Des jours entiers. Cela faisait des jours entiers ou des semaines, elle l'ignorait, qu'elle vivait comme un automate. Elle avait vu Jun, il était reparti, elle avait fait acquérir d'autres fidèles au temple, sans grande conviction, et lorsqu'elle avait du temps libre, elle reformait ce rocher surplombant la mer, le soleil couchant ne disparaissant jamais à l'horizon. Pourtant, elle devrait bien au bout d'un moment laisser la nuit englober ce monde illusoire. Elle sentait parfois la présence de William mais, à vrai dire, elle sentait aussi qu'il n'osait pas venir la perturber, comme s'il avait reçu une interdiction claire et nette des autres esprits du temple. Peut-être était-ce autre chose mais pour le moment, elle ne s'en souciait absolument pas. Et, alors qu'elle était assise, ses pieds se balançant lentement dans le vide, elle sentit une présence gravir son rocher, un mortel, Jun. Il s'assit à ses côtés, silencieux, créant une boule de feu qu'il s'amusa à déplacer, la faisant changer de forme. « Au final, ton conseil n'était pas mauvais, même si je n'accepte toujours pas cette possibilité. Cependant, depuis notre dernière rencontre, j'ai fait des découvertes fascinantes sur ma personne. Mon prénom... pas celui qu'Aria m'a donné, non, le véritable. ». Il approcha ses lèvres de son oreille, lui murmurant son secret. « Si je deviens génie, alors tu auras le moyen de faire de moi ton génie éternel. ». Elle finit par sourire. « Tu ne me seras d'aucune utilité. ». « C'est vrai, mais maintenant que ton mari ne se souvient plus de toi, je pourrai au moins t'épauler sans risquer de subir son courroux. ». Mitsuko tourna la tête vers lui, les sourcils froncés. « Qui te l'a dit? ». Il avait du mal à cacher son contentement mais, à vrai dire, ce n'était pas une obligation. « William parle beaucoup. Je suppose que le fait de me l'annoncer personnellement l'a amusé plus que tout, surtout lorsqu'il a vu mon sourire. ». Le silence. « Pourquoi ne demandes-tu pas à un Aether du temple d'effacer ta mémoire, hum? ». « Parce que si je le fais, tout espoir serait perdu. ». Il soupira, changeant de sujet. « Je trouve ça quand même étrange que l'accès me soit toujours autorisé. Ce n'est pas comme si j'avais l'intention de tous vous détruire... ». Elle lui sourit, ne rajoutant rien. Elle était sûre qu'il avait compris que son entreprise était presque vouée à l'échec, même s'il continuerait jusqu'au bout. « Dire que Naram ne peut pas entrer, ton mari non plus, enfin, pour ce qui reste de votre mariage... Et puis, je trouve ça cocasse. Il ne manquerait plus que Naram oublie Zéleph pour que votre trio amoureux soit équilibré. C'est d'un risible. ». Il voyait bien que cet oubli la faisait souffrir et quoi qu'en disent les autres, il était sans doute le seul à la comprendre totalement, maître de son jardin secret comme elle était la maîtresse du sien. A chaque fois qu'il avait envi de la tuer et de lui faire les pires horreurs, c'était lorsqu'elle était loin de lui. Cependant, dès qu'il se retrouvait en sa présence, c'était plus fort que toutes les barrières et tous les efforts qu'il pouvait faire, il voulait la protéger. « Franchement, je lui casserai bien la gueule pour son comportement. ». Mitsuko rit, ses yeux s'humidifiant pourtant, la peau de son menton se troublant. « D'accord d'accord, je ne lui ferai rien. Et puis, si je m'en prend à lui pour ça, il risque de ne pas comprendre le raisonnement. ». Il l'attira doucement à lui. « Viens là. ». Silence. « Je suis devenu tellement instable Mitsuko. Il n'y a qu'avec toi que je suis ainsi, un peu idiot, faisant des efforts pour essayer de te faire sourire et me retrouvant démuni quand ça ne marche pas. Mais dès que tu n'es plus avec moi, je t'en veux tellement, à toi, aux Aetheri, au monde, j'ai tellement de rancœur que je suis incapable de m'arrêter de détruire, de briser, d'écraser. Et j'aime ça, c'est jouissif de voir l'existence des êtres se briser de par mes actes. J'ai envi de te tuer, je te hais horriblement. Mais quand je me retrouve à tes côtés, il y a ce lien qui m'irrite, qui veut me faire faire n'importe quoi pour ton bonheur. ». « Mais je ne t'aime pas. ». « Si. ». « Non. ». Silence. « Si. ». Silence. « Je l'aime lui. ». « Qui? ». « Lui. ». « Dis le. ». « Non. ». Silence. « Peut-être que Naram pourra t'aider à élever ta fille? ». « Plutôt mourir. ». « Oui tu as raison, il doit être un piètre père et moi j'ai déjà assez d'enfants comme ça... ». « Un de plus, un de moins. ». « Tu veux que je l'élève? ». « Pas vraiment. ». « Je te comprend. ». Silence. « Je crois que... non c'est idiot mais... je suis allé au rocher au clair de lune et je pense y avoir vu notre fils... ». « Lequel? ». Silence. « Tu... ?». « Oui. ». Elle n'avait pas forcément eu le loisir de lui annoncer qu'elle n'avait pas usé qu'une seule fois de son adn. Cela dit, il n'en sembla pas contrarié. « Haruki. ». Elle se redressa, le regardant avec étonnement. « Oui je sais c'est idiot. ». « Non, ça ne l'est pas et s'il t'a laissé l'approcher, cela veut dire que ça ne va pas tarder... ». « Quoi? ». « Tu verras. ». Jun était habitué à ce genre de discours aux réponses vagues, habitué à ne pas exposer ses sentiments. Haruki, il l'avait tellement pleuré qu'il n'en revenait pas. Pourtant, cet homme qu'il avait croisé au rocher ne ressemblait pas à son fils mais... il n'aurait su l'expliquer. Il avait cet air de ressemblance, ce petit quelque chose qui avait attiré son attention.

« Tu vas t'en remettre? ». « Non. ». Silence. « Jun. Les semaines à venir vont être réellement compliquées pour toi. Je sais que tu as cru que je t'ignorais par le passé, et c'est cette ignorance qui t'a conduit vers cette voie, mais c'est la vérité, je ne t'aime pas, c'est Aria qui veut que tu le crois, qui t'as fait ainsi. Alors je ne pouvais pas décemment continuer à te côtoyer, à te faire du mal, à te faire espérer. Je t'ai déjà désiré, c'est vrai, mais, malgré mon attachement à ta personne, je ne t'aime pas. Et ça, je l'ai compris lorsque j'ai réellement aimé. ». « Zéleph? ». Elle ne répondit pas, contemplant le couché de soleil, ses yeux toujours brillants. Au final, elle en revenait au point de départ : sa fille naîtrait sans père. A moins que... « Jun? ». « Hum? ».

Qui va à la chasse, perd sa place.