L’île était enfin en vue. Ils n’allaient pas tarder à faire débarquer le groupe en charge de son exploration. Combien de temps resteraient-ils ? Combien de temps le navire mettrait pour rejoindre la marque au milieu de l’océan et revenir ? Si tant est qu’il revienne. D'ici que les eaux cristallines ne décident de se montrer une fois de plus colérique. Maximilien avait rejoint Asha dans la cabine. Il s'était senti obligé de se faire pardonné. Il ne la connaissait pas tant que ça. Mais suffisamment pour tenir à elle. Elle avait gardé les yeux rivés au sol, même en entendant la porte s’ouvrir. Le Kaahi s’agenouillait face à elle et resta silencieux quelques secondes. « Excuse-moi. » - « Ne m’enferme plus comme ça. ». Ils restèrent quelques instants à se fixer mutuellement, les noisettes de l’une plantée dans les émeraudes de l’autre. « Allez, vient. », finit-il par lâcher en la laissant s’agripper à sa nuque. A la vue de l’île, Asha plissa des yeux. « C’est ici qu’on se sépare. » - « On dirait. ». Elle se défit de l’étreinte de l’Humain pour s’adosser au château. « Bonne chance. Et fait attention. », conclut-elle simplement avec un sourire.

Il resta silencieux lors du débarquement. Il se souvenait que la mystérieuse femme blonde avait évoqué la présence de personnes sur l’île. Puis il y avait leurs concurrents. Étaient-ils déjà arrivés ? Avaient-ils choisi d’aller sur la croix au milieu de l’océan plutôt ? Mais à présent il avait autre chose à penser, car l’île ne se laisserait pas découvrir toute seule. Et d’un premier coup d’œil il était difficile de dire l’état de la population locale. Aucune habitation n’était présente dans les environs et la végétation environnante était des plus sauvages. En s’y enfonçant, un sentiment de malaise s’empara du rouquin. L’inconnu. Des personnes se trouvaient ici, mais il ne voyait pas âme qui vive. Où pouvaient-elles bien être ? Peut-être se tenaient-elles en embuscade, quelque part. Peut-être évitaient-elles la forêt, des créatures qu’il valait mieux ne pas rencontrer y habitant ? L’inconnu avait cela de terrifiant qu’il soulevait plus de question qu’il ne se permettait d’apporter de réponse. Il devait admettre qu’il était plutôt content d’avoir de quoi se défendre, au cas où. Avant de partir, Asha lui avait dit qu’elle avait un sabre qui devait être resté dans la cale, s’il y était toujours. L’arme avait survécu, c’était une bonne chose. Contrairement aux vivres, malheureusement.

Un cri modifia le cours de ses pensées. Ou une sorte de grognement plutôt. Féroce et loin d’être amical. Peut-être y avait-il réellement quelque chose à éviter dans cette forêt… Un soupir lui échappa. Il aurait aimé que, pour une fois, tout se passe bien et qu’ils ne rencontrent aucun problème. Ça aurait été trop beau. Il commençait à être fatigué. Fatigué de ces événements. Fatigué de ce voyage qui commençait à l’agacer. Fatigué de débarquer sur des îles à problème. Tout ça commençait sérieusement à lui monter à la tête et il sentait le mal de crâne poindre. Il fermait alors les yeux et se frottait les tempes pour faire partir la migraine avant de reprendre la route. L’exploration, plutôt. Car il n’y avait pas trace de chemin ici. A croire qu’ils se trouvaient dans un lieu vierge de toute civilisation. Pas tout à fait. Un pas. Puis il se retrouvait face à une bête qui faisait pas moins de deux fois sa taille en hauteur comme en largeur. Par réflexe, Maximilien posa sa main sur la poigne de son arme. Mauvais réflexe, il s’en était douté en même temps qu’il effectuait le mouvement. Il ressentait bien la puissance que dégageait le monstre et avait bien une idée de la façon dont se serait déroulé l’affrontement dans l'éventualité où il aurait dégainé, . Il n’aurait eu aucune chance. Seulement il s’était avéré que l’animal ne lui laissa pas même le temps de sortir le sabre pour vérifier cette hypothèse. A peine la main du rouquin toucha-t-elle le pommeau de l’épée qu'un violent coup vint lui percuter le crâne, l’envoyant à quelques mètres de là et le faisant sombrer dans l’inconscience.

Quand l’Humain se réveilla, il avait la tête qui bourdonnait et l’impression qu’on lui avait jeté un pavé dessus. C’était peut-être le cas. Il voulut se relever mais sa tête lui tourna, le poussant à se rallonger dans un râle. Une belle évidence le frappa soudain. Il était en vie. Malgré la violence du coup, il était toujours présent. Il remercia Edel pour ça pas moins d’une dizaine de fois. Il lui fallut tout de même plusieurs minutes pour être de nouveau capable de ne serait-ce que s’asseoir. Son arcade saignait assez abondement, et il n’avait rien pour arrêter l’hémorragie. Il n’y avait rien ni personne aux alentours. Tant pis, il ferait sans. Le rouquin profitait de cette pause pour réfléchir à cette étrange intervention. La bête ne devait lui avoir donné qu'une pichenette pour qu’il s’en sorte dans cet état. Sa blessure ne provenait pas du coup de la créature mais du choc contre le sol. Un caillou ou tout autre objet de ce genre. « Merde… », cracha-t-il après un second râle de douleur en tentant de se relever une fois de plus. S’il restait ici il avait de grande chance de croiser à nouveau cette chose. Bizarrement, il ne préférait pas. Il l’avait assommé en un coup, résultat il était incapable d’expliquer ces blessures. Était-ce dû à une chute ? Mais il n’était pas tombé de trois mètres non plus ! Si ? Appuyé sur un tronc, il laissa un sifflement agacé s’échapper d’entre ses dents serrées. Pour quelle raison avait-il accepté cette course déjà ?

Tout ne s’était pas exactement déroulé comme il l’aurait espéré. Sans stupéfaction aucune cela dit, le voyage avait pris fin lors d’une effroyable confusion. Bien qu’il ait pu pronostiquer cette fin de course, il n’aurait jamais pu triompher seul quoiqu’il advienne, et aucun de ses partenaires n’aurait pu corriger l’invraisemblance de ce scénario inconsistant. Ni ces faiblards trop lents à la détente pour prendre la moindre décision, ni même Vanille, trop centré sur elle-même et sa perfection imaginaire pour conduire une équipe déjà bien érodée. Non. Peu importe comment il conjecturait l’issue des nombreux embranchements, aucun ne les aurait menés vers un chemin plus concluant que l'actuel. En plus des efforts fournis, le dragon et sa maitresse avaient décanillé sans subir aucune conséquence de leurs actes. Tandis qu’il était resté le plus sage possible, elle avait opté pour la supercherie et la malice pour freiner leur progression. Cet échec aurait au moins l'intérêt de lui apprendre une leçon supplémentaire. Démoniaque il était, démoniaque il persisterait. Ils entreraient bientôt en guerre, et lorsque la confrontation se tiendra, il n’aura pour ainsi dire plus aucune pitié.

Malgré la mort qui aurait pu l’enlacer de son étreinte, le Diable avait toutefois réussi à s’extirper de là en s’effondrant à proximité de sa destination initiale. S’il s’était détaché de la troupe en ignorant tous ses coéquipiers, c’était dans le but de s’en sortir, seul. S’il se retrouvait de nouveau avec cette bande d’incompétents, il franchirait automatiquement les limites, et ce peu importe si la finalité de son objectif s’en voyait contrariée. Le rugissement soudain d’une féroce créature ressuscita les sens endoloris de la Bête. En se redressant et en rejoignant ainsi la berge, il aperçut une Fae lui passer sous le nez à toute allure. Intrigué par l’individualité de cette hâte, il emprunta la même direction. Là où la zizanie régnait, les mystères s’éclaircissaient. Du moins en général. Arrivée au point de rendez-vous, une querelle semblait avoir lieu entre quelques-unes de ses sœurs et un gros monstre relativement hideux à l’allure de tortue-lézard.

« Vite ! Vite ! Aidez-nous à le retourner d’où il vient ! Cette chose est trop dévastatrice pour la laisser prendre ses aises… Ici… »

Zane aurait bien souhaité faire preuve de charité, mais il était bien trop contrarié par la fin du dernier épisode en date. Quant à son implication dans cette histoire, elle ne le regardait pas. Sauf lorsque son regard fut attiré par le portail rangé non loin du tyran.

« hm. C’est ici que je dois me rendre… Bien. Je vais vous donner un petit coup de main dans le but de le ralentir un peu, mais pour ce qui est du reste, démerdez-vous. »

OK. Un premier coup d’œil lui suffisait amplement pour comprendre que ce truc hors du commun était imbattable par sa seule force physique. La carrure démesurée de ce dernier ainsi que les coups qu’il portait étaient destructeurs pour n’importe quel mortel qui s’essaierait à le défier. Néanmoins, sa mission consistait simplement à contourner cette forteresse imprenable, non pas à le jeter au sol à la manière de certains arts martiaux. Il ne lui fallut que quelques secondes d’analyse pour estimer la meilleure approche. Fort de son économie dans l’utilisation de la magie, le Monarque fit jaillir un bouclier sur son avant-bras. Celui-là même qu’il consolida grâce à une couche de pierre supplémentaire ainsi qu'à quelques autres petits tours.

« On va la jouer serré, mais ça devrait passer. Au pire, je devrais m’en sortir avec une ou deux côtes fêlées. »

Agir en tant que kamikaze était dans son tempérament, et paradoxalement, c’est sans doute au moyen de cet esprit sportif qu’il échappait toujours à son destin. Avant de partir à l’assaut, il malaxa ses phalanges et se donna une paire de claques sur les joues afin de se revigorer. Il prit une position identique à celle d’un marathonien des grands jeux, enfonça ses talons dans le sol et décolla à toute vitesse de son point d’ancrage. Puisqu’il avait préalablement enveloppé ses muscles d’une magie véloce, ses foulées se faisaient plus foudroyantes, le soutenant dans une course effrénée qui lui permit d’atteindre la créature en un instant. Certes, sa fureur pouvait raser une montagne en un clin d’œil, mais est-ce que sa réactivité répondait au même raisonnement ? Défense en avant pour amortir l’impact, le Démon s’écrasa littéralement sur le haut de son crâne, après quoi il décala légèrement son armure pour lui asséner un puissant coup du droit qui… lui décolla à peine la mâchoire. Son pouvoir destructeur maintenant avéré, Zane se détacha de l’épaisse plaque avant qu’il ne soit trop tard, se propulsant ainsi dans les airs pour se soustraire à la riposte de son adversaire. Le poing du saurien l’avait tout juste frôlé, et pourtant il avait senti son abdomen se tordre rien qu’à l’onde engendrée par le simple mouvement. Il avait un niveau équivalent à la chimère qui sommeillait en Enfer. Sauf qu’elle la surpassait très largement. Dans le but d’affiner sa stratégie, le Maitre des jeux improvisa un prodigieux dôme de pierre devant lui, le recouvrant entièrement afin de se dérober au regard de la créature, qui — verte de rage — déversa une gigantesque boule de feu sur celui-ci. Elle céda au premier choc, et lui aussi… ou pas. Profitant de ce rideau pour faire entrer son clone en scène, le malin s’était alors débrouillé pour éluder l’obstacle et atteindre le passage.

« J’aurais apprécié échanger davantage avec toi, mais j’en ai ma claque des reptiles démesurés pour aujourd’hui. A plus. »

Sans se faire prier, il laissa son corps se faire engloutir par le portail, curieux de savoir quel sort les dieux lui avaient réservé pour la prochaine phase. S’il devait y avoir confrontation, il espérait quelqu’un d’un peu moins écailleux cette fois.


960 mots

Ces pérégrinations dans la Mer de Cristal étaient achevées. Pour l'instant. Qui sait ce qui les attendait maintenant ? Celui ou celle, voire ceux, qui organisait ce Jeu n'en était pas à leur premier coup d'éclat. Mancinia pouvait faire un pas et se retrouver au milieu du Volcan Ardent à devoir survivre parmi les Démons. Au moins, elle en renverrait directement dans les bras d'Ézechyel. Un frisson lui parcouru l'échine. Ce qu'il s'était passé sur l'Île Maudite était encore gravé dans son esprit, les paroles de la Femme Blonde également. Décidément, toutes ces personnes semblaient tellement taquines. Elle avait encore tant à apprendre. Observant les alentours, songeuse et à l'écart de ceux qui reprenait leurs esprits, la Matasif essayait d'évaluer la situation. Certains étaient rassurer d'être sur la terre ferme, d'autres encore, ébranlés par les adieux avec une partie de leur équipe. Quelle folie que de poursuivre le voyage en mer en sachant que la Khaeleesi se trouvait dans l'équipe adverse. Ça en plus des autres dangers. Peut-être avait-elle cessée son assaut provisoirement, mais elle n'était pas digne de confiance. Les Sirènes étaient des créatures fourbes et mauvaises. Et les créatures marines, redoutables. La morsure du Naitaka sur son mollet la chatouillait un peu. Vestige d'une ère passée qui avait envoyé un océan sous les eaux.

Tout semblait paisible auprès d'eux. Comme les deux fois précédentes s'étant déroulé sur une île perdue au milieu de nulle part. Elle avait terminé avec des cannibales en train de la poursuivre une fois, puis une personne non-identifiée avait essayé de l'abattre la fois suivante. Dans tous les cas, cet endroit était un piège. Roxane vint à ses côtés sans rien dire, regardant sans rien voir, elle ne semblait pas contrôler les tremblements de son corps. Soit elle avait froid, soit elle avait eu terriblement peur. La Kaaezi penchait pour la seconde option. Ces semblables n'étaient pas tous habitués, surtout si la guerre avait laissé place à une ère de paix, de prospérité et de conquêtes. L'Imprévisible avait quelques coups de retard sur ses projets. Roxane s'assit sur un rocher et Mancinia allait à sa rencontre. Le silence régnait avant que l'Humaine ne décide de l'interrompre.

— Alors ainsi, tu es Actrice ?

Changer de conversation était une excellente idée. Roxane sourit et bondit sur l'opportunité.

— Oui ! Je présente les Jeux auxquels nous nous adonnons pour le plaisir du spectacle. Je rejoue aussi les anciennes batailles comme figurante.

Elle n'oserait pas dire à Mancinia qu'elle l'interprétait sur scène. Maintenant qu'elle connaissait sa prestance et sa force morale, l'Humaine se trouvait bien piètre dans ses performances.

— Tu as l'air d'aimer ce que tu fais. Tu te rendais à une représentation ?
— Non. J'avais besoin de voyager sur les eaux.
— Pourquoi ?
— Je fais le deuil de mon époux.

Un moment de silence s'installait, décidément, la vie des Humains étaient si fragiles.

— Pardonne-moi. Ma question était indiscrète.
— Mais non, tu ne pouvais pas savoir ! Cela fait plusieurs mois que les eaux me l'ont pris maintenant. Et le travail m'aide à tenir la maison avec les enfants !
— Tu en as beaucoup ?
— J'en ai deux en bas âge, oui.

Ils étaient si jeunes pour perdre leur père. Sans doute n'était-ce pas l'oeuvre d'une tempête, mais des Sirènes. Raison de plus pour comprendre la terreur dans ses yeux. En réfléchissant aux paroles de sa nouvelle amie, Mancinia se disait qu'une mort ridicule dans les bras de ces Vampires des Mer ne lui siérait guère. Pourtant, ces tourments n'étaient pas dus à un deuil récent. Sentir un être aussi remarquable près d'elle faisait battre plus vite le coeur de la demoiselle. Si Roxane pouvait l'admettre, elle plaquerait plus rapidement Mancinia contre un mur pour l'embrasser qu'un autre homme. Elle ferait tout, oui, tout, pour ne pas décevoir son idole. Soudain, un fracas la fit bondir du rocher là où Mancinia écarquillait les yeux. Un arbre venait de tomber. Ou d'être arraché, c'est selon. Un autre suivait quelques instants après. Ces bruits avaient eu le don de faire taire ceux qui étaient dans son équipe lorsqu'elle revint vers eux.

— Loin de moi l'idée de tous vous faire courir en rond autour d'un arbre en hurlant, débuta-t-elle. Mais il semblerait qu'une Créature énorme se dissimule dans cet endroit.

D'un geste de la main, elle désignait ce qui leur faisait face et qui se rapprochait de plus en plus de leur position, des arbres bougeant ou chutant carrément sous une force prodigieuse.

— Je ne sais pas ce que c'est, mais quelque chose me dit qu'on va s'amuser.

Mancinia prit la Hallebarde de Roxane entre ses mains.

— Fuyez. Je vais essayer de le retenir.

Il y eu quelques voix de protestation.

— Ne discutez pas. Faites-le.

Qui d'autre était réellement un guerrier dans son équipe ? Elle l'ignorait. Roxane voulu l'en dissuader, mais un regard la fit taire. Et elle suivit les autres qui essayaient de s'éloigner ou de se cacher. Quelques instants plus tard, Mancinia regrettait quelque peu de ne pas avoir fui à son tour. Ce monstre emmêlant des couleurs verts et d'ocre se déplaçait d'un pas lent en faisant trembler les environs. Haut de plusieurs mètres, il agitait ses bras si gros que l'Humaine ne doutait pas un instant qui la broient sans efforts. Bon. Qu'allait-elle faire ? Se mettre à courir n'était peut-être pas judicieux. Elle était blessée et n'avait pas pris la peine de se soigner correctement. Pieds nus et affaiblie d'un voyage éprouvant, d'un manque de sommeil évident et d'une force amoindrie par des années de sommeil. Rien n'était en sa faveur. C'était ça faire la maligne. Au moins, si elle devait mourir, ce serait avec honneur. En la voyant, la Créature s'arrêtait, fronçant les sourcils. Sans doute ressentait-elle son Ma'Ahid et s'interrogeait, preuve de son intelligence évidente. Comprendrait-elle ses paroles ? Elle plantait la lame de son Hallebarde dans le sable, non sans tenir sa main dessus au cas où la créature l'attaquerait par surprise. Peut-être qu'être inoffensive l'inciterait à ne rien lui faire. Espérons que ce n'était pas une espèce locale et que tous ceux qui s'étaient enfuis n'allaient pas tomber sur une troupe entière de ces mastodontes...

— Hé toi ! Tu m'as l'air un peu seul dans le coin !

La Créature semblait s'impatienter et son regard devenait de plus en plus mauvais au fil des secondes. Elle allait devoir trouver un autre moyen pour la contraindre à ne pas bouger, le temps qu'elle trouve une solution pour sauver sa vie et de calmer le tremblement dans ses bras.

— Tu sais chanter ?

C'était tellement ridicule, mais pourtant, Mancinia souriait comme une ingénue et se mit à chanter dans la langue de son peuple. Peut-être que cet aspect primaire et gutturale amuserait la Créature. Cette dernière balançait à droite et à gauche, puis poussait une sorte d'hurlement qui se voulait mélodieux. Un rai de lumière blanche propulsa la Matasif en arrière et le calme revint sur la plage.

Post VIII - 1 155 mots - la musique adoucit les moeurs

« Que tout le monde passe dans le portail pendant qu’il a le dos tourné! » Encourageais-je les autres d’une voix ferme, mais basse, afin de ne pas être repéré par la bête que l’Ange désavoué combattait avec acharnement depuis plusieurs minutes déjà.

Nous faufiler jusqu’ici n’avait pas été chose facile, surtout maintenant que nous étions conscients de la monstruosité qui se tenait non loin de nous. Au début, la créature m’avait paru grotesque, notamment en raison de sa disproportion ainsi que de son apparence qui, au premier coup d’œil, m’avait fait songer à des qualitatifs tels que « caricatural » et « insensé. » Elle ressemblait à une tortue qui avait muté : elle possédait des cornes et d’énormes griffes, une gueule remplie de crocs à la place d’un bec effilé ainsi qu’une carapace parsemée de pics comme on pouvait s’imaginer le dos d’un hérisson. Couplez tout cela en une seule entité et vous auriez le portrait de celle-ci… Mais un portrait ne pouvait illustrer avec fidélité la puissance dévastatrice et écrasante de ce monstre. Il fallait le voir pour le croire, le sentir pour en être conscient.

« Allez! Dépêchez-vous! » Insistais-je plus fortement en gardant à l’œil le combat entre la bête et le guerrier pour m’assurer que la première ne nous prendrait pas par surprise alors que nous aurions le dos tourné pour filer droit vers le portail.

Il ne restait presque plus personne et du peu de gens qui avaient survécu, j’avais espéré les amenés à bon port et, même si le portail était en vue, rien n’était encore gagné, pas tant que nous ne nous serions pas engouffrés à l’intérieur de ce dernier. Nous n’étions qu’une poignée, aussi dissemblable les uns que les autres, mais nous étions vivants… Le souvenir du bateau qui s’écrasait non loin de la rive me revint en mémoire alors que des corps transpercés, sanguinolents, étaient brusquement éjectés du bâtiment. Peu ont crié… Ais-je constaté sinistrement alors que j’étais en mesure d’analyser plus calmement la situation. Mes doigts se crispèrent tandis que je suivais la petite cohorte que nous formions. Pour une aventure qui s’était voulue collaborative, la finalité n’en était pas particulièrement réjouissante compte tenu des pertes que nous avions subies. Et tout cela pour quoi? Un stupide jeu… Poursuivais-je en fixant mes autres « alliés. » Toute cette histoire me dépassait et j’espérais qu’elle se termine rapidement, l’horizon qui se profilait devant nous me paraissant plus sombre de minute en minute.

Nous nous frayons un chemin à travers le branchage et l’épaisse couche de feuilles qui nous barrait la vue, faisant craquer le bois, malgré nous, sous le talon de nos bottes. C’était déjà surprenant d’en être arrivé jusque-là. J’avais filé le Délaissé depuis les airs pendant que ce dernier était parti en reconnaissance et, en même temps, j’avais aidé à s’orienter les autres naufragés qui avaient bien voulu me suivre. Ma filature, couplée aux souvenirs des quelques individus qui avaient plus ou moins mémorisé la carte – il semblerait qu’elle soit partie en fumée avant que je sois téléporté sur le navire – nous avait permis de trouver notre chemin jusqu’à l’emplacement de cette fameuse croix. Cependant, à cette croix se trouvait également une créature qui avait pris en chasse le second Immaculé. Et le reste de l’histoire, vous la connaissez.

Un à un, mes compagnons de voyage se laissèrent glisser dans l’ouverture du portail. Mon binôme, avant de tomber dans celui-ci, me jeta une brève œillade et s'enfonça à son tour. Il ne restait plus que moi au bord du portique magique. Cependant, avant même que je puise glisser l’un de mes orteils à l’intérieur du passage, le corps de l’Ange passa brusquement devant moi pour s’engouffrer dans le portail. Surpris, je reculais d’un pas avant de faire rapidement volte-face. La bête avait le ventre gonflé et rougeoyant et, lorsque je la vis ouvrir grand sa gueule, je n’analysais pas la scène plus que cela. Ni d’une ni deux, je me tassais rapidement sur le côté au même instant qu’une boule enflammée percutait le tronc d’un arbre à quelques centimètres à peine de ma position initiale. Précipitamment, je me redressais, voyant que la bête fonçait droit sur moi et, malgré sa taille impressionnante, elle était loin d’être aussi lente que je le crus à ma première impression. Rien ne la ralentissait, qu’il s’agisse des arbres ou de sa stature démesurée. Je n’attendis pas que la créature me rejoigne, ni ne pris l’initiative de la confronter. Malgré tout le ressenti que je nourrissais désormais pour mon compère, je ne pouvais nier un fait : Raeden était puissant, fort surtout, et si ce guerrier n’avait pas su tenir tête à cette bête, alors je ne voyais aucun moyen pour moi de l’être. C’est pourquoi, sans demander mon reste, je sautais également dans l’ouverture du portail, soulagé et perplexe. Qu’est-ce qui m’attendait de l’autre cô…

« I-Isiode? »

C’était une voix féminine que je reconnaîtrais partout. … Faith? J’ouvris brusquement les yeux, constatant que je les avais fermés. Et ce que je vis me laissa sans voix. Devant moi se tenait l’intégralité de ma Troupe : le capitaine, Hiddleston, Acram, Travis, Nora, Faith, Hemmiel et même Isley… Ils étaient tous là, assis autour d’une table, à me fixer étrangement, les yeux ronds comme des soucoupes.

« C’est toi, mon frère…? »

Silencieux, je pris le temps d’examiner mes environs, faisant à peine attention aux Fantassins. Le portail m’avait ramené auprès des miens, des membres de la Compagnie. Pourquoi? Où avait pu atterrir les autres, dans ce cas?

« Isiode, explique-toi… »

Lentement, je tournais mon visage en direction de mon capitaine, qui venait de se lever de son siège.

« Tu as brusquement disparu la nuit du Lux in Caelum… Locke et les autres t’ont cherché absolument partout… »

De concert avec ses paroles, j’aperçus Travis et Hiddleston se jeter un regard en coin après s’être redressé sur leur propre assise. Les deux étaient visiblement soulagés, mais extrêmement désorientés également. Je pouvais les comprendre. Rien de tout cela n’était normal, voire même particulièrement agréable, pour eux comme pour moi.

« Où as-tu disparu? Et… Et comment es-tu revenu? »

Détachant mon regard de mes frères d’arme, je le déposais sur le visage du capitaine Endeover.

« Vous ne le croirez pas vous-même, capitaine, mais j’essais encore de comprendre ce qui s’est produit… »


☯ 1 057 mots

Helly avait survolé les étendues écumeuses, suivant à la trace les débris laissés par le terrible dragon. Sous les ordres de sa maîtresse, la bête colossale avait ravi l’embarcation qui avait fini par s’écraser aux abords d’une petite île perdue au milieu de l’océan. À tire-d’aile, l’eversha muée en faucon s’était empressée de rejoindre les rives dans la crainte de n’y trouver que peu de rescapés.
Dans les hauteurs des embruns, l’oiseau de proie s’était contenté de survoler dans un large cercle le navire étrangement intact, avant de descendre sur le sable pour y rejoindre les naufragés. De nouveau sous apparence humaine, le regard de l’eversha accrochait les visages connus sans s’y attarder pour autant. Son coeur battait vite, hâtant toujours plus ses pas qui s’enfonçaient, de plus en plus lourds, dans le sol sablonneux, lestés par l’inquiétude grandissante de ne pas y trouver Toble.
Alors qu’elle tournait sur elle-même, pensant y voir là la preuve qu’il n’avait pas survécu, l’ombre de l’ange plana au-dessus d’elle dans un terrible présage qui l’obligea à lever les yeux vers le ciel. La créature ailée transportait avec lui le chaman visiblement inconscient, obligeant soudainement Helly à courir pour aller à leur rencontre. Elle tomba à genoux près de leurs corps, s’enquérant de l’état du chaman au teint livide en glissant ses doigts dans sa chevelure détrempée.
Son regard inquiet croisa brièvement celui de Raeden avant qu’il ne s’envole à nouveau, sans lui laisser le temps de formuler ses remerciements. Helly culpabilisait de n’être pas restée à bord. Elle avait suivit bêtement un instinct nourri d’égoïsme et maintenant qu’elle se retrouvait face au tribut d’un tel caprice, elle ne pouvait que pleurer sur son sort. Le corps tétanisé par la panique et le remord, elle mit un certain temps à s’exécuter pour ranimer le chaman.
Ce ne fut qu’au prix de longs efforts que Toble s’extirpa de son inconscience reprenant soudainement son souffle et vidant ses poumons d’un trop plein d’eau salée. Dans un soupir de soulagement qui la fit vaciller en arrière, Helly laissa lourdement tomber sa tête sur le bras du chaman.

Cette histoire ne semblait pas avoir de fin et dans l’expectative d’un heureux dénouement, elle se jurait à elle-même de ne plus jamais laisser en arrière ce à quoi elle tenait le plus en ce monde. Qu’importait ce qu’Yrrah avait fait par le passé, les épreuves et les malédictions, il y avait un temps pour tout et le moment était venu de se montrer digne de la voie qu’elle s’était destinée à suivre.

L’eversha se redressa lentement en serrant les poings. Les rescapés s’éparpillaient, partant sûrement tous à la recherche de ce qu’ils étaient tous venus chercher. Egoïstement ou par la force des choses, leur tentative de former une équipe avait lamentablement échoué, conférant à cette leçon un arrière goût particulièrement amer. Helly avait appris de son erreur mais qu'en était-il des autres ?

Ses yeux balayèrent le rivage sans y trouver la trace de Magnus. Elle soupira sans plus de regret, après tout elle ne le connaissait pas et les vampires n’avaient jamais été une race avec laquelle elle s’était entendue.
Elle sentit un frisson parcourir son corps en voyant Toble bouger à ses pieds. Elle s’empressa de se baisser à son niveau et vérifia l’état de ses forces.

_ Je te demande pardon, murmura t-elle d’une voix tremblante. Nous allons suivre les autres… Il doit y avoir quelque part sur cette île, ce que nous sommes tous venus chercher. Certains ne sont pas revenus… C’est donc qu’il est arrivé quelque chose. Bonne ou pas… Nous la traverserons ensemble.

Son sourire bienveillant, illumina son visage tiré par les épreuves. Helly doutait de pouvoir porter une telle responsabilité sur ses épaules, mais si elle voulait grandir et arriver au niveau des ses modèles, elle se devait de faire l’effort de grandir.

Elle souleva Toble et passa un bras autour de son corps pour le traîner au coeur de l’île.
Il ne leur fallut pas longtemps pour qu’ils se retrouvent au centre d’une agitation qui n’annonçait rien de bon. Dans l’effervescence des Faes et le bruit tristement familier d’affrontements, Helly sentit son instinct animal se réveiller.
Elle serra plus fort le corps de Toble contre elle et examina les alentours à la recherche d’un refuge. Ses anciens coéquipiers de galère, menaient un combat contre une créature titanesque. Son indescriptible force était sans égal et lorsqu’elle aperçut le monarque des enfers disparaître derrière l’ombre du monstre, elle comprit enfin de quoi il retournait.
Il y avait une sortie possible mais le prix pour se voir soustraire à ce cauchemar était démesuré.

Avec embarras elle baissa ses yeux vers Toble, le redressant juste assez pour qu’elle soit assurée d’avoir son attention.

_ Il va falloir que tu me fasses confiance!!!! Ça risque d’être douloureux…

La créature hors d’elle, venait de comprendre que le diable lui avait joué un tour pendable. Sa frustration s’abattit brusquement dans un chaos monumental qui projeta toutes âmes vivantes sur plusieurs mètres. Non épargnés par la folie destructrice du monstre, Helly et Toble furent séparés. La jeune femme à la tignasse emmêlée se releva non sans mal, reportant toute son attention sur le chaman encore étourdi loin d’elle. Il ne pouvait comprendre ce qu’il ne pouvait voir et sans son aide, il ne passerait jamais sain et sauf. De cela, Helly en avait la certitude.

Elle se releva dans la douloureuse constatation que ses membres avaient souffert de l’impact. Jouer d’agilité pour esquiver les coups serait donc impossible. Elle se concentra sur les autres personnes présentes et finit par entrevoir un groupe passer par le portail.
Si certains y arrivaient à se jouer de la vigilance du monstre, alors tous espoirs n’étaient pas encore perdus.

Forte et convaincue par cela, elle s’avança droit vers la créature, tout en agitant ses doigts discrètement dans son dos. Helly utilisa sa magie pour créer un ruban qui serpentait à présent dans la nature, se nouant dans le noeud des branchages, contournant discrètement les obstacles jusqu’à atteindre une souche près du portail. Elle espérait que Toble l’y trouve et se guide ainsi jusqu’au seuil de cette porte à peine visible tant les lieux était ravagés par la colère de ce géant monstrueux.

La jeune femme leva ses bras en signe de capitulation tout en espérant qu’elle ne serait pas broyée dans l’instant.

_ Ô toi qui semble si grand, entonna t-elle, toi qui par ta force a su prouver que tu étais maintes fois plus fort que toutes les créatures alentours, qu’attends-tu de nous? Que pouvons-nous faire pour apaiser ta colère?

Le monstre peu enclin au dialogue reporta toute son attention sur l’outrageante créature qui osait lui adresser la parole. Il fronça un peu plus ses yeux et laissa lourdement tomber son bras le long du corps de l’eversha dans une onde de choc si puissante qu’elle déséquilibra Helly.
Il ne semblait pas vraiment vouloir parler, limitant les possibilités d’un échange raisonnable.

Mais alors qu’Helly doutait de son plan, une petite Fae cachée dans un bosquet agita sa main dans sa direction.

_ Prends garde à toi… Il s’est échappé du livre, il n’y retournera que si on lui donne ce qu’il veut. N’essaye pas de le battre, il doit juste retourner dans le livre…
_ Ce qu’il veut? Demanda Helly avant d’être balayée en arrière par le souffle de la créature.

A terre, contre un arbre, l’eversha scrutait à présent minutieusement le sourire sardonique de la créature qui la surplombait dangereusement.
Il y avait bien un autre plan, mais cela impliquerait qu’elle ait la certitude que Toble soit passé sain et sauf de l’autre côté. En attendant il fallait gagner du temps.

Avec conviction Helly se redressa encore dans une succession de craquements osseux qui lui arrachèrent une grimace.

_ Ok… Alors dis moi, qu’est ce que tu veux? Que veut sa grandeur?

Ils étaient encore quelques-uns à être debout… Pouvait-elle compter sur leur collaboration? L’eversha était à l’affût d’une réponse, sans pour autant la trouver sur ces visages qui, pour certains, étaient totalement inconnus.

_ Rien qu’une misérable créature comme toi pourrait m’apporter, railla le monstre.

Alors qu’il la saisissait par les pieds pour la faire disparaitre de sa vue, Helly se sentit partir dans les airs dans une douleur qui lui arracha un cri d’effroi. Son totem s’éveilla sur l’instant, la transformant une nouvelle fois en oiseau. Dans un sursaut d’instinct de survie, le faucon s’était imposé de lui même, la sauvant inextremiste d’une chute mortelle. L’oiseau virevolta entre les bras du titanesque monstre, qui décontenancé, tentait de la chasser comme un insecte nuisible, claquant toujours plus fort ses mains l’une contre l’autre, pour mieux la broyer. Ce n’est qu’au prix de nombreuses esquives que l’eversha s’engouffra finalement dans une brèche, passant à bout de souffle le portail. Elle laissait derrière elle, l’insoutenable crainte que Toble n’est pu la suivre dans cette tentative désespérée de gagner du temps.

Pour info:

Vanille méditait sur les règles absurdes de ce drôle de jeu. Il n’était pas question de céder aux caprices déments d’un parfait inconnu aux lubies extravagantes, qui s’amusait aux dépens de la populace comme des têtes couronnées. Elle refusait d’être un pantin entre des mains étrangères. « Hum … » Elle n’acceptait pas davantage d’affronter une créature irréelle, sous prétexte qu’elle était sur son passage. Elle était partagée entre son désir de retourner vaquer à ses occupations sans plus se préoccuper de cette histoire, et son irrémédiable besoin d’expliquer le fond de ses pensées aux organisateurs de cette mascarade. Personne ne semblait vraiment chercher à connaître les coupables. Ils acceptaient avec joie la laisse qu’on leur passait autour du cou, presque frétillant de bonheur à l’idée de vivre une remarquable aventure. Les idiots. Vanille n’était pas comme ça, et elle avait au moins une véritable alliée dans cette quête de vérité. Trouverait-elle un quelconque indice dans les parages ? Elle en doutait. Elle écarta rapidement la pensée qui venait de lui chatouiller l’esprit, à savoir remettre la Couronne du Savoir. Elle allait simplement gaspiller ses forces à essayer d’entrevoir quelque chose, dans un désordre de visions incontrôlables. La Dame des Abysses était songeuse, simplement occupée à contempler la bête. Les Faes paraissaient inquiètes. Elles s’acharnaient à renvoyer la créature dans son monde, maudissant l’apprentie qui n’avait pas eu la jugeote de respecter les lois élémentaires de son peuple. Vanille connaissait plusieurs visages. Elle était membre de cette race après tout, un détail qu’elle n’appréciait pas vraiment qu’on lui rappelle. Almiri était présente. Une Irrael O Sailanie, qui se faisait passer pour une gouvernante chez les Deslyce afin d’approcher ses Elus. Elles étaient plutôt proches, quoi que méfiantes et prudentes. La Khæleesi tachait de rester à l’écart des festivités. Elle avait eu tout le loisir d’observer la puissance de la chose, qui venait d’affronter le Diable. Elle était bien trop sûre de sa propre force pour craindre le lézard, mais préférait éviter de se faire remarquer par Almiri. La Sirène ne voulait pas être obligée d’intervenir, parce que la Fae lui demandait. Vanille ne manquait pas de possibilités pour rejoindre la croix. C’était visiblement un portail, puisqu’ils étaient plusieurs à avoir franchi son seuil. Là encore, elle était surprise par l’enthousiasme de ses coéquipiers, dont la confiance absolue était aussi touchante que légèrement dérangeante. Ils auraient bien pu se faire foudroyer par une mort abominable par cette croix, mais cette éventualité n’était pas source d’inquiétude pour les charmants imbéciles de cette expédition. Les esprits simples étaient malléables, et il était facile d’abuser de leur crédulité. Vanille, pour sa part, préférait observer encore un peu, à l’abri des regards indiscrets.

Vanille finit par soupirer, consciente qu’il allait falloir suivre les autres dans ce portail immonde à la destination inconnue. Elle choisit de se rendre invisible, afin de passer inaperçue aux yeux de tous. Almiri était en train de pester, accroupie près d’une jeune Fae qui avait pris un mauvais coup. Cette créature était aussi grotesque que virulente. Ils allaient sûrement avoir du mal à s’en débarrasser, mais cela n’émouvait pas particulièrement la Princesse des Monstres et son cœur de cendres. Elle finit pourtant par intervenir, seulement pour empêcher Almiri de se faire broyer par les pattes du monstre. Elle avait manqué de se faire attraper, à force de se préoccuper davantage du sort des autres que du sien. La Khæleesi portait assez d’estime à cette femme pour faire en sorte qu’elle ne meure pas de façon aussi stupide. Le lézard gronda, à la recherche de celle qui lui avait fait rater son coup. Son grognement eut au moins le mérite d’alerter la Fae, qui prit la novice par le bras avant de se mettre à l’abri. La bête, quant à elle, prit pour cible quelqu’un qui n’avait absolument rien fait, mais qui était dans la mauvaise direction. Vanille ne s’attarda pas plus longtemps. Son subterfuge avait l’air de fonctionner, mais elle ne tenait pas à vérifier pour combien de temps. Quelques débris de roches faillirent la percuter de plein fouet, mais elle évita les projectiles grâce à sa capacité à traverser les matières. Elle baissa les yeux sur le jeune homme, qui venait de s’effondrer à ses pieds. Il était essoufflé, une plaie béante sur le front. Il paraissait hébété, et n’allait pas manquer de se faire réduire en bouilli, d’un instant à l’autre. Vanille contempla le Magicien. Il avait donc survécu. La persévérance était une qualité, même pour les individus stupides. Elle ne s’était pas particulièrement intéressée à son sort. Etait-elle d’humeur miséricordieuse ? Pas vraiment. Mais elle choisit quand même d’attraper le Mage par le bras, pour le jeter contre la croix. Puis, dans un souffle contrarié, elle s’approcha à son tour du portail. Tout cela n’avait aucun sens. Ou alors, elle ne percevait pas encore la logique qui liait tous ces drôles d’évènements. Cette situation était assez déplaisante, et chaque contrariété venait s’ajouter à une liste déjà longue. Elle retenait chaque offense. Chaque point qui l’agaçait. Lorsqu’elle aurait enfin l’occasion d’être face au responsable, ses complices, ou toute personne impliquée dans cette sordide histoire, elle allait se faire un plaisir de lui faire payer au centuple.

Ils étaient nombreux à redouter les colères de la Maîtresse des Mers et des Océans. Mais ils étaient peu à avoir eu l’immense honneur d’être l’objet d’une attention toute particulière. Elle ne savait pas à qui elle avait à faire. Mais elle allait lui faire regretter.

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Elijah se frotta les yeux. La fatigue restait persistante, malgré la sieste que lui avait imposé son acolyte. Cela lui avait néanmoins permit de reprendre un peu de force. Il avait toujours l’impression d’avoir une citrouille à la place de la tête, mais au moins, ses membres ne lui donnaient plus l’impression de lâcher dès qu’il esquissait un geste. Un sourire faible, à peine perceptible, étira les lèvres de l’ange tandis que l’orine lui revenait en tête. Lors du débarquement, Sun-Hi avait décidé de rester sur le navire, abandonnant son coéquipier sur la terre ferme. Il était désormais seul, éloigné du reste du groupe, assis sur un rocher. Il observait les alentours avec un regard soucieux. Comme tous, il repensait aux paroles de l’inconnue blonde, qui leur avait assuré sans hésitations que d’autres individus résidaient sur l’île. Plusieurs jours de navigation les séparaient de cette déclaration mais l’ailé doutait que les autochtones aient soudainement décidé de quitter leur terre. Il se doutait donc de la présence d’autres personnes en ces lieux, pourtant, personne ne se montrait… Que faisaient-ils ? Peut-être étaient-ils en train de les épier, cachés au travers des arbres de la forêt ? Jugeaient-ils des actions de leurs envahisseurs pour se décider à les attaquer ? Dans ce cas, mieux valait ne pas se montrer agressif. Pourtant, il semblait inenvisageable pour l’okan de devoir se séparer de leurs armes. Ne pas paraître menaçant, d’accord, mais de là à abandonner toute prudence… Suspicieux, l’ange gardait son regard ambré rivé sur la forêt, guettant le moindre signe de vie, lorsqu’il avisa la silhouette du rouquin s’avancer prêt des arbres. Tournant la tête, il fut surpris de constater que personne ne se mettait en route pour y aller avec lui. Contait-il s’y aventurer seul ? Était-il totalement inconscient ? « Eh ! » interpela-t-il. « Eh, ce n’est pas prudent d’y aller seul ! » Le concerné ne sembla pas entendre sa remarque ou, tout du moins, n’y porta pas d’attention. Avec un soupire, le brun se mit sur ses jambes et trottina jusqu’à rejoindre l’endroit où avait disparu la silhouette de l’humain, à la lisière du bois. Il n’avait absolument aucune envie de s’y aventurer mais laisser l’un de ses coéquipiers foncer droit dans ce qui pourrait se révéler être un piège lui pèserait trop sur la conscience si quelque chose lui arrivait.

Il ne fallut que quelques minutes à l’ailé pour retrouver la personne qu’il cherchait. Il hésita un instant à lui reprocher son audace, mais se retint. Après tout, cela ne servirait à rien, ils étaient désormais tous les deux déjà en marche. Discuter sur ce genre de chose ne les avancerait à rien -pire, cela risquerait de les faire repérer par les habitants, si ce n’était pas déjà chose faite. Ainsi, Elijah suivit Maximilien en silence. Il faisait plus sombre mais également plus frais, sous les feuilles des arbres. Sa vue mit quelque temps à s’accommoder totalement au changement de luminosité mais cela ne l’empêcha pas de remuer la tête, comme pour essayer de repérer une quelconque intrusion. Il essayait d’être le plus discret, sans y arriver : sous ses pieds, des branchages craquaient et des plantes glissaient. Il se maudissait intérieurement lorsque le grognement retentit. Instantanément, le marcheur se stoppa. La gorge de l’ange se noua et chacun de ses muscles se tendirent. Les sens en alerte, il essaya d’analyser la situation. Ce bruit ne présageait rien de bon et son instinct lui hurlait de rebrousser chemin -et vite. Malheureusement, l’imprudent prit une décision à sa place et continua à avancer. L’ange pesta intérieurement, se demandant sérieusement si l’eau de mer n’avait pas réduit le cerveau de cet homme en bouillie. Peut-être avait-il subi une trop grosse pression ? Secouant la tête, il se mit en marche à sa suite sans faire plus de commentaire. Peut-être aurait-il dû donner son avis.

Car à peine quelques mètres plus loin, une rencontre peu sympathique les attendait. L’origine du grognement entendu plus tôt, sans aucun doute. Une créature monstrueuse, aux proportions gigantesques et à l’allure peu engageante. Le brun sentit son cœur faire une embardée. Son cerveau réfléchit à toute allure et en quelques secondes, sa décision était prise : la bête ne l’avait pas encore repéré, trop concentrée sur l’humain. Se cacher. Puis aller chercher du renfort. Son sens de la survie reprenant le dessus, Elijah fit une roulade à travers les arbres, tandis qu’il entendait le corps de son camarade se faire projeter dans les airs. Autre grognement féroce de la chose. Le monstre se remit en marche, faisant trembler le sol sous lui. L’ange le vit passer à seulement quelques mètres devant lui. Recroquevillé en boule dans l’espoir de se faire le plus petit possible, il observa la chose le dépasser sans le remarquer. La peur le faisant trembler de la têteaux pieds, il lui fallut plusieurs longues minutes pour se remettre en mouvement : terrifié, il peinait à croire que la chose ne l’avait pas remarqué. Sans aucun doute la puissance de ceux amassés sur la plage l’intéressait davantage que la sienne. Jamais il n’avait été aussi heureux d’être faible. Se rappelant de l’humain, Elijah suivit la piste de branches brisées qu’avait laissé Maximilien dans sa chute. Il le retrouva, bien vivant mais étourdit. « Je suis là ! Je vais t’aider ! » Elijah s’accroupit devant lui. Il ne lui fallut pas longtemps pour comprendre qu’il ne pourrait pas faire grand-chose. Sa magie de soin était inopérante, sur les humains. Il ne lui serait d’aucun secours. Serrant les dents, il inspira profondément. La première chose à faire était de sortir de la forêt. Malheureusement, les arbres lui empêchaient de développer ses ailes. Ils devraient y aller à pieds. Sans perdre plus de temps, le brun passa un bras dans le dos du blessé et passa celui de l’homme par-dessus ses épaules. « Allez, je te tiens. » Puisant dans ses dernières forces, il remit le garçon debout et se mit à avancer, essayant d’ignorer les gémissements de douleur.

La marche sembla durer des heures. Finalement, ils sortirent de l’obscurité étouffante des bois. Sous les yeux ébahis de l’ange, plusieurs silhouettes passèrent devant eux, courant à toute vitesse. En tournant la tête dans la direction opposée, il aperçu la Matasif combattre avec bravoure la créature. Sa gorge se noua. Une partie en lui voulait rejoindre l’humaine pour l’aider, ne pas l’abandonner. Mais il savait très bien, au plus profond de lui, qu’il ne serait pas à la hauteur. La simple vue de cette chose l’avait paralysée sur place, au point qu’il avait abandonné l’idée de prévenir ceux qui attendaient sur la plage. Sa lâcheté causerait peut-être des vies… La gorge plus nouée que jamais, il se mit en marche, entrainant l’homme dans son sillage. Avec stupéfaction, il vit les autres se jeter un à un contre un croix puis disparaître à son contact. Il hésita à peine : peu importait ce que c'était, ou là où cet objet pourrait les conduire -ça ne pourrait être pire. Sans même un regard en arrière, il plongea tête la première.

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