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 ۵ Les grandes villes ont aussi leurs grands secrets [Lucrezia] ۵

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Mar 20 Sep 2016, 09:24



Mots : 1 068

۵ — « MAJID ! TIRE BORDEL ! » La machine avait lâché lors de la construction de l'édifice et nous devions tous mettre la main à la pâte pour pallier à la perte d'un engin. On était bien content de les avoir, mais quand elles ne fonctionnaient plus, on devait retourner au labeur. Comme si nous n'en avions pas assez...
A la base, je suis tailleur de pierres. Mon but est de recevoir la roche brute, de la couper, la polir, et éviter qu'elle ne soit trop poreuse pour ne pas qu'elle se désagrège avec la pluie. Bien que le travail fut physique, il était fort plaisant. Peut importait ce que l'on faisait, tant qu'on le faisait avec amour et passion. Mon vieux père, qui ne fit pas de vieux os, me transmit ça rapidement. Seulement... Les conditions de chantier, elles, étaient plus rudes que dans un atelier de taillage.
Nous étions cinq hommes accrochés à une corde triplée, au bout de laquelle tenait une palette de trois pierres. Je leur avais bien dit que c'était trop lourd, je leur avais bien dit que la machine était limitée, mais il a fallut que le chef de chantier veuille son rendement journalier pour pousser un peu plus les outils. Et nous payions, comme d'habitude. Il recruta une bonne dizaine de gars de l'atelier, pour l'aider. Dont moi. Moi qui n'avais rien demandé.
La poulie permettant à la corde de glisser, grinça anormalement. Les cris alentours ne m'aidaient pas à me concentrer pour aider correctement les quatre autres types. Il y avait de la poussière, des pierres qui risquaient de nous tomber dessus à tout moment, des cris, des blessés... « La poulie va lâcher ! », « Encore un effort ! », « La poulie ! » Les ouvriers en haut de l'échafaudage eurent à peine le temps d'enlever une pierre du chargement, ce celui-ci s'écrasa sur le sol avec une rare violence, lançant un énorme nuage de fumée sur toute la périphérie. Comme prévu, le petit rond en métal avait cédé sous la charge et l'effort, et le tout était retombé sur un homme qui se trouvait quasiment en dessous « On s'arrête là. Libérez le chantier ! » Certains, de l'autre côté des parois, ne virent pas la scène et se précipitèrent vers la sortie qui annonçait, également, la fin de la journée « On fait quoi chef ? », « On va appeler sa famille. »
۵
C'était dans ce genre de situation que l'on se rendait compte que la vie ne tenait qu'à un fil. Que nous avons beau avoir les meilleures technologies... Sans elles nous n'étions rien et nous tuions les nôtres.
Cette fin de journée me laissa un goût assez amer dans la bouche. Quelque chose qui me déplût fortement. Je n'avais pas envie de rentrer, ni même de me prélasser devant un bon thé à la menthe. Il fallait que je marche, que j'évacue sinon, j'allais hurler, perdre le contrôle et me montrer... Différent. Un excès de colère ou de désespoir peut étreindre rapidement un homme et je refusais de me laisser aller à ce genre de déficience.

Le soleil commençait enfin à tomber et la chaleur avec. Drejtësi ne répondait plus à nos appels et nous craignions un coup du sort. Il faisait de plus en plus chaud la journée et de plus en plus froid la nuit. Il était difficile d'évoluer dans de telles conditions mais nous n'avions pas le choix.
La foule était encore grouillante sur la place du marché. Si les étals avaient pliés bagages, laissant leur stand à vue mais fermés, les citoyens, eux, continuaient de palabrer, insouciants. Je me perdis dans cette masse grouillante, la tête ailleurs, cherchant à la traverser pour rejoindre l'autre partie du quartier. J'avais les nerfs à vif, je ne rêvais que d'une chose : décompresser.

Un gémissement, comme un petit cri de nymphe, me sortit de ma hargne. Tournant la tête en me redressant, je vis que quelques badauds se servirent de la foule pour malmener une femme. Celle-ci ne semblait pas consentante à ce petit jeu et ce fut d'un naturel déconcertant que j'entrepris un plan des plus foireux. Je ne pouvais pas laisser une dame se laisser manquer de respect par ce genre de types et, en même temps, j'étais tellement énervé que ça me calmera très certainement.
Sans l'once d'un respect je fonçai sur eux et rentrai de plein fouet dans un des trois gars. Un peu gauche, je fis également chuter la belle femme. Immédiatement, je m'excusai, me tournant vers l'inconnue. Lorsque je me penchai vers elle pour lui tendre la main, elle releva son visage. Son petit visage d'ange, ayant atterrit dans un monde des plus souillés pour elle. Ma colère, ma haine et toute ma conscience partit en voyant la magnificence de cet être. Jamais je n'aurai eu envie de la malmener personnellement. Jamais je ne me serai dit 'tiens, et si je la violais ?'. En même temps je ne me serai jamais dit ça pour personne, mais surtout pas pour elle. Les types derrière s'indignaient, parlaient un peu fort dans un Alikir imparfait, mais je n'en avais cure. Ma main et tout mon être était suspendu dans le temps. Mes prunelles n'arrivaient pas à quitter cette silhouette aussi délicieuse que chaste. Etait-elle seule ? Depuis quand vivait-elle ici ? Pourquoi ne l'avais-je jamais remarqué avant... ? Je ressemblais tellement à un pouilleux, à un pauvre ouvrier transparent... J'étais encore en habit de travail, mon sarouel était des plus sales, et mon torse aussi. Seules mes mains avaient été lavées correctement.

Je sortis enfin de mes pensées. Par sa voix ? Par ses gestes ? Je ne savais pas, mais j'arrivai enfin à sortir de ma transe pour lui dire « Je suis vraiment désolé... Laissez-moi me faire pardonner, je vous invite prendre un thé... ? » Je connaissais une très bonne...  Qu'est-ce qu'il m'arrivait ? Non... Je l'invitais seulement pour la tirer d'affaire entre ses badauds, pas pour réellement lui mettre le grappin dessus. Même si c'était tentant... Je ne voulais pas laisser passer une chance en or comme ça... Puisses-t-elle seulement prendre ma main et me suivre pour sortir de cette foule.

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Lun 26 Sep 2016, 12:14


L'humaine baissa les yeux pour contempler le bout de papier qu'elle imbibait d'encre, un peu plus à chaque goutte qui tombait sur le manuscrit. La plume était en suspens, pendue au bord du gouffre, au-dessus de ce dernier, par la volonté de la belle femme. Elle soupira, ses yeux perdus dans l'immensité de souvenirs passés. Elle en revoyait les images comme si elle y assistait à chaque instant. Elle souffrait qu'elles ne soient pas réelles. Dépouillée de sa mémoire absolue, elle ne pouvait que rejouer ces scènes : des grains, du sable à l'intérieur d'une clepsydre ; des gouttes, de l'eau qui dans l'air s'évaporait ou dans les mers se perdrait ; des bribes, des fragments d'un coeur brisé qui s'effaçait petit à petit. Elle souffrait, mais pas d'une plaie saignante qui pourrait l'achever. La blessure était bien plus profonde, plus froide, sans que sa peau ne porte de cicatrices, et sans que son corps n'en témoigne. Elle souffrait d'un temps révolu, qu'elle pleurait à chaque fois qu'elle ouvrait les yeux pour le trouver absent. Elle souffrait de son silence, de son éternelle absence. Elle souffrait de ce qu'ils avaient été, et ce qu'ils ne pourraient jamais être. Elle souffrait de l'amour qui avait cessé d'alimenter ses veines, de faire battre son coeur. Il avait toujours été seul, celui à faire battre le coeur gelé d'une vampire, en suspend dans les flots du temps, à qui tout avait été arraché.

Malgré elle, ce coeur battait maintenant, et à tout rompre dans sa poitrine, sans qu'il ne soit là. Elle souffrait de leurs beaux souvenirs, de ces délicieuses peines qu'ils s'étaient tous deux infligés, mais qui demeuraient délectables dans l'esprit. Comme les preuves irrévocables d'une merveilleuse passion. Elle souffrait de plus en plus de savoir qu'il n'était plus, qu'elle n'était plus, et qu'ils passeraient leurs vies à se perdre de vue, sans que jamais l'avenir ne les rapproche. Ils étaient finis. Ils étaient détruits, alors que l'éternité les assemblait, les unissait, et que la beauté faisait d'eux l'être parfait. N'étaient-ils pas deux moitiés, des âmes sœurs qui d'un surmontaient les obstacles par la force, tandis que d'autre les mots résonnaient pour empoisonner leurs adversaires ? Ils étaient un tout, et comment ce tout aurait-il pu se briser ? Le regret était tout ce qui lui restait. Elle souffrait de ces remords, de ce qui n'aboutit jamais, de l'enfant qu'elle ne put avoir. Il ne lui avait rien laissé, pas un seul objet ni espoir auquel elle aurait pu s'accrocher. Elle souffrait, le regard plongé sur un soleil aveuglant et des rues noires de monde. Ce dernier tournait sans elle. Le sien aussi. Il était temps de se résigner. Il était temps d'accepter l'immuable réalité. Il avait été l'amour de sa vie. Il avait changé. Elle aussi. Il avait évolué, mais sans elle. C'était une vérité nue, une vérité crue et difficile à digérer. C'était une vérité douloureuse, une de celles qui laisse des traces. Des pires. Des plus sanglantes. De celles qu'on souhaiterait se ôter, mais dont l'entrave est si douce et précieuse, qu'on la garde pour l'éternité.

Elle déchira la lettre qu'elle se préparait à écrire, un seul nom inscrit sur le papier manuscrit : ''Cocoon''
Elle faisait son deuil, et c'était sûrement mieux de ne pas remuer le couteau dans la plaie.
Elle lui souhaitait tout le bonheur du monde, celui qu'elle ne put lui offrir.


~


Le soleil couchant avait des allures de délice à croquer. Il lui parvenait par les carreaux en verre, dans des teintes orangées, qui faisaient briller ses rayons par des motifs circulaires, mais carrés aux deux bouts. Braqués sur un lit assez grand pour y accueillir un couple, les draps se délectaient de sa chaleur, teintés d'un bleu nuit assez profond et d'une bien meilleure fabrique que d'autres bouts de tissu qu'on gardait au fond de larges tiroirs. Les deux oreillers étaient ornés d'inscriptions dorées un peu plus sombres, contrastant avec les nuances bordeaux des murs de la bâtisse. Des meubles sculptés dans un bois bon marché se trouvaient éparpillés dans le salon, quelques tapisseries aux tons sobres recouvrant le parquet et une cheminée en marbre saluant une once d'élégance. Le bureau était bien plus travaillé, quelques inscriptions témoignant toutefois des nombreux voyageurs qui y avaient élu domicile. Des cartes somptueuses étaient dessinées, creusées, comme tapies dans le tronc d'un arbre, invisible à l'ignorant mais pas à un œil expert. Un petit fauteuil achevait la construction d'un rouge vermeil assez plaisant, tandis que des livres jonchaient toutes les surfaces qu'ils pouvaient se permettre de recouvrir. Des ouvrages anciens, d'autres plus d'actualité. Des légendes splendides, et même les contes les plus sordides. Les narrations des aventures des dieux, mais aussi celles de leurs héros. Des fables sur les mystères de la nature, mais aussi ceux des créations de l'Homme. Elle était ferrée de savoir, de connaissances dans tout genre de domaines, et s'assagissait au possible. Maintenant que son charme et intelligence faisaient sa force, que sa magie et crocs manquaient à l'appel, elle trouvait des alternatives à sa faiblesse. Elle retournait à cet état primaire de méfiance et de peur constante, et était loin de trouver ce sentiment rafraîchissant ou encore agréable. Pour le prédateur devenu victime, c'était un monde à redécouvrir. La vampire déchue remarquait chaque jour avec peine que ses pouvoirs lui faisaient dorénavant défaut, et que l'essence même de son être l'avait quittée. Elle avait tout perdu, et se retrouver n'était pas chose aisée.

Dans l'obligeance de se nourrir, elle cherchait des recettes de ces mets qu'ingèrent les humains, et était également piquée de curiosité à leur sujet. Les vampires avaient toujours demeuré ces êtres détestables qui ont de vulgaire leur faim carnassière, et de laid leur profonde arrogance. Lucrezia n'était jamais parvenue à sentir cette empathie qu'elle lisait dans son ancien conjoint pour son ethnie et ses semblables, mais avait toujours trouvé un certain mérite aux humains dans leur façon de persévérer et de vaincre dans l'adversité. Elle les observait de son air connaisseur, souffrant bien entendu, de même qu'eux tous, des séquelles, ainsi que d'une guerre, de l'opposition des religions. La chaleur faisait d'elle son esclave, et elle ne la supportait que très difficilement. Se gardant de trop s'exposer à la lumière du jour, l'humaine agissait, comme dans le bon vieux temps, principalement une fois la nuit tombée. Se drapant de belles parures (aux tons bleutés aux accents violets), son goût pour le beau ne l'ayant pas déçue pour sa part, elle sortit dans les rues, dans les bas-quartiers, soucieuse de la découverte d'une nouvelle culture. Loin de passer inaperçue, la demoiselle cherchait au moins à respecter leur code vestimentaire. La ville était elle un chaudron grouillant, des vagues dans la foule la bousculant par moments, surtout près des marchés, tandis que dans les petites ruelles on retrouvait un semblant de tranquillité. L'on y observait la plus grande concentration d'individus, et la belle prêtait attention à chacun de leurs mouvements.

Ses sens à l'affût ne rataient rien. Pas le moindre sourire, le moindre geste, pas la moindre parole. Elle avait appris leur langage autrefois, et cherchait, pour ceux qui conversaient dans ce dialecte particulier, à examiner les accents mélodieux et toutefois rêches par instants. Des bribes de mémoire lui revenaient, une nostalgie avec elles. Elle s'aventurait un peu plus hasardeusement, s'interrogeant sur la vie qu'elle avait pu mener et se laissant envahir par ces souvenirs perdus, ceux d'avoir un jour réellement vécu. Seule, ayant laissé Zaläarm sous les attentions d'une nourrice pendant quelques jours, elle renouait avec la solitude de l'isolement. Mais elle avait oublié combien ça pouvait être dangereux…

Une main lui saisit le bras, arrachant presque les bouts de tissu qui pendaient autour de ses épaules. Sans être une de ces paumes aimantes, elle était dure, rugueuse, malveillante. Lucrezia tenta de se débattre sans regarder son agresseur. Il fit mine d'une détermination plus grande, l'emportant dans une allée adjacente pour mieux l'immobiliser. La belle, secouée, ouvrit les yeux avec un peu de peine pour détailler ce que ses narines lui insufflaient déjà. Une haleine putride, jonchée de ces effluves d'alcool puissantes, dignes du plus grand ivrogne. Des yeux globuleux qui insinuent une quelconque subsistance illicite, tandis que les muscles forts et taillés soulignent une utilisation récurrente, qui sait dans le bâtiment ou dans la marginalité… Des cheveux gras et un corps poilu pour raffiner le portrait.

Pétrifiée dans un premier temps, elle se reprit assez vite. Sa main devant la bouche, il voulait l'empêcher de parler, de crier. Sa présence était telle, que l'humaine faillit ne pas remarquer les deux autres énergumènes qui avaient suivi le mouvement. S'assurant qu'il n'y aurait plus de mauvaises surprises, elle l'écarta d'un coup de jambe, lui permettant de se faufiler vers l'axe peuplé, au pas de course. Elle tomba à genoux quand l'homme bondit sur elle, pliant son bras pour le serrer derrière son dos. Il la malmenait comme un fou, avec ces élans d'obsession et ce regard insistant. Il ne cessait de répéter des paroles dignes de l'amant éperdu, mais aussi du plus grand psychopathe. Elle essaya de se tourner, mais plaquée au sol, il lui était difficile de se défendre, même si elle sentait avoir le dessus en ce qui relevait de la force physique uniquement. Profitant d'un de ses moments d'absence, pendant qu'il effleurait sa peau, elle parvint de nouveau à fuir, poussant un premier gémissement. Ils utilisaient la foule pour la malmener, sans que personne ne se manifeste.

Jusqu'à ce qu'un homme, dont elle ne vit que la silhouette dans un premier temps, ne fonce sur l'un des gaillards, l'adrénaline dans le sang, la rage bouillante dans les veines, le collant au sol poussiéreux. Les deux autres juraient contre le courageux, déplus jusqu'au plus profond de l'âme que leur petit jeu ait une fin. La vipère cherchait encore la vision de la demoiselle. Lucrezia avait connu le même sort par inadvertance. Quand l'inconnu s'approcha pour l'aider, la petite perdit ses yeux dans les siens, observant avec minutie le visage de son sauveur. Elle n'avait plus rien de la fierté qui bombait son torse, ou de l'arrogance qui articulait ses gestes autrefois. Quelques cheveux violines recouvraient son front, et d'autres mèches palissaient sur ses épaules, décoiffées. Son corps réduit en chair, tremblant, était enveloppé d'un voile de sable, ses yeux d'un voile de frayeur et surprise. Décontenancée, ses orbes couleur saphir se dirigeaient vers l'homme qui ne la quittait pas du regard. Son intervention en disait long sur son bon coeur, et sa chute sur une quelconque maladresse au combat, contrairement à ceux qu'il insupportait. Ces deux opposés étaient immobiles, comme si le temps n'avait plus d'emprise. Elle entendit cependant sa voix rauque, dans laquelle on lisait une certaine douceur. Elle eut inconsciemment le réflexe de lui répondre dans les mêmes accords tendres. « Vous n'y êtes pour rien. Merci.. pour votre aide » Elle souffla, de soulagement cette fois, laissant échapper un petit râle, se réfugiant le plus près de lui. « J'accepte… volontiers votre offre. Pourvu que nous sortions d'ici... » Elle saisit sa main, sentant ses hauts et bas, calleuse mais d'une chaleur intense qui avait toujours fait l'objet de son admiration.

Dans l'artère, les voix s'élevaient, résonnaient indignées. Une seule accusation aurait suffi pour que deux ou trois autres braves ne sautent à la gorge de ceux qui avaient tenté l'impensable, de violer la pureté de cette jeune femme. Celle-ci, peu désireuse d'alimenter un cycle de vengeance, se contenta de les laisser fuir, les jambes à leur cou, avec un regard pointilleux de mépris pur qu'aurait jadis montré leur courte espérance de vie. Celui qui affrontait l'humain venu à son secours, avait plutôt allure d'embarras et de beauté. Elle s'interrogeait pour son esprit chevaleresque, pour ce sourire qu'il lui avait dirigé. D'autant plus intriguée par ce qui lui avait dérobé un regard, par ce charme indicible qui l'avait attirée vers lui l'espace d'un instant, assez pour l'empêcher de faire simple part du décor comme toutes les ombres grises qui peuplaient ces terres. Il était une nouvelle donnée, une inconnue dans un tableau noir de chiffres redondants et récurrents. Assez pour lui redonner un semblant de sourire, assez pour la sortir de sa monotonie. Assez pour nourrir un infime espoir, mais loin d'être assez pour ranimer sa flamme, cette joie de vivre depuis longtemps éteinte. Elle était une éternelle pessimiste.

Ce genre de rencontres était à caractère éphémère. Elles duraient le temps d'un repas, d'un échange plaisant, pour se perdre dans l'insignifiance. Elle lui prit le bras, le temps de rajuster ses voiles, prenant ensuite un peu plus de distance. Pour briser le silence, elle se reprit. « Je vous remercie encore d'être intervenu. Je ne m'attendais pas à ce genre de.. expérience sordide. J'étais sortie à cette heure en espérant éviter de mauvaises attentions » Elle épongea son visage, ses yeux et les maux qu'on y lisait. Elle marchait, les yeux perdus devant elle, avant de se tourner vers lui. « Je me nomme Lucrezia. Enchantée » Elle but son nom, baignant dans des sensations nouvelles et trouvailles implicites sans toutes les apprécier. Elle huma les bonnes odeurs du marché, savourant avec plaisir de ses sens la vie qui l'entourait au coeur de son fatalisme habituel. « Habitez-vous depuis longtemps ici ? Cette ville m'a l'air d'être d'un bon vivant. Hormis quelques épines veineuses qu'on y trouve, comme partout ailleurs » D'un air pensif, elle marqua une pause. « Il vous arrive souvent de sauver des demoiselles en détresse ? » finit-elle par surenchérir, avec une pointe de curiosité.

~ 2 424 mots

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Lun 26 Sep 2016, 19:35



Mots : 1 265

۵ — La foule avait disparut. La foule et toute la ville. Les loubards étaient derrière moi, essayant de me bousculer, de reprendre leur bien, mais c'était sans compter le fait que j'intervenais comme un bouclier protecteur pour la belle dame. Plonger dans ses yeux bleus, je m'y perdit aussitôt. Il n'y avait plus aucun son, plus aucune priorité si ce n'était elle. Cette petite Déesse accepta volontiers que je la sorte de ce fourbie et, pour cela, prit enfin la main que je lui tendais. Elle glissa du velours entre mes doigts. Si douce, si pâle, si préservée des maléfices du soleil et de la chaleur. Son corps était à l'image de ses mains : soigné et gracieux. J'étais conquis par une telle muse. Sa voix était un chant mélodieux, une sirène voulant m'attraper dans ses filets et y arrivant sans aucun mal. J'avais très envie d'elle. Je comprenais ces types, bien que je restai différent d'eux. J'avais l'irrépressible désir de décrire ses courbes de mes doigts, de venir goûter le sel de sa peau, de croquer ces lèvres qui me faisait penser à la plus mûre des fraises. Je ne savais pas si je la rassurai, mais mes yeux avaient dû laisser transparaitre un sentiment désireux, envieux. Je dû les baisser en vitesse pour ne pas lui faire croire des choses fausses. Oui cette femme réveillait en moi l'homme que j'étais mais non, jamais je ne la toucherai sans son consentement.
Pourtant, elle me torturait. Ayant prit le rôle de protecteur, ce fut tout naturellement que je la sortis de là, comme expressément demandé. Seulement, elle osa rapprocher son corps du mien, tendant ce dernier en une fraction de seconde. Elle prit mon bras, comme si ça avait été celui d'un ami, d'une personne de confiance. Elle me faisait confiance, elle y était obligé. Et si je ne m'arrêtais pas de suite, j'allais tomber amoureux d'elle alors que je ne la connaissais même pas. A quoi cela servirait-il ? Elle allait partir... Partir et retrouver son amant qui valait bien mieux que moi. Qui avait de quoi la séduire... Car on n'approchait pas ce genre de femme n'importe comment.
Enfin si, on pouvait, mais du coup j'arrivais pour les dégager.

Cette duchesse avait quelque chose que j'admirais. Outre sa beauté flagrante et son visage que l'on avait envie de dévorer, elle était obsédante.  J'avais envie de la regarder, j'avais envie qu'elle me parle, j'avais envie qu'elle me touche et moi-même envie de la toucher. C'était horrible comme sentiment, ça ne m'était jamais arrivé en réalité. Comme si elle m'avait hypnotisé, que quelque chose s'était emparé de moi sans que je ne puisse y résister. Alors quand elle détacha son bras du mien pour acquérir un peu de distance, je fus particulièrement déçu. Et en bon abrutit, je me vautrai sur la première parole débitée « Le problème c'est qu'ici, dans ce quartier... la nuit en plus, vous allez vraiment avoir des problèmes. » C'était ma manière de rassurer les gens, en leur disant qu'ils pouvaient mourir à tout instant. Elle me troublait, je ne savais plus où j'habitais à cause d'elle « C'est beaucoup plus calme rien que dans le quartier modeste... » Je me voulais détendu, mais je ne l'étais pas du tout « Et puis on n'a rarement vu des femmes belles comme vous. J'veux dire... Toutes les femmes sont belles, mais vous vous êtes le diamant de nos pierres précieuses. Et ça... Ca attire les vicelards. » Je vais pas en dormir de la nuit. Demain j'ai un chantier à terminer, si j'arrive éclater, le chef va me passer un sacré savon. Mais même quand je détournai le regard je la voyais. Elle était là, puis à l'angle de cette maison, puis au bout de cette rue, puis assise sur ce banc... Et quand je tournais la tête, elle était en chair et en os près de moi.

Par chance, elle se présenta et me posa toutes les questions que j'aurai aimé lui poser. Lui répéter, en la harcelant, jusqu'à ce qu'elle daigne me répondre « Moi c'est Majid Kaliqir Han Wasem. Mais Majid suffira. » J'avais toujours vécu ici et je ne trouvais pas mon nom forcément original, juste quelconque. Mais pour quelqu'un venant de l'extérieur, ça pouvait être particulièrement... exotique. Comme l'était son propre prénom. J'adorai sa consonance. La syllabe de fin mettait un terme à cette appellation que je trouvais merveilleuse, comme celle qui la portait. Ma langue répéta ce nom, un peu malgré moi « Lucrezia... » Je le chuchotais. Je le prononçais, d'une voix rauque, comme si elle s'était tenue entre mes mains, comme si je la couvais d'un regard de feu. Je serrai les paumes. Quel était cet état ? Etait-ce elle qui me faisait devenir à moitié fou comme ça ? Impossible... Il fallait que je fume. Que je me concentre sur le reste « Ouais, je suis natif d'ici. Les gens pensent que comme nous avons eu un passé peu glorieux, nous sommes tous soudés mais ce n'est pas le cas. Ca ne l'est plus en tout cas. Mais... Et vous ? Vous dénotez beaucoup dans ce paysage... » C'était une façon plus que polie pour lui dire que, vraiment, je m'étonnais de ne jamais l'avoir croisé avant. En presque trente ans d'existence, ce n'était que maintenant que je tombais sur elle...
« Pas vraiment... Disons que c'était un concours de circonstance. J'ai une petite sœur, j'aimerai que quelqu'un la sauve le jour où elle sera dans une situation comme ça. Alors je le fais car... Je pense qu'à travers vous, je la vois un peu. Non pas que vous soyez ma petite sœur mais... Disons cette condition de femme qui fait de nous des abrutis finis. » Je tournai enfin mon visage vers elle, marchant toujours à ses côtés « Parce que vous êtes vraiment belle, Lucrezia. »

Arrivé dans le quartier modeste, je fis halte devant une taverne où encore quelques personnes étaient dehors, en terrasse « C'est ici que l'on sert le meilleur thé à la menthe de tout Utopia. Venez je vous invite. » Galant, je lui fis un signe de main pour lui indiquer une table. Elle me passa devant, et mes yeux tombèrent sauvage sur la cambrure de son corps. Ces reins, que j'aurai aimé poussé, pilonner. Me frottant les yeux, je permis à mes idées de ne pas sortir de ma tête, respectant la barrière naturelle de mon crâne. Un serveur vint prendre notre commande « Deux thés à la menthe et une dose. » Je regardai ce visage. Je pu enfin observer ce si joli minois « Et vous alors, que faites vous la journée ? Pratiquez vous une quelconque activité ? » Elle avait l'air noble et particulièrement soignée. Ca m'étonnait que, comme moi, elle fasse un travail de force qui épuisait le corps. Le narguilé devant nous s'activa quand le tenancier y fit bruler le tabac. Il y avait plusieurs becs et bien que j'invitai d'un geste la petite à en prendre un, je ne me serais pas étonné qu'elle refuse. Malgré tout, je pu enfin me détendre, sur cette chaise en osier, une heure après avoir quitté le chantier. J'avais les pieds en compote...

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