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Le prélude

# Le meilleur moyen de prévoir le futur est de le créer

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« Bienvenue à Cael. Je vais vous amener auprès de notre souveraine. Elle vous attend en ce moment même dans ses quartiers. »

J’hochais vaguement de la tête avant de me tourner vers mes trois compagnons de voyage : Travis, Hiddleston ainsi qu’un Patrouilleur du nom d’Edmund Rogue. Mandatés par le Général de la Compagnie lui-même pour me servir d’escorte, mes trois partenaires attendraient cependant non loin de la demeure jusqu’à ce que mon entretien avec la Reine des Magiciens s’achève. Je ne savais pas combien de temps cela durerait, mais nous nous étions donnés rendez-vous devant les portes à une heure précise afin de ne pas se perdre pour notre première journée dans la ville magicienne.

« Bonne chance, m’encouragea Hiddleston, à qui j’offris un léger sourire.

- J’aurais bien aimé gagné la galette moi aussi.

- La saison prochaine, Travis! »

Les deux hommes s’échangèrent un rire et quelques tapes amicales dans le dos.

« Isiode… »

Je coulais alors mes iris sur le visage d’Edmund, qui me gratifiait d’un sourire rassurant.

« Je reste en contact avec Skye et Hemmiel aux Jardins : s’il y a quoi que ce soit à propos de votre frère, vous le saurez bien assez vite. »

Mon frère… Il ne s’était toujours pas réveillé à mon départ et durant tout le voyage, il semblerait qu’il n’y ait eu aucun changement sur sa condition. Cela commençait sérieusement à m’inquiéter…

« Merci… » Murmurais-je avant de suivre le Magicien qui me guida jusqu’aux quartiers de l’Impératrice Blanche, desquels on lui annonça ma présence.

Nerveusement, je me permis d’épousseter rapidement, ici et là, mon uniforme d’apparat, qui se résumait à un veste noire ajustée à ma taille et un pantalon à la teinte incarnat. Le battant, alors, pivota silencieusement sur ses gonds et en pénétrant dans la salle, la première chose qui me troubla fut le visage découvert de la Reine, un mariage ravissant d’autorité royale et de délicate féminité qui, malgré la beauté des traits, restait pourtant caché aux yeux du monde entier depuis des décennies à présent. C'était tel que les représentations qui affichaient son visage aient été modifiées ou détruites de manière à conserver le mystère sur les véritables traits de la Reine. Pourtant, si mon trouble parut sur mon faciès durant une poignée de secondes, je repris rapidement contenance afin de me présenter officiellement.

« Votre Majesté, je suis Isiode Yüerell, la saluais-je solennellement en posant un poing sur ma poitrine et en basculant mon buste vers l’avant dans une prosternation basse et respectueuse. C’est un véritable honneur de vous rencontrer en personne. »

Puis, en m’avançant jusqu’aux fauteuils de la salle, je me permis de dépasser celui qui semblait, en toute logique, m’être destinée, pour m’approcher de l’Ultimage.

« Puis-je? » Lui demandais-je en lui faisant signe de me montrer sa paume.

Je dégageais alors ma seconde main de mon dos pour tendre à la Dame la fleur d’un coquelicot. Dans la tradition angélique, le coquelicot représentait la mémoire, une symbolique qui honorait les souvenirs que tous et chacun partageaient avec le défunt, lors des funérailles. C’est pour cela que la fleur était utilisée pour les cérémonies funéraires angéliques lors du Lāura, une commémoration sous forme de prière qui nous permettait d’échanger avec les morts nos souvenirs communs ainsi que de leur rappeler l’avenir que nous leur promettions de mener dans le futur et bien au-delà. C’était une promesse, un vœu pour les rassurer et les rendre fier, pour leur prouver que nous tournions la page afin de commencer un nouveau chapitre de notre vie sans pour autant oublier les réminiscences de ceux qui nous ont accompagné jusqu’ici. Une symbolique particulière, donc, pour le peuple des Ailes Blanches, et même si l’Ultimage ne pouvait peut-être pas deviner l’ensemble du caractère spirituel de cette unique fleur portée sur cette tige, elle attestait néanmoins du respect et de l’empathie que je lui partageais aujourd'hui.

« Je voulais vous témoigner mes plus sincères condoléances pour la mort du Nylmord. Même pour un étranger comme moi, il est facile de deviner l’affection que vous vous portiez mutuellement. Que son âme vous protège. »

Adressant une dernière inclinaison à l’intention de la Reine, je m’installais sur le fauteuil qui lui faisait face lorsqu'elle m'y autorisa, jetant un rapide coup d’œil sur le vin et les biscuits attablés entre nous. Son visage, cela étant dit, me perturbait beaucoup, pour ne l’avoir entraperçu qu’à travers l’ombre des voiles et des portraits sans visage. Pour autant, j’étirais la commissure de mes lèvres en un sourire qui se voulait amical et avenant, ne sachant pas vraiment à quoi m’attendre avec cette femme. Des histoires ici et là circulaient sur l’Impératrice Blanche et des scandales plus ou moins sensationnels – surtout par rapport à l’excentricité de ceux qui faisaient rouler les nouvelles et des artifices de ceux qui les causaient – me laissait particulièrement sceptique et dubitatif sur les véritables mœurs de la Magicienne. Pouvions-nous lui faire confiance, alors que les tabloïds et les artistes peignaient quotidiennement, à coup de crayon et à coup de pinceau, son intense et inimaginable liaison avec le Diable? Pouvions-nous être assurés qu’elle n’entretenait pas quelques amours enivrants et enflammés avec l’homme qui a mené ses armées sur les cadavres de mon peuple? Quoi penser? Ce monde était rempli de faux-semblants et de vérités voilées, tout comme son visage qu’elle prenait grand soin de camoufler au grand public. Enfin, habituellement…


☯ 903 mots | Post I

Croisant les mires de la Reine, j’acquiesçais vaguement en un hochement de la tête, soulignant mon accord quant à sa réflexion. Dans un même temps, je tendis l’une de mes mains en direction des biscuits.

« Les Dieux doivent être de votre avis, sinon leur mécontentement se serait déjà fait connaître », appuyais-je en prenant une première bouchée des hors-d’œuvre, reconnaissant le goût des herbes et de quelques épices sur mon palet.

Pour autant, je ne m’étais pas déplacé jusqu’à l’île Entre-Ciel-et-Terre pour m’enthousiasmer devant la cuisine magicienne – malgré le délice que celle-ci causait à l’intérieur de ma bouche en des palpitations gustatives savoureuses – et l’Ultimage, après s’être assurée que je m’étais confortablement installé, ne s’encombra d’aucun détour pour jouer, directement, cartes sur table. Je l’écoutais attentivement, relevant légèrement un sourcil lorsqu’elle fit mention des véritables raisons qui l’avaient convaincu à m’inviter, plus tôt, au cœur de la cité-mère. Ce qu’elle m’apprit sur ma Reine, Asriel Heylik, notamment, eu tôt fait d’attiser ma curiosité et d’éclaircir, peu à peu, ma pensée.

« Alors, c’est ce qui s’est passé? » Posais-je d’un ton rhétorique, songeant que cet aveu de la Reine Blanche pouvait expliquer la soudaine déclaration que l’Apakan avait annoncé lors du jour du Grand Recueillement.

Après tout, rien n’avait laissé entendre qu’Asriel prévoyait un tel projet, du moins, pas dans l’immédiat. C’est alors qu’un sourire amer se dessina sur le coin de mes lèvres.

« Au risque de vous décevoir, votre Majesté, je ne suis encore qu’un fantassin dans le corps armé pour lequel je travaille, lui dis-je sans détour, sans pour autant laisser entendre que je convoitais de bien plus hauts sommets, désirant m’élever non pas seulement pour gagner de la puissance, mais surtout pour être suffisamment fort afin de défendre mon peuple des calamités contre lesquelles il peinait à se protéger. Et peu importe ce qui a été prévu, avec ou sans moi, le projet est déjà en marche… » Lui appris-je en laissant résonner les derniers mots en une note basse et grave.

J’exhalais un soupir, fixant un point sur le sol tandis que mon esprit se remémorait cette fameuse soirée où, dans une annonce fracassante et inattendue, l’Archange Nathanaël Ivanhnoé s’était présenté à la Compagnie de Yüerell, à titre de dignitaire de la Reine, afin de solliciter notre aide et notre soutien dans l’entreprise que l’Apakan lui avait confiée. Aujourd’hui encore, alors que l’échéance se rapprochait de jour en jour, peu de membres de la milice s’étaient véritablement arrêtés sur une décision, malgré les nombreux rappels des Consuls qui désiraient boucler cette affaire le plus tôt possible afin de connaître la prochaine étape. Bien sûr que cette promesse de liberté et d’indépendance était alléchante, voire même carrément désirable pour un peuple qui n’avait comme seule ambition actuelle de bâtir à neuf une toute autre nation, mais la réalité ne cessait de fracasser violemment la douce illusion dans laquelle les uns voulaient nous endormir, les autres nous le rappeler : une telle entreprise ne pouvait se faire sans perte et sans incident, sans bataille et sans effusion de sang. Partir était une chose, tourner le dos à la commodité que les Magiciens nous avait partagé était une chose, conquérir de nouvelles terres était une chose, mais protéger et préserver ceux qui ont été épargné au cours de cette longue et pénible aventure en était une autre, et dans l’état actuel de la situation, je ne pouvais pas dire que nous étions les plus à-mêmes de veiller sur quoi que ce soit, sur qui que ce soit. Plusieurs avaient peur, plusieurs ne répondaient plus présent à la moindre initiative, songeant d’abord et avant tout à survivre plutôt qu’à s’investir, corps et âme, dans ce projet que certains qualifiaient même de folie.

« Si ce que vous dîtes sur l’Élue des Cieux est vrai, je crains que les inquiétudes que nourrissent mes compatriotes soient finalement fondées… »

Il ne fallait pas croire que le simple fait de se reconnaître dans des idéaux radicaux nous rendait aveugles à la politique et aux choix – plus soudains qu’étonnants – de notre souveraine. Nous avions une manière de penser qui différait, certes, de celle des Anges que l’on décrivait comme Pacifiques, mais cela ne faisait pas de nous tous des hérétiques qui tournaient le dos aux Vertus et aux Ætheri qui les personnifiaient. Je posais de nouveau mon regard en direction de l’Ultimage, considérant plus que nécessaire son portrait fait d’os et de chair que j’avais devant moi. Aussi factices étaient les traits qui épousaient les lignes de son visage, pouvais-je en dire autant des paroles qu’elle me partageait? Tout ce qu’elle disait à propos de l’Élue des Cieux, de cette promesse d’investissement et d’expansion territoriale, de cette menace qui ne cessait de nous tourner au-dessus de la tête comme l’un de ces corbeaux de mauvais présage; tout cela répondait soit à un raisonnement sur lequel plusieurs membres de la communauté angélique s’entendaient, soit relevait le voile sur des interrogations et des craintes que, plusieurs d’entre nous, entretenaient.

« Quoi qu’il en soit, votre proposition me paraît fort généreuse et, malgré le risque de représailles de ma Reine, je ne peux qu’être fortement tenté par ce partenariat. Je n’aurais jamais imaginé qu’après ce que ma Reine vous a fait, vous seriez prête à venir en aide à son peuple. »

Quoi que, un souverain ne définissait pas un peuple dans son intégralité, et si ce dernier devait souffrir du manque de jugement de sa tête couronnée, alors c’était cette dernière qu’il faudrait peut-être juger. Pourtant, même si Asriel n’était pas très populaire au sein des Ailes Blanches et contrefaisait à son bon vouloir, les Vertus prêchées par les Immaculés, elle restait néanmoins un symbole d’espoir et de force qui laissait entrevoir un avenir pour les Anges là où plusieurs n’y voyaient que du noir; elle nous tirait vers le haut là où plusieurs se laissaient simplement pousser vers le bas. L’Élue des Cieux n’était pas exempte de défauts, mais elle était l’un des plus importants piliers de ce peuple éparpillé.

« Cela étant dit, et je crois que mon interrogation est tout à fait légitime, qu’attendez-vous de nous en retour, Ultimage? »

Je me penchais doucement vers l’avant, posant mes coudes sur mes cuisses alors que je croisais mes mains au-dessus du vide. J’ancrais, par la suite, mon regard dans le sien, hésitant, quelques secondes, à aller plus loin dans ma réflexion, avant de, finalement, me jeter à l’eau. De toute façon, elle devait certainement s’être attendue à cette question.

« Qu’avons-nous à vous offrir de si important pour que vous donniez autant de votre personne à la cause de notre peuple, alors même que la couronne semble se jouer de vous? »

Tandis que la générosité, elle, avait toujours un prix?


☯ 1 129 mots | Post II

« … Excusez-moi? » Laissais-je tomber en dardant un regard troublé et ennuyé sur le sourire qui fendait la fine bouche de l’Impératrice.

J’étais visiblement dérangé par sa répartie, que je trouvais parfaitement déplacée. Le cynisme qui avait coulé de sa dernière réponse m’avait, au tout début, déconcerté de la même manière qu’elle semblait avoir été étonnée par mon initiative. Pourtant, je ne voyais pas en quoi cela pouvait bien la surprendre. De tout temps, les peuples s’entraidaient et s’alliaient parce qu’ils embrassaient des ambitions ou désiraient des finalités communes. Qu’il s’agisse d’alliances diplomatiques, d’échanges commerciaux, de sauvegarde ou de destruction, tout avait un prix sur cette grande scène politique et peu se mettaient en travers le chemin d’autrui lorsque leurs intérêts n’étaient pas rejoints ou brimés. Par conséquent, Magicienne ou pas, j’étais convaincu que l’Ultimage nourrissait quelques idées pour aider ainsi les Anges, malgré tout ce – et tous ceux – qui allaient contre elle. Ma réflexion n’était pas bien profonde et était forcément pervertie par la méfiance que je lui accordais, mais elle restait néanmoins légitime à mon sens. Voulait-elle laver l’honneur que plusieurs ne cessaient de lui souiller par l’entremise de ses folles rumeurs sur le Diable et elle? Voulait-elle que nous lui payions une dette pour toutes ces années où elle s’était portée garante de notre protection? … Voulait-elle… le trône? L’idée en elle-même me paraissait absurde, mais en même temps… cela se pouvait tout autant, pas vrai? Après tout, plusieurs personnes avaient déjà fait connaître leur avis sur cette question, croyant que la Souveraine magicienne serait plus apte à prendre les rênes de notre peuple que notre Reine actuelle. Quoi qu’il en soit, après ce que je venais d’entendre, je ne sais pas si cela aurait éclairer le jugement de certains de mes frères.

Parce que croyait-elle que nous avions désiré ce génocide? Croyait-elle que cela nous avait fait plaisir de voir les nôtres tomber sous nos yeux comme les arbres tombent à l’attaque du feu? Elle n’avait pas été présente lorsque les Démons avaient frappé, elle n’avait pas été présente lorsque les miens tentaient de s’échapper de ce champ de bataille, impuissants. Des enfants innocents avaient trouvé la mort, des familles entières avaient été décimés ou fait prisonnier alors que des hommes et des femmes, qui s’étaient vaillamment battus, avaient tout perdu malgré la foi irréprochable qu’ils avaient accordé à la protection et à la défense des nôtres. Tous ces gens n’étaient plus ici pour se battre pour notre cause…

« Votre Majesté… Commençais-je d’une voix où il était possible d’entendre les vibrations d’une frustration refoulée. Je m’attendais à un peu plus de respect de votre part. Des centaines, des milliers de personnes innocentes sont mortes ce jour-là… Lui fis-je comprendre en plaquant mes yeux dans les siens. Critiquez notre politique, critiquez nos décisions, critiquez nous, les vivants, que grand bien vous fasse, mais ne cracher plus jamais sur la mémoire des miens. Ils méritent beaucoup plus de déférence. »

L’ambiance chaleureuse et cordiale du début de notre rencontre venait de laisser place à une atmosphère lourde et particulièrement glaciale, surtout de mon point de vue. Cette réplique avait été gratuite, me paraissait mesquine alors que l’Impératrice avait peut-être considéré sa remarque comme un simple retour à l’envoyeur, voyant peut-être dans mon propre discours une sorte de provocation que je n’avais moi-même pas décelé sur le coup. Mais à présent, le mal était fait, dans les deux camps. Je me permis d’exhaler un soupir, écoutant néanmoins la suite de son propos.

« Alors, vous attendez bien quelque chose de nous finalement, ajoutais-je en me calant sur mon siège, les bras croisés. Pourquoi ne pas vous être simplement contentée de me dire cela dès le début? » Poursuivais-je, la tension que je sentais dans l’ensemble de mon corps s’allégeant progressivement.

Hésitant quelques secondes, je finis par m’avancer sur mon siège avant de baisser mon buste, un poing sur ma poitrine.

« Veuillez accepter mes excuses d’avoir ainsi élevé la voix. Je crois que nous sommes tous les deux un peu trop sur les nerfs… Expliquais-je en me redressant légèrement. J’ai bien conscience que notre situation n’est nullement à votre avantage. En plus de cela, vous avez été contrainte de prendre sur vos épaules toutes les responsabilités que plusieurs nations, auparavant, se partageaient afin de conserver l’équilibre entre le Mal et le Bien. C’est un lourd fardeau à porter, j’en conviens… »

Cela étant dit, j’espérais qu’elle ne prononcerait plus de tels mots à l’endroit de mes semblables, surtout de ceux qui n’étaient plus là pour se défendre. Levant les yeux dans la direction de la Souveraine lorsque cette dernière quitta son siège, l’un de mes sourcils se redressa tandis que la Magicienne faisait apparaître une couronne dans le creux de ses mains. Puis, sans même m’éclairer sur ce qu’elle s’apprêtait à faire, elle posa l’objet sur sa tête.

« …! »

Je sautais de mon siège, considérant la jeune femme ailée des pieds à la tête.

« Comment avez-vous eu…? »

Je coupais ma phrase, pris d’ébahissement, battant des paupières.

« Est-ce que l’Apakan est… »

Je me repris de nouveau, la barre qui venait d’apparaître sur mon front se creusant plus profondément.

« Pourquoi avez-vous en votre possession cette relique, Impératrice? Qu’est-ce que cela veut dire? »

Ma voix était dure, sévère, mais à la fois choquée et hébétée. J’espère que cela est une plaisanterie, songeais-je en dévisageant, confus, l’Immaculée qui se trouvait devant moi. Des dizaines de questions passaient et venaient dans mon esprit.

« Vous enseigner… l’art d’être un Ange? Répétais-je, les sourcils froncés. Dame Nilsson, mon peuple ne peut fuir le problème éternellement. En toute franchise, ceux qui désirent rester ici et vous voir porter la couronne royale, selon moi, veulent simplement s’échapper dans la facilité, mais nous ne pouvons passer notre vie à nous cacher. C’est pathétique, alors que je sais que nous valons mieux que ça… Asriel n’est pas une sainte, je vous l’accorde, mais personne ne peut prétendre être parfait, laissais-je tomber sans pointer qui que ce soit du doigt. Elle fait de son mieux pour insuffler un nouveau souffle d’Espoir à un peuple qui a tout perdu et elle se doit de se montrer intransigeante quant aux autres couronnes qui veulent profiter de la situation pour nous écraser. Je ne peux prétendre connaître toutes ses pensées, mais elle est, à mon avis, ce dont le peuple angélique à besoin : un coup de pied dans le derrière, si vous me permettez l’expression. Mon peuple doit renaître de ses cendres et recommencer à zéro. C’est le prix à payer et je suis convaincu que nous y parviendrons, avec les plus forts et les plus déterminés. Nous ne serons peut-être qu’une centaine – peut-être plus, peut-être moins – mais nous tracerons notre propre destin. Ensemble. »

Je baissais les yeux vers la pointe de mes bottes avant d’adresser un regard étrange et embrouillé à l’Ange. Glissant quelques mots portés par un timbre bas et profond, je la questionnais de nouveau, intrigué :

« … Désirez-vous vraiment le trône de ma Reine, Ultimage, ou je m’imagine beaucoup trop de théories du complot? »

Autrement, pourquoi serait-elle en possession de la Couronne? Et pourquoi voudrait-elle « apprendre à devenir Ange? » Cette femme était décidément toute une énigme…


☯ 1 210 mots | Post III

Mes sourcils se froncèrent tandis que sa voix portait toujours plus de palabres au-delà de la barrière de ses lèvres. Sans aucun filtre, sans aucune pitié, elle ne cachait en rien son énervement. Son sourire pouvait paraître plaisantin, volontairement railleur, ses paroles n’en étaient pas moins froides, enveloppé dans un agacement irrité. Malgré le sarcasme qui saupoudrait le moindre de ses mots, je ne pouvais m’empêcher de trembler, tout aussi provoqué. Elle se moquait de moi. Elle s’avançait doucement, ne cessant d’enfoncer son discours entre mes deux oreilles alors que je ne bougeais pas, malgré l’irrésistible envie de me tasser sur le côté. Si des rumeurs la peignait comme l’amante du Diable, d’autres défendaient sans hésitation sa candeur et son ingénuité, au point où l’on pouvait entendre plusieurs personnes la définir par cette dernière qualité d’une façon affectueuse et douce. Pourtant, à une telle distance, rien ne semblait la troubler et encore moins la gêner. Malgré tout, je ne détournais pas les yeux pour autant, serrant et desserrant successivement mes poings, et j’avais déplacé l’une de mes jambes vers l’arrière, glissant discrètement cette dernière pour entretenir une certaine distance avec la Reine. Pas que la proximité d’autrui m’ait déjà embarrassé par le passé, mais il y avait cette aura autour de la Souveraine, qui émanait d’elle et qui semblait vouloir m’écraser et m’étouffer à cet instant précis, qu’il fallait que j’esquive. Ma conscience me chuchotait de reculer, de lui faire de la place là où l’Ultimage paraissait souhaiter, au contraire, ne pas en vouloir. Je me soustrayais de sa présence centimètre par centimètre et malgré tout, je ne voulais pas perdre la face. Cette Couronne lui ouvrait bien des portes, bien des possibilités et, en toute franchise, je trouvais cela trop dangereux de lui laisser un tel pouvoir entre les mains, surtout dans les circonstances actuelles…

La Reine finit par se détacher et reculer, quittant bien vite la salle, sans oublier de marquer son départ d’une nouvelle raillerie qui eut tôt fait de redresser les poils sur mon crâne. À présent, seul dans le salon, je me permis de relever la tête et d’observer le fauteuil sur lequel l’Ultimage s’était assise pour m’accueillir. Sur l’un des accoudoirs reposait le coquelicot que je lui avais offert, en début de rencontre. Décidément, rien ne s’était passé comme escompté.

☯
Muet comme une tombe, le majordome me raccompagna jusqu’aux portes du palais, me saluant dans une révérence tout en me souhaitant de passer une belle fin de journée. Pareillement, je le remerciais pour son accueil avant de lui tourner le dos et de descendre les marches. Mais alors que je me dirigeais droit vers le portail, un jeune homme me bouscula sèchement. Je me retournais dans sa direction, les yeux plissés; lui, au contraire, ne semblait même pas m’avoir aperçu alors qu’il se dirigeait droit vers les portes du château.

« Puis-je vous venir en aide? » Posa poliment le majordome en souriant, en haut des escaliers.

Le jeune homme, qui avait le regard vide, fixe, se mit à déblatérer quelques mots en bougeant à peine ses lèvres, tant il semblait pressé et agité. Cependant, j’eus beaucoup de difficulté à entendre ce qu’il venait de glisser à l’oreille du domestique, depuis ma position, mais à l’altération du visage de ce dernier, le sujet traité semblait être sérieux.

« Je regrette, mais la Reine ne m’a aucunement fait mention de votre arrivée. Avez-vous été invité? Questionna de nouveau le serviteur, sceptique, avant de pencher sa tête sur le côté, de plus en plus réservé. Est-ce que tout va bien, monsieur? Vous me paraissez bien pâle…

- Alors? » Entendis-je dans mon dos, reconnaissant la voix de Travis qui, dans un bon pas, s’avançait jusqu’à ma hauteur.

Je me permis d’observer la scène entre le majordome et le jeune homme quelques secondes de plus avant de me retourner vers mes compagnons. Le regard de ces derniers affichait de l’impatience et de la curiosité. En les voyant aussi assoiffés par la nouvelle, je redevins aussitôt contrarié, songeant irrémédiablement à cette fastidieuse rencontre avec la Reine. Comme toute réponse, je relâchais un soupir d’exaspération, dépassant mes camarades pour traverser le portail du domaine royal. Un silence pesant s’installa entre nous, jusqu’à ce que les premiers pas de mes partenaires résonnent doucement contre les dalles en pierre, derrière moi.

« Qu’est-ce qui s’est passé, Isiode? Insista Hiddleston d’une voix grave qui me laissait peu de liberté quant au choix de ma prochaine action.

- En résumé, commençais-je, agacé, je ne m’attends pas à recevoir une nouvelle invitation de sa part. »

Une main se posa sur mon épaule, m’obligeant à m’arrêter.

« Tu sais que tu devras t’expliquer auprès des Consuls. Ils s’attendent à ce que tu ais fait bonne impression auprès de l’Ultimage… Avança le guerrier en m’adressant un regard insistant, soutenu par Edmund qui hochait vaguement de la tête.

- … Ils seront bien déçus après ce que je leur raconterais », soupirais-je.

Je déposais ma main sur la sienne, la retirant lentement de mon épaule avant de reprendre mon chemin, silencieux et pensif. Il y avait tant de choses que je ne connaissais pas de cette femme et malgré tout ce qu’elle avait investi pour le bien de mon peuple, je ne pouvais m’empêcher de mettre en doute la moindre de ses paroles. Et, en plus, il y avait cette Couronne… Je pinçais l’arête de mon nez, laissant mes dents grincer entre elles. Qu’ont-ils espéré? Me demandais-je en songeant à ceux qui lui avait permis de mettre la main sur cet artéfact sacré. Que l’Ultimage remplace l’Élue des Cieux? Qu’elle usurpe le trône de notre Souveraine simplement parce qu’ils n’appréciaient pas notre Reine? C’est de la trahison… Et nous pouvions être en désaccord avec l’Apakan sur bien des points, je consentais très peu à cette pratique frauduleuse et absolument malhonnête. Perdu dans mes pensées, je faisais à peine attention à mes trois compagnons qui venaient d’atteindre ma hauteur. Chacun me dévisageait, perplexe, tandis que je ne rejetais pas la possibilité que je me coucherais, ce soir, avec un insupportable mal de crâne.


☯ 1 020 mots | Post IV