se demandait bien pourquoi son compagnon changerait d'avis aussi vite. Quand on aimait quelque chose, on s'y accrochait à fond, n'est-ce pas ? Un métier n'était pas si différent, surtout s'il déterminait en grande partie votre avenir.

— Quoi qu'il en soit, je suis certaine que tu y parviendras si tu t'en donnes les moyens ! l'encouragea-t-elle.

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