Une petite assemblée se trouvait en ce jour dans les jardins du manoir Taiji, une assemblée non comme les autres, composée de personnes vêtues de noir qui formèrent deux lignes afin de laisser passer dans un silence de mort, ponctué que par une musique funèbre, la maîtresse des lieux. On aurait dit une mariée, une mariée qui s'apprêtait à se donner à la mort elle-même, une mariée habitant les plus affreux cauchemars des individus de ces terres. Le visage voilé, elle avançait aux côtés d'un homme d'une grande beauté, une beauté révélée par le mal qui se dégageait de lui, la douleur étant bien trop dure à supporter. Jun et Mitsuko, réunis pour le pire devant les individus qui avaient bien voulu venir, dont les gardiens du seaux, les ombres qui avaient par le passé si fidèlement servi l'ancienne souveraine. La musique retentissait comme pour cacher la peine de celle dont personne ne pouvait voir le visage, voilée, avançant dans une posture droite jusqu'au kiosque qui avait été battis là, d'un blanc défiant la pureté de tous les anges des cieux. Au milieu du monument de bois fleuri, la statue du fils regardait les invités dans une posture des plus simples, les bras croisés, les yeux vers l'infini, un air réfléchi sur le visage, ses deux ailes légèrement ouverte dans son dos. Haruki était un être réfléchi, calme, aimant. Faisant face aux individus qui étaient ici, essentiellement des anges, la jeune femme ôta son voile sur son visage aussi lisse que celui d'une poupée. Elle avait passé tellement d'année à ignorer la tristesse qu'il semblait que celle-ci ne puisse plus l'atteindre. Et à ce moment précis, elle ressemblait tellement à l'esprit de la mort qu'elle avait été, interdite, fermée, neutre.

« Qu'une barrière magique protège les personnes n'appartenant point à la race des Ombres et que le Requiem soit joué. »

Elle serait la seule à en subir les conséquences. Néanmoins, elle ne pouvait pas mourir. Le Requiem, une musique jouée et chantée par les sept Ombres les plus hautes placées dans la hiérarchie, une musique qui entraînait la mort de qui l'entendait. Elles n'étaient pas là par obligation, non, elles étaient venues de leur plein grès car une reine n'est jamais oublié, une reine qui avait respecté la tradition, renonçant à être connue de tous, renonçant à la gloire, aux considérations. Mais est ce que le rang de souverain avait une quelconque importance pour imposer ses idées? Mitsuko l'avait cru un jour, mais ce n'était plus le cas depuis bien longtemps. Le regard plongé dans le vide, elle repensait à toutes les fois où Haruki avait voulu s'entretenir avec elle et où elle avait repoussé, trop occupée. Et, à présent, elle se disait qu'elle aurait dû rester. Elle lança un regard à Jun qui venait de perdre son fils. Elle se rappelait la joie qu'il avait ressenti lorsqu'elle lui avait proposé d'avoir un enfant ensembles, un enfant qui saurait qui il était vraiment, qui serait distinct des autres de part la connaissance de la vérité. Il ne disait rien, aussi stoïque qu'elle. A cet instant, il était si charismatique qu'elle n'avait d'autre choix que de constater sa beauté, la beauté dans la douleur, la beauté dans le chemin du mal. Il allait bientôt se marier. Elle sourit, son esprit cherchant n'importe quelle pensée pouvant la raccrocher à autre chose que ce funeste présent. Le requiem devait durer une heure, peut-être un peu moins, mais au fur et à mesure que la musique résonnait, elle comprenait de plus en plus les vrais rouages de la mort. Le Requiem était une prière en réalité, une prière à un tout autre dieu qui fixait à présent Mitsuko, le temps s'arrêtant soudainement, il ne restait plus qu'elle et lui.

« Vous voilà bien imprudente d'écouter ainsi le Requiem ma chère. Qui vous dit que je n'ai pas les pouvoirs suffisants pour vous détruire? »

Il ne faisait aucun doute que l'homme qui se trouvait en face d'elle n'était pas le plus faible de ses semblables, loin de là. Elle lui sourit, essayant d'oublier sa tristesse.

« Hé bien je crois que vous avez déjà beaucoup à faire avec les mortels, pourquoi chercherez vous à tuer les immortels? Surtout l'une de vos plus fidèles servantes durant des années, une fidélité dont je n'avais moi-même point conscience. »

« Il est vrai que je ne suis pas un Aether très honnête mais la mort est une évidence et en choisissant cette voie, j'ai autant de fidèles que de personnes vivantes sans qu'aucune d'elles ne le sachent. Mais vous avez raison, vous avez été ma porte parole pendant des années Mitsuko, ancienne esprit de la mort. Nous nous sommes déjà rencontrés pourtant, ne vous rappelez vous pas? Lorsque je vous ai fait visiter le Royaume des abîmes. Notre seule rencontre sous ma forme d'Aether ma chère. »

Mitsuko resta silencieuse un instant, puis, elle finit par sourire, un éclair de génie passant dans son regard.

« Il est vrai. Mais l'anonymat n'a pas toujours de bons côtés car, que se passerait-il si vous étiez découvert? Si chaque individu cessait de croire en vous, d'implorer que vous ne veniez point frapper à leur porte? Vous cesseriez d'exister n'est ce pas...et chaque individu resterait en vie éternellement... »

« Vous n'y pensez pas... »

« Je suppose que vous êtes l'un des fidèles originels de celui qui créa ce monde n'est ce pas? Vous restez caché, vous oeuvrez dans le plus grand silence, dans la plus grande invisibilité. Sauf qu'avant moi, aucun Aether n'a eut l'idée d'écouter le Requiem par curiosité, rien que pour voir ce qu'il se passerait. Et je suis l'une des rares personnes à vous avoir aperçu...hormis peut-être les esprits du temple? »

Il ne dit rien, silencieux. C'était comme si il savait que cette femme était prête à tout pour obtenir ce qu'elle souhaitait, même permettre à chaque être de vivre éternellement à l'image des dieux.

« Je ne peux ramener votre fils, cela briserait l'équilibre du temps... »

« Je suis certaine que non. Des centaines d'individus meurent chaque minute, à vous de trouver quelque chose... »

« Bien. Il vivra, dans le futur. Il saura qui vous êtes, il saura tout. Mais peut-être ne pourra-t-il point vous pardonner pour la cause de sa mort... »

« Cela ne vous regarde pas malheureusement. J'ai encore une faveur à vous demander : je veux qu'il devienne l'un des maîtres du temps alors donnez lui les moyens d'y parvenir... »

« Cela n'est pas... »

Les yeux de Mitsuko se plantèrent dans ceux de l'Aether de la mort, le transperçant du regard, un air plus que maléfique sur le visage.

« Après toutes ces années où j'ai servi votre cause, je serai vous, je cesserai immédiatement d'essayer de refuser mes demandes. Ce sont les seules et je vous promet que si vous les respectez, votre identité restera secrète ainsi que votre existence entière. Mais s'il s'avère que vous ne faites pas ce que je demande, alors je révélerai votre existence au monde et, bien plus que votre disparition, ce sera un chaos infini qui s'abattra sur nos terres... »

« Vous n'y gagnerez rien. »

« Oh si, au contraire. Car du chaos nait un besoin de justice, et d'une trop grande justice nait le besoin du chaos. Ce cycle est sans fin, mort ou non. »

« Très bien. Reprenez donc votre deuil. Je ferai en sorte que votre enfant vive dans le futur et je vous apporterai la preuve de sa renaissance d'ici peu...à moins que vous l'ayez déjà eu ma chère, car tout est écrit n'est ce pas? Demandez vous si en venant ici je n'avais pas prévu ce que vous comptiez faire. »

« Peu m'importe. Que tout soit écrit ou non, je ferai toujours en sorte que cela soit écrit en ma faveur, ou écrit par moi. »

« Sachez que vous venez de donner un brin d'espoir à notre futur ma reine. »

S'agenouillant devant elle, l'Aether prit sa main dans la sienne, déposant un baiser sur le sommet de sa main avant de disparaître, le temps reprenant son cours. Finalement, le passé, le présent et le futur n'était qu'un gouffre sans fond, chaque temps s'emmêlant, ce que l'on pensait passé n'étant que futur. Mitsuko regarda Jun. Qui aurait cru? Elle sourit, lui murmurant tout bas :

« Tu viens de sauver notre fils... »

Il ne répondit pas, restant interdit. Elle savait qu'il la haïssait tellement qu'aucun mot n'aurait pu décrire cette haine mais le futur changerait sans doute les choses...à moins que ce soit le passé. L'Aether sourit, son regard ayant changé devant ce qui se dressait devant elle : une révélation de taille. Le temps. Pourtant, elle l'avait plus deviné que ressenti, elle ne pouvait voyager à travers lui, elle savait, connaissait, c'était tout.

La cérémonie dura plusieurs longues minutes. Les invités ainsi que les serviteurs du manoir, anciennement comme nouvellement nommés, se succédèrent près de la statue et la parc se vida peu à peu. Seuls Jun et Mitsuko restaient hormis quelques domestiques qui rangeaient le jardin.

« Tu me dois la vérité. »

La voix de Jun avait raisonné, tranchante et sans appel. Il lui demandait comment Haruki était mort et elle allait lui répondre.

« Le hasard a fait qu'une pièce du manoir lui soit accessible, le hasard ou le destin. Cette pièce contient l'un de mes fils, un vampire, quelque peu... enfin. C'est lui qui l'a tué. »

« Dans ce cas je vais lui faire subir le mêm... »

Mitsuko s'était approchée de lui rapidement, collant son doigt à sa bouche, l'empêchant de parler, leurs deux corps à une distance si réduite...

« Chut. Ce vampire est spécial. Il ne dévore pas le sang mais les âmes. Ce n'est pas vital pour lui de les dévorer, il peut très bien boire du sang pour rester en vie, mais cela ne le satisfait pas. Si tu y vas, tu mourras. »

Les mains de Jun se ressérèrent contre la taille de Mitsuko, l'attirant à lui d'un coup sec, son regard dans le sien.

« C'est bien toi de faire des expériences que tu ne contrôles pas. Comment se porte Naram au fait? »

Ses paroles étaient dures, froides, mais lorsqu'il perçut l'éclair d'ignorance dans le regard de Mitsuko, il se questionna alors que la jeune femme demanda :

« Qui ça? »

Il n'y croyait pas. Pourtant, elle disait vrai, elle n'aurait pas feint sinon. Il sourit, cachant sa surprise pour lui dire simplement :

« Eh bien, visiblement, ta culpabilité pour avoir tué notre fils a eu raison de ton infaillible connaissance politique. Fais attention Mitsuko, je pourrai profiter de ta faiblesse pour frapper là où ça te fera mal. Tu sembles si fragiles à présent...j'aurai presque envi d'abuser de toi, de salir ce corps que tu n'as jamais voulu m'offrir...mais tu sembles vouloir l'offrir à un autre d'après mes informateurs. Ne t'inquiètes donc pas, il souffrira lui-aussi, je ferai en sorte de le tuer à petit feu comme tout ceux qui approcheront leur corps un peu trop près de toi. J'espère que la mort d'Haruki te rongera à petit feu car c'est entièrement de ta faute. »

Puis, il la lâcha violemment, lui tournant le dos. Mitsuko sourit, articulant doucement :

« La bave du crapaud n'atteint pas les ailes de la blanche colombe. »

Puis, elle rentra dans le manoir sans plus de cérémonie. Un jour, Jun se réveillerai, et ce jour là, il tomberait très bas. Un mal inévitable.