Mitsuko se demandait quand est-ce que Zéleph s’en rendrait compte au juste. Cette remarque ne les concernait pas en tant que couple ; ne la concernait pas non plus, elle et ses mensonges. Elle songeait à son fils. Son ancien mari était bien idiot pour penser qu’après toutes ces années, Azaël était toujours un enfant. Il en prenait certes l’apparence, parce qu’il n’était, au fond, pas assez mature pour affronter le monde mais il n’en était plus un depuis bien longtemps. Alors le voir trimballer le Magicien partout l’amusait considérablement, tellement qu’elle n’aborderait sans doute jamais le sujet directement avec le Réprouvé.

Les yeux de l’ancienne Déesse se posèrent sur la boucle d’oreille. Elle se demandait encore si cela valait le coup. Avait-il le potentiel nécessaire pour la surprendre ? Pour l’amuser ? Pour faire en sorte qu’elle ne s’ennuie jamais en sa compagnie ? Avait-il de l’ambition ? Assez pour qu’elle tolère sa présence au delà du plaisir charnel qu’il pouvait lui apporter ? Elle n’était plus Æther mais bien Ombre. Ce genre de satisfaction était particulièrement illusoire. Elle n’avait jamais aimé pratiquer le coït de toute façon avant de se perdre dans ses bras. Jadis elle n’en voyait ni l’intérêt ni n’en concevait le plaisir. Elle trouvait les Hommes bien étranges de jouir d’un acte aussi primaire et considérait que cela ne servait qu’à la reproduction des espèces. Elle pensait ainsi avant de le rencontrer puis elle avait compris les nuances. Mais qu’en était-il à présent ? Le néant de son désir répondait parfaitement à l’infertilité de son corps. Elle pouvait désirer mais pourquoi se forcer ? Dans quel but ? La chose ne lui apporterait rien de concret. Elle finit par soupirer. Son trouble se trouvait ailleurs. C’était comme si elle se forçait à rester près de lui dans un objectif mystérieux. Pourtant, concrètement, s’il ne pouvait servir à ses desseins, il devenait inutile. Pourquoi donc tolérait-elle encore sa présence ? Contrariée, elle fixa sa main un instant. La marque du mariage n’y figurait plus. Elle avait pris le soin de défaire ce qu’ils avaient scellé jadis. Zéleph était profondément sûr de lui dans ce qu’il disait. Elle avait toujours aimé cette facette de sa personnalité. Pourtant, elle doutait qu’il puisse se montrer à la hauteur de ses prétentions. Elle n’était pas semblable à ceux qui l’entouraient, ces Magiciens et autres individus appartenant à des races qu’elle considérait comme subissant les méandres de la vie. Elle pouvait faire semblant mais c’était tout ce qu’elle avait à offrir. Au fond, elle était comme morte ; cet état lui plaisait. Ne rien devoir à personne, ne rien attendre de la vie, ne rien ressentir pour pouvoir se concentrer sur des idées et des stratégies infaillibles était jouissif. Le corps était un ennemi redoutable, un ennemi qu’elle n’était plus obligée de subir. La faim, la soif, la fatigue, elle pouvait tout gommer. À cette idée, un petit sourire s’invita sur son visage et elle se leva, se dirigeant vers la sortie sans un mot. Son regard caressa les pantins qui mangeaient tranquillement. Elle ne voyait sur eux que l’emprise du temps. Il passait, inlassablement, leur Clepsydra ne cessant de décroître dans une ritournelle qui, un jour, aurait une fin. La Mort n’était pas si horrible et la Vie ne s’arrêtait véritablement que lorsque l’Esprit se faisait réduire à néant par l’Emprise. Accompagnée de son cortège de fantômes habituels, elle se perdit dans la foule et finit par disparaître totalement.

Elle réapparut en haut du Rocher au Clair de Lune. Elle ne savait pas combien de temps elle avait mis pour atteindre l’endroit mais la lune était à son zénith à présent. Mitsuko fit apparaître la Couronne Élémentaire et la fixa longuement. Il était peut-être temps de la remettre. Pas ici, bien entendu, mais l’idée devait faire son chemin. Placer un objet qu’elle savait néfaste sur le haut de son crâne avait de quoi la rebuter. Pourtant, elle était curieuse en un sens. Se connaître réellement, réapprendre des vérités qu’elle avait oublié depuis longtemps… Des siècles qu’elle maîtrisait sa façon d’être, ses sentiments, qu’elle créait l’illusion d’une vie parfaite et bien rangée. Le désordre que cette Couronne avait le pouvoir de créer la rendait malade rien que d’y penser. Cependant, elle en avait besoin car des zones de ce Monde lui étaient inaccessibles en tant qu’Ombre.