La femme que Keron voyait n'était que le reflet de l'Ombre qui l'avait guidé jusqu'ici, une Ombre qui repartait déjà en quête d'une âme nouvelle à amener en ces lieux. L'endroit était en fait peuplé d'Ombres et d'âmes qui n'attendaient qu'à être recyclées. Ici, les souvenirs étaient annihilés...quand les personnes mourraient, toute leur vie passée était effacée pour que l'âme redevienne blanche, propre, et pour pouvoir créer un nouvel être. Ici, on comprenait pourquoi certaines personnes avaient des impressions de déjà vu parfois. Oui, car le lavage de l'âme ne pouvait se faire totalement, au risque de détruire l'âme elle même. Seuls les êtres très puissants pouvaient avoir le privilège de ne pas être recyclés, de pouvoir fusionner avec la personne de leur choix...mais ces êtres puissants l'étaient bien plus que les chefs de race eux mêmes.
Cependant, en ce jour, il y avait une personne en ces lieux qui n'avait pas à connaître un recyclage de l'âme et c'est pour cela que la mort apparut devant Keron, revêtue de son habit fait des Ombres les plus noires de ce monde. La mort avait une apparence effrayante et, encore plus terrifiant, la puissance que l'incarnation de la mort avait en ces lieux paraissait absolue. Elle ne parlait pas et pourtant sa voix semblait raisonner, une voix horrible, semblant ni féminine ni masculine. Elle s'adressait à Keron, une faux sur ce qui semblait être une épaule. La mort semblait impalpable, les Ombres l'entourant bougeant toujours plus ou moins, semblant vouloir aspirer toute âme encore apte de volonté en ces lieux.
« Ton heure n'a pas sonné, le sais-tu jeune homme? »
Keron ne pouvait pas parler en fait, personne ne le pouvait ici et la mort ne souhaitait pas être interrompue. Un chef de race n'était plus rien en ce lieu, ce n'était qu'une personne égale à toutes les autres, une âme errante ayant perdu son corps, corps qui avait trouvé la mort.
Mitsuko connaissait Keron, elle l'avait déjà croisé par le passé mais ici, Mitsuko n'existait pas, et la Mort se devait d'obéir au cycle de la vie, au destin, aux éléments qui gouvernaient ce monde et qui étaient bien au dessus de tout.
« Tu perdras tout souvenir de ce lieu dans quelques instants lorsque ton âme réapparaîtra sur terre. Peut-être t'en souviendras-tu en rêve...mais les rêves ne sont que des illusions que notre subconscient nous oblige à regarder... »
La Mort marqua une pause puis finit par dire :
« Tu ne seras plus le même après ces quelques instants...ton corps risque de changer, ton esprit également, tes dons seront peut-être modifiés. Saches que personne ne se rend dans le royaume des abîmes sans y laisser une part de son être...ce lieu se nourrit des vies passées et des souvenirs, des sentiments. Alors peut-être que des souvenirs disparaîtront de ton âme, peut-être que tu oublieras des sensations jusqu'ici connue... »
D'un mouvement vif, et en seulement une fraction de seconde, la mort apposa sa faux sur la tête de l'homme qui était en face d'elle.
« Quand ton heure sera venue, je me ferai un plaisir de venir cueillir ton âme. Mais en attendant, tu dois vivre afin de préserver l'équilibre sur ces terres. Reprend ta route et trouve le chemin qui te conduira à ton destin... »
Et tout disparut, la Mort, le Royaume des abîmes, le monde imaginaire que s'était créé Keron. Et le jeune homme ne tarderait pas à se réveiller quelque part sur les terres du yin et du yang, sans aucun souvenir de ce qu'il venait de se passer. Il reprendrait sa vie...oui...mais peut-être aurait-il changé. Du moins, c'est ce que la Mort espérait.