La clarté lumineuse des rayons du Soleil heurtait sa vue. Jacob porta la main à son front pour s’en prémunir. Plus que jamais, s’aveugler lui était interdit, et en ces temps troublés, il lui fallait conserver le peu de raison qu’il lui restait encore. Éreinté par les justifications incessantes exigées par sa sœur, harassé par le poids du regard désapprobateur de son père sitôt qu’il prenait la parole, le jeune homme ignorait désormais la signification de la tranquillité. Cette écrasante indifférence dans laquelle il avait vécu toute son enfance lui paraissait aujourd’hui bien douce face aux reproches muets de toute son ascendance. Préoccupé par la situation, l’homme à ses côtés esquissa un sourire qui se voulait réconfortant, observant la petite fille à leurs côtés.
« La réunion aura bientôt lieu, tu sais. Ils comprendront. » À dire vrai, le Magicien ne voyait pas comment venir en aide à ce frère toujours méprisé et qui pourtant avait sauvé leur existence d’un sinistre sort. Un sacrifice que, par orgueil, personne ne saluerait. L’autre poussa un soupir.
« Je n’ai pas peur, Nicholas. J’ai fait ce qu’il fallait pour protéger notre famille. Elle était un poison, et je ne pouvais laisser son venin se propager. » Abattre la pièce maîtresse avait été une sacrée paire de manches, et si le sommet de leur modeste château de cartes avait été soufflé par une brise furieuse, les fondations ne devaient pas en être ébranlées.
« Je n’ai pas aimé ça. Je l'admirais. Sincèrement. » On l’accuserait, et sa faute serait condamnée pour les mauvaises raisons. Ses regrettables penchants pour la sorcellerie serviraient de prétexter pour l’écarter, lui qui avait osé faire ce que tous refusaient. En récompense de son office macabre, il avait récolté le droit de damner son âme. Une main ferme se posa sur son épaule.
« Tu peux compter sur mon soutien. Ce n’est pas moi qui mérite son héritage. Tu devrais être le doyen, Jacob. » Ce ne furent pas ces quelques mots qu’il avait passé sa vie à envier qui firent sourire le jeune homme. Quelquefois, la renaissance surgissait de l’inattendu. Une ombre chinoise se louvoyait à l’horizon, un panier de fleurs entre les mains. Divine, comme à chacune de ses apparitions.
« Vous connaissez ma femme ? » « Bouge-toi, la larve. On a encore de la route à faire. » Accompagné d’une gifle superflue, l’ordre dissipa les dernières brumes de sommeil qui s’attardaient sur l’esprit du Sorcier. D’humeur maussade, il se releva tant bien que mal. Cela faisait plusieurs semaines que des courbatures en tout genre alourdissaient son corps, et si leur présence était devenue familière, elle n’en était pas plaisante pour autant. La même règle valait à propos de son mentor forcé.
« Toujours aussi agréable, Worn. » L’improbable périple entrepris sur les conseils appuyés de Ludmilla s’apprêtait à prendre fin, et malgré le temps, rien ne parvenait à rapprocher les deux hommes, sinon la haine et le mépris. En nouvelle preuve de cette inimitié totale, l’Alfar le gratifia d’une remarque acerbe en grinçant des dents.
« Je n’ai pas de temps à perdre avec tes jérémiades. Ta compagnie m’ennuie, et j’aimerais en finir au plus vite avec ton entraînement. La patience n’a jamais été mon point fort, en particulier lorsque je n’ai pas de victime sous la dent. » Toute réponse aurait été stupide. En dépit des défaillances de son intelligence, Jacob avait appris à se taire en de telles circonstances. L’indifférence demeurait le meilleur moyen de cheminer auprès de cet individu dérangeant. Quelques heures passèrent, sans qu’il ne sache combien. Incapable de rentrer seul, il suivait les indications de l’autre sans rechigner. Une fois le manoir en vue, le brun se surprit à ressentir une pointe d’inquiétude à l’idée de quitter cet impitoyable meurtrier. D’une voix timide, il posa la question qui lui brûlait les lèvres depuis le début des festivités.
« Est-ce que tu comptes parmi ta somptueuse collection la chair de ma tante ? » L’Alfar s’arrêta, incrédule. L’idiotie de certains ne connaissait manifestement aucune limite. Un soupir lui échappa avant qu’il ne lève les yeux au ciel, exaspéré de constater encore la médiocrité de l’élève que sa chère partenaire avait choisi.
« Crois-tu que je serais là à perdre mon temps avec toi si c’était le cas ? » Le Sorcier ouvrit la bouche et la referma aussitôt.
Amourachée d’un grincement sinistre que le temps avait amplifié, la porte pivota sur ses gonds, révélant le visage d’Olympéa. D’une spontanéité parfois dérangeante, elle se jeta dans les bras de son fils, heureuse de le revoir en vie, comblée qu’il revienne seul.
« Tu es rentré ! » Sans autre forme de procès, elle lui planta un baiser sur les lèvres. Mal à l’aise, Jacob défit ses mains de la taille de sa mère. Son attitude devenait de plus en plus étrange, et il allait finir par se demander si ce n’était pas la consommation douteuse à laquelle elle s’adonnait qui provoquait de telles dérives. Elle ne lui laissa pas le temps d’y réfléchir.
« Alors, as-tu pu voir celle que tu cherchais ? » Le Sorcier secoua la tête. En cet instant, l’unique envie qui s’inscrivait dans ses entrailles était celle de f*utre le camp le plus loin possible de cette maison de fous où il passait pour l’hérétique.
« J’ai rapporté ce qu’il fallait pour le dîner. Je te le donnerai tout à l’heure. » Sans plus de considération pour sa génitrice et ses extravagances, il jeta à peine un œil aux autres individus, simples obstacles vers sa chambre où l’attendait le réconfort ultime : un matelas digne de ce nom. Un rictus amer lui échappa néanmoins lorsqu’il passa devant son frère, sa femme et son père.
« Quelle joie de voir tout ce beau monde réuni. » Sitôt qu’il en aurait l’occasion, il n’hésiterait pas à tous les étriper. Peut-être Ludmilla était-elle finalement la seule que sa vengeance ne toucherait pas. Assailli par la fatigue, il monta quatre à quatre les escaliers, ne se souciant pas une seconde de ce que lui disaient ceux d’en bas. Remarques et questions s’entrechoquaient sûrement entre leurs dents, et il n’avait pas envie de leur parler. Parvenu au lieu de tous les plaisirs, il pénétra à l’intérieur. Une curieuse obscurité envahissait la pièce. Haussant les épaules, il se débarrassa de son haut, balança le sac qui martyrisait ses épaules sur son lit et se laissa tomber à son tour, soulagé. Soudain, un bruit étrange le fit se redresser. Une jeune femme venait d’apparaître, surgie d’une salle de bains qui lui avait toujours été réservée.
« T’es qui, toi ? » Sur la défensive, et contrarié de voir son sommeil reporté, il avança vers elle en croisant les bras sur sa poitrine, faisant osciller la croix qu’il arborait depuis quelque temps. Cette situation ne lui disait rien qui vaille. Personne n'entrait dans le manoir sans que la doyenne en soit informée.
« Et qu’est-ce que tu fous dans ma chambre, pour commencer ? » Sans crier gare, quelque chose roula du sac, dégageant un parfum pour le moins répugnant. Jacob se tourna vers l’objet pour le ramasser, ne se souciant guère du membre arraché qu’il tenait entre ses doigts. Son regard agacé se reporta vers celle dont il ignorait toujours l'identité et qui troublait sa potentielle quiétude.
« Ma mère a toujours eu son ingrédient mystère pour les repas de famille. Parles-en, et tu finiras comme ça. » Manifestement, ils avaient une invitée, et on avait oublié de le prévenir.