Une agréable chaleur traversait la ville de part en part, bien que restant relativement sec et irritante, c'était pour cette raison qu'elle était sortie et avait pris possession d'un petit coin d'ombre près d'un des nombreux points d'eau d'Utopia. L'ambiance y était plus agréable et invitait à la rêverie, mais avec le sérieux qui la caractérisait, Mancinia travaillait son sertissage, ses instruments à ses côtés, achevant un serti clos avec un petit caillou. Un essai dans le vent, sans incidence et qui lui évitait un vol fâcheux. Bien que plus personne parmi les siens ne doutait de son nom et de son visage. Reconnue en tant que guerrière émérite dans un côté et pour son travail de l'autre, elle incarnait un peu l'orgueil des Humains en ces temps troubles. Au-delà de leurs frontières, les combats faisaient rage pour savoir qui l'emporterait dans ce conflit, comme si les Dieux avaient réellement besoin des armées de fidèles qui se massacrent. A quoi cela servait ? D'ailleurs, ici, personne ne remettait en cause sa loyauté envers les Aetheri, hormis quelques irréductibles qui avaient fuis loin de la Capitale. Que dire ? Que faire ? Elle adorait ses Dieux. Elle savait qu'ils étaient là. Drejtësi avait accomplis un miracle au Temple de Justice et Sympan. Lui, il lui avait offert, bien malgré lui, un don aberrant pour une Humaine. Comment pouvait-elle ne pas croire en l'un et en l'autre ?

Ses pensées avaient dérivées, lâchant un long soupir et ne pouvant retrouver la sérénité pour poursuivre son travail, elle regarda du coin de l'oeil son ami. Kamiya surveillait les alentours à moitié endormi. Il devait s'ennuyer, elle avait des scrupules à le laisser dans un tel état. A cet instant, Mancinia vit une troupe d'enfants passer devant elle en courant. Un sourire sur les lèvres en les suivants du regard. Il y avait beaucoup d'enfants et d'adolescents à Utopia et leur nombre croisait chaque année d'avantage. Tant mieux. Leur race éviterait ainsi l'extinction à laquelle on l'avait destinée.

— On rêvasse, Matasif ?
— Hey, Shapûr, comment ça va ?

Le guerrier lui fit un sourire en coin avant de venir s'installer près d'elle. Ayant suivi son regard, il ne put s'empêcher de ressasser un vieux souvenir.

— Je ne garde pas un drôle de souvenir du dernier gamin que j'ai croisé.
— Raconte-moi ça !
— D'accord, mais devant un bon alcool.

Lui alors. Bon, ce n'était peut-être pas si mal d'aller boire un verre après avoir travaillé, surtout que la chaleur est une véritable traitresse et qu'on pouvait vite souffrir de déshydratation. Autant le suivre dans cette voie. Se redressant, rassemblant ses affaires et invitant Kamiya sur son épaule, les deux Humains se mirent en marche pendant que Shapûr lui contait son incroyable histoire en compagnie d'un jeune Humain, guerrier dans l'âme, qui avait voulu défendre une enfant qui avait perdu sa peluche. Ils l'avaient retrouvé dans un antre de Kéfir. Cette histoire incroyable lui rappelait sa propre rencontre avec Neah et leur promesse de veiller l'un sur l'autre. La Protégée et l'Ange Gardien. Neah. Comment allait-il ? Elle ne l'avait pas revu depuis son périple sur les terres magiciennes. Lors de leur prochaine rencontre, Mancinia aurait quelque chose de très important à lui dire. Sourire aux lèvres, tournant son visage vers la droite, près de l'entrée de la cité, elle s'arrêta.

— Pourquoi cette fillette se balade-t-elle toute seule en dehors de la ville ?
— Elle fait des trucs de marmots, Mancy. Comme jouer et rire, tu sais ?
— Tu sais très bien de quoi je veux parler, répliqua-t-elle, piquée. Je sais que tu n'as pas vécu ici, mais il était hors de question pour les enfants de la ville de sortir. D'ailleurs, je ne crois pas qu'avec tout ce qui se passe, ce soit judicieux de la laisser faire.

Mais avant qu'ils ne puissent faire quoi que ce soit, cette dernière revint vers Utopia. L'Humaine semblait soulagée d'un poids, ce qui fit encore plus rire son complice. C'est que malgré sa carapace, un enfant lui faisait beaucoup. C'était si rare et précieux. Il est vrai qu'à vingt-cinq ans, ne pas être mariée était rare dans leur peuple et ironique quand on savait qu'elle avait assuré la protection au Bal d'Encens. Sans doute étaient-ils conscients tous les deux que ce qu'elle était devenue la rendait précieuse et qu'un mariage d'intérêt ne pourrait que lui servir. Mancinia avait de grandes ambitions. Et mieux encore, en plus d'être disponible, elle conservait encore sa virginité, même si des rumeurs couraient bons train. Quoique dans les moeurs, la procréation était plus importante qu'une vierge effarouchée. De fil en aiguille, sur le chemin, ils eurent la grande surprise de tomber sur l'enfant qui manqua de peu de les heurter. Devant ses paroles, la jeune femme partit dans un grand éclat de rire.

— La vérité sort de la bouche des enfants, hein ! rit Mancinia.
— Tant mieux que j'ai une sale tête. Je ferais peur aux Démons !
— Sérieusement ? continuait-elle de rire.
— Ouais, regarde...

Shapûr passa la langue et fit la plus horrible des grimaces possibles. Mancinia essaya de reprendre son sérieux.

— Tu es perdue, petite ?
— Tu les récoltes tous les gamins perdus. Un peu comme une mère poule. Remarque, vu que tu caquette sans cesse, ce n'est pas étonnant !
— Tu ne veux pas faire acte de silence, mauvaise langue ?
— Veux-tu qu'on lui arrache ? taquina Kamiya.
— Ce serait là une idée...

Shapûr fit mine de reculer, mettant ses bras devant lui avec un regarde "très bien, mes seigneurs, je n'ai rien dis" ! A croire que les enfants, c'étaient eux. Puis, elle vit le petit filet de sang qui s'échappait du genou de la malheureuse.

— Tu es blessée, s'étonna-t-elle. Veux-tu que je te soigne ?