S'étant remit de leur course, le chaman et son compagnon forcé s'accordèrent pour prendre le temps d'explorer le phare tout en ignorant dans un premier temps les gamins. Il s'avancèrent dans une autre pièce, Devaraj n'ayant plus aucune idée de l'étage auquel ils se trouvaient ou de la hauteur à laquelle ils étaient. Ce coin là du phare ressemblait à une ancienne habitation. Avec des vieilles cuisines, un salon miteux et un lit cassé. Tout y était rongé par le temps, délabré et abandonné, et pourtant, il y avait comme une sorte d'atmosphère chaleureuse qui englobait la pièce. Il pouvait facilement imaginer un feu brûlant dans l'âtre et réchauffant l'air et une odeur alléchante sortant de la cuisine. Quelqu'un devait avoir vécu ici pendant un long moment pour que la pièce reste autant imprégnée de son souvenir. S'approchant de l'unique petite fenêtre ronde, Devaraj contempla un instant l'océan qui s'étendait au loin, les rayons de la lune baignant dans l'eau noire. Ils étaient haut, très haut, et on sentait le vent glacial qui tournoyait sans répit autour du phare. Tout à coup, il se rendit compte que la salle n'était plus autant accueillante qu'il l'avait pensé. C'était sombre, froid, et silencieux. Un silence qui ne s'arrêtait que pour laisser place à des plaintes ou à des pleurs. Parfois même on distinguait des pas, le genre de pas qui n'appartiennent à personne et dont l'origine ne fait pas partie du monde des vivants. Levant la tête au plafond et regardant un peu partout autour de lui, Devaraj ne vit pourtant rien qui ne ressemblait à un esprit.
« Effrayé ? » fit alors Jiang-Li avec un demi-sourire moqueur, tout en faisant lui-aussi le tour de la pièce en quête d'un quelconque indice. Devaraj haussa les épaules. Entendre ce genre de plainte mourante lui faisait plus plaisir qu'autre chose et piquait sa curiosité au plus haut point car cela voulait dire qu'il y avait potentiellement quelque chose d'intéressant à la source du bruit. Cependant il dut déchanter très vite quand il s'aperçut que tout cela manquait un peu de naturel… Surtout après le premier coup des fantômes. Était-ce ncore un coup des gamins ?
«Qui qu'ils soient, ils doivent être juste au dessus. On devrait les prendre sur le coup. » proposa alors Jiang-Li en se dirigeant vers la porte. Et il avait raison, mieux valait en avoir le coeur net, se dépêcher et tenter de les avoir la main dans le sac.
« Fais semblant d'avoir peur, c'est plus crédible. » murmura-t-il alors avec une œillade amusée.
«T'es fou ? Pourquoi ça serait moi et pas toi ?! » Jiang-Li leva les yeux au ciel.
«… Fais le, c'est tout. Sinon on y arrivera pas et on n'aura pas l'argent. » Devant cet argument imparable, le chaman ne put rien répondre et se résigna.
« J'AI PEUR !! » hurla-t-il à pleins poumons d'une voix tremblante, parfaitement convaincu qu'il était très crédible. En réponse leur parvinrent des rires étouffés. Montant ensuite les marches à pas de loup, il arrivèrent devant une grande salle éclairée. Une grande salle éclairée remplie de gamins déguisés en spectres, avec des draps et chiffons blancs, des masques et des visages barbouillés en noir. Oh joie. Peut-être que parmi l'énorme bordel que la troupe avait amené, ils trouveront les kidnappeurs hypothétiques cachés dans un coin ? Ou peut-être pas. Probablement pas d'ailleurs…
« On peut s'inviter à la fête ? » lança alors Jiang-Li en s'avançant brusquement sous la lueur des projecteurs. Si les petits avaient voulu faire peur aux vagabonds, ce fut eux qui manquèrent d'avoir une crise cardiaque sur le coup en voyant débarquer un adulte de nul part.
« Vous voulez voir des esprits ? » rajouta-alors Devaraj en s'avançant lui aussi.
« En voilà des esprits... Des vrais.» continua-t-il avec un sourire presque innocent, en montrant Khaal qui se tenait derrière lui, visible par tous. Ils avaient peur ? Bien fait pour eux. Se délectant devant la lueur effrayée qui brillait dans les yeux des enfants , il prit le temps de savourer sa victoire et de se venger pour tous les hématomes et bleus qu'il avait.
Voyant que leur proie initiale était en train d'essayer de s'enfuir, ce fut Jiang-Li qui donna un grand coup de coude à Devaraj pour le sortir de son nuage sadique.
« Eh ! Je te signale que nos pièces d'or sont en train de s'échapper ! » s'exclama-t-il d'un air faussement inquiet, en pointant du doigt celui ressemblait le plus à la description de la vieille dame. Revenant brusquement sur terre, le chaman suivit du regard la direction que Jiang-Li lui montrait et fronça les sourcils avant de courir après le rejeton. Il se jeta littéralement sur lui et roula au sol avec, pendant que le reste s'enfuyait en descendant les marches.
« Toi, tu restes avec nous ! » grogna-t-il avant de se relever.
« On est pas méchant je précise hein… On va juste t'échanger contre une petite somme. Et la prochaine fois que tu voudras venir ici, tu penseras à nous et tu éviteras d'embêter les visiteurs n'est ce pas ? » conclut-t-il en se penchant brusquement vers le visage du pauvre petit, qui finira sûrement traumatisé par cette nuit. Ceci dit, il poussa l'enfant vers Jiang-Li et soupira longuement. Cela avait été difficile, mais ils avaient réussi. Quelque-part, il en était soulagé et fier. Mais il restait un petit détail qui le titillait toujours… Même s'ils étaient haut, ils n'étaient pas au sommet du phare, ce qui voulait dire que la forme blanche qu'il avait aperçu de l'extérieur au départ n'était pas un des enfants qu'ils avaient croisés. Voilà un mystère irrésolu qu'il l'empêchait définitivement de considérer sa tache entièrement terminée…
« Reste ici avec le petit. Je vais juste vérifier quelque chose. » lança-t-il alors, en espérant que Jiang-Li ne fasse pas n'importe-quoi avec leur otage pendant son absence. Il quitta la pièce et monta les marches trois par trois. Il y en avait beaucoup, beaucoup plus qu'il n'aurait pu l'imaginer. Jusqu'à combien de dizaines de mètres allait-il encore devoir s'élever pour atteindre son but ?! Il dut faire plusieurs pauses au court de sa montée, les escaliers devenant de plus en plus escarpés et les murs resserrés autour de lui. Mais finalement, il y arriva. Il déboula sur un palier en plein air, au milieu des étoiles. La première chose qu'il l'éblouit fut la blancheur pure de la flamme qui brûlait en son centre. Puis, quand ses yeux s'habituèrent à cette lumière, il put admirer d'un côté, l'océan à perte de vue, qui se mélangeait au loin avec la voix-lactée, et l'étendue des terres baignant dans l'ombre de l'autre côté. Et enfin, il le vit. Lui, le gardien des lieux, ou plutôt ce qu'il en restait, c'est à dire son esprit. Toutefois, le chaman préféra ne rien dire pour ne pas perturber la contemplation dans laquelle semblait perdu le vieil homme. De toute façon le vent qui tournoyait violemment autour d'eux rendait très difficile toute communication orale. A la place, il se recula vers les dernières marches de l'escalier pour se mettre à l'abri du vent, et attendit qu'on veuille bien lui prêter attention. Et sa patience montra bientôt ses fruits, puisque l'esprit se retourna enfin vers lui, un faible sourire fantomatique éclairant ses lèvres.
« Cela faisait longtemps que je n'avais pas eu de visiteur... » commença l'homme en se rapprochant pour mieux se faire entendre.
« Et j'ai l'honneur d'y remédier. » répondit aussitôt Devaraj, soudainement avide d'entendre l'histoire du gardien.
« C'est pour parler tout seul que tu t'es isolé dans ce trou ? » La voix de Jiang-Li interrompit brusquement la passionnante discussion qu'avaient entamé le chaman et l'esprit gardien depuis maintenant une bonne heure. Il se retourna pour fusiller du regard le médecin. Ce dernier traînait le gamin derrière lui et le regardait avec son éternel sourire narquois.
« Chacun sa passion… Et qui ne te dis pas que je suis venu ici simplement pour admirer la vue ? » rétorqua-t-il alors en montrant de la main l'étendue d'eau devant eux qui était maintenant éclairée par les premières lueurs de l'aube.
Le paysage était à couper le souffle et ils prirent tous le temps de l'admirer jusqu'à ce que le soleil se lève.
« Je ne te savais pas si contemplatif... » finit enfin par lâcher Jiang-Li, avant de froncer les sourcils en voyant le chaman grelotter. Ce dernier ne répondit rien et se retourna avec une discrète mimique d'adieu pour le gardien. S'il aurait le temps, il reviendra voir ce pauvre bougre pour bavarder tranquillement. Et cette fois, ce sera seul, histoire de ne pas être inutilement dérangé par des abrutis qui ne comprenaient rien au monde des esprits. Soupirant, il tourna les talons et commença à descendre les marches.
« On devrait se dép- aa… ATCHOUUM ! Rha...» Quelque chose de lourd s’abattit brusquement sur sa tête.
« Prends ma veste avant de finir mord de froid. Imbécile. » « … Merci. Imbécile toi-même. » Acceptant à contre-coeur, il échangea sa tunique trempée et gelée contre la veste chaude de Jiang-Li et s'avoua que c'était quand même beaucoup plus confortable ainsi. Et la troupe continua de descendre jusqu'à la sortie du phare.
Trois heures après, ils étaient de retour au village, après une nuit blanche mémorable. Le petit retrouva sa grand-mère et tout le monde finit heureux. Ou presque. Devaraj ne souhaitant pas vraiment avoir à parler aux villageois, il avait chargé Jiang-Li de s'adresser à leur « patronne. » Ce dernier s'inclina devant la vieille dame, se fondant en mots mielleux et sourires charmants.
« Je vous remercie du fond du coeur jeune homme… Ces quelques pièces ne sont rien comparées à la dette que je vous dois. » Sur ces mots, elle donna toutes les pièces à Jiang-Li avant de se retourner vers le chaman en le fusillant du regard.
« Quand à vous, disparaissez de ma vue ! Mécréant ! Mon petit m'a raconté tout ce que vous avez fait ! Oser terrifier des pauvres innocents de cette façon ! Vous êtes irresponsable ! » Complètement atterré, Devaraj remonta son regard vers Jiang-Li en y cherchant une aide bienvenue, mais il n'y vit que de la sadique moquerie.
« Ah la vieille truie... » rigola Khaal dans son dos.
« C'est plutôt votre gamin qui est mal élevé oui! » répliqua-t-il alors en fronçant les sourcils. Il avait l'air très calme mais une colère froide le gelait sur place. Jiang-Li du le remarquer car il s'empressa d'attraper le chaman par le bras, redoutant quelque acte de barbarie.
« Veuillez excusez le comportement de mon camarade. C'est un chaman, il est un peu sauvage. » Et sur ses mots, il traîna Devaraj hors du village.
« Ça t'amuses hein ? Avoues ! Pourtant t'as rien foutu de toute la nuit, à part tenir un bâton ! Et je suis pas un sauvage ! Je suis plus civilisé que les ordures dans ton genre ! » Totalement insurgé par la tournure des choses, Devaraj suivait Jiang-Li d'un pas énervé.
« - Donne-moi les trois-quart de la somme . - … La moitié. - Non ! - La moitié et je t'offre mes services pour compenser le reste. » répondit l'intéressé, qui semblait être intérieurement mort de rire en voyant la réaction du chaman.
« - J'en veux pas. - Comment tu peux dire ça alors que tu ne sais pas de quoi il s'agit ? Je te croyais plus curieux mon cher... - … Va pour la moitié et tes services. »~ FIN ~