Quelle idée avait pu passer par la tête de la jeune femme pour se retrouver dans une telle situation. Ses pieds s'enfonçaient dans la neige à mesure qu'elle essayait d'en sortir afin de poursuivre sa marche. Cynah et Ipiky, quant à eux, restaient bien au chaud dans le col du haut de la lancière. C'était donc seule qu'elle affrontait le blizzard. S'aidant de sa lance comme d'un bâton pour parfaire son pas, elle avançait d'un pas soutenu bien que le rythme ne suive pas. La notion de temps lui avait échappé depuis bien longtemps maintenant. Combien d'heures cela faisait qu'elle se battait avec le climat de l'Edelweiss enneigé ? Jaagd se fichait de tout cela. Elle devait la traverser coûte que coûte, bien que parfois, la bélua se surprenait à en oublier la raison. Simplement vêtue, elle usait du grand morceau de tissu clair qui ornait sa ceinture pour se couvrir les épaules. Hélas, elle n'était pas assez épaisse pour lui apporter un quelconque réconfort. Néanmoins, la jeune femme s'entêtait à la garder. C'était mieux que rien après tout. Le vent venait fouetter son visage qui était, comme à son habitude, couvert de son masque blanc. Quelques flocons passaient par les interstices, obligeant la lancière à cligner frénétiquement des yeux pour chasser ce désagrément.
Quelques minutes, qui parurent durer une éternité, suffirent à ce que la bélua aperçoive une bâtisse en bois à quelques pas de sa position. Jaagd marqua un arrêt. Son objectif était de traverser l'Edelweiss Enneigé. Pouvait-elle se permettre une halte au risque de perdre un temps précieux ? D'un autre côté, la météo ne semblait guère encourager une telle entreprise. Le temps lui manquait, et la lancière ne pouvait se permettre de tergiverser alors que son corps se refroidissait faute d'immobilité. Elle tourna donc les talons en direction de ce bâtiment. Après tout, rien ne l'empêchait de reprendre son périple une fois le blizzard retombé. La jeune femme avançait d'un pas hésitant. Elle ignorait la nature de cette bâtisse. Était-ce un chalet où des gens logeaient ? Arrivée devant le bâtiment, à nouveau l'hésitation ébranlait son être. Les échanges sociaux lui faisaient défaut, et Jaagd le savait. S'abriter chez autrui était une prouesse inconcevable à ses yeux. D'un pas, elle réduisit la distance qui la séparait de sous le porche de ce chalet. C'était amplement suffisant pour la bélua qu'elle était. Elle ne pouvait qu'espérer que le climat s'apaiserait dans peu de temps.
Alors que ses mirettes écarlates se perdaient dans le blanc immaculé de la neige, un grincement la ramena à la réalité, manquant guère de la faire sursauter. Un homme se tenait dans l'encadrement de la porte.
« Eh bien décidément… On en a bien du monde aujourd'hui. » lança-t-il sa voix étouffée par son rire.
« Ne restez pas là, voyons. Entrez donc. » l'invita-t-il en conservant ce même sourire. La lancière se redressa légèrement. Elle ne savait pas comment réagir à cela.
« Eh bien, qu'attendez-vous ? Venez, ne soyez pas timide. » renouvela l'homme en entraînant la bélua à l'intérieur d'une main dans le dos. Aussitôt, Jaagd eut-elle franchi la porte, l'aubergiste la referma avec soin avant de se diriger dans la salle d'à côté en appelant sa femme. La jeune femme, quant à elle, demeurait devant la porte qui s'était refermée derrière elle. La lancière ne pensait guère à un piège, mais demeurait cependant prudente face à un tel élan de générosité.
Elle balaya la pièce du regard. Des chaises vides autour de tables, pour la plupart. Lorsque ses mirettes vinrent se poser sur l'encadrement qui menait à la pièce adjacente, une voix perça le silence.
« Venez donc vous réchauffer, vous aussi. » proposa l'homme. Les yeux de la jeune femme se baissèrent en direction de ses compagnons qui étaient, depuis le début du voyage, blottis dans ses vêtements. Ses mains, bien que gantées, étaient gelées. La bélua laissa échapper un souffle chaud d'entre ses lèvres, espérant se réchauffer ainsi, en vain. Puis, d'un pas chargé d'appréhensions, elle se dirigea vers la pièce où trônait fièrement un feu de cheminée, près duquel deux enfants blottis l'une contre l'autre dans un grand fauteuil étaient couvertes de couvertures, semblant se réchauffer elles aussi. Jaagd n'osa guère faire un pas de plus, préférant s'appuyer contre le mur près de l'entrée. Les bras croisés sur sa poitrine, elle enfermait sa lance dans son étreinte tandis que ses yeux ne cessaient de revenir sur ces deux enfants. Depuis toujours, les enfants ne provoquaient hélas que le malaise chez la bélua, et de ce fait, elle les évitait comme la peste. Pourtant, jamais aucun d'entre eux n'avaient fait quoi que ce soit pour causer cela. Seuls les souvenirs de Jaagd en étaient la cause. Lorsque ses yeux se posaient sur eux, la jeune femme ne pouvait s'empêcher de revoir l'enfant qu'elle avait été.
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