Des retrouvailles sous les étoiles
[Dahlia]

Toujours le menton au cœur de ma paume, je l’écoutais attentivement. Ses mots étaient précieux, tout comme sa voix. Mon cerveau implémentait ce souvenir à l’intérieur de lui. Il mémorisait chacun des traits faciaux de l’ange. Il essayait de figer ce temps qu’il savait trop rapide. Les embruns alcoolisés de la taverne se mêlaient à la chaleur du souvenir. Je ne voulais pas que ce moment cesse. Je voulais qu’Elijah continue de me parler, encore et encore. S’était-il d’ailleurs déjà autant exprimé ? Je souriais doucement. Il n’osait pas me regarder, visiblement gêné. Avait-il peur que je ne partage pas ses idées ?  Craignait-il que je ne le trouve stupide ? Non… C’était autre chose... Quelque chose de plus personnel. Il n’avait pas peur de mon jugement car, le jugement, c’était lui qui se l’imposait.

Tandis que j’enlevais mon menton de ma main, j’approchais l’autre de celles d’Elijah. Cependant, je ne le touchai pas, n’osant pas envahir son espace personnel. Il avait beaucoup parlé et il m’avait confié ne pas être vraiment à l’aise avec cela. Je comprenais qu’il avait aussi besoin de se replier sur lui-même pour confronter ses pensées. Je ne voulais pas interrompre celles-ci avec ma présence. C’était important. Il devait uniquement savoir que j’étais là, avec lui.

En le regardant, ce temps de silence me permettait de réfléchir à ce qu’il avait dit. Il y avait beaucoup à penser et matières à discuter. Sans doute, de grands orateurs, de ceux qui illuminaient par leur simple présence, auraient pu débattre durant des heures et des heures de ce sujet. Mais nous n’étions pas comme cela. Notre conscience n’était pas assez éveillée pour porter l’argumentaire de toute une race. Nous étions comme des enfants. Je souriais, repensant à la métaphore qu’Elijah avait lui-même faite…

Les Anges et les Hommes : l’histoire d’un envol vers la liberté ou l’histoire d’un lien devenu enchaîné ? Cela importait peu. L’histoire continuait et n’était pas figée. La situation, dans laquelle nos deux peuples étaient, finirait par trouver sa voie, amenant à la division ou la réconciliation. Quelle que soit sa finalité, celle-ci ne pouvait être vraiment dramatique. Elle serait le fruit du Destin impartial et je la vivrais avec Elijah. Les tensions entre les races pouvaient influencer les amitiés mais c’était les individus qui choisissaient leur futur commun. Mon cœur choisissait déjà Elijah. Il ne pouvait en être autrement.

Celui-ci reprit d’ailleurs la parole, me livrant ses pensées. « Ne t’inquiète pas. » disais-je doucement une fois qu’il eut fini. « C’est normal, et même bien, de ne plus savoir, de ne plus être certain de ce qui l’était autrefois. C’est le signe d’une évolution et la possibilité de se poser des questions. Ce n’est pas du tout des divagations. » Je riais doucement. « Parce que nous sommes en constant changement, il est difficile de trouver sa voie. » Nous échangions un regard. Mon sourire s’agrandissait. « Tu as tout le temps d’y réfléchir. Chérie ce temps. Peut-être que, plus tard, tu ne verras plus l’armée comme que quelque chose d’un peu bête, mais comme un ensemble de réflexions et de stratégies. Ou alors peut-être finiras tu par te consacrer à une voie plus… Hum… Je n’ai pas vraiment le mot mais je dirais une voie plus sociable... Parce que, la sociabilité, c’est peut-être ce que tu cherches finalement. Tu me dis que je sais écouter mais, Elijah, tu es pareil. Peut-être plus. Même si tu as l’impression de n’être pas très doué, c’est ce qui fait que tu l’es. Tu laisses aux autres la place d’exister… Et c’est important. Une conversation ce n’est pas uniquement parler. C’est aussi savoir écouter. Et, ça, tu sais le faire. Parfaitement. Et c’est peut-être ce qu’il te plaît dans ton travail actuel, dans tes recherches… Vraiment, ne t’inquiète pas. Je suis certaine qu’en temps voulu, tu trouveras celle qui te correspond le plus. » Je sentais mes joues rougir et ramena mes mains vers moi.

Le tavernier attira notre attention en toussant et en entrechoquant des verres entre eux. Mon sourire se fit plus rieur. « Oui. Tu as raison. » chuchotais-je. « Je crois que nous devrions abandonner notre table. » J’écoutais la proposition qu’il avait à me faire. « Oh. » Je baissais un instant les yeux avant de revenir sur Elijah. « Merci, c'est gentil, mais je ne voudrais pas te gêner… » En temps normal, j’aurais refusé. Cependant je voyais que l’Ange tenait à ce que j’accepte. « Mais très bien… »

Je posai ma main droite sur mon bras gauche, visiblement gênée. « Elijah ? » amorçais-je soudainement. « Je sais que tu n’oseras pas me réveiller quand il sera venu temps pour toi de partir alors… » Je lâchais mon bras pour poser ma main sur mon turban. Celui-là me servait alors toujours d’écharpe. Doucement, je le tirais pour le dénouer de mon cou. « Ce n’est pas grand-chose mais… » Je sortais une petite paire de ciseaux d’une de mes poches. Ceux-ci ne me quittaient jamais. Concentrée, je découpais un petit morceau de tissu rouge avant de nouer ce dernier au poignet de l’Ange. « Mais, j’espère que cela te portera chance, peu importe où tu iras… » Je relevais les yeux du tissu, à présent porté en bracelet, pour regarder Elijah. « C’est peut-être un peu stupide mais… tu pourras avoir un petit bout de moi avec toi, comme ça. » Je me levais doucement, reprenant le reste de mon turban découpé, celui que devenait un lien entre nous deux. Il fallait à présent nous se coucher. Le temps de la séparation était venu. Mon cœur me faisait un peu mal. J’essayais de faire bonne figure et de sourire. Pouvait-il voir la tristesse qui tapissait le fond de mes yeux ? « Au revoir et bon voyage, Elijah… » Je commençais à partir en direction des chambres. Un nœud enserrait ma poitrine. J’essayais de me concentrer sur mes pas. Ceux-ci n’étaient pas très rapides. Je me mordais la lèvre inférieure avant de soudainement laisser tomber le masque. Je me retournais vers mon ami et lui sauta presque au cou pour l’enlacer. « Prends soin de toi, Elijah. Vraiment. Tu vas terriblement me manquer. »

1022 Mots | Fin